N° 27

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2022-2023

Enregistré à la Présidence du Sénat le 5 octobre 2022

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des affaires européennes (1) sur la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative à l'amélioration des conditions de travail dans le cadre du travail via une
plateforme COM(2021) 762 final,

Par Mmes Pascale GRUNY et Laurence HARRIBEY,

Sénateur et Sénatrice

(1) Cette commission est composée de : M. Jean-François Rapin, président ; MM. Alain Cadec, Cyril Pellevat, André Reichardt, Didier Marie, Mme Gisèle Jourda, MM. Claude Kern, André Gattolin, Pierre Laurent, Mme Colette Mélot, M. Jacques Fernique, Mme Véronique Guillotin, vice-présidents ; M. François Calvet, Mme Marta de Cidrac, M. Jean-Yves Leconte, Mme Amel Gacquerre, secrétaires ; MM. Pascal Allizard, Jean-Michel Arnaud, Mme Florence Blatrix Contat, MM. Philippe Bonnecarrère, Jean-Pierre Corbisez, Pierre Cuypers, Laurent Duplomb, Christophe-André Frassa, Mme Joëlle Garriaud-Maylam, M. Daniel Gremillet, Mmes Pascale Gruny, Laurence Harribey, MM. Ludovic Haye, Jean-Michel Houllegatte, Patrice Joly, Mme Christine Lavarde, MM. Dominique de Legge, Pierre Louault, Victorin Lurel, Franck Menonville, Mme Catherine Morin-Desailly, MM. Louis-Jean de Nicolaÿ, Pierre Ouzoulias, Mmes Elsa Schalck, Patricia Schillinger.

PARTIE I : LA TRANSFORMATION DU TRAVAIL PAR LA NUMÉRISATION DE L'ÉCONOMIE: UNE PROBLÉMATIQUE NOTAMMENT EUROPÉENNE

Les conditions de travail des travailleurs de plateformes au coeur des travaux du Sénat

Au Sénat, depuis 2019, la question du statut des travailleurs de plateformes a fait l'objet de cinq propositions de loi et de deux missions d'information :

1) La proposition de loi n° 717 (2018-2019) relative au statut des travailleurs des plateformes numériques, déposée le 11 septembre 2019 par Pascal Savoldelli et ses collègues du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et Écologiste1(*) :

Cette proposition de loi (PPL), rejetée par le Sénat le 4 juin 2020, estimait que dans les conditions actuelles, la loi ne garantissait pas certains droits importants pour les travailleurs, tels le droit à la négociation collective, l'obligation pour les plateformes de motiver la rupture du contrat commercial, ni le droit au chômage ou la couverture contre les accidents du travail. C'est pourquoi elle promouvait l'assimilation des travailleurs des plateformes à des salariés, avec des aménagements permettant de garantir leur indépendance. Cette PPL prévoyait que les travailleurs des plateformes étaient, par exemple, soumis aux règles sur la durée maximale quotidienne et hebdomadaire de travail, mais en dehors de ces exceptions, n'étaient pas soumis aux règles relatives au temps de travail. Dans le même temps, il était prévu que les travailleurs soient affiliés au régime général de la sécurité sociale. Enfin, il était proposé d'approfondir la responsabilité sociale des plateformes, à travers un mécanisme de couverture pour les maladies professionnelles.

2) La proposition de loi n° 155 (2019-2020) visant à rétablir les droits sociaux des travailleurs numériques, déposée le 28 novembre 2019 par Monique Lubin et ses collègues du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain2(*) :

Cette PPL, rejetée par le Sénat le 15 janvier 2020, visait à obliger les travailleurs recourant pour l'exercice de leur activité professionnelle à une ou plusieurs plateformes de mise en relation par voie électronique sans en être salariés, à être des entrepreneurs salariés ou associés d'une coopérative d'activité et d'emploi (CAE). Pour les auteurs de la proposition de loi, ce regroupement économique solidaire des travailleurs de plateforme en entrepreneuriat collectif leur permettrait d'inscrire leur activité dans un cadre juridique existant, de bénéficier du statut d'entrepreneur salarié en CDI et d'une vraie protection sociale. Cette organisation collective leur permettrait en outre de peser dans les négociations futures de la contractualisation avec les plateformes numériques et, ainsi, de mieux faire valoir leurs droits.

3) La proposition de loi n° 187 (2020-2021) relative à la protection des travailleurs indépendants par la création d'un devoir de vigilance, à la défense du statut de salarié et à la lutte contre l'indépendance fictive, déposée le 4 décembre 2020 par Olivier Jacquin et plusieurs de ses collègues du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain3(*) :

Cette proposition de loi, non soumise à ce jour à l'examen du Sénat, repose sur trois volets : d'abord, un « devoir de vigilance » de l'ensemble des entreprises envers les travailleurs indépendants, qui est l'extension du « devoir de vigilance », issu de la loi Potier de 2017. Il s'agit de responsabiliser les donneurs d'ordre envers les travailleurs indépendants avec lesquels ils contractualisent, afin d'améliorer le statut de ces indépendants. Ensuite, cette PPL définit une « action de groupe » permettant des requalifications collectives en salarié, afin de lutter contre l'«indépendance fictive ». Enfin, elle prévoit des dispositifs pour améliorer la représentation de ces travailleurs et développer un dialogue social équilibré au sein des plateformes et des branches professionnelles.

4) La proposition de loi n° 426 (2020-2021) visant à lutter contre l'indépendance fictive en permettant des requalifications en salarié par action de groupe et en contrôlant la place de l'algorithme dans les relations contractuelles, déposée le 4 mars 2021 par Olivier Jacquin et plusieurs de ses collègues du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain4(*) :

Cette PPL, rejetée par le Sénat le 27 mai 2021, comportait trois articles visant à :

- créer une procédure de requalification par action de groupe pouvant être exercée par plusieurs travailleurs, dès lors qu'ils sont placés dans une situation similaire et qu'ils subissent des préjudices résultant du recours à un statut fictif de travailleur indépendant ;

- supprimer la présomption de non-salariat en la remplaçant par une présomption de contrat de travail, dès lors que la majeure partie du revenu est issue de l'exploitation d'un algorithme ;

- donner la possibilité aux conseils de prud'hommes, saisis de demandes de requalification, d'exiger la production de l'algorithme utilisé par une plateforme et de recourir si nécessaire à un expert.

5) La proposition de loi n° 852 (2021-2022) relative aux travailleurs en situation de dépendance économique vis-à-vis des plateformes numériques, déposée le 2 août 2022 par Bruno Retailleau, Frédérique Puissat et plusieurs de leur collègues du groupe les Républicains5(*)

Cette PPL souhaite dépasser la question du statut, en améliorant les droits des travailleurs de plateformes, en situation de dépendance économique. La proposition de loi crée un nouveau type de contrat « sur mesure », dénommé « contrat de dépendance numérique », qui doit prendre en compte les risques auxquels peut être exposé le travailleur, tout en ne remettant pas en cause sa liberté. Le texte vise à garantir aux travailleurs de plateformes de bénéficier d'une protection sociale améliorée, de mesures de prévention en matière de santé ainsi que de garanties sur la transparence du fonctionnement des algorithmes gouvernant leurs activités. La PPL instaure également un droit à la participation et à l'intéressement permettant d'associer les travailleurs à la réussite de la plateforme.

***

6) La mission d'information sur le droit social applicable aux travailleurs indépendants économiquement dépendants, dont les rapporteurs étaient Michel Forissier, Catherine Fournier et Frédérique Puissat, dont le rapport n° 452 (2019-2020), intitulé « Travailleurs des plateformes : au-delà de la question du statut, quelles protections ? »6(*), a été déposé par la commission des affaires sociales le 20 mai 2020.

7) Par ailleurs, le travail via les plateformes numériques a également été abordé par Martine Berthet, Michel Canevet et Fabien Gay dans le rapport d'information n°759 (2020-2021) de la délégation aux entreprises relatif aux « nouveaux modes de travail et de management »7(*)

8) La mission d'information créée à l'initiative du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et Écologiste sur le thème « Ubérisation de la société : quel impact des plateformes numériques sur les métiers et l'emploi ? », dont le rapport n° 867 (2020-2021) intitulé « Plateformisation du travail : agir contre la dépendance économique et sociale » a été déposé le 29 septembre 20218(*).

I. LE DÉVELOPPEMENT DES PLATEFORMES EN EUROPE POSE LA QUESTION DU STATUT D'EMPLOI DE LEURS TRAVAILLEURS

A. UN ESSOR DES PLATEFORMES ET DE LEURS TRAVAILLEURS AU PROFIL DIVERSIFIÉ

1. Une diversité des plateformes...

Le Conseil national du numérique définit une plateforme comme « un service occupant une fonction d'intermédiaire dans l'accès aux informations, contenus, services ou biens édités ou fournis par des tiers », qui « organise et hiérarchise les contenus en vue de leur présentation et leur mise en relation aux utilisateurs finaux »9(*).

Plusieurs branches du droit national définissent les opérateurs de plateformes

En France, plusieurs définitions des opérateurs de plateforme coexistent :

-L'article L. 111-7 du code de la consommation définit un opérateur de plateforme en ligne en tant que « toute personne physique ou morale proposant, à titre professionnel, de manière rémunérée ou non, un service de communication au public en ligne reposant sur :

« 1° Le classement ou le référencement, au moyen d'algorithmes informatiques, de contenus, de biens ou de services proposés ou mis en ligne par des tiers ;

« 2° Ou la mise en relation de plusieurs parties en vue de la vente d'un bien, de la fourniture d'un service ou de l'échange ou du partage d'un contenu, d'un bien ou d'un service. »

--L'art. 242 bis du code général des impôts (CGI) définit un « opérateur de plateforme » en tant qu'« entreprise qui met en relation à distance, par voie électronique, des personnes en vue de la vente d'un bien, de la fourniture d'un service ou de l'échange ou du partage d'un bien ou d'un service ».

Les dispositions du code du travail et du code des transports s'appuient sur l'article 242 bis du CGI, en déterminant un sous-ensemble plus réduit astreint à des obligations spécifiques :

- L'art. L. 7342-1 du code du travail détermine la « responsabilité sociale» d'une plateforme : « lorsque la plateforme détermine les caractéristiques de la prestation de service fournie ou du bien vendu et fixe son prix, elle a, à l'égard des travailleurs concernés, une responsabilité sociale qui s'exerce dans les conditions prévues au présent chapitre ». En l'état actuel du marché français, ces dispositions ne trouvent à s'appliquer qu'aux plateformes de la mobilité (voiture de transport avec chauffeur -VTC, livraison de biens à deux et trois roues).

- Les articles L. 1326-1 à L. 1326-4 du code des transports établissent des dispositions spécifiques à la mise en relation de travailleurs ayant recours à des plateformes pour exercer une activité de conduite de VTC ou de livraison de marchandises au moyen d'un véhicule à deux ou trois roues.

Source : réponse au questionnaire des directions générales du travail et des entreprises (DGT/DGE)

Les définitions des plateformes varient, leurs types aussi. L'Inspection générale des Affaires sociales (IGAS) distingue ainsi six catégories principales de plateformes10(*) :

- les plateformes digitales dont l'activité se concentre sur le référencement de résultats, comme les moteurs de recherche ou les réseaux sociaux ;

- les plateformes collaboratives qui privilégient les échanges et relations de pair-à-pair ;

- les plateformes d'emploi permettant l'échange d'un bien ou d'un service produit par des « travailleurs collaboratifs ».

Parmi ces plateformes d'emploi, sont distingués six types de plateforme :

· les opérateurs de services organisés, au travers desquels des prestations obéissant aux mêmes règles sont produites par des professionnels (UberDeliveroo) ;

· les plateformes de micro-travail, qui mettent en relation à l'échelle internationale une offre et une demande de micro-tâches dématérialisées (Amazon Mechanical Turk) ;

· les plateformes dites de « jobbing », qui permettent aux particuliers de bénéficier de services à domicile (Wecasa) ;

· les plateformes de « freelances », qui apparient une offre et une demande de prestations de services à haute valeur ajoutée (MaltCreads) ;

· les coopératives électroniques, qui utilisent les modes de production, de distribution et de consommation empruntés à l'économie sociale et solidaire (La Ruche Qui Dit Oui !) ;

· les plateformes de partage, qui permettent aux utilisateurs de mutualiser l'usage d'un bien (Blablacar).

Ces diverses plateformes ne sont donc pas soumises aux mêmes problématiques et soulèvent différents types d'interrogations.

Ainsi, les plateformes de services organisés (livraison de repas et voitures de transport avec chauffeur -VTC), qui déterminent à la fois les caractéristiques de la prestation fournie et son prix, semblent les plus exposées à la problématique de requalification en contrat de travail salarié, d'autant qu'elles utilisent des algorithmes pouvant constituer des outils de contrôle du travailleur. Par ailleurs, même au sein de ces plateformes, la nature de l'activité induit des problématiques différentes, par exemple s'agissant de la question de la précarité qui se pose avec plus d'acuité dans le cas des livreurs à vélo, une activité à faible valeur ajoutée et concernée par de forts risques professionnels.

2. ...qui s'accompagne d'une diversité des profils des travailleurs de plateforme....

A la diversité des plateformes s'ajoute celle des profils des travailleurs des plateformes.

Les sénateurs Martine Berthet, Michel Canevet et Fabien Gay, dans le rapport d'information n°759 (2020-2021) de la délégation aux entreprises relatif aux « nouveaux modes de travail et de management », indiquent que « se côtoient des travailleurs aux revenus extrêmement faibles, souvent dépendants des plateformes qui leur permettent de trouver une activité, des étudiants qui recherchent uniquement des revenus d'appoint, ou encore des indépendants en freelance qui y trouvent des revenus élevés allant jusqu'à 150 000 euros annuels dans le domaine du numérique».

Il est ainsi difficile d'établir un « profil-type » des travailleurs des plateformes, puisqu'il varie en fonction du modèle et de l'activité de la plateforme. Il est néanmoins possible, à la lueur de données de l'étude d'impact de la directive de la Commission européenne et des auditions réalisées par les rapporteurs, d'indiquer quelques caractéristiques communes à ces travailleurs.

a) Le profil de ces travailleurs dans l'Union européenne

Au niveau européen11(*), il semblerait que ces travailleurs des plateformes soient le plus souvent des hommes, jeunes, en tout cas plus jeunes que dans les métiers traditionnels. En 2018, l'âge moyen des travailleurs de plateforme était de 33,9 ans, contre 42,6 ans dans les métiers traditionnels. Il est par ailleurs intéressant de noter que la proportion de tels travailleurs nés à l'étranger est de 13,3% dans l'Union européenne. Il semblerait également que la plupart exercent ce travail comme une activité secondaire à une activité principale. D'après l'étude d'impact de la Commission, il apparaît également que les travailleurs sont, en moyenne, plus éduqués que le reste de la population.

Cette dernière caractéristique - comme les précédentes d'ailleurs - est à relativiser tant il y a de différences entre États membres et surtout entre types de plateformes. Ce sont là les limites méthodologiques de l'exercice.

Cela dit, il est intéressant de noter que, selon l'étude d'impact de la directive, environ 55 % des personnes travaillant par l'intermédiaire des plateformes gagnent moins que le salaire horaire net du pays dans lequel ils travaillent.

b) Le profil de ces travailleurs en France

D'après le rapport de la commission des affaires sociales12(*), les travailleurs des plateformes sont généralement des travailleurs indépendants, plus rarement des salariés (par exemple, lorsque des sociétés de transport utilisent les plateformes).

En France, l'émergence des plateformes de travail a été largement favorisée par la création du statut d'auto-entrepreneur

Le statut d'auto-entrepreneur - crée par la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l'économie, dite « loi Novelli » - puis fusionné au sein du régime de la micro-entreprise en 2016 - a permis à un grand nombre d'individus éloignés de l'emploi de créer leur entreprise en minimisant les contraintes et les risques liés à la création d'entreprise. Ce régime constitue aujourd'hui le cadre juridique principal de l'activité des travailleurs de plateformes. D'après une enquête, menée en mai 2021, par la Direction générale des entreprises (DGE), les travailleurs de plateformes de la mobilité étaient répartis comme suit: VTC : 48% de micro-entrepreneurs ; 30% de SASU13(*) et 22% d'EURL14(*) et autres/Livreurs : 96% de micro-entrepreneurs et 4% d'autres.

Source : réponse au questionnaire de la DGE

Les éléments communiqués aux rapporteurs par les plateformes auditionnées confirment une différence de profils selon le travail effectué.

Une différence de profils selon l'activité de la plateforme

Ainsi, les livreurs chez Deliveroo seraient relativement jeunes (66% ont moins de 35 ans), la moitié environ n'a pas le baccalauréat et 56% ont une autre activité en parallèle (études, emploi salarié). Plus de la moitié travaille avec la plateforme moins de 30 heures par semaine. En 2021, une prestation rapportait en moyenne à un livreur partenaire 5,6 euros et durait en moyenne 11 minutes et 12 secondes.

Côté Uber, doivent être distingués, d'un côté, des chauffeurs (Uber) qui sont désireux de conserver leur indépendance, dont l'activité s'est professionnalisée (pour les véhicules, examen « VTC », etc.) et qui se positionnent comme des entrepreneurs à temps plein avec une moyenne d'âge de 42,3 ans, et de l'autre, des livreurs (Uber eats), dont l'activité est marquée par une absence de barrière à l'entrée et est opérée de manière complémentaire et temporaire du fait de la saisonnalité et pendularité des commandes. De fait, le profil des livreurs est plus jeune avec une moyenne d'âge de 25 ans (étudiants, employés) et un « turn over » de 10 mois en moyenne.

Concernant Just eat, la majorité des contrats sont de 10/15 heures en majorité avec des étudiants. Concernant les autres contrats (24h à 35 h), il n'y a pas de profil-type, mais ils concernent en général des personnels peu diplômés.

Chez Brigad, plateforme de mise en relation dans l'hôtellerie/restauration et le médico-social, 90% des professionnels à leur compte, ont le statut micro-entrepreneur. Tous les profils enregistrés sur la plateforme disposent d'une qualification (quand leur activité relève d'une profession réglementée) ou d'expériences avérées. La moyenne d'âge est de 32 ans, avec un fort écart-type de 18 à 62 ans (55% de femmes et 45% d'hommes). Le taux horaire minimal à 20 euros/h est imposé par Brigad, et le taux horaire moyen est de 24 euros/h. Brigad constitue le revenu primaire pour 35% des professionnels.

Source : réponses aux questionnaires

3. ....de plus en plus nombreux

On assiste à un phénomène de « plateformisation » de l'économie -expression utilisée par la dernière mission d'information du Sénat sur le sujet15(*) - qui se traduit également par une multiplication des secteurs touchés.

Il est vrai que le manque de statistiques sur le sujet - mis en évidence par les derniers travaux du Sénat précités - empêche d'appréhender correctement ce phénomène de « plateformisation », en raison de la difficile comptabilisation de ces catégories diverses de travailleurs. Toutefois, il n'en demeure pas moins que le nombre de tels travailleurs est en progression et qu'il augmentera encore dans le futur.

Dans son étude d'impact, la Commission européenne recense 28 millions de travailleurs de plateforme dans l'Union européenne, et estime qu'ils seront 43 millions en 2025. Près de 800 plateformes sont aujourd'hui actives dans l'Union européenne, principalement dans le secteur de la livraison (50%).

Entre 2016 et 2020, les recettes de l'économie de plateformes ont presque été multipliées par cinq, dans l'Union européenne, passant de 3 milliards d'euros estimés à environ 14 milliards d'euros.

En France, le nombre de livreurs/chauffeurs VTC est estimé à 120 000 personnes, par le Gouvernement. En 2017, l'Enquête Emploi menée par l'INSEE faisait ressortir que 7 % des indépendants utilisaient une « plateforme numérique ou un autre intermédiaire » afin de rencontrer leur clientèle. Cela représente également 200 000 travailleurs, soit finalement environ 0,8 % de la population active en emploi. Ce faible pourcentage a conduit les rapporteurs de la commission des affaires sociales à nuancer l'analyse, affirmant que « l'essor des plateformes numériques est une réalité dont l'écho médiatique dépasse largement l'ampleur réelle »16(*).

Toutefois, le nombre de travailleurs des plateformes augmente rapidement en France, comme le montrent les données sectorielles. Ainsi, le nombre de micro-entrepreneurs inscrits dans le secteur des transports (VTC et livraison) s'est accru en une seule année de 80,6 %, entre 2017 et 2018. Deliveroo a également indiqué aux rapporteurs, que la plateforme travaille aujourd'hui en France avec 22 000 livreurs partenaires, contre 14 000 il y a un an.

B. LA QUESTION CENTRALE DE LA FRONTIÈRE ENTRE TRAVAIL SALARIÉ ET INDÉPENDANT

Le développement de ces plateformes pose la question du statut de ces travailleurs, au regard de la distinction entre travailleur indépendant et travailleur salarié. Ces travailleurs de plateforme peuvent apparaître, en effet, comme des travailleurs indépendants « économiquement dépendants », questionnant ainsi l'adéquation de leur statut d'emploi, avec la réalité de leur situation.

1. Au coeur de la proposition de directive, la question du statut...

Selon la Commission européenne, plus de 90 % des plateformes de travail numériques opérant dans l'Union qualifient les personnes qui travaillent par leur intermédiaire de travailleurs non-salariés. La Commission estime que la plupart des travailleurs sont réellement autonomes dans leur travail mais considère que de nombreux autres se trouvent dans une relation de subordination par rapport aux plateformes en étant soumis, à des degrés divers, à leur contrôle, par exemple s'agissant des niveaux de rémunération ou des conditions de travail.

