V. L'ESSOR DU VOTE EN LIGNE DANS LES CANTONS SUISSES ET EN ESTONIE

Comme l'indiquaient les derniers rapports officiels anglais et finlandais sur le vote électronique, les enjeux ne portent déjà plus tant sur le perfectionnement de nouvelles machines de vote que sur le recours sécurisé au vote par internet. Si des solutions techniques fiables étaient trouvées, le recours au vote en ligne permettrait de lever l'obstacle dirimant du coût des équipements tout en favorisant la participation de couches de la population moins enclines à voter, en particulier les jeunes. C'est pourquoi les expériences pionnières de certains cantons suisses et de l'Estonie méritent d'être observées de près.

L' Estonie se veut en pointe du vote électronique en faisant le choix du vote en ligne à l'exclusion du recours à toute machine à voter ou ordinateur de vote installé physiquement dans les bureaux de vote. C'est un choix politique fort conformément au souhait du pays de se présenter comme un pôle d'excellence en hautes technologies et une démocratie moderne. Les bulletins et enveloppes en papier traditionnels peuvent encore être utilisés et forment la seule alternative demeurant au citoyen estonien qui refuserait le vote par Internet. Grâce à une application spéciale, le vote par téléphone mobile constitue une variante possible du vote en ligne.

Le vote par internet est autorisé et encadré par la loi estonienne depuis 2005. Les dispositions applicables aux élections législatives 92 ( * ) et aux élections locales 93 ( * ) sont symétriques. Le vote électronique a sur cette base été utilisé dans quatre élections municipales, (2005, 2009, 2013 et 2017), trois élections législatives (2007, 2011 et 2015) et deux élections européennes (2009 et 2014). Les statistiques publiées font état d'une croissance nette de la part des votes par Internet parmi les suffrages exprimés. 94 ( * ) Pour les élections locales, ils représentaient 31,7 % des votants en 2017 contre 21,2 % en 2013, 15,8 % en 2009 et 1,9 % en 2005. Pour les élections législatives, ils représentaient 30,5 % des votants en 2015 contre 24,3 % en 2011 et 5,5 % en 2007. 95 ( * ) Parmi les votants par internet, on peut noter également une multiplication de ceux qui utilisent l'application de téléphone mobile : ils approchent désormais le quart des votants électroniques, ce qui toutefois étant donné la taille du pays ne représente qu'environ 45 000 votants.

La procédure retenue pour le vote par internet est très particulière. Il est possible de voter pendant 7 jours en anticipation de la date fixée pour le scrutin, entre le 10 ème et le 4 ème jour précédant le scrutin précisément. Pendant cette période, l'électeur peut toujours modifier son vote électronique. Il peut également se déplacer dans un bureau de vote ouvert dans cette phase de scrutin anticipé ( advanced polls ) et déposer un bulletin physique dans l'urne électorale. Dans ce cas, seul le suffrage exprimé par papier est compté et les éventuels votes électroniques précédents sont annulés. Le jour du scrutin lui-même, il n'est plus possible de modifier le vote électronique exprimé au cours de la phase anticipée.

Techniquement, l'application de vote par Internet utilisée par l'électeur lui permet d'exprimer son suffrage et de le crypter. Après avoir fait son choix, l'électeur le confirme et le scelle électroniquement à l'aide d'une signature numérique qui lui est propre. Cette signature digitale peut être donnée soit avec la carte d'identité qui peut être lue par un lecteur numérique et un logiciel téléchargeable auprès des sites officiels estoniens, soit avec un certificat d'identité numérique ( Digi-ID ), délivré par les autorités, utilisable uniquement sur Internet et permettant à une personne de s'identifier dans un environnement électronique et de donner une signature numérique. Le troisième mode de signature numérique pour confirmer et sceller le vote requiert uniquement l'utilisation d'un smartphone ( Mobile-ID ) d'un PIN-code spécifique et de codes de sécurité envoyés par SMS. La Mobile-ID doit toutefois avoir été préalablement activée avec la carte d'identité qui contient les données personnelles numérisées. 96 ( * )

Enfin, depuis 2015, dans le souci d'améliorer la sécurité et la transparence du vote, tout en détectant en amont d'éventuelles failles, une application de vérification permet à l'électeur de vérifier après coup que son suffrage a bien été pris en compte et que l'intégrité de la procédure n'a pas été compromise par un virus ou un bug. Pour cela, il utilise un autre appareil (smartphone ou tablette) différente de l'ordinateur sur lequel il a voté. Seulement 4 % des votes sont vérifiés par les électeurs.

