II. UN ATTENTISME PERSISTANT ET DES EXPÉRIENCES NON CONCLUANTES EN EUROPE DU SUD, DANS LES ÎLES BRITANNIQUES ET EN SCANDINAVIE

Le Portugal n'a pas fait évoluer sa législation, ni ses pratiques depuis les expériences de vote électronique menées en 1997, 2001, 2004 et 2005, que décrivait l'étude de législation comparée LC 176 de septembre 2007. 54 ( * ) La dernière expérience lors des élections législatives de 2005 eut la particularité de prévoir un vote électronique en mode présentiel sur dans cinq paroisses ( freguesia ) et en mode non présentiel par Internet pour les Portugais résidents à l'étranger. L'attentisme prévaut depuis en raison des coûts et des difficultés logistiques, des incertitudes sur la sécurité et des exemples étrangers de pays qui ont renoncé au vote électronique.

De même, la situation n'a pas évolué en Espagne depuis l'étude de 2007. 55 ( * ) Le vote électronique n'est pas autorisé par la législation espagnole, bien que la Commission électorale ( Junta Electoral Central ) l'ait recommandé en 2010. Aucune mention n'en est faite dans la loi organique portant régime électoral, dont l'article 86 garantit le secret du vote et décrit la procédure de vote traditionnelle par bulletin placé dans l'urne physique du bureau de vote. 56 ( * ) En juin 2017, le gouvernement espagnol a réaffirmé qu'il n'envisageait pas d'introduire le vote électronique en raison de failles de sécurité qui le rendait vulnérable à la cybercriminalité aujourd'hui en pleine expansion.

Le Pays basque demeure la seule communauté autonome à recourir au vote électronique pour les élections de son parlement. 57 ( * ) Le système utilisé correspond à la première génération de machines à voter sans preuve papier, utilisée dans les années 1990-2000 en Belgique et aux Pays-Bas (cf. infra). Toutefois, une modification de la législation basque en 2015 habilite le Gouvernement basque à réaliser toutes les expérimentations pilotes qu'il estime nécessaire en employant des technologies nouvelles qui s'adaptent mieux au processus électoral aux fins d'évaluer leur possible mise en oeuvre. Les systèmes de vote qui peuvent être testés doivent, toutefois, garantir le secret du vote et la transparence du scrutin.

Malgré des tests conduits au moins en Andalousie (2004), en Catalogne (1995, 2003, 2010), dans la Communauté valencienne (1999) et en Galice (1997, 2005), le vote électronique n'y est pas devenu un mode de votation alternatif ni pour les élections régionales, ni pour les municipales. Un projet de loi déposé par le gouvernement indépendantiste catalan devait permettre aux catalans résidents à l'étranger de voter électroniquement au référendum convoqué le 1 er octobre 2017 et aux élections régionales, mais il n'a pu être adopté à la majorité qualifiée des 2/3 requise du parlement catalan.

Le cas de l' Italie offre de grandes similarités avec ceux de l'Espagne et du Portugal. Les tests effectués dans les années 2000 n'ont pas été prolongés après les graves dysfonctionnements constatés au moment du décompte des suffrages lors des élections législatives d'avril 2006. Le gouvernement italien a alors renoncé à la mise en oeuvre du vote électronique, comme le relevait l'étude de 2007. 58 ( * )

Toutefois, les mouvements régionalistes et populistes italiens continuent d'alimenter la demande de révision des modes de votation. C'est ainsi que la Lombardie a adopté une loi régionale spéciale 59 ( * ) pour prévoir le recours au vote sur machines électroniques pour son référendum consultatif sur l'élargissement de son autonomie du 22 octobre 2017. Cette consultation était le résultat de l'alliance entre la Ligue du Nord, qui dirige le gouvernement régional, et le Mouvement Cinq étoiles. Le dispositif technique retenu prévoyait que dans un certain nombre de bureaux de vote, représentant au moins 25 % des électeurs potentiels, les machines de voter permettraient l'impression sur papier du vote exprimé électroniquement à des fins de contrôle de régularité du processus.