Sur les 28 millions de personnes qui, selon les estimations de la Commission, travaillent par l'intermédiaire de plateformes au sein de l'Union, 5,5 millions pourraient actuellement relever d'une qualification juridique erronée. Les 22,5 millions de personnes restantes sont considérées comme classées dans la bonne catégorie statutaire, que ce soit dans celle des travailleurs salariés ou dans celle des travailleurs non-salariés. Il convient de noter que ce chiffrage, concernant la France, est contesté par la Direction générale du travail (DGT), du Ministère du travail, du plein emploi et de l'insertion, et la Direction générale des entreprises (DGE), du Ministère de l'économie, des finances, et de la souveraineté industrielle et numérique auditionnées par les rapporteurs.

Étude d'impact critiquée par la France

Les deux directions générales auditionnées contestent le chiffrage avancé par la Commission européenne dans l'étude d'impact qui accompagne sa proposition de directive, le jugeant surévalué pour plusieurs raisons.

Selon elles, l'étude PPMI 2021, qui a servi de base à l'évaluation de la Commission, comptabilise pour la France 505 000 travailleurs de plateformes, dont 445 000 seraient susceptibles d'être requalifiés par l'application de la directive (3ème pays après l'Allemagne et l'Espagne). Ce chiffre est très supérieur aux estimations de l'administration française évaluant à 120 000 le nombre de livreurs/chauffeurs VTC dans notre pays.

Par ailleurs, selon l'administration française, l'étude précitée écarte les données administratives dans son estimation, au motif que celles-ci ne couvriraient pas les situations de sous-location de comptes. Or, les DGT/DGE estiment précisément qu'il n'y a pas lieu de prendre en compte ces personnes en situation de sous-locations dans les calculs, car la majorité d'entre elles exercent une activité non déclarée et ne pourraient pas bénéficier d'une requalification de leur contrat en salariat, du fait qu'elles n'ont pas le droit d'exercer une activité salariée.

Source : réponse au questionnaire

En conséquence, selon la Commission européenne, certaines personnes travaillant par l'intermédiaire de plateformes de travail numériques ne bénéficient pas des droits en matière de travail et de protection sociale qui découleraient d'un statut professionnel, parmi lesquels le droit à un salaire minimum (s'il existe), à la réglementation du temps de travail et à la protection de la santé, aux congés payés ou à un meilleur accès à la protection contre les accidents du travail, aux prestations de chômage et de maladie, ainsi qu'aux pensions de vieillesse.

En annexe du présent rapport, figure un comparatif des droits des salariés et travailleurs de plateforme en France, issu du rapport de la dernière mission d'information sénatoriale précitée sur le sujet.

2. ...que certains invitent à dépasser

Il convient toutefois de noter que cette approche « par le statut » défendue par la Commission dans sa proposition de directive, n'est pas partagée par tous.

Pour certains, en effet, l'enjeu n'est pas celui du statut mais celui des droits, le raisonnement étant que si l'on règle la question des droits, on règle la question du statut. Il s'agit ainsi d'accorder aux travailleurs des plateformes les droits qui leur font défaut, notamment par rapport aux salariés, afin d'éviter des actions en requalification pour obtenir un autre statut plus enviable du fait des droits qu'il emporte.

Cette approche « par les droits » plutôt que « par le statut » a été défendue dans le rapport d'information précité de la commission des affaires sociales du Sénat. Il s'agit également de la position du gouvernement français, qui met en place depuis plusieurs années des mesures allant dans ce sens (cf. infra).

II. DES TENTATIVES DE RÉGULATION, PAR LA LOI OU LA NÉGOCIATION COLLECTIVE, SE MULTIPLIENT EN FRANCE ET EN EUROPE SUR LE SUJET

A. EN FRANCE, UN ARSENAL LÉGISLATIF FONDÉ SUR UNE APPROCHE « PAR LES DROITS »

La France a opté, depuis 2016, pour une approche consistant à renforcer les droits des travailleurs indépendants des plateformes en matière de travail et de protection sociale, indépendamment de la question de leur statut. Cette approche contraste ainsi, comme indiqué, avec celle de la Commission européenne dans sa proposition de directive.

1. La loi du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels, (loi El Khomri)

Cette loi est la première à intervenir sur le sujet, en apportant une reconnaissance juridique aux travailleurs des plateformes qu'elle définit comme travailleurs indépendants. Elle leur ouvre ainsi la possibilité de bénéficier de droits fondamentaux et garanties au titre de la responsabilité sociale des plateformes à travers lesquelles ils exercent leur activité.

La loi et son décret d'application de mai 2017 précisent que les travailleurs qui réalisent un chiffre d'affaires au moins égal à 13 % du plafond de la sécurité sociale sur une même plateforme (soit 5 347,68 euros en 2021) bénéficient d'une prise en charge de leurs cotisations d'assurance individuelle pour les risques accidents du travail ou de leurs cotisations à l'assurance volontaire de la sécurité sociale. Cette réforme s'est traduite par la conclusion de contrats collectifs souscrits par les plateformes auprès d'assureurs (art. L. 7342-2 du code du travail).

De plus, la loi prévoit deux droits : d'un côté, le droit à l'accès à la formation professionnelle prise en charge pour partie par les plateformes, sous réserve du seuil minimal de chiffre d'affaires précité (art. L. 7342-3 et L. 7342-4 du code du travail) et de l'autre, la possibilité de défendre des revendications professionnelles et par conséquent de refuser de fournir leurs services. La loi estime qu'un tel refus ne peut constituer un motif de responsabilité contractuelle ou de rupture de la relation contractuelle (art. L. 7342-5 et L. 7342-6 du code du travail).

2. La loi du 24 décembre 2019 d'orientation des mobilités (LOM)

Reprenant les dispositions prévues dans le projet de loi relatif à la liberté de choisir son avenir professionnel, la loi LOM est venue compléter ces dispositions. Elle prévoit que la plateforme abonde le compte personnel de formation du travailleur indépendant au-delà d'un certain chiffre d'affaires selon le secteur d'activité (art. L. 7342-3 du code du travail), et transmette aux travailleurs qui en font la demande l'ensemble des données personnelles relatives à leur activité, dans un format structuré et interopérable.

De plus, la loi LOM prévoit la mise en place d'une charte de responsabilité sociale pour les plateformes sur la base du volontariat, qui précise leurs droits et obligations ainsi que ceux des travailleurs. Cette charte ne concerne que les travailleurs mentionnés à l'article L. 7342-8 du code du travail, à savoir les chauffeurs VTC et les livreurs de marchandises, qu'ils soient équipés d'un véhicule à deux ou trois roues, motorisé ou non. Elle doit contenir des mesures de nature à améliorer les conditions de travail et prévenir les risques professionnels ainsi que les dommages causés à des tiers.

Cette loi prévoit, par ailleurs, de nouveaux droits favorisant l'autonomie des travailleurs de ces secteurs :

- l'obligation, pour les plateformes, de communiquer aux travailleurs la distance et le prix minimal garanti à chaque proposition de prestation, et de publier sur leur site internet, de manière loyale, claire et transparente, des indicateurs relatifs à la durée d'activité et au revenu d'activité des travailleurs ;

- l'interdiction, pour les plateformes, de sanctionner ou pénaliser un travailleur ayant refusé une proposition de prestation ;

- le droit, pour les travailleurs, de choisir leurs plages horaires d'activité et leurs périodes d'inactivité et de se déconnecter durant leurs plages horaires d'activité, sans que les plateformes ne puissent mettre fin au contrat pour ce motif.

Néanmoins, ces premières avancées connaissent plusieurs limites : ainsi la charte sociale de la loi LOM ne s'applique qu'aux travailleurs du secteur de la mobilité, et les dispositions de la loi El Khomri ne bénéficient pas à certains travailleurs dès lors que leur application est conditionnée à la réalisation d'un chiffre d'affaires minimum par les plateformes.

Initiatives des plateformes pour améliorer les conditions de travail des travailleurs

Face à la pression du législateur et de l'opinion publique, les plateformes ont pris un certain nombre d'initiatives, depuis plusieurs quelques années, visant à améliorer les conditions de travail des travailleurs.

Ainsi, Deliveroo a, par exemple, conclu un partenariat avec la Délégation à la sécurité routière (DSR), sur la base duquel la plateforme diffuse à ses livreurs les contenus élaborés par la DSR. Autre exemple, la négociation de partenariats, par Uber, permettant aux livreurs de se fournir en matériel adapté à des prix préférentiels. La plateforme Brigad, quant à elle, fixe, au moment du dépôt d'une annonce et en fonction de critères géographiques et de compétences, un tarif minimal de référence en deçà duquel il est vraisemblable qu'aucune candidature ne sera reçue, l'entreprise cliente étant libre de proposer un tarif supérieur.

3. L'ordonnance n° 2021-484 du 21 avril 2021 relative aux modalités de représentation des travailleurs indépendants recourant aux plateformes

L'ordonnance est prise en application de la loi LOM précitée. Elle fait suite aux travaux menés par le Gouvernement avec les partenaires sociaux pour rééquilibrer les relations de travail entre les travailleurs indépendants et les plateformes de mobilité et aux recommandations de la mission confiée par la ministre du travail à Bruno Mettling sur la régulation des relations de travail dans ce secteur.

Cette ordonnance pose les premières bases d'une représentation et d'un dialogue social entre les plateformes et les organisations de travailleurs indépendants en prévoyant l'instauration d'un tel dialogue dans le secteur d'activités des VTC et celui des livraisons à vélo, scooter ou tricycle. Dans ces deux secteurs d'activité qui représentent près de 120 000 travailleurs, le texte confère à ces travailleurs le droit de désigner leurs représentants. L'élection nationale a eu lieu en mai 2022.

L'ordonnance crée également l'Autorité des relations sociales des plateformes d'emploi (ARPE), établissement public administratif de l'État chargé de la régulation du dialogue social entre plateformes et travailleurs indépendants. Un décret du 8 novembre 2021 est venu préciser son organisation et son fonctionnement.

Ces représentants des travailleurs indépendants bénéficient de garanties particulières (protection contre toute mesure discriminatoire prise en raison de leur mandat, heures de délégation et de formation indemnisées). Des négociations entre les organisations représentatives pourront avoir lieu et des accords de secteur pourront ainsi être négociés, adoptés et le cas échéant homologués par l'ARPE.

Les élections professionnelles de mai dernier : un échec ?

Du 9 au 16 mai 2022, près de 120 000 travailleurs des plateformes de la mobilité (VTC et livraison de marchandises) étaient appelés à voter électroniquement pour l'une des 16 organisations candidates pour représenter les travailleurs indépendants. À noter, les collectifs de travailleurs - qui ont joué un rôle essentiel dans la mobilisation sociale des travailleurs depuis des années - n'ont pas souhaité participer. Étaient éligibles pour ce scrutin les travailleurs indépendants, quelle que soit leur nationalité, sous condition d'inscription sur les listes électorales et d'ancienneté.

Côté VTC, c'est l'Association des VTC de France qui est arrivée en tête, et côté livreurs, la Fédération nationale des autoentrepreneurs et micro-entrepreneurs (FNAE). Toutefois, le taux de participation fut extrêmement faible, ce qui interroge quelque peu les rapporteurs : 1,83% pour les livreurs et 3,91% pour les conducteurs de VTC.

Pour la DGT et la DGE, ce constat est néanmoins à relativiser :

- d'abord au regard du taux de participation à des élections professionnelles comparables. Par exemple, le taux de participation à l'élection professionnelle à laquelle participent les salariés des TPE et du particulier employeur n'est pas tellement plus élevé : 5,44% lors du dernier scrutin en 2021 ;

- par ailleurs, il s'agissait de la première élection du genre, auprès d'un public d'indépendants, et organisée dans des délais contraints. Le public des travailleurs concernés est difficile à mobiliser, en particulier les livreurs : le turnover y est élevé et par ailleurs il s'agit d'une population relativement jeune, qui semble moins investie dans le champ de la démocratie sociale (taux de syndicalisation de 1,7% chez les moins de 30 ans dans les entreprises privées). Les rapporteurs reconnaissent que l'isolement et l'anonymat qui prévalent sur les plateformes ne rend pas aisées les tentatives de représentation collective de leurs intérêts.

Source : réponse au questionnaire

4. L'ordonnance n° 2022-492 du 6 avril 2022 renforçant l'autonomie des travailleurs indépendants des plateformes de mobilité, portant organisation du dialogue social de secteur et complétant les missions de l'Autorité des relations sociales des plateformes d'emploi

Cette ordonnance oblige les plateformes de mobilité à communiquer à leurs travailleurs la destination associée à chaque proposition de prestation et à laisser aux travailleurs un délai raisonnable pour accepter ou refuser les prestations proposées.

Ce texte instaure, en outre, de nouveaux droits au bénéfice des travailleurs pour l'exécution de leurs prestations :

- ils ne peuvent se voir imposer par la plateforme l'utilisation d'un matériel ou d'un équipement déterminé, sous réserve des obligations légales et réglementaires en matière notamment de santé, de sécurité et de préservation de l'environnement ;

- ils peuvent recourir, simultanément, à plusieurs plateformes et se constituer leur propre clientèle, et déterminent librement l'itinéraire emprunté.

- l'exercice de ces droits ne peut faire l'objet de sanctions ou de pénalités de la part des plateformes.

Il doit également être noté que l'article 105 de la loi du 23 décembre 2021 de financement de la sécurité sociale pour 2022 a prévu que
les plateformes VTC et de livraisons de marchandise peuvent proposer à leurs travailleurs des prestations de protection sociale complémentaire.

B. DES DISPOSITIFS LÉGISLATIFS EN EUROPE REPOSANT SUR DES APPROCHES DIVERSES

A l'instar de la France, plusieurs États membres ont tenté, ces dernières années, de légiférer sur la question du travail des plateformes, selon des modalités et des approches différentes.

1. Des lois imposant la présomption de salariat
a) En Espagne : une loi imposant une présomption de salariat aux livreurs à vélo

En effet, est entré en vigueur en août 2021 le décret-loi royal 9/2021 ou « Loi Riders » - du vocable anglais pour désigner les cyclistes - qui ne s'applique qu'aux 60 000 livreurs à domicile à deux roues. Ce texte apporte deux garanties inédites : une présomption de salariat pour les livreurs qui effectuent leur travail pour une entreprise gérée par un algorithme ou une plateforme numérique, et une obligation d'accès de ceux-ci à cet algorithme, clef du lien de subordination entre le travailleur et la plateforme. Cette loi fait suite à une décision du Tribunal suprême espagnol du 25 septembre 2020 (cf. infra).

Il est intéressant de noter que les plateformes ont répondu à cette nouvelle législation de plusieurs façons : Deliveroo a quitté le marché espagnol et Uber Eats a choisi de sous-traiter en embauchant les livreurs via des sociétés intermédiaires. Mais de nouveaux acteurs sont également entrés sur le marché.

b) Au Portugal : une loi imposant une présomption de salariat aux VTC

Une loi dite « Uber » en vigueur depuis novembre 2019 au Portugal prévoit une présomption de salariat pour les chauffeurs VTC qui exercent leur activité à travers une plateforme.

Pour la mettre en oeuvre, la loi créé les « opérateurs VTC » : il s'agit d'un nouvel acteur qui s'apparente aux porteurs salariaux et devient un intermédiaire entre les plateformes et les chauffeurs. Ce système permet aux chauffeurs VTC d'être protégés par le droit du travail et la protection sociale nationale. Certains pointent néanmoins « le manque de définition de ces opérateurs comme la principale limite de ce texte, faisant courir le risque que cet intermédiaire soit le chauffeur de VTC lui-même, déguisé en entreprise et ayant ainsi à supporter les charges afférentes au portage »17(*).

La loi prévoit également une série d'obligations nouvelles pour les plateformes numériques du secteur des transports : une taxe de 5 % sur les marges pour les plateformes et une obligation pour les chauffeurs VTC de ne pas conduire plus de 10 heures par jour et de se former 50 heures avant de pouvoir exercer leur activité.

c) En Belgique : un projet de loi inspiré de la proposition de directive de la Commission européenne

L'accord sur la réforme du marché du travail trouvé par le gouvernement fédéral belge, en février dernier, prévoit d'ajouter dans la loi huit critères pour déterminer si ces travailleurs relèvent ou non du salariat, malgré leur statut d'indépendant. Parmi eux, figurent les cinq critères retenus dans la proposition de directive de la Commission (cf. infra).

La présence de deux des cinq critères « européens » ou de trois critères parmi la liste des huit entraînerait une présomption de salariat, que la plateforme pourrait contester en justice. Les travailleurs occasionnels, qui ne gagnent pas plus de 6 000 euros par an et relèvent d'une loi sur l'économie collaborative, ne seraient pas concernés.

Un cadre législatif ambitieux en attente d'élaboration en Allemagne

La réflexion engagée par le gouvernement fédéral allemand sur sa stratégie de numérisation en profondeur de l'économie a abouti à la présentation, en novembre 2020, d'un ensemble de grands principes pour l'élaboration d'un futur cadre normatif concernant les travailleurs des plateformes. Les propositions présentées par le ministère fédéral du travail et des affaires sociales (BMAS), sont les suivantes :

- intégrer les travailleurs indépendants des plateformes dans l'assurance retraite légale et permettre aux plateformes de participer au paiement des cotisations ;

- améliorer la couverture des accidents du travail et étudier la possibilité de faire payer des cotisations couvrant le risque d'accident du travail par les plateformes ;

- ouvrir la possibilité aux travailleurs indépendants des plateformes de s'organiser collectivement et de négocier ensemble les conditions de leur travail avec les plateformes ;

- modifier la charge de la preuve dans les procédures visant à la reconnaissance du statut de salarié et ainsi lever les freins pour les travailleurs des plateformes à faire valoir leurs droits devant le juge;

- permettre aux travailleurs des plateformes d'emporter les avis ou notations les concernant lorsqu'ils vont travailler pour une autre plateforme afin de limiter la dépendance vis-à-vis d'une seule plateforme ;

- mettre un terme à certaines pratiques contractuelles des plateformes, par exemple en les obligeant à stipuler des délais de préavis de licenciement en fonction de la durée de l'activité exercée ;

- lutter contre les conditions générales abusives ou inopérantes des plateformes et établir des obligations de transparence et de déclaration pour tous les opérateurs de plateformes afin d'améliorer les données disponibles sur l'économie des plateformes.

Source : Sénat - Étude de législation comparée n° 296 - octobre 2021

2. Des lois prévoyant un « tiers-statut »

Il existe en parallèle, dans certains États membres, des statuts intermédiaires particuliers, entre le salarié et l'indépendant, dans lesquels sont parfois classés les travailleurs de plateforme.

a) Les « workers » au Royaume-Uni

Le statut de worker a été défini en 1996 comme « une personne sous contrat travaillant personnellement pour accomplir un travail et dont le cocontractant pour lequel elle accomplit ce travail n'est pas le client »18(*). Il s'agit d'une catégorie intermédiaire entre les salariés (employees) et les indépendants (self-employed). Ce sont des travailleurs indépendants mais dépendants économiquement, qui bénéficient donc d'une partie des droits et protections du salariat: un salaire minimum, un maximum d'heures de travail, des congés payés, le principe d'égalité ou encore des droits syndicaux.

Les workers ne remplissent toutefois pas l'ensemble des critères qui fondent la qualification de relation salariale au Royaume-Uni et ne peuvent bénéficier d'un certain nombre de droits réservés aux salariés : arrêts de travail pour maladie, allocations parentales, droit de recours en cas de licenciement abusif et droit de préavis en cas de cessation d'emploi.

Toutefois, le droit fiscal du Royaume-Uni ne reconnaît que deux catégories de travailleurs : les salariés et les indépendants. De fait, en tant que sous-catégorie des indépendants, les workers sont traités comme tels en matière de fiscalité et de protection sociale. Ainsi, aucune cotisation sociale n'est versée par le donneur d'ordre d'un worker, tandis que ce dernier doit s'acquitter des cotisations exigées pour tous les travailleurs indépendants.

b) Plusieurs catégories intermédiaires en Italie

Le droit italien du travail ne reconnaît pas une, mais plusieurs catégories intermédiaires entre salariat et indépendance.

(1) Les contrats de « collaborazione coordinata e continuativa » puis de « collaborazione a progetto » (co.co.co et co.co.per)

La notion de collaboration coordonnée et continue, « co.co.co. », est introduite dans les années 1990 afin de désigner les travailleurs « parasubordonnés »19(*). Toutefois, s'en est suivi un recours important à ce tiers-statut correspondant à un contournement du droit social et des contrats traditionnels.

Ainsi le législateur, a créé, en 2015, le concept de « collaboration organisée par le donneur d'ordre » ou « co.co.per » : les travailleurs « co.co.per » sont autonomes dans l'exécution de leur activité, mais le donneur d'ordre définit différents aspects organisationnels liés à l'exécution du travail, en particulier en ce qui concerne le lieu et la durée d'exercice de l'activité. Ils bénéficient en théorie de l'ensemble des garanties et protections qui s'appliquent normalement aux salariés (soit des droits plus favorables que pour les « co.co.co »), sauf en cas de conclusion de conventions collectives moins favorables.

Les deux régimes bénéficient toutefois d'une indemnisation du chômage d'une durée de six mois et relèvent de l'assurance obligatoire à la Sécurité sociale propre au régime des indépendants.

Il est intéressant de noter que selon le Conseil national du numérique20(*), « l'introduction d'un tiers statut en Italie est bien loin d'avoir atteint son objectif originel, à savoir simplifier la qualification de la relation de travail. L'histoire du travail parasubordonné a ainsi été qualifiée de « série d'interventions législatives malheureuses », aboutissant à un système complexe dans lequel cohabitent difficilement une grande variété de régimes ».