La Suisse s'est engagée, suivant les recommandations d'un rapport du Conseil fédéral de 2002 sur la faisabilité, les chances et les risques du vote électronique, dans un projet de vote électronique, dans un premier temps à l'échelle de 3 cantons (Zürich, Neuchâtel et Genève). Aux termes de l'article 8a 97 ( * ) de la loi fédérale sur les droits politiques du 17 décembre 1976 modifiée le 21 juin 2002, « 1 le Conseil fédéral peut, en accord avec les cantons et les communes intéressés, autoriser l'expérimentation du vote électronique en la limitant à une partie du territoire, à certaines dates et à certains objets. 2 Le contrôle de la qualité d'électeur, le secret du vote et le dépouillement de la totalité des suffrages doivent être garantis. Tout risque d'abus doit être écarté (...) » .

Dans un deuxième rapport de 2006, les essais pilotes menés en 2004 et 2005 ont été jugés positivement. Le Conseil fédéral et le Parlement ont souhaité étendre progressivement et de façon contrôlée le canal du vote électronique.

D'après le site de la Chancellerie fédérale, « en 2013, le Conseil fédéral a formulé dans son troisième rapport relatif au vote électronique la stratégie pour son extension et a défini de nouvelles exigences de sécurité. L'ordonnance sur les droits politiques a été révisée, en même temps, l'ordonnance de la Chancellerie fédérale du 13 décembre 2013 sur le vote électronique (OVotE) adoptée. Les principales exigences concernent la mise en oeuvre de la vérifiabilité et la certification des systèmes. Avec l'introduction de la vérifiabilité individuelle en 2014, une étape intermédiaire vers la vérifiabilité complète a pu être atteinte. Cependant, la mise en oeuvre de la vérifiabilité complète ainsi que la certification des systèmes restent à régler. Les fournisseurs de systèmes prévoient de réaliser ces objectifs d'ici à 2018 » 98 ( * ) .

Deux systèmes sont actuellement en place dans les huit cantons disposant d'une autorisation générale du Conseil fédéral pour mener des essais de vote électronique lors de votations fédérales :

- celui du canton de Genève, utilisé à Berne, Lucerne, Bâle-Ville (jusqu'en 2017), Argovie, Saint-Gall et Genève ;

- et celui de la Poste suisse utilisé à Fribourg et Neuchâtel, ainsi que dans le canton de Bâle-Ville au terme d'un appel d'offres public début 2017. Le canton de Thurgovie reprendra ses essais de vote électronique en 2018 en utilisant le système de la Poste.

Le site internet de la chancellerie fédérale présente le procédé du vote électronique ainsi que les deux systèmes en vigueur en Suisse : « pour voter ou élire par voie électronique, il faut disposer de plusieurs codes, comme il est d'usage pour de nombreuses prestations proposées sur Internet. Les codes figurent sur la carte de légitimation que vous recevez si vous avez le droit de voter ou d'élire par voie électronique. Le premier code permet de se connecter au système d'élection ou de vote à partir d`Internet. Vous pouvez alors voter » . Le bulletin peut être contrôlé après avoir voté et plusieurs codes permettent à l'électeur de vérifier que son vote a été correctement transmis au système.

S'agissant du système dit du canton de Genève, toute personne souhaitant voter par voie électronique doit se munir de sa carte de vote (avec indication vote électronique, possédant un numéro de carte de vote), de sa date de naissance et d'un équipement disposant d'un accès internet stable. La personne se rend sur le site du vote ( https://www.evote-ch.ch/ge ) et insère son numéro de carte de vote dans le champ à cet effet de la page d'accueil. Une nouvelle page demandera à l'électeur de confirmer qu'il a pris connaissance des sanctions pénales pour fraude.