Pour l'équipement de l'ensemble des bureaux de vote, 24 000 machines ont été achetées par la région à la société Smartmatic, également active en Flandre, pour une somme de 23 millions d'euros environ, comprenant également les logiciels, les systèmes de sécurité, l'assistance technique et la formation du personnel. 60 ( * ) De l'aveu général, la consultation s'est techniquement mal passée, le décompte des voix électroniques et la collation des résultats des différents bureaux ayant rencontré des problèmes. Il a fallu bloquer les assesseurs sur place et attendre le lendemain pour obtenir la participation et les résultats. Il convient de noter que la Vénétie qui organisait le même jour un semblable referendum n'avait pas ouvert la possibilité de voter électroniquement et les résultats définitifs ont été disponibles bien avant ceux de Lombardie, dans des délais normaux.

On ne peut cependant distinguer un particularisme de l'Europe du Sud, puisque l'attentisme prévaut aussi dans les systèmes politiques scandinaves et dans les pays de Common Law. Les coûts d'opportunité et les risques paraissent démesurés pour l'instant aussi bien en Irlande qu'en Suède.

L' Irlande a expérimenté le vote électronique en 2002 à l'occasion des élections législatives dans 3 circonscriptions sur 42 et du référendum sur le traité de Nice dans 7 circonscriptions. Pour autant, l'expérience a été suspendue, car la commission sur le vote électronique mise en place par l' Electoral (Amendment) Act de 2004 (dissoute depuis) avait conclu dans son rapport que, « compte tenu des problèmes de secret, d'exactitude et d'analyse [...], elle n'est pas en mesure de recommander l'utilisation du système proposé aux élections locales et européennes. La Commission insiste sur le fait que cette conclusion n'est pas fondée sur le constat que le système ne fonctionnera pas, mais sur le constat qu'il n'a pas été prouvé à l'heure actuelle de façon satisfaisante à la Commission qu'il fonctionnera » 61 ( * ) .

En 2009, l'idée du vote électronique a été complètement abandonnée. Les machines à voter commandées auprès d'une société néerlandaise et utilisées en 2002, puis remisées après l'abandon du projet par le gouvernement, à la suite des conclusions de la Commission, ont finalement été destinées au recyclage. Des enchères ont été ouvertes, lesquelles ont finalement conduit le gouvernement à les céder à l'entreprise même qui leur avait vendu les machines. Selon les journaux de l'époque, les machines auraient au total coûté plus de 55 millions d'euros à l'État irlandais (compte tenu de l'acquisition, de l'entretien, de l'entreposage ...) et elles auraient été revendues en 2009 pour 70 267 euros 62 ( * ) .

En Suède , une commission sur la loi électorale comprenant des représentants de tous les partis a proposé en 2015 de faire un essai de vote électronique via internet dans quelques communes lors des élections de 2018. Cette idée a été rejetée par le gouvernement, qui l'a jugée inopportune au regard du secret du vote et de la garantie que le vote ne soit pas influencé. Le ministre de la justice a également émis des réserves sur la mise en place du vote électronique comme alternative au système manuel, même dans un isoloir, estimant que cela engendrerait des coûts importants. L'intérêt d'une telle transformation serait minime, le système actuel fonctionnant plutôt bien. Il a aussi indiqué que si jamais le vote électronique finissait par être envisagé, alors ce serait selon la méthode présentielle dans un bureau de vote.

Malgré ces différents exemples, il faut noter que la réflexion se poursuit toujours, notamment au Royaume-Uni et en Finlande, malgré les positions fermement défavorables des différents gouvernements quelle que soit leur sensibilité. Les rapports se succèdent, des estimations des coûts et des évaluations des méthodes sont produites. La perspective du vote par internet est prise au sérieux notamment pour accroître la participation des jeunes aux scrutins.