(2) Un statut intermédiaire pour les travailleurs de plateforme de livraison de repas

L'Italie a adopté, le 2 novembre 2019, un projet de loi ajoutant dans son code du travail un chapitre intitulé « Protection du travail intermédié par une plateforme numérique », donnant ainsi naissance à un statut spécifique des travailleurs de plateformes distinct des tiers-statuts précités.

La loi reconnaît expressément aux « travailleurs indépendants qui exercent des activités telles que la livraison de biens pour le compte d'autrui dans des zones urbaines à vélo ou avec un véhicule motorisé et qui utilisent (mais pas exclusivement) des plateformes numériques pour trouver des courses », la qualité d'indépendants en leur accordant un certain nombre de droits et de protections issus du salariat. Parmi ces droits :

- des garanties pour les livreurs en termes de rémunération et la négociation d'un tarif horaire minimum fixé par convention collective. En cas d'échec ou d'absence de négociations, la loi interdit expressément la rémunération à la tâche et prévoit l'application de tarifs horaires minimums fixés par des conventions collectives issues de secteurs similaires ;

- une assurance obligatoire contre les accidents du travail et maladies professionnelles, et une protection à l'égard de l'exclusion : le refus d'une course ne peut justifier l'exclusion d'un livreur de la plateforme ni une réduction de ses opportunités sur celle-ci.

(3) Un statut spécifique pour les travailleurs de plateforme dans la région italienne du Latium

La région italienne du Latium a, elle-même, adopté une loi, le 20 mars 2019, qui accorde un certain nombre de droits et protections aux travailleurs des plateformes : assurance couvrant les accidents du travail, salaire minimum, information sur le fonctionnement des algorithmes etc.

Ces travailleurs sont définis comme « des travailleurs qui, quels que soient le type et la durée de leur relation de travail, fournissent des activités à une plateforme qui les organise en vue d'offrir un service via une application et en déterminant le prix et les conditions de ce service ». Certains observateurs considèrent ce statut comme la législation en vigueur la plus complète à ce jour, qui a pu toutefois soulever des questions de constitutionnalité.

c) Le statut « TRADE » en Espagne

Comme en France, le droit du travail espagnol est traditionnellement fondé sur la dichotomie entre travail salarié subordonné et travail indépendant, caractérisé par l'absence de lien de subordination. Cependant, en 2007, la loi sur le statut des travailleurs autonomes a créé une catégorie intermédiaire, fondée non pas sur la subordination, mais sur la présence d'un lien de dépendance économique.

Ce statut concerne les travailleurs autonomes économiquement dépendants (Trabajadores autonomos economicamente dependientes, TRADE) pour les personnes tirant au moins 75 % de leur revenu d'une seule personne physique ou morale et exerçant personnellement l'activité (pas de sous-traitance). Ce statut prévoit des droits et protections accordés aux salariés, comme la liberté syndicale et la prévention des risques professionnels, mais s'accompagne d'un rattachement au régime de protection sociale des indépendants.

Selon le Conseil national du numérique, dans son rapport précité, la mise en place du statut de TRADE peut être qualifiée d'échec. Peu de contrats de travailleurs de plateformes ont été qualifiés de TRADE, et le juge espagnol s'est montré réticent à user de cette possibilité, lui préférant la qualification de salariat (cf. infra). La complexité introduite par ce statut a ainsi conduit le législateur à voter depuis le texte « Riders » imposant une présomption de salariat (cf. supra).

3. Des accords collectifs régulant la relation contractuelle entre plateformes et travailleurs

Parallèlement à ces diverses tentatives de réglementation, il existe également des accords collectifs destinés à réguler la relation contractuelle entre plateformes et travailleurs des plateformes, essentiellement dans les pays nordiques où la pratique de la négociation collective est particulièrement développée.

a) Danemark : l'accord conclu par la plateforme Hilfr, instaurant une coexistence entre salariat et indépendance, a ouvert la voie à d'autres accords collectifs similaires

Au Danemark, la plateforme Hilfr, spécialisée dans les services de nettoyage, et 3F, syndicat danois comptant le plus grand nombre d'adhérents, ont signé en avril 2018, selon leurs dires, « le premier accord de plateformes au monde »21(*).

Cet accord prévoit la coexistence de deux catégories de travailleurs : les travailleurs indépendants (Hilfrs) et ceux couverts par l'accord (Super Hilfrs), employés par l'entreprise. Le client choisit d'avoir recours à l'une ou l'autre des catégories, le coût horaire étant alors facturé 170 couronnes danoises (22,86 euros) pour un indépendant et 230 couronnes danoises (30,93 euros) pour un employé sous contrat. Pour avoir accès au statut de salarié, les personnes doivent avoir travaillé plus de 100 heures pour la plateforme ; elles peuvent alors prétendre à un salaire horaire d'au moins 141,21 couronnes danoises (18,99 euros), des congés payés, des indemnités en cas de maladie et des droits pour leur retraite.

Ce premier accord a ouvert la voie à d'autres négociations entre plateformes et syndicats. Ainsi, la branche transport du syndicat 3F a signé un accord début 2021 avec la chambre de commerce danoise, Dansk Erhverv, pour des entreprises faisant appel à des livreurs de repas. L'accord prévoit un salaire minimal (salaire horaire net à 127,35 couronnes danoises (17,12 euros) au 1er mars 2022, avec des majorations en cas d'heures de travail supplémentaires), des droits à la retraite, un congé maternité ou encore des indemnités en cas de maladie. La durée hebdomadaire de travail doit être comprise entre 8 heures et 37 heures, cette durée pouvant toutefois être ajustée pour monter à 44 heures sur certaines périodes, dans la mesure où la moyenne reste établie à 37 heures. La plateforme de livraison Just Eat a été la première à signer l'accord.

b) Suède : une première convention signée entre Foodora et le syndicat des transports

La première convention collective dans laquelle une plateforme numérique est partie prenante en Suède - signée par Foodora et le syndicat suédois des travailleurs du domaine des transports - est entrée en vigueur le 1er avril 2021. Cette convention prévoit notamment des salaires plus élevés et une indemnisation pour les livreurs les soirs et les fins de semaine, une augmentation salariale annuelle, une indemnisation pour l'entretien des vélos et les vêtements de travail ou encore un régime de retraite et d'assurance conforme aux autres conventions collectives du secteur des transports.

Ainsi, le salaire minimum garanti s'élève, les jours de semaine, à 70 couronnes suédoises (6,90 euros) par heure, auxquelles s'ajoutent 20 couronnes (1,97 euro) par livraison, le total ne pouvant être inférieur à 100 couronnes (9,86 euros) par heure. Ce salaire est plus élevé les soirs de semaines après 19 heures, les week-ends et jours fériés. Toutefois, comme indiqué dans l'étude de législation comparée du Sénat22(*), ces salaires garantis ont été perçus par certains livreurs comme un recul en termes de rémunération, puisque, à titre d'illustration, il leur faut désormais assurer trois livraisons par heure le week-end pour toucher 150 couronnes (14,78 euros), alors qu'il suffisait de deux livraisons selon l'ancien modèle pour toucher la même somme.

III. UNE HAUSSE DES CONTENTIEUX EN FRANCE ET EN EUROPE SUR LE SUJET

Dans l'exposé des motifs de la directive, la Commission européenne indique que le nombre de contentieux concernant les travailleurs de plateforme est en augmentation. À ce jour, on compte dans l'Union plus de 100 décisions de justice et une quinzaine de décisions administratives relatives au statut professionnel de personnes travaillant par l'intermédiaire de plateformes.

A. DEPUIS 2018 ET L'ARRÊT « UBER », UNE MULTIPLICATION DES DEMANDES DE REQUALIFICATION DES CONTRATS EN FRANCE

Selon le rapport de Jean-Yves Frouin, ancien président de la Chambre sociale de la Cour de cassation, sur le sujet, remis au Premier ministre en décembre 202023(*), deux périodes peuvent être distinguées.

Dans une première période, de 2014 à 2018, il y a eu très peu de demandes de requalification par des travailleurs de plateforme de leur statut de travailleurs indépendants en celui de travailleurs salariés, et, le plus souvent, ces demandes n'ont pas abouti devant les juridictions du fond.

Mais depuis 2018, un tournant a été marqué avec deux arrêts rendus par la Cour de cassation, le premier qui censurait une décision ayant rejeté une demande de requalification24(*) (arrêt « Take Eat Easy »), le second (arrêt « Uber ») qui a rejeté un pourvoi contre une décision ayant admis une demande de requalification25(*).

Surtout, ce second arrêt de la Cour de cassation a fait l'objet d'une « forte » motivation et de la plus large des publications, ce qui le pose comme un arrêt de principe dont la solution sera le plus souvent répliquée dans des hypothèses analogues s'agissant de plateformes qui déterminent les conditions de la prestation fournie ou du bien vendu et fixent le prix. La Cour y considère que le lien de subordination est établi car la plateforme Uber a donné des directives, dont elle a contrôlé l'exécution, et a exercé un pouvoir de sanction en désactivant le compte du chauffeur. Le point le plus commenté fut le choix des mots de la Cour qui juge que « le statut de travailleur indépendant de M. X... était fictif ». L'indépendance fictive y est donc « consacrée ».

À la suite de l'arrêt « Uber », plusieurs décisions contraires ont été prises faisant apparaitre un « mouvement de résistance des juges du fond à la jurisprudence de la Cour de cassation »26(*) : la Cour de Paris a rejeté une demande de requalification du contrat de travail de livreurs de la plateforme de livraison de repas Deliveroo après avoir rejeté celle de livreurs de la plateforme Tok Tok Tok, tandis que celle de Lyon a également rejeté la même demande d'un chauffeur de la plateforme Uber.

Dernièrement, la Cour d'appel de Paris a toutefois rendu, le 12 mai 2021, une décision requalifiant le contrat liant Uber à l'un de ses chauffeurs de VTC. La Cour y note que, même si le chauffeur peut refuser une course, il est cependant stipulé que cette possibilité existe « sous réserve des politiques d'annulation d'Uber alors en vigueur ». Elle note également que le document intitulé « règles fondamentales UBER » renvoit à des règles que seule la société fixe sous peine de suspension du compte et du partenariat. La Cour rappelle enfin que le fait que ne soit imposé au chauffeur aucun horaire ou jour de travail ne peut être considéré comme déterminant pour écarter le statut de salarié, dès lors que le droit du travail connaît le système du forfait jours laissant au salarié une liberté de choix de ses jours et heures de travail et donc une liberté d'organisation. Il est considéré qu'à partir du moment où le chauffeur se connecte à l'application Uber, il intègre un service organisé complet qui lui dicte sa conduite et lui impose de respecter un grand nombre de directives et d'instructions.

B. LA CJUE ET LES COURS DES AUTRES ETATS MEMBRES SAISIES ÉGALEMENT DE NOMBREUSES AFFAIRES CES DERNIÈRES ANNÉES

1. La CJUE saisie à deux reprises sur le sujet

La Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) a été saisie à deux reprises sur des affaires concernant des travailleurs indépendants. Dans ce cadre, elle a précisé sa conception de ce que représente le travail indépendant et sa conception du service fourni par une plateforme.

En 2017, la CJUE a rendu un arrêt27(*) concernant le rôle d'intermédiation joué par la plateforme Uber. La CJUE avait alors estimé que la plateforme en question n'exerçait pas seulement un service d'intermédiation mais bien un service de prestation de transport. Elle avait considéré que la plateforme fixait elle-même à la fois les conditions d'exercice et les tarifs, et exerçait une forme de contrôle sur la qualité des véhicules et des chauffeurs. En d'autres termes, la Cour a estimé qu'Uber « exerce une influence décisive sur les conditions de la prestation de tels chauffeurs ».

En avril 2020, la CJUE a reçu une demande émanant d'une juridiction britannique sur une affaire qui opposait un coursier à une plateforme de livraison, sur le fondement d'un contrat de prestation de service28(*) (ordonnance « Yodel »). Il s'agissait d'une saisine d'une question préjudicielle portant sur l'interprétation de la directive 2003/88/CE relative au temps de travail. Dans cette affaire, la CJUE a néanmoins considéré, au regard des conditions d'exercice de l'activité du travailleur, que l'indépendance du coursier n'était pas fictive et qu'il n'existait pas - compte tenu de certains critères - de lien de subordination entre lui et l'employeur présumé. La CJUE a considéré que le coursier était libre d'accepter ou refuser certaines tâches de son donneur d'ordre, de fixer et organiser son temps de travail et de fournir ses services à des tiers, y compris concurrents directs du donneur d'ordre. Elle a par ailleurs rappelé qu'il appartenait à la juridiction britannique de procéder à la qualification correcte du coursier.

2. En Espagne : des requalifications en contrats salariés la plupart du temps

La décision du Tribunal suprême du 25 septembre 2020 impliquant la plateforme de livraison de repas Glovo a marqué un tournant en Espagne, puisqu'elle est à l'origine d'une évolution du cadre législatif, comme indiqué supra. En effet, en septembre 2020, la Cour Suprême espagnole a eu à connaître d'une affaire similaire à celle qui a été soumise à la Cour de cassation française dans l'arrêt Uber.

Le juge espagnol a conclu à la requalification du contrat du livreur, sous statut TRADE (tiers-statut), en employé. Dans sa décision, il a insisté sur l'insertion du travailleur dans un service organisé par la plateforme. Il a relevé le fait que la plateforme édictait des directives, contrôlait leur application et disposait également d'un pouvoir de sanction à l'égard du coursier.

Cette décision s'inscrit dans la suite de nombreuses jurisprudences antérieures qui avaient également conclu à une requalification des travailleurs de plateformes en employés, et non sous le statut TRADE, contrairement, par exemple, aux jugements rendus au Royaume-Uni ces dernières années (cf. infra).

3. Au Royaume-Uni : des requalifications majoritairement sous le statut de workers

Au Royaume-Uni, les jurisprudences des dernières années sur le statut des travailleurs des plateformes ont en effet visé, la plupart du temps, à requalifier des entrepreneurs indépendants Uber ou Deliveroo en workers et non en employee. Ainsi, dans l'affaire Uber v. Aslam, dans laquelle deux chauffeurs demandaient leur requalification en workers, la Cour suprême a confirmé, en février 2021, cette requalification opérée par les tribunaux inférieurs.

4. En Italie : une jurisprudence hésitante sur le statut, mais une des premières à reconnaître le caractère discriminatoire d'un algorithme

Si le régime des « co.co.per » (cf. supra) peut sembler adapté, à première vue, aux caractéristiques du travail de plateforme, son application est loin d'être toujours évidente, comme le montrent les jurisprudences récentes.

Ainsi, dans une affaire du 11 avril 2018, le tribunal de Turin a rejeté la demande de six coursiers Foodora de voir leur relation de travail avec la plateforme requalifiée en salariat. Le juge a même refusé de leur accorder le statut de « co.co.per » en adoptant une interprétation « très étroite » de la loi de 2015 portant création de ce statut. Cette interprétation a été depuis contestée par de nombreux juristes, mais a été suivie par le tribunal de Milan dans une affaire « Foodinho » de juillet 2018. La Cour d'appel turinoise est ensuite partiellement revenue sur l'arrêt Foodora: si elle a considéré qu'il n'avait pas lieu de requalifier les coursiers en salariés, elle a reconnu leur statut de « co.co.per » au motif que Foodora « organisait bien les activités des coursiers, y compris en ce qui concerne l'horaire et le lieu de travail ».

Ces dernières jurisprudences ont ainsi conduit les pouvoirs publics italiens à adopter une législation relative aux travailleurs des plateformes, faisant ainsi de l'Italie l'un des rares pays dotés de textes spécifiques (cf. supra).

Par ailleurs, il est intéressant de noter que, le 31 décembre 2020, le tribunal de Bologne a rendu une décision sur la question des algorithmes29(*) : il a jugé que l'algorithme utilisé par la plateforme Deliveroo était discriminatoire. Il s'agit de l'une des premières décisions identifiées comme reconnaissant explicitement le caractère discriminatoire d'un algorithme d'une plateforme numérique. Les syndicats contestaient le caractère discriminatoire d'un algorithme de pré-réservation des créneaux de livraison par les livreurs, arguant qu'il ne permettait pas de distinguer les motifs légaux justifiant une interruption temporaire de travail, tels que la maladie ou l'exercice du droit de grève, des autres motifs pouvant induire une baisse de performance des travailleurs.

5. En Allemagne, une décision qui ouvre la voie à d'autres requalifications possibles en contrats salariés

En Allemagne, le Tribunal fédéral du travail a rendu, le 1er décembre 2020, une décision importante concernant les « crowdworkers », infirmant la décision rendue en première instance par le tribunal du travail de Munich. Dans cette décision, le Tribunal fédéral requalifie en relation de travail salarié l'exécution de petites missions (microjobs) par une personne recrutée via une plateforme en ligne et l'opérateur de cette plateforme. Selon le Tribunal, « l'évaluation globale de toutes les circonstances requises par la loi peut montrer que les crowdworkers doivent être considérés comme des salariés. Il s'agit d'une relation de travail si le client contrôle la coopération via la plateforme en ligne qu'il exploite de telle manière que le contractant n'est pas en mesure de concevoir librement ses activités en termes de lieu, de temps et de contenu».30(*)

Selon l'étude du service de législation comparée du Sénat, cette décision, spécifique au cas d'espèce, ne règle pas définitivement la question du statut des travailleurs de plateformes. Cependant, elle ouvre la voie à d'autres requalifications en tant que salarié, dès lors que les critères du contrat de travail - à savoir un travail effectué au service d'un autre, dans une relation de dépendance personnelle, déterminé de façon externe et soumis à des instructions - seraient remplis dans les faits.

6. Au Pays Bas et en Belgique, des décisions récentes également sur le sujet

La Cour de justice d'Amsterdam, saisie par la Fédération des syndicats néerlandais, a rendu une décision en septembre 2021, selon laquelle « la relation juridique entre Uber et (les) chauffeurs a toutes les caractéristiques d'un contrat de travail ». La Cour a estimé que les travailleurs de la plateforme VTC devaient être rattachés à la convention collective des chauffeurs de taxi, qui prévoit un certain nombre de protections sociales, dont la prise en charge des arrêts maladie. Uber a été sanctionné d'une amende de 50 000 euros. La plateforme, à la suite de cette décision, a fait savoir qu'elle faisait appel.

Le tribunal du travail de Bruxelles a, par ailleurs, confirmé, dans une décision de décembre 2021, le statut d'indépendant des coursiers Deliveroo dans une affaire ouverte après une enquête de la Sécurité sociale.

Ce bref panorama du contentieux européen montre effectivement que les décisions de justice et administratives relatives au statut des travailleurs de plateformes sont de plus en plus nombreuses. Il semblerait ainsi que, dans la majorité des cas, les Cours concluent à des requalifications en employés, bien qu'il ne s'agisse pas d'une règle générale.

PARTIE II : UNE PROPOSITION DE DIRECTIVE AMBITIEUSE DE LA COMMISSION EUROPÉENNE QUI SUSCITE DES DIVISIONS

I. UNE PROPOSITION DE DIRECTIVE NOVATRICE DE LA COMMISSION...

A. AMÉLIORER LES CONDITIONS DE TRAVAIL DES TRAVAILLEURS DE PLATEFORMES : LES MESURES PROPOSÉES PAR LA COMMISSION EUROPÉENNE LE 9 DÉCEMBRE 2021

La Commission européenne a publié, le 9 décembre 2021, un paquet de mesures - incluant une proposition de directive - visant à améliorer les conditions du travail via une plateforme et à promouvoir une croissance durable de ces plateformes dans l'Union européenne.

Cette proposition de directive relative à l'amélioration des conditions de travail dans le cadre du travail via une plateforme (COM (2021) 762) s'accompagne donc d'une communication exposant l'approche de l'UE en matière de travail via une plateforme, et d'un projet de lignes directrices précisant l'application du droit de la concurrence de l'UE aux conventions collectives des travailleurs indépendants sans salariés qui cherchent à améliorer leurs conditions de travail.

Projet de lignes directrices précisant l'application du droit de la concurrence de l'UE aux conventions collectives des travailleurs indépendants

Ce projet de lignes directrices de la Commission vise à clarifier le régime applicable aux conventions collectives conclues par des travailleurs indépendants, en explicitant les situations où une négociation collective des travailleurs indépendants est possible au regard de l'article 101 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) sans être qualifiée d'entente anti-concurrentielle31(*). En effet, les travailleurs indépendants ne sont pas considérés comme des « travailleurs » au sens du droit communautaire.

La jurisprudence de la CJUE a établi des critères objectifs permettant de caractériser la relation de travail en considération des droits et devoirs des personnes concernées : un travailleur est « une personne (qui) accomplit, pendant un certain temps, en faveur d'une autre et sous la direction de celle-ci, des prestations en contrepartie desquelles elle touche une rémunération ».

Or, les travailleurs indépendants n'étant pas placés, par définition, sous la direction de leurs clients, ils sont considérés, en droit, comme des entreprises et ne bénéficient donc pas des garanties accordées aux travailleurs.

Le champ d'application de ce projet de lignes directrices est toutefois beaucoup plus large que celui des travailleurs de plateformes, car il englobe l'ensemble des travailleurs indépendants qui disposent d'une faible influence sur leurs conditions de travail. Sont ainsi visés les travailleurs indépendants sans salariés, définis comme des prestataires de services qui n'ont pas de salariés et qui dépendent principalement de leur propre travail personnel pour la prestation des services, et les entreprises donneuses d'ordre lorsqu'elles négocient avec ces derniers au sujet des conditions de travail.

Au niveau national, ces lignes directrices permettront de sécuriser le cadre juridique du dialogue social entre représentants des travailleurs indépendants des plateformes et représentants des plateformes de la mobilité, en écartant le risque de qualification d'ententes anticoncurrentielles des accords de secteur conclus par ce biais. En tout état de cause, la DGT rappelle, dans ses réponses au questionnaire des rapporteurs, que ces lignes directrices visent surtout à rassurer les entreprises car la Commission européenne n'a jamais sanctionné de conventions collectives réalisées par des travailleurs indépendants sans salariés et n'envisageait pas de le faire.