L'électeur peut ensuite faire son choix de vote en cochant les cases correspondant à ses souhaits pour chaque question posée. Il vérifie que son bulletin est conforme à ses choix puis indique sa date de naissance.

Le contrôle se fait à l'étape suivante : l'électeur compare les codes de vérification fournis par le système à ceux reçus avec sa carte de vote, ils doivent correspondre. Lorsque c'est bien le cas, le votant introduit son code de confirmation, qui donne l'ordre au système d'introduire le vote dans l'urne électronique. Le système envoie alors un code de finalisation qui doit lui aussi correspondre à celui indiqué sur la carte de vote et qui finalise le processus de vote.

S'agissant du système dit de la Poste, on retiendra ici l'exemple du canton de Neuchâtel. Pour pouvoir participer en ligne aux scrutins, il convient d'abord de signer un contrat d'utilisation. Les électeurs conservent la possibilité de voter par les moyens traditionnels que sont le vote par correspondance ou au bureau électoral.

Le Service informatique de l'Entité neuchâteloise (SIEN) et la chancellerie d'État collaborent avec la société SCYTL, partenaire de La Poste, pour introduire le principe de la vérifiabilité individuelle lors d'une votation fédérale tenue le 8 mars 2015. Ce système est en cours d'évolution vers un autre plus performant première qui devrait intégrer, en plus de la vérifiabilité individuelle, la vérifiabilité universelle et des certifications de haut niveau.

Toutefois, « si l'introduction de la vérifiabilité individuelle améliore sensiblement la sécurité du vote électronique, cette évolution ne permet pas pour l'instant d'augmenter au-delà de 30% la limite des électrices et électeurs pouvant participer au vote électronique » .

Du point de vue de la procédure, elle reste similaire à celle de la méthode dite du canton de Genève, le votant doit se munir de sa carte de vote et se rendre sur la page du scrutin, accepter les conditions d'utilisation et choisir le scrutin auquel il souhaite participer. Il peut ensuite voter par oui ou non, sans réponse son vote est considéré comme non, vérifier son vote, puis le valider en saisissant le code de validation présent sur sa carte. Il n'est plus possible de revenir son vote une fois qu'il est validé, mais les votes ne sont pour autant pas encore « déposés » dans l'urne. Pour cela, il faut au préalable comparer les codes de vérification figurant sur la carte de vote à ceux inscrits sur la page du scrutin. S'ils correspondent, l'électeur entre son code de confirmation et reçoit ensuite son code de finalisation, lequel doit également correspondre à celui inscrit sur sa carte de vote 99 ( * ) .

Ainsi, le principe de vérifiabilité individuelle, corollaire soit de la transparence de la procédure électorale mise en avant par la Cour constitutionnelle allemande, soit de la sécurité et de la fiabilité du scrutin dans les rapports officiels belges et néerlandais a également trouvé son chemin dans les doctrines suisse et estonienne sur le vote en ligne.


* 92 Riigikogu Election Act du 12 juin 2002, ch.7 §48 2 -§48 8

* 93 Municipal Council Election Act du 27 mars 2002

* 94 Sur un corps électoral de 900 000 personnes environ, 575 000 expriment leur suffrage, soit environ 65 % de participation aux élections législatives. Les votants par Internet sont au nombre d'environ 175 000.

* 95 https://www.valimised.ee/en/archive/statistics-about-internet-voting-estonia

* 96 State Electoral Office of Estonia, General Framework of Electronic Voting and Implementation thereof at National Elections in Estonia, 20 juin 2017.

* 97 Entré en vigueur le 1 er janvier 2003

* 98 https://www.bk.admin.ch/bk/fr/home/droits-politiques/groupe-experts-vote-electronique/vue-d-ensemble.html

* 99 http://www.ne.ch/autorites/CHAN/CHAN/elections-votations/Pages/vote-electronique.aspx

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