En Royaume-Uni , le vote électronique ne fait pas partie des moyens à la disposition des citoyens pour exercer leur droit de vote. Ceux-ci peuvent voter en personne dans un bureau de vote, par voie postale ou par procuration. Pourtant, entre 2000 et 2007, le Gouvernement britannique a encouragé les autorités locales anglaises à entreprendre des projets pilotes électoraux pour tester de nouvelles méthodes de vote, incluant le vote électronique (e-voting) et le décompte électronique (e-counting) 63 ( * ) . Font partie des formes testées de vote électronique :

- le vote électronique à distance, utilisant internet, téléphones mobiles, messagerie texte ou télévision numérique, que ce soit le jour de l'élection ou par anticipation ;

- le vote en ligne dans des endroits supervisés, incluant l'utilisation de kiosques dans les bureaux de vote traditionnels ou dans d'autres endroits publics (bibliothèques, supermarchés, mairies), que ce soit le jour de l'élection ou par anticipation ;

- des bureaux de vote électroniques, permettant aux électeurs de voter dans n'importe quel bureau de vote dans la zone de l'autorité locale le jour du scrutin, grâce à des ordinateurs portables en réseau.

Tous les projets pilotes ont été évalués par la commission électorale depuis 2002. Elle a conclu que l' e-counting avait le potentiel d'améliorer à la fois l'efficacité et la précision du processus de décompte et que le vote électronique améliorait la commodité pour l'électeur. Toutefois, ces conclusions étaient assorties de recommandations :

- tout projet futur d' e-voting ou d' e-counting devra être basé sur des tests plus approfondis de sécurité, de fiabilité et de transparence des solutions proposées, soit par un processus d'accréditation et de certification, soit par un processus d'approvisionnement plus détaillé et approfondi ;

- un temps suffisant doit être alloué à la planification des projets d' e-voting et d' e-counting ;

- aucune nouveau projet pilote d' e-voting ou d' e-counting ne doit être entrepris tant que le Gouvernement n'a pas mis en place une stratégie globale de modernisation électorale précisant comment l'utilisation plus large de la technologie dans les élections garantira la transparence, la confiance du public et la rentabilité.

Dans les faits, aucun nouveau projet pilote n'a été entrepris depuis 2007. En mars 2010, des conclusions du Gouvernement sur l' e-voting ont reconnu que les citoyens étaient préoccupés par la sécurité, la transparence et la rentabilité du vote à distance.

En 2014, la commission sur la démocratie numérique de la Chambre des Communes 64 ( * ) a conduit une série d'auditions sur la démocratie numérique, incluant le vote électronique. Dans son rapport final, la commission estime que « le vote en ligne a le potentiel d'augmenter considérablement la commodité et l'accessibilité du vote (...). La commission est convaincue qu'il existe un intérêt considérable pour le vote en ligne au Royaume-Uni, en particulier parmi les jeunes. Il deviendra de plus en plus difficile de persuader les jeunes électeurs de voter selon les méthodes traditionnelles. Ce n'est qu'une question de temps avant que le vote en ligne ne devienne une réalité, mais il faut d'abord surmonter les problèmes de sécurité. Une fois cela atteint, il y aura un besoin urgent de fournir aux citoyens un accès au vote en ligne, et la Royaume-Uni doit s'y préparer. La commission électorale a appelé le Gouvernement à introduire une "stratégie globale de modernisation électorale [...] précisant comment l'utilisation plus large de la technologie dans les élections garantira la transparence, la confiance du public et la rentabilité". Le nouveau système d'enregistrement en ligne pourrait être la pierre angulaire d'un futur système de vote en ligne, bien que cela ne résolve pas le problème de la vérification de l'identité des personnes lorsqu'elles votent en ligne » .

La commission conclut en soutenant la proposition d'introduire le vote en ligne au Royaume-Uni à partir de 2020, tout en soulignant qu'il faudra au préalable répondre aux préoccupations concernant la fraude électorale et le secret du vote 65 ( * ) .