Ces lignes directrices sont actuellement en cours de validation interne au sein de la Commission et devraient être adoptées à l'automne 2022.

La directive proposée s'appliquera aux « plateformes de travail numériques » telles qu'elles sont définies à son article 2, c'est-à-dire à celles qui organisent le travail effectué par des individus. Il s'agit de toute personne morale ou physique fournissant un service grâce à des moyens électroniques, à la demande du consommateur final et impliquant une organisation du travail exécuté par des individus.

Les plateformes principalement concernées sont celles de VTC, comme Uber par exemple, et de livraison de marchandises du dernier kilomètre, telles que Deliveroo mais d'autres entreraient également dans le champ de la directive, telles que les opérateurs de « quick commerce ». Les plateformes de travail purement en ligne, de type Amazon Mechanical Turk, seraient également couvertes.

Toutefois, selon la Commission européenne, cette directive ne s'appliquera pas aux plateformes en ligne qui se bornent à publier des offres ou des demandes de services ou à afficher les fournisseurs de services disponibles dans un domaine spécifique. Elle ne s'appliquera pas non plus aux fournisseurs d'un service dont l'objectif premier est d'exploiter ou de partager des actifs (location de courte durée de logements, etc.).

Par ailleurs, la directive proposée s'appliquera à toutes les plateformes de travail numériques définies comme telles, qui fournissent des services dans l'Union, quel que soit leur lieu d'origine, à condition que le travail organisé par l'intermédiaire de cette plateforme soit exécuté dans l'Union.

La proposition de directive est fondée sur l'article 16 et l'article 153, paragraphe 1, point b), du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE), portant respectivement sur la protection des données et sur les conditions de travail. Il semblerait effectivement que ce dernier article soit la voie juridique la plus sûre pour la Commission européenne, qui doit faire face à un cadre juridique quelque peu contraint (cf. encadré infra).

Un cadre juridique contraint pour la Commission européenne

La Commission a choisi de légiférer sur les conditions de travail des travailleurs, en s'appuyant sur une approche par le statut (via la présomption de salariat), qui lui paraît la seule voie praticable, notamment du point de vue juridique, pour améliorer les conditions de travail des travailleurs des plateformes par le biais du droit européen. En effet, des interrogations subsistent sur la possibilité pour l'Union européenne de légiférer directement sur les conditions de travail des travailleurs indépendants.

La Commission européenne estime néanmoins dans son étude d'impact que l'article 53 point 1) du TFUE aurait pu être mobilisé. Cet article autorise l'Union européenne à prendre des directives visant « la coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres concernant l'accès aux activités non salariées et à l'exercice de celles-ci ».

Les deux bases juridiques de la proposition de directive sont donc les suivantes :

-l'article 153 (1), point (b), du TFUE qui permet à l'Union de soutenir et compléter l'action des États membres dans le domaine des conditions de travail. L'article 153 (2), point (b) autorise le Parlement européen et le Conseil à intervenir par voie de directive. Dans ce domaine, le Parlement européen et le Conseil statuent conformément à la procédure législative ordinaire (c'est-à-dire à la majorité qualifiée au Conseil) ;

-l'article 16 du TFUE permet au Parlement européen et au Conseil d'adopter, selon la procédure législative ordinaire, des règles relatives à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement de leurs données personnelles par les institutions, organes et organismes de l'Union, ainsi que par les États membres dans l'exercice d'activités qui relèvent du champ d'application du droit de l'Union, et à la libre circulation de ces données.

La directive s'appliquera à toute personne physique exécutant un travail via une plateforme numérique de travail. Selon la Commission, les dispositions relatives à la protection des données personnelles et à la gestion algorithmique couvrent l'ensemble des individus précités, quelle que soit la nature ou la désignation du contrat les liant à la plateforme. Les dispositions portant sur l'amélioration des conditions de travail sont, quant à elles, réservées aux travailleurs salariés ou qui devraient l'être au regard des faits.

B. LES PRINCIPAUX OBJECTIFS DE LA PROPOSITION DE DIRECTIVE

1. Qualifier correctement le statut professionnel des travailleurs de plateforme en posant le principe d'une présomption réfragable de salariat (chapitre II de la directive)

Cette proposition de directive vise, en effet, à garantir que les personnes exécutant un travail via une plateforme de travail numérique se voient accorder le statut professionnel juridique correspondant à leurs modalités de travail réelles. Elle fournit une liste de cinq critères de contrôle permettant de déterminer si la plateforme est un «employeur» (article 4). Si la plateforme - répondant à la définition de plateforme de travail numérique telle que fixée à l'article 2 § 1 (1) - remplit au moins deux de ces critères, elle est juridiquement présumée être un employeur.

Une approche « par critères » choisie par la Commission européenne

La proposition de directive retient une approche « par critères » pour caractériser le contrôle de l'exécution du travail, et pour appliquer par voie de conséquence la présomption légale de salariat. Il convient de noter qu'elle s'écarte ce faisant de l'approche « par faisceau d'indices », utilisée par la CJUE pour apprécier l'existence ou non d'un lien de subordination entre le travailleur et l'employeur.

Les critères, fixés à l'article 4) point 2, permettent de caractériser le contrôle de l'exécution du travail par la plateforme. Ils sont les suivants :

« 2. Contrôler l'exécution d'un travail au sens du paragraphe 1 signifie accomplir au moins deux des actes suivants:

a) déterminer effectivement le niveau de rémunération, ou en fixer les plafonds;

b) exiger de la personne exécutant un travail via une plateforme qu'elle respecte des règles impératives spécifiques en matière d'apparence, de conduite à l'égard du destinataire du service ou d'exécution du travail;

c) superviser l'exécution du travail ou vérifier la qualité des résultats du travail, notamment par voie électronique;

d) limiter effectivement, notamment au moyen de sanctions, la liberté de la personne exécutant un travail via une plateforme d'organiser son travail, en particulier sa liberté de choisir son horaire de travail ou ses périodes d'absence, d'accepter ou de refuser des tâches ou de faire appel à des sous-traitants ou à des remplaçants;

e) limiter effectivement la possibilité de la personne exécutant un travail via une plateforme de se constituer une clientèle ou d'exécuter un travail pour un tiers ».

Les personnes qui exercent leur activité par son intermédiaire peuvent alors jouir des droits sociaux et des droits du travail qui découlent du statut de «travailleur salarié». Selon la Commission européenne, entre 1,72 et 4,1 millions de personnes pourraient ainsi être requalifiées en travailleurs salariés.

Une hausse des salaires attendue, par le biais de cette directive

Selon la Commission, les personnes qui perçoivent actuellement un salaire inférieur au salaire minimum bénéficieraient d'une augmentation globale de leurs revenus annuels pouvant atteindre 484 millions d'euros car elles seraient alors couvertes par les lois et/ou les conventions collectives sectorielles.

Cela équivaudrait à une augmentation annuelle moyenne de 121 euros par travailleur, augmentation comprise entre 0 euro pour les travailleurs dont le salaire avant requalification est déjà supérieur au salaire minimum et 1 800 euros pour ceux qui gagnent moins que le salaire minimum. Ainsi, pour certaines personnes exerçant leur activité via des plateformes de travail numériques dont les revenus actuels sont supérieurs au salaire minimum, la requalification pourrait entraîner une baisse de salaire, car certaines plateformes de travail numériques risquent de compenser l'augmentation des coûts de protection sociale par une réduction des salaires.

Toutefois, les autorités nationales compétentes disposeraient d'une marge d'appréciation pour ne pas activer la présomption si les travailleurs concernés sont manifestement de « véritables » indépendants. Ce tempérant à l'application de la présomption provient des explications données par la Commission européenne aux États membres lors des groupes de questions sociales, instances préparatoires du Conseil, sous présidence française.

Ce texte prévoit également, à l'article 5, la possibilité de renverser cette présomption de salariat, c'est-à-dire de prouver que la relation contractuelle en question n'est de fait pas une «relation de travail» telle que définie par la législation ou la jurisprudence nationale de l'État membre concerné. Il est intéressant de noter que ce renversement se fera sur la base des définitions nationales du salariat dans chacun des États membres, la Commission se refusant à une définition européenne.

La charge de la preuve en ce qui concerne l'absence de relation de travail incombera à la plateforme de travail numérique. Par ailleurs, un recours (initié par la plateforme) contre cette décision administrative ou judiciaire appliquant la présomption n'aura pas d'effet suspensif.

Résumé du fonctionnement du mécanisme de présomption légale, par la Commission (groupe de questions sociales du 5 avril 2022) 

1) Vérifier si l'entreprise répond à la définition d'une plateforme de travail numérique. À défaut, la directive n'est pas applicable.

2) Dans l'affirmative, appliquer les critères de présomption :

-Si aucun ou un seul critère est rempli, la présomption ne s'applique pas. Le travailleur ne peut s'appuyer sur le renversement de la charge de la preuve prévu par la directive, mais il peut passer par les procédures nationales. Les dispositions de la directive relatives au management algorithmique s'appliquent.

-Si deux critères ou plus sont remplis, la présomption est déclenchée. Il est possible de renverser la présomption selon les définitions de la notion de travailleur en droit national (fixées par la législation ou la jurisprudence) :

-Si la présomption est renversée, le statut d'indépendant, voire un 3ème statut prévu par le droit national s'applique.

-Si la présomption n'est pas renversée, le statut de salarié s'applique. Le travailleur reconnu salarié a, dans ce cas, accès à l'ensemble des droits correspondants garantis par l'acquis européen.

2. Accroître la transparence, les droits et la responsabilité concernant la gestion algorithmique (chapitre III de la directive)

La proposition de directive renforce la transparence dans l'utilisation des algorithmes par les plateformes de travail numériques (article 6), garantit un suivi humain des systèmes de surveillance et de décision automatisées (article 7) et crée le droit de contester des décisions automatisées (article 8). Ces nouveaux droits seront accordés tant aux travailleurs salariés qu'aux travailleurs véritablement indépendants.

3. Améliorer le respect de la réglementation et la traçabilité du travail via une plateforme, y compris dans les situations transfrontières (chapitre IV de la directive)

La Commission européenne prévoit, dans cette proposition de directive, de demander aux plateformes de déclarer le travail dans le pays où il est effectué (article 11) ainsi que de fournir aux autorités nationales certaines informations sur leurs conditions générales et sur les personnes qui travaillent par leur intermédiaire (article 12).

4. Renforcer la négociation collective et le dialogue social (chapitres III et V de la directive)

La proposition de directive introduit la nécessité d'informer et de consulter les travailleurs des plateformes et leurs représentants sur les décisions de gestion algorithmique (article 9). Par ailleurs, elle demande aux plateformes de faciliter la mise en place de canaux de communication permettant aux personnes qui travaillent par leur intermédiaire de s'organiser et d'être contactées par les représentants des travailleurs (article 15).

II. ....QUI SUSCITE DE VIVES RÉACTIONS, ENTRE ADHÉSION ET CONTESTATION

On retrouve, au niveau européen, le débat qui existe en France entre les partisans d'une approche « par le statut » et ceux prônant une approche « par les droits ».

A. LA MAJORITÉ DES PLATEFORMES OPPOSÉES AU TEXTE, MALGRÉ DES DIFFÉRENCES D'APPRÉCIATION SELON LEUR SECTEUR D'ACTIVITÉ

1. Les plateformes de livraison de repas et de VTC majoritairement hostiles à la présomption de salariat

Comme indiqué précédemment, ces plateformes, au vu de leur fonctionnement, sont les plus concernées par la problématique du statut et les demandes en requalification de contrat salarié. Elles sont donc, logiquement, les parties prenantes les plus critiques vis-à-vis de ce texte, qui établit une présomption réfragable de salariat.

Si ces plateformes affirment leur soutien à l'objectif de la Commission d'améliorer les conditions de travail des travailleurs et de promouvoir une croissance durable des plateformes dans l'UE, elles estiment que cette directive va à l'encontre de la flexibilité plébiscitée par les travailleurs partout en Europe et que le texte conduira à une destruction de milliers d'emplois. Elles s'interrogent également sur la baisse réelle du contentieux censée en découler, au vu de la complexité du mécanisme.

Les plateformes estiment que la proposition de directive conduirait à la suppression de 250 000 emplois de livreurs et 150 000 emplois de chauffeurs à travers l'Europe, selon une étude de « Copenhagen Economics » de 2021. Toutefois, il convient de noter que cette étude - reposant sur un sondage auprès des travailleurs de plateforme - indique, en réalité, que ces pertes d'emplois seraient constatées si on obligeait les travailleurs à travailler à des heures déterminées. Or, la proposition de Commission n'impose aucunement de travailler à des heures déterminées, mais prévoit simplement la présomption de salariat. Par ailleurs, d'après l'étude d'impact de la Commission et de premières analyses menées en France (cf. infra et supra), cette directive aurait un impact favorable sur le revenu des travailleurs les plus précaires, et conduirait ainsi à des emplois de « meilleure qualité ».

Opposées à la solution statutaire, ces plateformes sont favorables à la mise en place de dispositifs de dialogue social et de renforcement des droits, comme la législation française le prévoit. Certaines de ces plateformes ont ainsi émis plusieurs propositions afin d'améliorer la directive :

- rendre effective la présomption de salariat seulement si plus de la moitié des critères énoncés par la directive sont effectivement remplis ou établir une définition positive visant à établir « une présomption de non-salariat » (sur le modèle de l'ordonnance Yodel) ;

- rétablir un effet suspensif de la présomption pour garantir la sécurité juridique de la relation.

Certaines plateformes de livraisons ont misé sur le modèle du salariat

Parmi elles, Just Eat a fait le choix d'embaucher des livreurs salariés : 40 000 salariés dans 200 villes en Europe. En France, elle a employé jusqu'à 4500 livreurs en CDI en 2021, avant un plan de sauvegarde de l'emploi en 2022 prévoyant le licenciement de plusieurs centaines de coursiers. Le modèle salarié devrait être recentré sur sept villes (Paris, Marseille, Lyon, Toulouse, Strasbourg, Lille et Roubaix) où Just Eat France réalise 75% de son activité. Dans les autres villes, Just Eat pourrait confier le marché à une autre plateforme, Stuart.

Ce « retour en arrière » en France s'explique par le fait que Just Eat n'est pas leader sur le marché en France, et s'y trouve devancé par Uber eats et Deliveroo. Ce service de livraison engendre des charges trop élevées pour être absorbées par l'activité préexistante de marketplace mettant en relation clients et restaurateurs. Dans d'autres pays européens, Just Eat est leader et opère selon le modèle du salariat.

Il est intéressant de noter que le modèle des coopératives est également en train de se développer. Mises sur pied par des anciens d'Uber Eats et de Deliveroo, elles sont désormais une dizaine en France.

2. D'autres types de plateformes également inquiètes par cette proposition de directive

Les rapporteurs ont entendu d'autres plateformes, comme la plateforme d'auto-école en ligne, En Voiture Simone, et la plateforme Brigad, qui met en relation des professionnels de l'hôtellerie/restauration et du médico-social avec des entreprises pour des missions de courte durée.

Si Brigad estime ne remplir aucun des cinq critères qui caractériseraient le contrôle de l'exécution d'un travail au sens de la proposition de directive, elle demeure inquiète de son application. Elle considère effectivement que la proposition de directive ne tient pas suffisamment compte des spécificités de certains modèles de plateforme, estimant nécessaire de restreindre la définition de la plateforme de travail numérique ou d'augmenter le nombre de critères à remplir pour cibler précisément les modèles concernés.

B. LES REPRÉSENTANTS DES TRAVAILLEURS PLUTÔT FAVORABLES AU PRINCIPE DE LA DIRECTIVE

1. La Confédération européenne des syndicats favorable à cette directive qu'elle veut encore renforcer

La Confédération européenne des syndicats (CES) s'est exprimée, quant à elle, en faveur de cette proposition de directive, bien qu'elle souhaite renforcer certaines de ses dispositions, dans un sens plus favorable aux travailleurs.

Parmi les propositions d'amendements de la CES figurent notamment :

- l'établissement d'une présomption générale, par la suppression des critères établis à l'article 4 pour les « transférer » à l'article 5 afin d'orienter la réfutation (pour les plateformes de travail numériques qui le souhaitent) vers les autorités administratives ou judiciaires compétentes ;

- une définition plus large « des plateformes de travail numériques» à l'article 2, afin d'éviter que certaines plateformes de travail numériques sortent du champ d'application de la directive ;

- une référence aux syndicats à la place de la mention «représentants des travailleurs », afin d'empêcher le recours à représentants « favorables » aux employeurs ;

- la modification du considérant 23 de la directive selon lequel « la protection sociale, l'assurance accidents ou d'autres formes d'assurance, les mesures de formation ou des avantages similaires aux travailleurs indépendants actifs sur cette plateforme (...) ne doi(ven)t pas être considérée(s) comme un élément déterminant indiquant l'existence d'une relation de travail ». La CES considère à l'inverse qu'il s'agit d'un indice de subordination, estimant qu'il ne faut pas ajouter la dépendance sociale à la dépendance économique. Elle estime, par ailleurs, que les prestations de protection déjà proposées par les plateformes ne couvrent quasiment aucun risque.

2. Les représentants des chauffeurs VTC et des livreurs en France divisés sur la directive mais d'accord sur la nécessité d'améliorer leurs conditions de travail

Des divergences existent parmi les représentants des travailleurs. Les deux associations « Association des VTC de France » et la Fédération nationale des auto-entrepreneurs (FNAE) - qui sont arrivées en tête des dernières élections et, que les rapporteurs ont rencontrées - se sont montrées inquiètes face à la directive s'agissant de la présomption de salariat. Elles se sont surtout exprimées en faveur d'une amélioration des droits des indépendants. Mais ce n'est pas la position de toutes les associations représentatives et notamment des syndicats traditionnels, qui défendent pour beaucoup le statut de salarié.

Il est intéressant de noter que, d'après les sondages disponibles, notamment issus des plateformes, la majorité des chauffeurs VTC ne souhaitent pas devenir salariés. D'après un sondage de l'Association des VTC de France, plus de 93% souhaiteraient rester indépendants (80% d'après une autre étude menée par Uber). Concernant les livreurs, il est plus difficile de généraliser leurs aspirations, eu égard à la diversité des profils. Mais c'est aussi chez les livreurs que la question de la précarité se pose avec le plus d'acuité. Les auteurs du rapport de la commission des affaires sociales du Sénat précité avaient ainsi reçu les membres du collectif des livreurs autonomes de Paris (CLAP), qui s'étaient montrés favorables au statut de salarié.32(*)

Outre la stricte question du statut, une chose est sûre : ces travailleurs souhaitent tous une amélioration de leurs conditions de travail.

L'Union des entreprises de proximité (U2P) en faveur de la directive

L'Union des entreprises de proximité-U2P est, avec le Medef et la CPME, l'une des trois organisations interprofessionnelles représentatives des employeurs. Elle est également la première organisation représentative des travailleurs indépendants. Logiquement, c'est un des rares, pour ne pas dire le seul représentant des employeurs favorable à la directive et à la présomption de salariat. L'U2P considère en effet que les plateformes - employant des personnels à tort sous le statut d'indépendants - bénéficient d'une distorsion de concurrence. Ces plateformes ne contribuent pas, en effet, au financement de la protection sociale, alors que les indépendants payent un niveau élevé de cotisations. Par ailleurs, elles ne donnent pas de vraies garanties d'indépendance aux travailleurs.

De même, l'U2P conteste logiquement l'approche par les droits mise en place en France, qu'elle considère comme favorisant l'apparition d'un troisième statut entre salariat et indépendance.

Source : audition des rapporteurs

C. LES ÉTATS MEMBRES LARGEMENT FAVORABLES À LA DIRECTIVE ET NOTAMMENT À LA PRÉSOMPTION LÉGALE, LA FRANCE SE DÉMARQUANT PAR SON APPROCHE PAR LES DROITS

1. Un grand nombre d'États membres est favorable au mécanisme de présomption légale

En amont de la publication par la Commission européenne de la proposition de directive, cinq ministres du travail de l'Union européenne (Yolanda Díaz (Espagne), Pierre-Yves Dermagne (Belgique), Ana Mendes Godinho (Portugal), Hubertus Heil (Allemagne) et Andrea Orlando (Italie)) demandaient, dans une lettre ouverte33(*) datée du 1er décembre 2021 à la Présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, de présenter une initiative législative « ambitieuse ».

Une fois publiée, cette proposition de directive a donc bénéficié du support de plusieurs États membres. Ainsi, un groupe assez important d'États membres s'est montré clairement favorable à la présomption légale de salariat (Belgique, Bulgarie, Allemagne, Danemark, Espagne, Finlande, Croatie, Italie, Luxembourg, Lettonie, Pays-Bas, Pologne, Portugal), même si une grande partie de ces États se pose des questions sur la mise en oeuvre pratique du mécanisme de présomption et de son renversement.

L'Autriche, la Hongrie et la Suède semblent les plus réfractaires, tandis que la République tchèque, l'Estonie, la Grèce, l'Irlande, la Lituanie et la Slovaquie ont une opinion réservée, voire assez négative. Les pays de l'Est semblent craindre pour leur avantage comparatif en matière sociale, l'Estonie, pour son champion Bolt, et les Scandinaves pour leur modèle de négociation collective.

Il est intéressant de noter que la République tchèque, assurant actuellement la présidence du Conseil de l'UE, en a fait une priorité de sa présidence sans exprimer de position tranchée sur le texte.

