B. LA QUESTION CENTRALE DE LA FRONTIÈRE ENTRE TRAVAIL SALARIÉ ET INDÉPENDANT

Le développement de ces plateformes pose la question du statut de ces travailleurs, au regard de la distinction entre travailleur indépendant et travailleur salarié. Ces travailleurs de plateforme peuvent apparaître, en effet, comme des travailleurs indépendants « économiquement dépendants », questionnant ainsi l'adéquation de leur statut d'emploi, avec la réalité de leur situation.

1. Au coeur de la proposition de directive, la question du statut...

Selon la Commission européenne, plus de 90 % des plateformes de travail numériques opérant dans l'Union qualifient les personnes qui travaillent par leur intermédiaire de travailleurs non-salariés. La Commission estime que la plupart des travailleurs sont réellement autonomes dans leur travail mais considère que de nombreux autres se trouvent dans une relation de subordination par rapport aux plateformes en étant soumis, à des degrés divers, à leur contrôle, par exemple s'agissant des niveaux de rémunération ou des conditions de travail.

Sur les 28 millions de personnes qui, selon les estimations de la Commission, travaillent par l'intermédiaire de plateformes au sein de l'Union, 5,5 millions pourraient actuellement relever d'une qualification juridique erronée. Les 22,5 millions de personnes restantes sont considérées comme classées dans la bonne catégorie statutaire, que ce soit dans celle des travailleurs salariés ou dans celle des travailleurs non-salariés. Il convient de noter que ce chiffrage, concernant la France, est contesté par la Direction générale du travail (DGT), du Ministère du travail, du plein emploi et de l'insertion, et la Direction générale des entreprises (DGE), du Ministère de l'économie, des finances, et de la souveraineté industrielle et numérique auditionnées par les rapporteurs.

Étude d'impact critiquée par la France

Les deux directions générales auditionnées contestent le chiffrage avancé par la Commission européenne dans l'étude d'impact qui accompagne sa proposition de directive, le jugeant surévalué pour plusieurs raisons.

Selon elles, l'étude PPMI 2021, qui a servi de base à l'évaluation de la Commission, comptabilise pour la France 505 000 travailleurs de plateformes, dont 445 000 seraient susceptibles d'être requalifiés par l'application de la directive (3ème pays après l'Allemagne et l'Espagne). Ce chiffre est très supérieur aux estimations de l'administration française évaluant à 120 000 le nombre de livreurs/chauffeurs VTC dans notre pays.

Par ailleurs, selon l'administration française, l'étude précitée écarte les données administratives dans son estimation, au motif que celles-ci ne couvriraient pas les situations de sous-location de comptes. Or, les DGT/DGE estiment précisément qu'il n'y a pas lieu de prendre en compte ces personnes en situation de sous-locations dans les calculs, car la majorité d'entre elles exercent une activité non déclarée et ne pourraient pas bénéficier d'une requalification de leur contrat en salariat, du fait qu'elles n'ont pas le droit d'exercer une activité salariée.

Source : réponse au questionnaire

En conséquence, selon la Commission européenne, certaines personnes travaillant par l'intermédiaire de plateformes de travail numériques ne bénéficient pas des droits en matière de travail et de protection sociale qui découleraient d'un statut professionnel, parmi lesquels le droit à un salaire minimum (s'il existe), à la réglementation du temps de travail et à la protection de la santé, aux congés payés ou à un meilleur accès à la protection contre les accidents du travail, aux prestations de chômage et de maladie, ainsi qu'aux pensions de vieillesse.

En annexe du présent rapport, figure un comparatif des droits des salariés et travailleurs de plateforme en France, issu du rapport de la dernière mission d'information sénatoriale précitée sur le sujet.

2. ...que certains invitent à dépasser

Il convient toutefois de noter que cette approche « par le statut » défendue par la Commission dans sa proposition de directive, n'est pas partagée par tous.

Pour certains, en effet, l'enjeu n'est pas celui du statut mais celui des droits, le raisonnement étant que si l'on règle la question des droits, on règle la question du statut. Il s'agit ainsi d'accorder aux travailleurs des plateformes les droits qui leur font défaut, notamment par rapport aux salariés, afin d'éviter des actions en requalification pour obtenir un autre statut plus enviable du fait des droits qu'il emporte.

Cette approche « par les droits » plutôt que « par le statut » a été défendue dans le rapport d'information précité de la commission des affaires sociales du Sénat. Il s'agit également de la position du gouvernement français, qui met en place depuis plusieurs années des mesures allant dans ce sens (cf. infra).