La Finlande a procédé, via la loi n°13.10.2006/880 66 ( * ) , à une expérimentation du vote électronique dans 3 communes (Grankulla, Högfors et Vichtis) lors des élections municipales de 2008. Cette loi, entrée en vigueur le 1 er janvier 2007 et applicable jusqu'au 31 décembre 2008, permettait aux électeurs des communes précitées de voter par voie électronique, soit en avance dans des lieux de vote préalables, soit le jour du scrutin dans des lieux de vote. Les électeurs pouvaient toutefois opter pour un vote « traditionnel » avec un bulletin de vote. La possibilité de vote par internet n'était pas ouverte par cette expérimentation. Le gouvernement a décidé le 13 janvier 2010 que le développement du vote électronique comme moyen de vote ne serait pas poursuivi pour le moment en Finlande, et que jusqu'à nouvel ordre, le système de vote actuel devait être appliqué 67 ( * ) .

Depuis, d'autres organes de réflexion créés par le ministère de la justice ont travaillé sur cette question, en se focalisant en particulier sur le vote sur internet.

En décembre 2017, un groupe de travail du ministère de la justice sur les conditions de mise en place du vote sur internet en Finlande a conclu qu'il y avait à l'heure actuelle plus de risques que d'avantages au vote sur internet 68 ( * ) . D'après le groupe de travail, s'il est du point de vue technique possible de construire un système pour le vote par internet, ces techniques ne sont cependant pas suffisamment avancées dans la mesure où il existe des défauts. Le groupe de travail a souligné les risques inhérents au vote sur internet. Pour le rendre viable, il faut pouvoir s'assurer que le vote arrive sur la plateforme de comptage des voix de façon non modifiée, préserver le secret du vote, éviter les pressions et la vente de voix qui pourraient être générés par l'émission d'un certificat de vote, éviter la manipulation des résultats et la perturbation du scrutin par une saturation volontaire du site de vote, éviter la perte de confiance dans le système qui peut être affaibli par des rumeurs ou des fausses informations. Enfin, le groupe de travail finlandais a souligné que le développement d'un vote sur internet n'aurait qu'un petit impact sur la participation au scrutin. Les estimations financières du groupe de travail pour la mise en place d'un système de vote sur internet s'élèvent à 32 millions d'euros s'il est utilisé 15 ans.

Le groupe de travail indique également que la dématérialisation peut être utilisée pour créer une nouvelle façon de participer. Le développement et la dématérialisation des systèmes de vote et des façons de participer comprennent également d'autres modes que le vote sur internet : l'implication du citoyen peut être renforcée par exemple par la création de nouveaux types d'outils numériques, qui pourraient rendre les processus de prise de décision plus transparents et offrir aux citoyens de nouvelles possibilités de participer au débat public.


* 54 http://www.senat.fr/lc/lc176/lc176_mono.html#toc22

* 55 http://www.senat.fr/lc/lc176/lc176_mono.html#toc10

* 56 Ley Orgánica del Régimen Electoral General (LOREG) 5/1985 de 19 de junio

* 57 Ley 5/1990, de 15 de junio, de Elecciones al Parlamento Vasco

* 58 http://www.senat.fr/lc/lc176/lc176_mono.html#toc16

* 59 Legge regionale n. 3 - Introduzione del voto elettronico per il referendum consultivo, 23 febbraio 2015.

* 60 Ansa, « La Lombardia al voto con il sistema elettronico », 9 ottobre 2017

* 61 https://www.irishtimes.com/news/commission-on-electronic-voting-summary-and-conclusions-1.1138596

* 62 https://www.irishtimes.com/news/e-voting-machines-to-be-scrapped-1.722896

* 63 http://www.parliament.uk/documents/speaker/digital-democracy/electoralcommission.pdf

* 64 https://www.parliament.uk/business/commons/the-speaker/speakers-commission-on-digital-democracy/electronic-voting /

* 65 http://www.digitaldemocracy.parliament.uk/documents/Open-Up-Digital-Democracy-Report.pdf

* 66 Dispositions électorales spéciales, annexées à la loi électorale 2.10.1998/714.

* 67 http://www.vaalit.fi/sv/index/valinformation/utvecklingsprojekt/elektroniskrostning.html

* 68 http://oikeusministerio.fi/sv/artikkeli/-/asset_publisher/tyoryhma-nettiaanestyksen-riskit-suuremmat-kuin-hyodyt

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