2. L'approche de la Commission « par le statut » semblait heurter l'approche française par « les droits »...

La France partage les objectifs de la Commission, en particulier la juste qualification des relations de travail entre plateformes et travailleurs et l'amélioration de leurs conditions de travail ainsi que de leurs droits sociaux.

Elle soutient ainsi les dispositions du texte visant à établir les droits et obligations en matière de gestion algorithmique, de transparence et de droit au recours applicable à tous types de travailleurs de plateformes.

Toutefois, l'approche de la Commission « par le statut » semblait heurter l'approche par les droits, mise en place depuis 2016 en France. Le Gouvernement estimait que ce texte posait en l'état trois difficultés majeures pour la France :

- tout d'abord, en distinguant les « personnes exerçant sur les plateformes » et les « travailleurs des plateformes », pour lesquels elle instaure une présomption de salariat, la proposition de directive introduit un risque vis-à-vis de notre cadre juridique national, qui identifie les « travailleurs des plateformes » de manière indistincte, sans préjuger des relations contractuelles entre travailleurs et plateformes ;

- de plus, le champ des plateformes concernées, incluant le travail sur plateformes donnant lieu à des prestations tant physiques que dématérialisées, dépasserait celui des plateformes ayant une responsabilité sociale tel que prévu dans le code du travail français, pour concerner des entreprises qui ne sont pas considérées comme des plateformes dans le droit national mais comme de simples sous-traitants ;

- enfin, le mécanisme proposé par la Commission (cumul de deux critères vérifiés entraînant de facto une présomption de salariat) rend l'approche de la Commission plus stricte que celle du juge français qui utilise, compte-tenu de l'absence de définition légale du contrat de travail en droit français, la théorie du faisceau d'indices qui est au fondement de la construction jurisprudentielle justifiant la qualification.

Ainsi, la présomption de salariat (pour les seuls travailleurs de plateforme) serait en contradiction avec la présomption d'indépendance plus large posée par l'article L. 8221-6 du code du travail. Toutefois, il convient de noter que certaines professions spécifiques bénéficient déjà d'une présomption de salariat, comme les représentants, les journalistes ou les mannequins (art. L. 7313-1 du code du travail).

Par ailleurs, la France considère qu'il existe un risque que le juge prenne en compte les critères de la présomption instaurés au niveau européen dans des décisions nationales de requalification concernant ce secteur, ce qui modifierait indirectement la définition du salariat, de nature essentiellement jurisprudentielle en France.

Impact estimé de la directive en France, par la DGE

Une étude d'impact de la directive sur les plateformes, les travailleurs et les consommateurs est en cours de réalisation. Toutefois, selon la DGE, les premières analyses suivantes peuvent être faites :

- en moyenne, les travailleurs devraient voir leur niveau de revenus augmenter, notamment pour les livreurs qui, aujourd'hui, semblent être rémunérés en-dessous du SMIC horaire. L'écart des revenus entre les travailleurs devrait se réduire, bénéficiant aux travailleurs les moins actifs mais au détriment des plus productifs ;

- de manière globale, un passage au salariat des travailleurs aurait certainement pour conséquence de réduire le niveau d'emploi. Si l'effet devrait être limité pour le secteur VTC, en raison des spécificités de l'activité (source principale de revenus, rémunérations plus élevées, assiduité des travailleurs, temps de travail important...), tel ne serait pas le cas pour les livreurs dont les effectifs diminueraient de manière importante. En effet, l'activité de livraison est souvent réalisée à temps partiel, comme source secondaire de revenus et son attractivité repose sur la flexibilité du temps de travail ;

- les plateformes supporteraient des coûts bien supérieurs (estimés à 4,5 milliards annuels par la Commission) expliqués par plusieurs facteurs : paiement de la TVA, des cotisations et contributions sociales, des congés payés ; recrutement important de professionnels RH ; hausse des rémunérations des travailleurs. Les plateformes devraient également repenser l'intégralité de leurs modèles d'affaires fondés aujourd'hui sur le recours aux indépendants et qui, post-directive, devraient prendre en compte la gestion de flottes de salariés plus difficilement mobilisables lors des pics de demande. En outre, les plateformes seraient obligées de modifier leurs algorithmes d'allocation des prestations aux travailleurs. Pour ces raisons, il est probable que l'offre de service ne puisse plus répondre, aussi bien en quantité qu'en qualité, à la demande formulée par les consommateurs finaux ;

- les surcoûts engendrés pour les plateformes seraient vraisemblablement répercutés, à la hausse, sur le prix des prestations facturées aux clients.

Source : réponse au questionnaire de la DGT/DGE

3. ...mais la France s'est finalement ralliée à la majorité des États, en soutenant le mécanisme de présomption légale

Il s'agit effectivement d'un changement majeur du côté français. La France - jusqu'alors opposée au mécanisme de présomption légale pour les raisons évoquées ci-dessus - s'est finalement ralliée à la majorité des États membres, à la suite des nouvelles propositions faites par la présidence tchèque début septembre.

La présidence tchèque avait ainsi mis trois options relatives au mécanisme de présomption sur la table des négociations : l'option A consistant en une présomption automatique, c'est-à-dire qui ne serait conditionnée à aucun critère (comme proposé par la rapporteure du Parlement européen), l'option B correspondant à une présomption reposant sur des critères européens et l'option C correspondant à une présomption reposant sur des critères nationaux.

Au vu des deux options A et C trop radicales, la France s'est donc ralliée à l'option B, à condition que des ajustements soient apportés à la liste des critères. Le fait que la majorité des États membres soutienne le mécanisme de présomption légale, et le contexte des « Uber files » ont certainement contribué à ce changement de position.

La France reconnaît désormais l'intérêt de ce mécanisme pour améliorer la protection des travailleurs de plateforme, tout en considérant que des ajustements sont nécessaires sur les critères (cf. infra), qui doivent être proportionnés afin de ne pas « capter » les vrais indépendants.

4. Les négociations au sein du Conseil, débutées sous présidence française, se poursuivent activement sous présidence tchèque

Les groupes des questions sociales organisés pendant la PFUE ont permis une première lecture de l'ensemble de la proposition de directive. La présidence française a produit un texte de compromis, en mai dernier, sur les chapitres 1 et 2.

La présidence tchèque - qui vise une orientation générale pour le Conseil « Emploi, politique sociale, santé et consommateurs » (EPSCO) de décembre - en a fait une de ses priorités.

La présidence est ainsi très active sur le sujet. Plusieurs réunions des groupes de questions sociales ont lieu en septembre, et un texte de compromis a été diffusé le 19 septembre et examiné les 26 et 27 septembre derniers (cf. infra, partie III).

Toutefois, si la présidence tchèque ne parvenait pas à faire aboutir les négociations, la présidence suivante (suédoise) ne devrait pas être très active sur ce texte pour lequel elle a déjà marqué à plusieurs reprises sa forte réticence, pour des questions de respect de son modèle national de négociation collective. En revanche, la présidence espagnole (deuxième semestre 2023), très avancée au niveau national sur le sujet, pourrait choisir de le faire évoluer.

D. LE PARLEMENT EUROPÉEN PLUS AMBITIEUX ENCORE QUE LA COMMISSION

En parallèle des négociations au sein du Conseil, la rapporteure Elisabetta Gualmini (S&D, IT) a présenté en commission de l'emploi et des affaires sociales (EMPL) du Parlement européen son rapport sur la proposition de directive en mai dernier.

Ce rapport, plus ambitieux que la proposition de la Commission européenne, a apporté des modifications importantes au texte afin d'introduire une protection plus importante pour les travailleurs et des obligations plus strictes en matière de gestion algorithmique.

Le Parlement européen s'était déjà exprimé sur le sujet par le biais du rapport de S. Brunet favorable à la présomption de salariat mais plus en retrait que le rapport d'E.Gualmini

La proposition d'introduire une présomption de relation de travail entre les plateformes et les travailleurs qui recourent à leurs services figurait dans un rapport de l'eurodéputée Sylvie Brunet pour la commission de l'emploi et des affaires sociales (EMPL) adopté à une large majorité par le Parlement européen, en juillet 202134(*). Une résolution avait été adoptée en plénière le 16 novembre 202135(*).

Ce rapport était moins « ambitieux », ou tout du moins plus équilibré, sur le sujet de la présomption légale que celui de Mme Gualmini.

Toutefois, certaines de ces modifications ont suscité de vives inquiétudes chez plusieurs euro-députés, notamment celle visant à élargir la liste des critères à 11 permettant de déterminer la présomption d'emploi et à les transférer d'un article vers un considérant, afin de les rendre non contraignants.

Les eurodéputés du Parti populaire européen (PPE) et de Renew craignent notamment que cette mesure ne conduise à catégoriser automatiquement tous les travailleurs comme des employés, détruisant ainsi l'ensemble du marché de l'économie des plateformes.

Les euro-députés PPE, Renew et Conservateurs et réformistes européens (CRE) ont déposé une série d'amendements pour réviser l'approche de la rapporteure et modifier le mécanisme de présomption légale établi par la Commission (cf. partie III infra).

Des négociations sont actuellement en cours : il semblerait que la rapporteure E. Gualmini soit prête à faire des concessions, mais toutes les conditions ne semblent, pour le moment, pas réunies pour aboutir à un texte de compromis.

Le vote sur les amendements en commission devrait avoir lieu au mois d'octobre, pour un vote en plénière avant la fin de l'année 2022.

PARTIE III : LA DIRECTIVE ÉTABLIT UN CADRE JURIDIQUE NÉCESSAIRE MAIS QUI PEUT ÊTRE AMÉLIORÉ

Les rapporteurs considèrent que le cadre juridique que la Commission propose d'établir par la directive - bien qu'imparfait - est nécessaire pour réguler le développement des plateformes et encadrer les conditions de travail des travailleurs en relevant.

Elles n'ignorent pas la difficulté de légiférer sur un tel sujet. La Commission européenne, tout comme chaque législateur national, est face à une équation complexe : il s'agit d'encadrer juridiquement un modèle économique innovant, sans en freiner le développement. Il faut effectivement encadrer ses dérives sans empêcher l'expansion d'une économie numérique qui répond à une demande et qui a des atouts, notamment en termes d'accès au marché du travail des publics les plus éloignés de l'emploi.

Les rapporteurs saluent donc le principe de cette proposition de directive, mais y voient aussi certains axes d'amélioration possibles.

I. LE TEXTE RÉPOND À LA NÉCESSITÉ D'ÉTABLIR UN CADRE JURIDIQUE EUROPÉEN FACE AUX RISQUES DE « L'UBÉRISATION » ET À LA MULTIPLICATION DES CONTENTIEUX EN EUROPE

A. FIXER UN CADRE EUROPÉEN POUR UNE MEILLEURE SECURITÉ JURIDIQUE : UN OBJECTIF LOUABLE ET NÉCESSAIRE

La question du statut et des conditions de travail des travailleurs de plateforme concerne - comme indiqué précédemment - tous les pays de l'Union européenne, et même au-delà, toutes les économies occidentales.

Au vu de la multiplication et de la diversité de la jurisprudence et des législations sur le sujet, établir un cadre européen s'impose comme une nécessité.

Jusqu'ici, seul un petit nombre d'États membres de l'Union ont adopté une législation nationale visant à améliorer les conditions de travail et/ou l'accès à la protection sociale dans le cadre du travail via une plateforme. Le plus souvent, la législation nationale ne s'est attaquée qu'indirectement aux difficultés soulevées par le travail via une plateforme, ou s'est concentrée uniquement sur certains secteurs, en particulier les services de VTC et de livraison.

Cette proposition de directive européenne vise justement à apporter une meilleure sécurité juridique aux différents acteurs. Bien que les rapporteurs s'interrogent sur la réalité de la baisse du contentieux qui en résulterait, du moins à court terme, elles soutiennent et jugent nécessaire le cadre juridique apporté par cette directive. À cet égard, la Commission européenne a reconnu qu'il pourrait y avoir une croissance des procédures devant les juridictions à court terme, mais que le nombre de litiges devrait décroître à long terme, à la faveur d'une clarification et d'une stabilisation de l'ordre juridique.

Les rapporteurs saluent le choix de la Commission de ne pas avoir établi un troisième statut dans son texte. Les exemples européens comme l'Italie, l'Espagne ou le Royaume-Uni prouvent, en effet, que la création d'un tel tiers-statut n'est pas la panacée, puisqu'elle n'a pas empêché ces pays de connaître de nombreuses actions en requalification. Pire, il semblerait que ce troisième statut ajoute de la complexité juridique et tende à fragiliser les travailleurs précaires.

Par ailleurs, les rapporteurs ne peuvent que saluer l'objectif de cette directive de créer des conditions de concurrence équitables entre les plateformes et les entreprises traditionnelles qui emploient des travailleurs salariés. Le but est que les plateformes ne puissent plus disposer d'un avantage concurrentiel indu par rapport aux entreprises traditionnelles, en qualifiant abusivement de non-salariés les travailleurs des plateformes pour ne pas avoir à assurer l'exercice des droits et verser les prestations sociales dont ces travailleurs devraient légitimement bénéficier et ainsi réduire leurs coûts.

Les rapporteurs soulignent aussi un autre effet collatéral positif susceptible de découler de la directive : la Commission européenne estime que les États membres recevront entre 1,6 et 4 milliards d'euros de recettes annuelles supplémentaires (cotisation sociales et impôts), dont 328 à 780 millions pour la France.36(*)

B. NE PAS S'ENFERMER DANS UN « COMBAT » POUR LE STATUT DE SALARIÉS CONTRE CELUI D'INDÉPENDANTS 

Selon les rapporteurs, cette directive ne vise pas à mettre en opposition le statut de salarié face à celui d'indépendant. Il ne s'agit pas de critiquer le statut d'indépendant mais son détournement par les plateformes.

L'important est de faire correspondre la réalité des faits et des situations avec le statut d'emploi.

Bien que la diversité des aspirations de chacun, et notamment des travailleurs est à prendre en compte - certains souhaitant rester indépendants -, il n'en demeure pas moins que la volonté des parties ne peut pas être supérieure aux faits. Le statut n'a pas à être choisi par les travailleurs, ni par les plateformes mais doit résulter des faits.

Ce texte et ces critères - qui sont perfectibles (cf. infra) - devraient conduire les plateformes à s'adapter, et supprimer les éléments de subordination dans leur relation aux travailleurs. Cette directive est essentielle en ce qu'elle permet d'envoyer un signal aux plateformes, et de les inciter à des pratiques plus vertueuses. Le but est que les travailleurs, indépendants par leur statut, le soient alors réellement dans les faits.

Selon les rapporteurs, cette directive peut donc constituer un moyen de revoir le rapport de force entre travailleurs et plateforme. Elle a le mérite de vouloir rééquilibrer les asymétries de pouvoir et d'information existant entre la plateforme et les travailleurs. Le renversement de la charge de la preuve (consistant à démontrer que la relation contractuelle en question n'est pas une relation de salariat) est à cet égard une disposition très importante. De même, les dispositions visant à rendre plus transparents et accessibles les algorithmes sont essentielles.

Les exemples alternatifs de salariat et de coopératives (cf. supra) montrent d'ailleurs qu'un autre modèle est possible. Les auditions ont également permis de comprendre la fragilité du modèle économique des plateformes qui semble peu rentable par nature. Dès lors que la rentabilité du modèle est compliquée quelle que soit l'option retenue (indépendance ou salariat), pourquoi ne pas privilégier cette dernière option ? Par ailleurs, si certains font valoir le risque d'une baisse du niveau d'emploi qu'induirait cette directive, les rapporteurs préfèrent mettre l'accent sur l'amélioration de la qualité de l'emploi et l'augmentation des revenus qui pourraient en découler. D'après les analyses précitées de la Commission et de la DGE, les travailleurs de plateformes les plus précaires verraient, en effet, leur niveau de revenus augmenter.

C. ENCOURAGER LES INITIATIVES SOCIALES DES PLATEFORMES ET LE DIALOGUE SOCIAL

Les rapporteurs se félicitent de l'accent mis par la directive sur le dialogue social. Plusieurs articles visent, en effet, à renforcer ce dialogue et la représentation collective, que ce soit l'article 9 qui introduit la nécessité d'informer et de consulter les travailleurs des plateformes et leurs représentants sur les décisions de gestion algorithmique, ou l'article 15 qui demande aux plateformes de travail numériques de faciliter la mise en place de canaux de communication permettant aux personnes qui travaillent par leur intermédiaire de s'organiser et d'être contactées par les représentants des travailleurs.

À cet égard, les sénatrices saluent le projet de lignes directrices précisant l'application du droit de la concurrence de l'UE aux conventions collectives des travailleurs indépendants, qu'elles considèrent comme une avancée essentielle.

Par ailleurs, les rapporteurs se félicitent que la proposition de directive ne brime pas les initiatives sociales entreprises par les plateformes. Elles soutiennent ainsi la rédaction du considérant 23, qui dispose que le financement de prestations de protection sociale, la mise en place d'une assurance accidents ou d'autres types d'assurance, des mesures de formation ou des prestations similaires en faveur des travailleurs non-salariés ne devraient pas être considérés comme des éléments déterminants de subordination.

D. ENCADRER LES ALGORITHMES POUR LUTTER CONTRE LE DÉSÉQUILIBRE DANS LA RELATION ENTRE TRAVAILLEURS ET PLATEFORMES

Les algorithmes développés et utilisés par les plateformes numériques sont au coeur de leur modèle économique. Améliorer leur transparence et les droits des travailleurs concernant la gestion algorithmique est essentiel. Les divers rapports produits sur le sujet, y compris au Sénat, partagent cet objectif et appellent à un meilleur encadrement des pratiques.

Les dispositions présentes dans le texte de la directive permettent ainsi de répondre à certains déséquilibres dans la relation entre travailleurs et plateformes liés à l'utilisation des algorithmes et des systèmes de décision automatisés dans le fonctionnement des plateformes. Il est essentiel, pour les rapporteurs, de rendre moins opaques ces algorithmes, considérés par certains, et notamment par les travailleurs comme une véritable « boîte noire ».

Les travailleurs de plateformes doivent comprendre la manière dont les algorithmes influencent ou déterminent certaines décisions (telles que l'accès aux tâches ou aux primes, l'imposition de sanctions ou l'éventuelle suspension ou restriction des comptes), étant donné les conséquences de ces décisions sur leur revenu et leurs conditions de travail. Ces travailleurs sont également légitimes à pouvoir contester ces décisions prises ou appuyées par ces systèmes.

II. DES AMÉLIORATIONS PEUVENT ÊTRE APPORTÉES AU TEXTE POUR LE RENDRE PLUS « EQUILIBRÉ »

Si le principe d'une directive européenne telle que proposée par la Commission mérite d'être soutenu, les rapporteurs identifient des difficultés dans le texte proposé, essentiellement dans ses deux premiers chapitres(champ d'application et présomption de salariat). Pour leur part, comme indiqué précédemment, les dispositions relatives à la gestion algorithmique et à la transparence sont plutôt favorablement accueillies dans l'ensemble par les différents acteurs, y compris les plateformes.

Les rapporteurs considèrent ainsi que des améliorations peuvent être apportées au texte, sans aller jusqu'à la présomption « automatique » proposée par le Parlement européen, qui pourrait entraîner la requalification en salariés de tous les travailleurs de plateforme. Selon les rapporteurs, il convient de rechercher un juste équilibre, permettant aux vrais travailleurs indépendants de le rester et aux travailleurs erronément qualifiés d'indépendants de devenir salariés. Des précisions sur le champ d'application et les critères pourraient y contribuer.

Parmi les propositions d'amélioration du texte explicitées ci-dessous, il convient de noter que la présidence française a déjà tenté d'en intégrer dans un texte de compromis proposé aux États membres le 24 mai dernier. La présidence tchèque a également publié, le 19 septembre dernier, de nouvelles propositions dans un nouveau texte de compromis, que les rapporteurs jugent intéressantes.

A. PROCÉDER À UNE CLARIFICATION DU TEXTE POUR LE RENDRE CONFORME À LA BASE JURIDIQUE CHOISIE

1. Mieux distinguer les dispositions qui s'appliquent aux travailleurs salariés d'une part et aux travailleurs indépendants d'autre part

Comme indiqué précédemment, le texte repose sur une double base juridique :

· l'article 153 (1), point (b), du TFUE qui permet à l'Union de soutenir et compléter l'action des États membres dans le domaine des conditions de travail ;

· l'article 16 du TFUE relatif aux règles relatives à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement de leurs données personnelles.

Toutefois, l'articulation de ces deux bases juridiques et leur application aux travailleurs salariés d'une part et travailleurs indépendants d'autre part n'est pas assez claire dans le texte. Un certain nombre d'États membres, lors des réunions des groupes de questions sociales, ont pointé ce manque de clarté.

Il semblerait donc nécessaire de clarifier le texte en distinguant mieux quelles dispositions s'appliquent aux « travailleurs de plateforme » (travailleurs salariés) et quelles dispositions s'appliquent aux « personnes exécutant un travail via une plateforme » (travailleurs indépendants). Selon le service juridique du Conseil, l'article 153 (1) point (b) du TFUE relatif aux conditions de travail fonde les dispositions de la directive applicables uniquement aux travailleurs salariés des plateformes ; l'article 16 du TFUE relatif à la protection des données fonde, quant à lui, les dispositions applicables à l'ensemble des travailleurs, salariés et indépendants, exécutant un travail de plateforme.

Le texte de compromis de la PFUE procède à cette clarification du texte

Deux objectifs ont été distingués :

-l'amélioration des conditions de travail des travailleurs salariés de plateforme, fondée sur l'article 153 (1) point (b) du TFUE ;

-la protection des personnes physiques (salariés ou indépendants) exécutant un travail de plateforme concernant le traitement de leurs données personnelles, fondée sur l'article 16 du TFUE.

Le texte de compromis intègre également un nouveau considérant 15b visant à refléter le fait que ces deux bases légales concourent à l'amélioration des conditions du travail de plateforme.

Toutefois, en groupe des questions sociales, l'Italie, soutenue par la Belgique, l'Espagne, le Luxembourg et le Portugal, a interrogé la Présidence sur les raisons de la restriction de l'objectif d'amélioration des conditions de travail aux seuls travailleurs salariés. Le service juridique du Conseil a alors précisé que si les délégations souhaitaient étendre cet objectif à tous les travailleurs de plateforme (salariés et indépendants), cela relèverait d'une décision politique qu'il faudra, le cas échéant, être en mesure de justifier devant la Cour de justice de l'Union européenne. En effet, comme indiqué précédemment, des questions juridiques et des choix politiques demeurent sur la possibilité que l'article 153 points (1) et (2) du TFUE, qui vise les travailleurs salariés, puisse servir de base juridique pour traiter des conditions de travail des travailleurs indépendants exécutant un travail de plateforme.

Le texte de compromis présenté par la présidence tchèque va dans le sens des propositions formulées par la PFUE, avec une clarification des deux objectifs à l'article 1 de la proposition de directive.

Par ailleurs, les échanges au sein du Conseil ont permis de mettre en lumière le besoin de distinguer plus clairement les dispositions des chapitres III à V (management algorithmique et transparence du travail de plateforme) applicables uniquement aux travailleurs des plateformes salariés et celles applicables à tous les travailleurs des plateformes, quel que soit leur statut. Le fondement juridique de ces dispositions, assis sur l'article 16 TFUE, pourrait poser question. Les échanges sur ce point devront être approfondis sous Présidence tchèque.

2. Clarifier l'impact de la directive sur les régimes de sécurité sociale des États membres

De nombreux États membres se sont interrogés sur les effets de l'introduction de la présomption légale de salariat prévue par la directive sur le droit de la sécurité sociale.

La Commission européenne a indiqué, lors des groupes de questions sociales, qu'une telle présomption est susceptible de faire bénéficier les travailleurs de droits en matière de protection sociale liés au salariat, mais qu'elle n'a pas pour objet de réguler les systèmes de sécurité sociale des États membres. En conséquence, il ne lui paraît pas nécessaire d'ajouter à la base juridique l'article 153 (1) point c) TFUE relatif à la sécurité sociale, qui requiert l'unanimité.

Pour éviter toute ambiguïté, il semblerait utile de supprimer les quelques mineures dispositions, notamment dans les considérants, concernant cette question. La PFUE a procédé à ce « nettoyage » dans son texte de compromis.

B. PRÉCISER LE CHAMP D'APPLICATION DE LA DIRECTIVE (CHAPITRE I)

Un des enjeux principaux de la directive se trouve dans son champ d'application et la définition des plateformes qui y seraient soumises.

Les rapporteurs reconnaissent qu'il s'agit là d'un exercice délicat et que l'équilibre à trouver n'est pas aisé. Le champ d'application doit, en effet, être assez large afin d'éviter que certaines plateformes qui devraient légitimement en relever y échappent, mais pas trop large afin de ne pas y inclure des plateformes, dont l'activité n'engendre pas les difficultés que la directive veut régler.

Les rapporteurs estiment tout de même que le champ d'application pourrait être quelque peu précisé. L'enjeu est de circonscrire l'application de cette directive aux plateformes les plus concernées, et notamment celles de services organisés (livraison repas et VTC).

Le champ d'application ne devrait pas inclure les vraies plateformes de mise en relation (Doctolib, blablacar, le bon coin, etc.). Ces plateformes ne sont a priori pas concernées par la directive, au vu du l'article 2.2 et du considérant 18 de la directive.

Article 2

Définitions

1. Aux fins de la présente directive, on entend par:

1) «plateforme de travail numérique»: toute personne physique ou morale fournissant un service commercial qui satisfait à toutes les exigences suivantes:

a) il est fourni, au moins en partie, à distance par des moyens électroniques, tels qu'un site web ou une application mobile;

b) il est fourni à la demande d'un destinataire du service;

c) il comprend, en tant qu'élément nécessaire et essentiel, l'organisation du travail exécuté par des individus, que ce travail soit exécuté en ligne ou sur un site précis;

(...)

2. La définition des plateformes de travail numériques établie au paragraphe 1, point 1), ne recouvre pas les fournisseurs d'un service dont l'objectif principal est d'exploiter ou de partager des actifs. Elle est limitée aux fournisseurs d'un service pour qui l'organisation du travail exécuté par l'individu ne constitue pas qu'un élément mineur et purement accessoire.

Extrait du considérant 18 de la proposition de directive

« Les plateformes en ligne qui n'organisent pas le travail exécuté par des individus mais qui se bornent à fournir aux prestataires de services les moyens d'atteindre l'utilisateur final, par exemple en leur permettant de publier des offres ou des demandes de services ou en agrégeant et en affichant les prestataires de services disponibles dans un domaine spécifique, sans intervenir d'aucune autre manière, ne devraient pas être considérées comme des plateformes de travail numériques.

La définition des plateformes de travail numériques ne devrait pas inclure les fournisseurs d'un service dont l'objectif premier est d'exploiter ou de partager des actifs, tel que la location de courte durée de logements. Elle devrait être limitée aux fournisseurs d'un service pour qui l'organisation du travail exécuté par l'individu, tel que le transport de personnes ou de marchandises ou le nettoyage, constitue un élément nécessaire et essentiel et non un simple élément mineur et purement accessoire. »

Selon les rapporteurs, pourraient également être exclus du champ d'application de la directive d'autres types d'acteurs, comme les plateformes à but non lucratif (les plateformes d'entraide, comme les plateformes de voisinage par exemple), ce qu'ont proposé la PFUE et la présidence tchèque dans leur texte de compromis

Les agents commerciaux, au vu de leur activité fondée sur la vente d'un bien et non pas la prestation de travail, pourraient également être explicitement exclus du champ d'application de la directive. Définis par la directive 86/653/CEE comme des intermédiaires indépendants, il semblerait effectivement qu'ils n'aient pas vocation à entrer dans le champ d'application de la directive. Le texte de compromis proposé par la PFUE les exclut explicitement.

Par ailleurs, il semblerait, selon la DGT/DGE, que la directive pourrait s'appliquer aux centrales de réservation de taxis. S'il semble peu probable que ces acteurs remplissent les critères de la présomption, ils pourraient de fait être soumis aux dispositions relatives à la gestion algorithmique. A l'occasion d'un échange entre la DGE, l'Union Nationale des Industries du Taxi (UNIT) et la Fédération nationale des taxis indépendants (FNTI), les représentants de la filière taxi ont fait part de leur crainte de voir la présomption de salariat s'appliquer aux chauffeurs de taxis indépendants travaillant via des centrales de réservation. L'UNIT et la FNTI ont demandé que les centrales de réservation soient exclues de ce projet de règlementation, ou que les critères soient révisés en prenant en compte les caractéristiques intrinsèques des prestations fournies par des plateformes VTC.

La question des entreprises intermédiaires

En l'état actuel du texte, selon la France, la directive s'applique aux entreprises intermédiaires, qui mettent des travailleurs à la disposition des plateformes visées par la directive, et qui sont liées à ces travailleurs par des contrats commerciaux ou de travail. Pour répondre aux demandes de plusieurs délégations, la PFUE a apporté des précisions dans les textes, afin d'inclure explicitement les entreprises intermédiaires qui mettent des travailleurs à disposition des plateformes. Le texte de compromis tchèque renforce les propositions de la PFUE, en intégrant, à l'article 2, une définition de l'« intermédiaire » entre la plateforme et le travailleur, pour conforter l'inclusion de cet acteur dans le champ d'application de la proposition de directive. . L'article 4 relatif à la présomption de salariat pourrait ainsi s'appliquer à des travailleurs faux-indépendants qui passeraient par une entreprise intermédiaire afin d'effectuer un travail sur une plateforme et ce, afin d'éviter tout contournement de la législation par les plateformes.

La France s'est prononcée en faveur de la proposition de la Présidence qui vise justement à éviter le contournement de la directive par les plateformes. Elle a cependant estimé que la définition proposée méritait d'être retravaillée car elle risquait, en étant trop large, de capturer des sociétés qui contractent avec les travailleurs et les plateformes pour d'autres finalités (ex : intermédiaires qui loueraient des vélos à prix réduit à des livreurs).

Par ailleurs, la présidence tchèque a proposé l'ajout d'un nouvel article (2.a), prévoyant que « les États membres veillent à ce que la plateforme de travail numérique, l'intermédiaire ou les deux soient responsables des obligations et jouissent des droits découlant de la présente directive. Les États membres veillent à ce que le recours à des intermédiaires ne conduise pas à une diminution de la protection accordée aux personnes effectuant un travail sur une plateforme ».

La Commission européenne a réagi en confirmant que tous les travailleurs, qu'il existe ou non un intermédiaire, doivent bénéficier de la même protection. Elle a cependant jugé inacceptable que la possibilité soit donnée aux États membres de transférer aux seuls intermédiaires les obligations devant incomber aux plateformes.

Par ailleurs, les rapporteurs soutiennent les modifications apportées par la présidence française, dans son texte de compromis, s'agissant de la définition des représentants des travailleurs (article 2.1.5). Le texte de la directive ne définissait les représentants que pour les travailleurs salariés, la PFUE a élargi cette définition aux représentants des travailleurs indépendants pour couvrir à la fois les représentants des salariés et ceux des autres travailleurs de plateforme qui peuvent exister dans certains États membres, comme en France.

C. MIEUX DÉFINIR LE MECANISME DE PRESOMPTION LÉGALE (CHAPITRE II)

1. Revoir les critères et le seuil fixés (article 4)

Le choix des critères et du seuil permettant d'établir la présomption légale constitue l'enjeu principal de ce texte.

a) Le seuil et la nature des critères questionnés

Deux approches cohabitent sur cette question du seuil et de la nature des critères :

· L'approche de la Commission (soutenue par certains États membres): conserver des critères les plus larges possibles, fixés dans la directive, afin d'encourager le déclenchement de la présomption de salariat pour un maximum de travailleurs, et de couvrir le maximum de cas de figures d'une économie qui n'a pas encore développé toutes ses potentialités (l'approche maximaliste consistant même à ne plus avoir de critères figurant dans le texte, pour favoriser une présomption automatique, comme le propose la rapporteure E. Gualmini) ;

· L'approche de certains États membres, dont la France : préciser les critères afin de limiter l'application de la présomption de salariat aux « vrais » travailleurs salariés, en augmentant éventuellement le seuil qui permet de déclencher la présomption (l'approche maximaliste consistant à supprimer les dispositions de la présomption légale, pour une approche non contraignante et à préférer un code de bonne conduite ou encourager les plateformes à trouver des accords avec les travailleurs pour améliorer leurs conditions de travail).

Sur cette question des critères, la Commission européenne indique justement avoir essayé de trouver des critères durables, en évitant de se référer à certaines spécificités qui pourraient évoluer. Elle s'est fondée sur la jurisprudence de la CJUE et des États membres. Ainsi, les critères définis dans l'ordonnance Yodel sont repris dans les critères d et e. De même, le critère b se retrouve dans la jurisprudence française. Sur la question du seuil, l'établissement de 2 critères sur 5 à atteindre est pour la Commission européenne un bon équilibre évitant la requalification de tous et le maintien de vrais indépendants. Dans ses travaux préparatoires, la Commission avait envisagé la hiérarchisation des critères mais a abandonné cette option trop complexe.

En tout état de cause, il semblerait que ce soit les critères a, b et c qui soulèvent le plus de difficultés, notamment pour la France, pour qui les critères a et c correspondent à la définition des plateformes à responsabilité sociale (présentes sur le secteur de la mobilité). Ces plateformes entreraient ainsi de facto dans le champ de la présomption de salariat puisque les deux critères posés par l'article 7342-1 du code du travail pour les définir (déterminer les caractéristiques et fixer le prix de la prestation de service) font partie des cinq critères proposés par la Commission dans sa directive.

Des nombreux débats existent sur chacun des critères. Ainsi, certains, par exemple, estiment que le critère c (superviser l'exécution du travail ou vérifier la qualité des résultats du travail) serait susceptible de couvrir de nombreux véritables travailleurs indépendants, puisque cette supervision fait partie des caractéristiques courantes de la relation contractuelle entre donneurs d'ordre et prestataires indépendants. La Commission considère, quant à elle, que les critères a, b et c peuvent s'appliquer aux indépendants dans une relation bilatérale avec un donneur d'ordre ; pour autant, dans une relation triangulaire avec une plateforme, elle a rappelé que c'est bien cette dernière qui est susceptible de fixer la rémunération et contrôler le travail, et non le client, et qu'elle se comporte donc comme un employeur.

Sur cette question des critères, certains - comme l'avocat Kevin Mention, spécialisé en droit du travail, ayant représenté un certain nombre de travailleurs dans des affaires de requalification, et auditionné par les rapporteurs - considèrent que les plateformes peuvent échapper à la plupart des critères, en abandonnant certaines pratiques qui constituent des éléments de subordination (comme le suivi GPS des travailleurs ou la tenue obligatoire etc.).

Sur le principe de la présomption de salariat, la France estime même qu'il serait en contradiction avec la présomption d'indépendance plus large posée par l'article L. 8221-6 du code du travail. Toutefois, pour certains observateurs, notamment Jean-Yves Frouin, ancien président de la Chambre sociale de la Cour de cassation, dans son rapport précité remis au Premier ministre en décembre 2020, cette présomption d'indépendance n'empêche pas de prévoir une présomption de salariat pour les travailleurs de plateformes, à l'instar d'autres professions qui bénéficient d'une telle exemption : « il existe en effet des précédents dans la partie septième du code du travail (cf. article L. 7313-1 du code du travail) consistant en ce que des professions essentiellement caractérisées par une grande autonomie d'exercice bénéficient d'une présomption de salariat et partant de l'application de tout ou partie des dispositions du code du travail. Il suffirait de faire la même chose avec les travailleurs des plateformes en y ajoutant le cas échéant, comme pour les professions évoquées, des dispositions propres justifiées par le particularisme de leur activité »37(*).

b) Préciser les critères et éventuellement le seuil proposés par la directive afin de limiter la présomption de salariat aux réelles situations de subordination

La PFUE, dans son texte de compromis, et les eurodéputés, dans leurs amendements au rapport Gualmini, ont proposé des modifications relatives aux critères et au seuil. La présidence tchèque a également proposé une nouvelle option sur la question des critères.

(1) Le texte de compromis de la France ne fait pas l'unanimité

La présidence française a modifié, au sein du texte de compromis, la rédaction de l'article 4 relatif à la présomption légale, non sans créer de dissensions au sein du Conseil.

La proposition de compromis précise les circonstances dans lesquelles s'appliquerait la présomption : il ne s'agirait plus du seul contrôle de l'exécution du travail, mais de la restriction de la liberté du travailleur d'organiser son travail, y compris par des sanctions, et du contrôle de l'exécution du travail par la plateforme. De ce fait, la notion de restriction de liberté, extraite du critère d, serait utilisée pour constituer une matrice pour l'ensemble des critères.

Réaction mitigée des États membres à la proposition de la PFUE

Lors du groupe de questions sociales de présentation du texte de compromis, la Belgique, la Finlande, l'Italie, les Pays-Bas et le Portugal se sont interrogés sur l'objectif poursuivi par cet ajout et sur son impact. L'Espagne et les Pays-Bas ont indiqué leur préférence pour la rédaction initiale de la Commission et la notion de contrôle. L'Italie a estimé que l'inclusion du critère de restriction de la liberté complique davantage la présomption sans clarifier le texte ; le cumul des notions de contrôle et de restriction de liberté restreignant fortement l'application de la présomption. La Hongrie a également exprimé son incompréhension sur l'application de la présomption, avec la triple dimension de la notion de restriction de la liberté, de la notion de contrôle et des critères.

La Commission a indiqué qu'elle ne pourra pas soutenir la notion de restriction de la liberté d'organiser son travail. Elle a estimé qu'un tel concept ne fait pas partie du concept juridique de subordination et qu'il donnerait l'impression que le statut par défaut est celui de l'indépendant. Elle a par ailleurs indiqué qu'à son sens, ajouter la notion de restriction de la liberté à la notion de contrôle relèverait le seuil de déclenchement de la présomption.

(2) Le texte de compromis de la présidence tchèque propose une nouvelle solution visant à encadrer les modalités de déclenchement de la présomption de salariat

Dans son texte de compromis du 19 septembre dernier, la présidence tchèque introduit ainsi une dérogation, dans le chapitre 4 sur la présomption légale, par le biais d'un nouveau paragraphe 2.a.

Si le texte de compromis tchèque reprend le principe des deux critères à remplir sur cinq, comme prévu dans la proposition de la Commission, il prévoit que, par voie de dérogation à ce principe, une relation de travail puisse ne pas être automatiquement considérée comme une relation de salariat si la plateforme ne remplit que les deux premiers critères (a et b), c'est-à-dire le fait que « la plateforme numérique de travail [...] détermine ou fixe des limites supérieures pour le niveau de rémunération par mission ou par période de travail (a)» et qu'elle exige « de la personne qui effectue le travail de la plateforme qu'elle respecte des règles spécifiques en ce qui concerne l'apparence, le comportement à l'égard du destinataire du service ou l'exécution du travail (b) ».

Ainsi, ces deux critères spécifiques ne suffiraient pas à eux seuls à déclencher la présomption légale : un troisième critère serait nécessaire.

Par ailleurs, le texte de compromis prévoit un nouveau paragraphe (2.b) à l'article 4 qui prévoit que: « le respect des obligations légales spécifiques de la plateforme numérique de travail conformément au droit de l'Union, au droit national et aux conventions collectives ou qui sont nécessaires à la protection de la santé et de la sécurité des destinataires du service n'est pas pris en compte pour évaluer si les critères du paragraphe 1 sont remplis ». Ainsi, les obligations visant à assurer la sécurité et la santé d'un travailleur, comme le port d'un casque pour un livreur à moto, par exemple, ne seraient pas prises en compte dans les critères déclenchant la présomption de salariat.

Réaction mitigée des États membres

- L'Autriche, la Pologne, la Suède, la Grèce, la Roumanie, la Bulgarie et l`Irlande ont salué la proposition de la Présidence et/ou ont proposé différents amendements visant à amoindrir la portée des critères ;

- La France a proposé l'introduction du critère c (superviser l'exécution du travail ou vérifier la qualité des résultats du travail) dans le cadre de cette dérogation au motif que ce critère ne suffisait pas à lui seul à établir un lien de subordination entre un travailleur et une plateforme. Elle a été soutenue par certains États membres comme la Lettonie, la Lituanie, l'Estonie, la Grèce et la Hongrie. Concernant le critère c, la France a d'ailleurs proposé de le retravailler pour mettre l'accent sur le degré de supervision et de contrôle et combiner de façon cumulative ces deux aspects ;

- L'Espagne, la Belgique, les Pays-Bas, l'Italie, le Portugal, le Luxembourg, Malte et la Slovénie se sont opposés à une telle dérogation arguant que cela complexifiait l'application de la présomption et amoindrissait sa portée. La Commission s'est positionnée sur cette même ligne en indiquant qu'une telle dérogation était inacceptable, puisqu'elle revenait à rehausser de facto le seuil de critères exigé de deux à trois, ce qui était inacceptable

- L'Allemagne a rappelé son soutien constructif à la proposition de la Commission. Elle a toutefois indiqué ne pas être en capacité de faire part d'une position sur ce nouveau compromis, en raison de consultations ministérielles en cours.

Sur la question de la présomption de salariat, il convient également de noter que la présidence tchèque a introduit un nouvel article (article 4a, paragraphe 3) prévoyant que l'application de la présomption légale s'applique dans toutes les procédures administratives et judiciaires pertinentes lorsque la détermination correcte du statut professionnel de la personne qui effectue le travail sur la plateforme est soit l'aspect central de la procédure, soit une question préliminaire à laquelle il faut répondre. Cet article prévoit cependant que «les procédures fiscales et pénales ne sont en revanche pas des procédures pertinentes au sens de la présente directive et les États membres peuvent décider de ne pas appliquer la présomption dans les procédures de sécurité sociale ».

Ce nouvel article ne fait pas l'unanimité parmi les États membres, certains estimant notamment que les décisions prises en matière de requalification du contrat de travail avaient des incidences en droit national sur d'autres matières, pénales, fiscales et sociales. La Commission a estimé que la directive serait grandement amoindrie si seules les procédures en matière de droit du travail devaient être concernées par la présomption.

(3) Certains amendements du Parlement européen visant un juste équilibre sont des pistes intéressantes aux yeux des rapporteurs

Les articles 4 et 5 ont fait l'objet de plusieurs dizaines d'amendements de la part des eurodéputés. Parmi ces amendements, de nombreux proposent une modification du seuil et des critères, dont certains sont particulièrement intéressants en ce qu'ils constituent un rééquilibrage du texte.

La rapporteure fictive de Renew, Lucia Ïuri Nicholsonová, et plusieurs de ses collègues dont Sylvie Brunet ont présenté des amendements suggérant de passer de l'exigence de réunir deux critères pour déclencher la présomption à une « majorité » de critères. Selon la rapporteure fictive, « il est important de souligner que la présomption légale d'une relation de travail ne doit pas conduire à une classification automatique de toutes les personnes effectuant un travail sur une plateforme » et que « les véritables travailleurs indépendants peuvent le rester et continuer à accéder au travail par le biais de plateformes ». Plusieurs autres amendements co-signés par la rapporteure fictive et plusieurs de ses collègues resserrent également les critères.

A l'instar du groupe Renew, l'eurodéputée du PPE Sara Skyttedal et plusieurs de ses collègues suggèrent qu'une « majorité » de critères doivent être remplis - au lieu des deux prévus dans la proposition de directive - tout en resserrant les critères eux-mêmes.

Les rapporteurs jugent que ces améliorations pourraient figurer dans le texte final de la directive.

Texte de la Commission

Amendements Lucia Ïuri Nicholsonová (Renew)

Amendements Sara Skyttedal (PPE)

a) déterminer effectivement le niveau de rémunération, ou en fixer les plafonds

a) déterminer de facto ou fixer le niveau de rémunération;

a) déterminer de facto le niveau total de rémunération, ou le fixer,

b) exiger de la personne exécutant un travail via une plateforme qu'elle respecte des règles impératives spécifiques en matière d'apparence, de conduite à l'égard du destinataire du service ou d'exécution du travail;

b) exiger de la personne exécutant un travail via une plateforme qu'elle respecte des règles impératives spécifiques en matière d'apparence, de conduite à l'égard du destinataire du service ou d'exécution du travail, au-delà de ce qui est requis par la loi ou de ce qui est nécessaire pour protéger la santé et la sécurité des destinataires du service ou pour garantir le bon fonctionnement du service;

b) exiger de la personne exécutant un travail via une plateforme qu'elle respecte des règles impératives étendues en matière d'apparence, de conduite à l'égard du destinataire du service ou d'exécution du travail, au-delà de ce qui est requis par la loi ou de ce qui est raisonnablement nécessaire pour protéger la santé et la sécurité ou pour garantir le bon fonctionnement du service ;

c) superviser l'exécution du travail ou vérifier la qualité des résultats du travail, notamment par voie électronique;

c) superviser étroitement l'exécution du travail ou vérifier minutieusement la qualité des résultats du travail, notamment par voie électronique, au-delà de ce qui est requis par la loi ou de ce qui est nécessaire pour protéger la santé et la sécurité des destinataires du service ou pour garantir le bon fonctionnement du service;

c) superviser l'exécution du travail, notamment par voie électronique, au-delà de ce qui est requis par la loi ou de ce qui est raisonnablement nécessaire pour protéger la santé et la sécurité ou pour garantir le bon fonctionnement du service;

d) limiter effectivement, notamment au moyen de sanctions, la liberté de la personne exécutant un travail via une plateforme d'organiser son travail, en particulier sa liberté de choisir son horaire de travail ou ses périodes d'absence, d'accepter ou de refuser des tâches ou de faire appel à des sous-traitants ou à des remplaçants;

d) limiter de facto, notamment au moyen de sanctions, la liberté de la personne exécutant un travail via une plateforme d'organiser son travail, en particulier sa liberté de choisir son horaire de travail ou ses périodes d'absence, d'accepter ou de refuser des tâches, notamment celles proposées par d'autres plateformes numériques, ou de faire appel à des sous-traitants ou à des remplaçants;

d) limiter de facto, notamment au moyen de sanctions, la liberté de la personne exécutant un travail via une plateforme d'organiser son travail, en particulier sa liberté de choisir son horaire de travail ou ses périodes d'absence, d'accepter ou de refuser des tâches ou de faire appel à des sous-traitants ou à des remplaçants;

e) limiter effectivement la possibilité de la personne exécutant un travail via une plateforme de se constituer une clientèle ou d'exécuter un travail pour un tiers.

e) limiter de facto la possibilité de la personne exécutant un travail via une plateforme de se constituer une clientèle ou d'exécuter un travail pour un tiers.

e) limiter de facto la possibilité de la personne exécutant un travail via une plateforme de se constituer une clientèle ou d'exécuter un travail pour un tiers.

Pour mémoire, les amendements, portés par Mme Gualmini, rapporteur socialiste du texte, visent à transférer une liste élargie de critères dans un considérant.

Comme indiqué précédemment, des négociations sont en cours au Parlement européen. Toutefois, selon les informations communiquées aux rapporteurs, il ne semble pas, qu'à ce stade, les amendements ci-dessous soient susceptibles d'être repris dans le texte de compromis du Parlement européen.

(4) Clarifier la marge de manoeuvre laissée aux États membres dans l'application du mécanisme de présomption ?

Par ailleurs, à des fins de clarification, il pourrait être intéressant d'ajouter un article dans le texte de la directive afin de faire apparaître plus clairement la marge de manoeuvre laissée aux autorités compétentes pour ne pas appliquer la présomption.

La Commission européenne avait en effet indiqué, lors des groupes de questions sociales avec les États membres, que ceux-ci disposaient d'une marge pour ne pas appliquer la présomption de salariat dans les cas où la relation contractuelle ne relevait manifestement pas du salariat selon les critères nationaux.

Cette clarification a été faite dans le texte de compromis de la PFUE, par l'ajout d'un paragraphe à l'article 4.3 de la directive. Toutefois, un certain nombre d'États membres et la Commission ont estimé que le texte de compromis affaiblissait la présomption proposée par la Commission et augmentait considérablement la marge de manoeuvre des États membres. Lors d'une réunion précédente, la Commission s'était montrée ouverte à une clarification possible, mais plutôt via un considérant (à la fin du considérant 24 par exemple).

Le texte de compromis de la présidence tchèque va plus loin sur cette question, puisqu'il insère un nouvel article 4.a, point 3 qui prévoit que « par dérogation au paragraphe 1, les autorités administratives nationales compétentes qui vérifient le respect ou l'application de la législation pertinente ont la possibilité de ne pas appliquer la présomption s'il est clair que la présomption serait réfutée avec succès conformément au paragraphe 2. Cette dérogation ne s'applique pas aux procédures dans lesquelles une personne effectuant un travail sur une plate-forme demande une détermination correcte de son statut professionnel. »

2. Exclure de l'application de la présomption légale les travailleurs exerçant une activité marginale via des plateformes ne semble pas une piste à suivre

Une des idées pour encadrer l'application de la présomption légale, serait d'exclure les travailleurs exerçant une activité marginale via des plateformes. Pour la Commission européenne, cela ne serait pas souhaitable, le secteur des plateformes se distinguant par une durée du travail plus réduite qui rend complexe l'établissement d'une définition et d'un seuil commun qui déterminerait valablement le caractère marginal de l'activité dans tous les États membres. La Commission a également souligné le risque de créer une incitation pour les plateformes à limiter le temps de travail dans l'objectif de contourner la présomption.

3. Revenir sur le principe d'effet suspensif des procédures visant à renverser la présomption ? (article 5)

La proposition de directive précise que la présomption de salariat doit pouvoir être renversée devant les juridictions, à charge pour les plateformes d'apporter la preuve de l'absence de lien de subordination dans la relation avec le travailleur. Cette procédure n'aurait pas d'effet suspensif sur l'application de la présomption de salariat.

Cette disposition fait débat, et deux approches s'affrontent là aussi sur ce sujet :

- certains acteurs, comme les plateformes, ou certains États, comme la France, estiment que cette absence d'effet suspensif peut conduire les acteurs économiques à devoir bouleverser leur modèle économique plusieurs fois en peu de temps, ce qui mettrait les travailleurs en difficulté. En France, en droit de la sécurité sociale, le recours devant le tribunal aux affaires sociales ou la Cour d'appel a un effet suspensif. Ainsi, l'URSSAF ne peut pas réclamer le recouvrement des sommes dues par le présumé employeur durant la procédure. En application de la directive, la plateforme concernée pourrait avoir à verser les cotisations sociales et le travailleur pourrait bénéficier des prestations correspondantes durant la procédure. En cas de renversement de la présomption de salariat à l'issue de celle-ci, de nombreux États membres se sont interrogés sur l'impact pour le travailleur concerné qui devrait rembourser l'ensemble des prestations perçues, ce qui pourrait représenter des montants non négligeables. La France considère que cette question du caractère suspensif ou non des recours devrait être laissée à la discrétion des États membres, au titre de l'autonomie procédurale dont ils jouissent.

- les partisans de l'absence de l'effet suspensif comme la Commission estiment qu'un effet suspensif risquerait d'affecter l'effectivité de la présomption.

Les États membres partagés sur cette question

Durant les derniers groupes de questions sociales, la Belgique, la Bulgarie, l'Espagne, le Luxembourg, les Pays-Bas et le Portugal se sont exprimés en faveur de l'absence d'effet suspensif d'un recours contre une décision appliquant la présomption légale.

L'Autriche, le Danemark, l'Estonie, la Finlande, la Grèce, la Hongrie, la Lettonie, la Lituanie, Malte et la Suède ont estimé que cette question devait être laissée à la main des États membres, notamment afin d'éviter des inégalités de traitement entre les travailleurs concernés par la directive et ceux qui ne le sont pas. L'Allemagne et la Bulgarie se sont également montrées a priori plutôt favorables à un effet suspensif.

D. RENFORCER L'ENCADREMENT DE LA GESTION ALGORITHMIQUE (CHAPITRE III)

Comme indiqué précédemment, dans l'ensemble, les dispositions relatives à la gestion algorithmique sont favorablement accueillies par les différents acteurs. Néanmoins, des améliorations pourraient aussi être apportées à ces chapitres de la proposition de directive.

1. Veiller à l'articulation des dispositions de la directive concernant la gestion algorithmique avec les autres textes européens existants

Sur le sujet de la protection des données et des algorithmes, plusieurs règlements européens existent déjà : le règlement 2019/1150 sur les relations entre les plateformes et les entreprises (Règlement dit « P2B »), le règlement 2016/679 général sur la protection des données (RGPD) mais également la proposition de règlement sur l'intelligence artificielle (COM (2021) 206 final), en cours de négociation.

Certains États membres et les plateformes notamment s'inquiètent du risque de « doublon » entre certaines dispositions de la directive et ces règlements européens précités.

Les rapporteurs estiment effectivement qu'il faut veiller à l'articulation de ces dispositions pour éviter les redondances inutiles. Toutefois, il leur semble, qu'en l'état actuel du texte, les dispositions de la directive ne sont pas contradictoires avec les textes existants mais viennent les compléter afin de protéger spécifiquement les travailleurs de plateformes. Les dispositions portant sur la gestion algorithmique peuvent être, selon les rapporteurs, considérées comme une lex specialis bénéficiant aux travailleurs de plateforme.

Il faudra, toutefois, veiller à l'articulation de la directive avec le projet de règlement sur l'intelligence artificielle, en cours de discussion.

Articulation des dispositions de la directive avec les autres textes européens existants sur la question des algorithmes et la protection des données

L'article 8 de la directive relative à l'évaluation humaine des décisions importantes vient préciser, pour les travailleurs de plateforme, ce qui est prévu à l'article 22 du RGPD. Ce dernier prévoit qu'en cas de décision individuelle automatisée sur la base de l'utilisation de données personnelles, le responsable du traitement « met en oeuvre des mesures appropriées pour la sauvegarde des droits et libertés et des intérêts légitimes de la personne concernée, au moins du droit de la personne concernée d'obtenir une intervention humaine de la part du responsable du traitement, d'exprimer son point de vue et de contester la décision ».

Concernant l'articulation avec la proposition de règlement sur l'intelligence artificielle (IA) le champ d'application de la présente directive est plus large puisqu'il concerne des algorithmes qui ne recourent pas nécessairement à l'intelligence artificielle.

Il existe cependant, dans la proposition de règlement sur l'IA, des éléments sur la transparence qui vont dans le même sens que l'article 6 de la proposition de directive, mais qui sont moins précis et qui ne s'appliquent qu'aux systèmes d'IA. L'article 6 de la proposition de directive semble d'ailleurs plus protecteur sur certains points (interdiction de traiter des données concernant l'état émotionnel du travailleur ou liées à des conversations privées passant par la plateforme).

De même, concernant la question de la surveillance humaine des systèmes automatisés, la proposition de règlement sur l'IA se concentre sur les systèmes d'IA. Son article 14 prévoit ainsi un contrôle effectif des systèmes d'IA par des personnes physiques pendant toute l'utilisation des systèmes d'IA à haut risque dont font pour le moment partie les systèmes de décision relatifs aux relations contractuelles liées au travail, pour l'allocation des tâches et l'évaluation de la performance notamment.

2. Préciser certaines dispositions pour renforcer la transparence de la gestion algorithmique

Plusieurs propositions peuvent par ailleurs être faites pour améliorer le texte et in fine la transparence de la gestion des algorithmes :

- à l'article 6, il pourrait être ajouté une obligation pour la plateforme d'expliquer le fonctionnement de son algorithme. L'explicabilité et l'auditabilité des algorithmes devraient être garanties ;

- au paragraphe 4 de cet article 6, il pourrait être prévu que la transmission, par les plateformes, des informations sur les algorithmes aux représentants des travailleurs et aux autorités de travail nationales se fasse de façon systématique et non sur demande de ces derniers ;

- à l'article 7, une modification serait nécessaire afin de conférer la surveillance et l'évaluation de l'incidence des risques induits par les algorithmes à des organismes tiers et non aux plateformes (paragraphe 3), notamment pour les plus importantes d'entre elles. Par ailleurs, le texte pourrait prévoir une périodicité minimale pour cette évaluation (paragraphe 1), ainsi que la transmission des résultats de ces évaluations, de façon automatique, aux travailleurs, à leurs représentants et aux autorités nationales compétentes (paragraphe 1);

- à l'article 8 (paragraphe 1), il conviendrait de préciser le délai dont dispose la plateforme pour répondre aux demandes des travailleurs concernant l'évaluation humaine des décisions importantes ;

- l'article 10 pourrait être modifié de telle sorte que l'article 9 puisse également s'appliquer aux travailleurs véritablement indépendants. À cet effet, il conviendrait de mentionner l'article 9 dans l'article 10 parmi les dispositions s'appliquant à tous travailleurs de plateforme et non seulement ceux salariés ou présumés salariés.

E. CONSERVER OU AMÉLIORER CERTAINES AUTRES DISPOSITIONS IMPORTANTES DU TEXTE

Les rapporteurs tiennent aussi à souligner les points qui leur paraissent mériter de subsister dans le texte final à l'issue des négociations entre co-législateurs.

Elles estiment notamment qu'il convient de maintenir dans le texte des dispositions spécifiques pour les petites et moyennes entreprises (PME), afin de prendre en compte leurs contraintes administratives, financières et juridiques. Il semble ainsi nécessaire de conserver à l'article 8 la possibilité d'un délai de réponse plus important pour ces entreprises face aux contestations des travailleurs sur les décisions prises par le biais d'un algorithme. De même, à l'article 12, la disposition prévoyant que la mise à jour des informations communiquées par les plateformes aux autorités des États membres soit faite à une fréquence réduite pour les PME (une fois par an et non tous les six mois) doit être conservée.

Par ailleurs, sur un autre sujet, il pourrait être intéressant d'ajouter au texte, comme le rapport Brunet de juillet 2021 le suggérait, des dispositions relatives à la lutte contre la sous-location illégale de comptes, phénomène contre lequel la France lutte (cf. encadré infra). Une proposition d'amendement du groupe Renew au rapport Gualmini a été faite en ce sens et semble intéressante. Il s'agirait d'ajouter un article au texte concernant « le travail via une plateforme non déclaré » qui pourrait être le suivant : « sans préjudice du règlement (UE) 2016/679, pour lutter contre le travail via une plateforme non déclaré, les plateformes de travail numériques veillent à l'existence de processus fiables de vérification de l'identité des travailleurs des plateformes ».

La sous-location illégale de comptes en France

Selon la DGT, il n'est pas possible de quantifier la sous-location illégale de comptes dans son ensemble. Il peut toutefois être relevé que, compte tenu de l'exigence de détention d'une carte professionnelle, la sous-location illégale est en pratique peu répandue chez les chauffeurs de VTC, alors qu'elle est plus fréquente dans le secteur de la livraison.

Les contrôles de l'inspection du travail et des autres corps de contrôle permettent, ponctuellement et à une échelle locale, d'obtenir un aperçu du phénomène. Selon les informations à la disposition de la DGT, en 2021, 26 opérations de contrôle ont porté sur le secteur de la livraison de repas. 426 livreurs ont été contrôlés, dont 63 étaient en situation de sous location de compte, soit 14,7% du total des livreurs contrôlés.

La lutte contre les situations d'exploitation rencontrées dans le cadre de la sous-location illégale fait l'objet d'une attention particulière des services de l'inspection du travail. Cette problématique a été au centre des journées d'action commune « Joint action days » (JAD) menées en 2021. Coordonnées par l'Office central de lutte contre le travail illégal (OCLTI) au sein du projet Empact d'Europol, ces journées d'action communes européennes réunissent différents corps de contrôle (en France : inspection du travail, contrôleurs des transports terrestres, gendarmes notamment) et visent à rechercher et constater des situations de traite des êtres humains aux fins d'exploitation par le travail. Ces actions permettent également de mesurer ponctuellement l'ampleur du phénomène de sous-location illégale et de remonter des éléments à la fois quantitatifs et qualitatifs.

Enfin, les plateformes se mobilisent à leur échelle afin de lutter contre la sous-traitance illicite. À ce titre, quatre plateformes de livraison de repas à domicile (Deliveroo, Uber Eats, Frichti, Stuart) ont signé, le 25 mars 2022, une charte d'engagement pour la lutte contre la fraude et la sous-traitance irrégulière. Ces plateformes se sont volontairement engagées à agir à plusieurs niveaux :

- renforcer les procédures de contrôle de l'authenticité des documents et harmoniser les standards de sécurité applicables au secteur ;

- mettre en place des contrôles fréquents de l'identité des livreurs, avant ou entre des livraisons, et y compris à distance par le biais d'outils numériques, afin d'éviter la sous-location illicite de comptes à des tiers ;

- créer un comité chargé d'assurer le suivi de la mise en oeuvre des engagements et de formuler des propositions d'amélioration, qui se réunira tous les trimestres sous l'égide des ministères respectivement chargés du travail et des transports.

Source : Réponse au questionnaire de la DGT

EXAMEN EN COMMISSION

La commission des affaires européennes s'est réunie le mercredi 5 octobre 2022, sous la présidence de M. Jean-François Rapin, président, pour l'examen du présent rapport.

M. Jean-François Rapin, président. - Chers collègues, avant d'aborder l'ordre du jour prévu pour notre réunion, je tenais à vous faire part d'un courrier que m'a adressé le Président Larcher vendredi dernier pour confier à notre commission le soin de se pencher sur la conception, le contenu et l'intention de campagnes de communication comme celle récemment lancée par la Commission européenne pour promouvoir un « prix européen de l'enseignement innovant » en s'appuyant sur un visuel montrant une enfant portant le hijab. J'entends sans délai interroger à ce sujet la Commission européenne dont je viens de rencontrer la représentante à Paris et vous informerai de sa réponse.

Nous allons entendre maintenant nos collègues Pascale Gruny et Laurence Harribey, rapporteurs pour notre commission sur les questions sociales, au sujet d'une proposition de directive, publiée par la Commission en décembre dernier, qui concerne les conditions de travail des travailleurs de plateformes.

Il s'agit d'un texte très important, sur le plan politique, pour répondre à la demande d'Europe sociale des citoyens européens. Il est particulièrement ambitieux puisqu'il établit notamment une présomption réfragable de salariat des travailleurs de plateforme. S'il a trouvé le soutien de nombreux États membres (Espagne, Italie, Belgique, Allemagne notamment), il a également suscité des craintes de la part d'autres pays, dont la France.

L'approche par le « statut », souhaitée par la Commission dans cette directive, peut, en effet, sembler se heurter à l'approche « par les droits » mise en place en France depuis plusieurs années. Il semblerait toutefois qu'un compromis soit en passe d'être trouvé au Conseil, la présidence tchèque souhaitant aboutir sur ce texte avant la fin de l'année.

Mme Pascale Gruny, rapporteur. - La proposition de directive de la Commission européenne, publiée le 9 décembre 2021, concerne un sujet hautement d'actualité, en Europe et en France : les conditions de travail des travailleurs de plateformes.

Depuis plusieurs années, nous assistons à un essor impressionnant des plateformes en ligne, notamment celles de livraison et de mobilité. Parallèlement, les contentieux augmentent, et les « affaires » se multiplient : pas plus tard que la semaine dernière, la plateforme de livraison, Stuart, propriété du groupe La Poste, était jugée pour travail dissimulé et prêt de main-d'oeuvre illicite devant le tribunal correctionnel de Paris. La plateforme a fait l'objet d'une réquisition maximale de 375 000 euros d'amende, la procureure ayant conclu à « une dissimulation généralisée de l'emploi », considérant qu'un faisceau d'indices attestait l'existence d'un lien de subordination entre Stuart et les livreurs, pourtant sous statut d'autoentrepreneurs.

Cet exemple illustre parfaitement une des principales problématiques en jeu s'agissant des travailleurs de plateformes : la question du statut professionnel. Le développement de ces plateformes pose, en effet, la question du statut de ces travailleurs, au regard de la distinction fondamentale qu'opère le droit entre travail indépendant et travail salarié. Ces travailleurs de plateformes peuvent très souvent apparaître, en effet, comme des travailleurs indépendants « économiquement dépendants », ce qui interroge sur l'adéquation de leur statut d'emploi avec la réalité de leur situation.

C'est l'objet de la directive que propose la Commission européenne : qui entend qualifier correctement le statut d'emploi de ces travailleurs, et prévoit une présomption réfragable de salariat. L'autre volet, également essentiel, de cette directive vise à encadrer la gestion des algorithmes utilisés par les plateformes, non seulement pour réguler l'offre et la demande, mais également pour organiser les conditions de travail de ces travailleurs.

Sur ce sujet, la Commission européenne, tout comme chaque législateur national, est face à une équation complexe : encadrer juridiquement un modèle économique innovant - et répondant à une demande certaine -, sans en freiner le développement. Plusieurs de nos collègues ici même, au sein de la commission des affaires sociales et dans le cadre de missions d'information temporaires, se sont penchés sur cette question. Au Sénat, depuis 2019, la question du statut des travailleurs de plateformes a ainsi fait l'objet de cinq propositions de loi et de deux missions d'information.

Pour notre part, nous nous sommes efforcés de faire un état des lieux de la question à l'échelle de l'Union européenne et d'analyser les apports et les lacunes de la proposition de directive.

Mme Laurence Harribey, rapporteure. - Nous avons mené une quinzaine d'auditions et rencontré les différentes parties prenantes : plateformes, représentants de travailleurs, avocats spécialisés et différents experts, universitaires, une députée européenne et les services de la Commission européenne.

En préambule, nous tenons à préciser que le monde des plateformes n'est pas uniforme. Il existe en effet une diversité de plateformes, au regard de leur taille ou de leur secteur d'activité : à côté de Deliveroo et d'Uber - qui a d'ailleurs donné son nom au phénomène d' « ubérisation » de l'économie - existent de plus petites plateformes : nous en avons reçues certaines, comme la plateforme d'auto-école en ligne, En Voiture Simone et la plateforme Brigad, qui met en relation des professionnels de l'hôtellerie/restauration et du médico-social avec des entreprises pour des missions de courte durée. Cette dernière plateforme soulève d'ailleurs quelques questions au regard du modèle existant des agences d'intérim.

L'économie des plateformes est en plein essor comme le montrent quelques chiffres extraits de l'étude d'impact de la Commission. Près de 800 plateformes sont aujourd'hui actives dans l'Union européenne, principalement dans le secteur de la livraison (50%). Entre 2016 et 2020, les recettes de l'économie de plateformes ont presque été multipliées par cinq dans l'Union européenne, passant de 3 milliards d'euros estimés à environ 14 milliards d'euros ; la Commission européenne recense 28 millions de travailleurs de plateforme dans l'Union européenne, et estime qu'ils seront 43 millions en 2025. Sur ces 28 millions de personnes, 5,5 millions pourraient actuellement relever d'une qualification juridique erronée. C'est une des raisons pour lesquelles la Commission a publié cette proposition de directive, qui repose, comme Pascale vous le disait, sur une approche par le « statut ».

Ce texte s'inscrit dans un contexte particulier ; il intervient, en effet, alors que seul un petit nombre d'États membres de l'Union ont adopté une législation nationale visant à améliorer les conditions de travail et/ou l'accès à la protection sociale dans le cadre du travail via une plateforme. Il nous semble ainsi important que cette problématique qui concerne tous les États membres, soit traitée au niveau européen alors même que certains États membres commencent à légiférer.

La France figure parmi ces États : elle a opté, depuis 2016, pour une approche consistant à renforcer les droits des travailleurs indépendants des plateformes en matière de travail et de protection sociale, indépendamment de la question de leur statut. A contrario, l'Espagne a adopté, en 2021, une loi imposant une présomption de salariat pour les livreurs à vélo. Les pays nordiques, quant à eux, ont également tenté de réguler, non par la loi, mais par des accords collectifs, les conditions de travail de ces travailleurs. Au Danemark, par exemple, la plateforme Hilfr, spécialisée dans les services de nettoyage, et 3F, syndicat danois comptant le plus grand nombre d'adhérents, ont signé en avril 2018 un accord sur le sujet.

Parallèlement à ces tentatives de régulation par la loi ou les conventions collectives, les contentieux se multiplient, comme vous l'indiquait ma collègue Pascale Gruny, et la jurisprudence ne semble pas encore stabilisée. S'agissant de la France, il est intéressant de noter qu'un tournant a été pris en 2018, avec deux arrêts de la Cour de cassation ; dans le premier cas, la Cour a censuré une décision ayant rejeté une demande de requalification (arrêt « Take Eat Easy »), et, dans le second (arrêt « Uber »), elle a rejeté un pourvoi contre une décision ayant admis une demande de requalification. Dans ce second arrêt - devenu un arrêt de principe -, la Cour a considéré que le lien de subordination était établi car la plateforme Uber avait donné des directives au chauffeur, dont elle a contrôlé l'exécution, et l'avait sanctionné en désactivant son compte. Plusieurs décisions contraires ont toutefois été rendues depuis lors. Il en est de même au sein de l'Union européenne, bien que la majorité des décisions semblent aller dans le sens d'une requalification de ces travailleurs en salariés.

Mme Pascale Gruny, rapporteur. - C'est dans ce contexte que la Commission a publié son texte en décembre dernier. Il a 4 objectifs principaux :

Le premier consiste à qualifier correctement le statut professionnel des travailleurs de plateforme en posant le principe d'une présomption réfragable de salariat.

La proposition de directive fournit ainsi une liste de cinq critères permettant de déterminer si la plateforme est un « employeur ». Si elle remplit au moins deux de ces cinq critères, elle est juridiquement présumée être un employeur. Il s'agit ainsi d'analyser si :

(critère a) la plateforme détermine le niveau de rémunération du travailleur ou son plafond ;

(critère b) la plateforme exige du travailleur qu'il respecte des règles impératives spécifiques en matière d'apparence, de conduite à l'égard du destinataire du service ou d'exécution du travail ;

(critère c) la plateforme supervise l'exécution du travail ou vérifie la qualité des résultats de celui-ci ;

(critère d) la plateforme limite, notamment au moyen de sanctions, la liberté du travailleur d'organiser son travail, en particulier sa liberté de choisir ses horaires de travail ou ses périodes d'absence, d'accepter ou de refuser des tâches ou de faire appel à des sous-traitants ou à des remplaçants ;

(critère e) la plateforme limite la possibilité pour le travailleur de se constituer une clientèle ou d'effectuer un travail pour un tiers.

Le texte prévoit également la possibilité de renverser la présomption de salariat, en prouvant que la relation contractuelle n'est pas une relation de salariat, un regard non pas de ces critères mais de la jurisprudence ou de la législation nationale.

Le deuxième objectif essentiel du texte est l'amélioration de la transparence, des droits des travailleurs et de la responsabilité des plateformes concernant la gestion algorithmique. Il impose ainsi aux plateformes de communiquer aux travailleurs des informations concernant le fonctionnement de leurs algorithmes, qui devront également faire l'objet d'une évaluation « humaine ». Par ailleurs, les travailleurs de plateformes auront le droit de contester des décisions automatisées.

Troisième objectif de la directive : l'amélioration du respect de la réglementation et la traçabilité du travail via une plateforme, y compris dans les situations transfrontières. Les plateformes devront ainsi déclarer le travail dans le pays où il est effectué et fournir aux autorités nationales des informations sur leurs conditions générales et sur les personnes qui travaillent par leur intermédiaire.

Quatrième et dernier objectif : le renforcement de la négociation collective et du dialogue social, rapporteur. La proposition de directive impose à la plateforme d'informer et de consulter les travailleurs des plateformes et leurs représentants sur les décisions de gestion algorithmique. Par ailleurs, elle demande aux plateformes de faciliter la mise en place de canaux de communication permettant aux personnes qui travaillent par leur intermédiaire de s'organiser et d'être contactées par les représentants des travailleurs.

Ce texte plutôt ambitieux de la Commission, notamment s'agissant du mécanisme de présomption de salariat, a suscité de vives réactions, comme vous pouvez l'imaginez.

Mme Laurence Harribey, rapporteure. - En effet, parmi les acteurs concernés, les plateformes, et notamment celles de livraison et de VTC - qui, au vu de leur fonctionnement, sont les plus concernées par la problématique du statut et les demandes en requalification- sont logiquement les parties prenantes les plus critiques vis-à-vis de ce texte. Toutefois, toutes les plateformes n'ont pas exactement le même discours, puisque certaines d'entre elles, comme Just Eat, que nous avons rencontré, ont misé, pour partie, sur la salarisation de leurs travailleurs. Pour autant, la plateforme continue à recourir à des travailleurs indépendants via notamment la plateforme Stuart déjà évoquée. Dans les faits, cette problématique du statut d'emploi n'est pas si évidente.

Côté représentants des travailleurs, des divergences existent également sur cette directive, et sur la présomption de salariat. L'Association des VTC de France et la Fédération nationale des auto-entrepreneurs (FNAE), qui sont arrivées en tête des dernières et premières élections professionnelles et que nous avons rencontrées, ont fait part de leurs inquiétudes à cet égard et se sont surtout exprimées en faveur d'une amélioration des droits des indépendants. Ce n'est pas la position de toutes les associations représentatives et notamment des syndicats traditionnels, qui défendent pour beaucoup d'entre elles la juste qualification et la présomption de salariat du travailleur comme le fait par exemple la Conférence européenne des syndicats.

Il est intéressant de noter que, d'après les sondages disponibles, notamment issus des plateformes, la majorité des chauffeurs VTC ne souhaitent pas devenir salariés. Concernant les livreurs, il est plus difficile de généraliser leurs aspirations, eu égard à la diversité des profils, mais il semblerait qu'une demande de salariat existe. Au-delà de la stricte question du statut, une chose est sûre : ces travailleurs souhaitent tous une amélioration de leurs conditions de travail.

Outre les réactions des principales parties prenantes de ce texte, la position des États membres sur le texte est intéressante, car nous sommes sur des lignes de fractures qui ne sont pas tout à fait habituelles en matière sociale. En effet, certains États comme les Pays-Bas, d'habitude plutôt réfractaires aux textes sociaux, se sont montrés favorables au mécanisme de présomption légale. A contrario, la France, pourtant fer de lance de l'Europe sociale, s'était montrée au départ très réticente à l'égard de la présomption de salariat. Sa position a toutefois évolué depuis peu. Se sentant certainement isolée parmi les autres États membres, la France a fait volte-face et soutient désormais le mécanisme de présomption de salariat proposé par la Commission. Nous y reviendrons. Une grande majorité des États semble ainsi favorable au texte, y compris à la présomption de salariat. Parmi ceux qui restent réfractaires, on trouve certains pays de l'Est qui semblent craindre pour leur avantage comparatif en matière sociale, ou certains pays scandinaves comme la Suède qui revendiquent leur modèle de négociation collective. .

Mme Pascale Gruny, rapporteur. - En parallèle des négociations au sein du Conseil, la rapporteure italienne socialiste, Mme Gualmini, a présenté son rapport sur le texte en commission de l'emploi et des affaires sociales du Parlement européen. Ce rapport - encore « plus ambitieux » si l'on peut dire que la proposition de la Commission européenne - a apporté des modifications importantes au texte sur la question des algorithmes, mais surtout sur celle du statut : la liste des 5 critères a été élargie à 11 et a été transférée d'un article vers un considérant, rendant ainsi beaucoup plus large le champ des situations susceptibles d'être requalifiées en salariat. Cette position a suscité de vives inquiétudes chez plusieurs eurodéputés, notamment du Parti populaire européen (PPE) et de Renew. Des négociations sont actuellement en cours : la rapporteure socialiste semble prête à faire des concessions, mais toutes les conditions ne semblent pour le moment pas réunies pour aboutir à un texte de compromis. Le vote sur les amendements en commission devrait avoir lieu fin octobre, pour un vote en plénière avant la fin de l'année 2022.

En l'état de la proposition de texte et des amendements de compromis, que nous avons pu consulter, le texte du Parlement nous semble effectivement « aller trop loin ». Le texte de la Commission, modifié par les présidences française puis tchèque, nous semble être plus raisonnable. Nous allons vous en expliquer les raisons.

Bien qu'imparfait, le cadre juridique que la Commission propose nous semble effectivement nécessaire et essentiel pour réguler le développement des plateformes et encadrer les conditions de travail de leurs travailleurs. En effet, les dérives constatées, la multiplication et la diversité des jurisprudences et des législations sur ce sujet qui concerne tous les pays de l'Union européenne, nous paraissent justifier une action au niveau européen.

Selon nous, il ne s'agit pas, avec ce texte, de critiquer le statut d'indépendant mais son détournement par les plateformes. Ce texte et les critères qu'il établit - certainement perfectibles, comme ma collègue Laurence Harribey vous l'indiquera - devraient conduire les plateformes à s'adapter et à supprimer les éléments de subordination dans leur relation avec les travailleurs. Cette directive est essentielle en ce qu'elle devrait inciter les plateformes à des pratiques plus vertueuses. Le but est que les travailleurs, s'ils sont indépendants de par leur statut le soient réellement dans les faits.

Cette directive peut donc constituer un moyen de revoir le rapport de force entre travailleurs et plateformes. Le renversement de la charge de la preuve est à cet égard très important ; de même que les dispositions visant à rendre les algorithmes plus transparents et accessibles.

Il est à noter qu'une partie des travailleurs, notamment les plus précaires, devraient voir leur revenus augmenter grâce au rééquilibrage opéré par la directive.

Par ailleurs, cette directive vise un objectif légitime et essentiel : créer des conditions de concurrence équitables entre les plateformes et les entreprises traditionnelles qui emploient des travailleurs salariés. La Commission européenne estime, sous toutes réserves, que les États membres percevront entre 1,6 et 4 milliards d'euros de recettes annuelles supplémentaires (cotisation sociales et impôts), dont 328 à 780 millions pour la France.

Nous soutenons donc le principe de cette directive. Mais nous voyons aussi certains axes d'amélioration possibles.

Mme Laurence Harribey, rapporteure. - Ces améliorations concernent notamment le champ d'application du texte ainsi que la question des critères, un de ses enjeux principaux. La définition du champ d'application est un exercice délicat puisqu'il doit être assez large pour éviter que certaines plateformes qui devraient légitimement en relever y échappent, mais suffisamment circonscrit pour ne pas y inclure des plateformes dont l'activité n'engendre pas les difficultés que la directive veut régler.

Nous estimons ainsi que le champ d'application pourrait être quelque peu précisé. La directive ne concerne pas les plateformes de simple mise en relation (Doctolib, blablacar, le bon coin, etc.) mais se concentre sur les plateformes qui organisent le travail des travailleurs. Dans cet esprit, il nous semble que devraient également être exclus de son champ d'application d'autres types d'acteurs, comme les plateformes à but non lucratif (les plateformes d'entraide par exemple) et les agents commerciaux.

A contrario, pour éviter tout risque de contournement par les plateformes, il nous semble nécessaire d'inclure explicitement les entreprises intermédiaires qui mettent des travailleurs à disposition des plateformes.

Par ailleurs, nous demandons une clarification du sort des centrales de réservation de taxi, afin que le mécanisme de présomption de salariat ne s'applique pas à elles car la plupart des taxis tiennent à rester indépendants.

Sur la question sensible des critères, nous estimons qu'ils doivent être précisés et proportionnés, afin que des travailleurs réellement indépendants ne soient pas abusivement requalifiés en salariés.

La proposition faite par la présidence tchèque nous semble intéressante : le texte de compromis reprend, en effet, les 5 critères retenus par la Commission mais propose que, par dérogation, les deux premiers critères qui concernent la détermination de la rémunération et le respect de règles d'apparence, ne suffisent pas à déterminer la présomption : à notre avis, un autre critère serait nécessaire. Par ailleurs, nous soutenons également la proposition tchèque qui prévoit que les obligations visant à assurer la sécurité et la santé d'un travailleur, comme le port d'un casque pour un livreur à moto par exemple, ne soient pas prises en compte dans la détermination de la présomption. Il s'agit de ne pas décourager les efforts des plateformes en cette matière.

Par ailleurs, ce sera notre dernier mot : outre la question du statut, il nous semble possible de renforcer certaines dispositions concernant la gestion algorithmique, bien que ces chapitres soient plutôt satisfaisants et que les acteurs que nous avons auditionnés y soient globalement tous favorables. Nous faisons à ce sujet quelques propositions.

De manière générale, nous vous proposons que notre commission considère cette directive comme un premier pas important pour réguler ce travail de plateforme.

M. Jean-François Rapin. - Merci Mesdames les Rapporteures. Je comprends donc que vous approuvez le compromis tchèque s'agissant de la question des critères.

Mme Laurence Harribey. - Effectivement. Pour être tout à fait honnête sur le plan intellectuel, la position que nous défendons ne reflète pas exactement les dernières propositions de la France sur le sujet. La position de la France - qui n'est pas encore une position officielle - serait de faire rentrer un troisième critère dans le champ des dérogations. Nous avons considéré qu'aller dans ce sens revenait à renoncer aux efforts de la Commission concernant le mécanisme de présomption de salariat. Nous avons estimé que la position tchèque était plus courageuse ou du moins plus consensuelle et qu'elle permettrait également de réels progrès dans l'encadrement des plateformes. Néanmoins, la position française n'est à ce jour pas encore arrêtée.

Mme Christine Lavarde. - Du point de vue du code de travail, les travailleurs de plateforme n'ont pas les mêmes obligations en termes de temps de travail. Par exemple, un chauffeur dans une entreprise de poids lourds pourra travailler au maximum 9 heures par jour avec la possibilité de faire 10 heures un jour dans la semaine alors qu'un autoentrepreneur travaillant pour plusieurs plateformes peut cumuler plusieurs contrats avec ces plateformes et travailler 10 à 14 heures par jour. Est-ce que cette directive vient apporter des réponses à ce type d'inégalité ?

Mme Pascale Gruny. - Non, car il s'agit ici d'une question qui relève du droit des États membres. L'Union européenne vient principalement en appui des États membres, ne disposant en matière sociale que d'une compétence partagée pour certains aspects définis par les traités. J'ai été rapporteur, au Parlement européen, sur un texte concernant le temps de travail des conducteurs routiers indépendants, la législation européenne étant déjà établie pour les routiers salariés. Sur ce point-là nous avons rencontré des difficultés dans les pays de l'Est où des routiers indépendants pouvaient travailler jour et nuit sans limites. Désormais, un cadre européen existe qui laisse néanmoins la latitude aux États membres de l'adapter à leurs contraintes.

Mme Laurence Harribey. - La question de notre collègue Christine Lavarde est très importante, et doit être mise en relation avec celle de la base juridique de cette directive. La Commission a choisi de légiférer sur les conditions de travail, en s'appuyant sur une approche par le statut via la présomption de salariat, pour améliorer les conditions de travail des travailleurs des plateformes par le biais du droit européen. Elle a fait preuve de courage. Le choix de l'article 153 (1), point (b), du TFUE comme base juridique permet ainsi au Conseil de statuer à la majorité qualifiée. Ce n'est pas une directive sur le travail indépendant, mais un texte qui a pour but d'encadrer les dérives des plateformes, en visant la juste qualification du statut professionnel de ces travailleurs. La directive n'entrave pas la capacité d'indépendance des travailleurs, un principe essentiel du marché unique.

L'exercice juridique n'est pas si facile que cela, c'est toute la question de l'Europe sociale. Néanmoins, cette directive permet de grandes avancées sur quatre axes : (1) elle encadre juridiquement ce modèle des plateformes au niveau européen ; (2) elle pose le principe de la présomption de salariat avec une approche par le statut ; (3) elle prévoit que ce mécanisme de présomption soit réfragable avec renversement de la charge de la preuve en direction des plateformes et non plus des travailleurs ; et (4) elle vise à réguler les dérives des plateformes sans supprimer le travail indépendant en Europe.

Mme Pascale Gruny. - Le temps de travail des taxis en région parisienne est très encadré, ce qui n'est pas le cas en province. Déjà, à l'échelle nationale, nous voyons donc des disparités. La directive permettra également d'améliorer les conditions de travail des travailleurs indépendants.

Mme Florence Blatrix Contat. - Je félicite les rapporteurs pour leur travail et me réjouis de ce texte qui matérialise cette Europe sociale tant attendue et qui a souvent déçu. C'est un texte très important pour l'Union Européenne, une réelle avancée. La question des algorithmes est essentielle - nous le voyons dans de nombreux domaines - : lutter contre l'opacité de ces algorithmes est important. Bien entendu, la protection de la partie faible est toujours pour nous une priorité, et je trouve que la directive a su trouver ici un compromis en permettant le travail indépendant quand il est souhaité et la protection de la partie faible dans d'autre cas. J'aurai cependant une question sur les auditions que vous avez réalisées auprès de plateformes coopératives : quelles sont les différences de pratique ? Le salariat est-il systématique ?

Mme Laurence Harribey. - Les plateformes coopératives sont une forme de réponse mais l'objet de la directive est de mettre fin aux détournements et aux déviances des grandes plateformes. Les plateformes coopératives ne sont pas opposées à cette directive mais se sentent peu concernées. Ces plateformes permettent aux indépendants d'être co-opérateurs et de devenir salariés de la coopérative. La mécanique de mise en relation existe mais la prestation est payée à la coopérative et les travailleurs sont salariés. L'objectif de cette directive n'est pas d'inclure dans son champ d'application les plateformes de simple mise en relation, mais vise les grandes plateformes, qui entretiennent la confusion.

M. Pierre Ouzoulias. - Je vous remercie pour la qualité de ce rapport qui permet de saisir les avancées de l'Europe dans ce domaine. On y constate la voie favorable prise par la Commission en matière de protection sociale. Cependant, une question fondamentale demeure : est-ce que le travail tel que nous le connaissons pourra perdurer ? L'entreprise aura-t-elle encore de la valeur ou ne risque-t-elle pas d'être totalement dissoute dans une mise en relation des uns avec les autres qui ferait que le lien social indispensable entre employeurs et salariés disparaîtrait totalement ? Si nous perdons ce lien, nous perdrons non seulement la notion de salarié mais aussi d'entrepreneur. Il est fondamental pour notre démocratie, et pour notre économie, de montrer les risques si nous allons trop loin dans cette économie des plateformes. Il serait terrifiant d'imaginer demain des usines qui soient le rassemblement de travailleurs indépendants, à l'intérieur desquelles il n'y aurait plus aucun lien social.

Mon groupe émet une légère réserve. Nous pensons qu'il aurait été très intéressant de réintroduire dans cette proposition les demandes très fortes de nos collègues Florence Blatrix Contat et Catherine Morin-Desailly sur la transparence des algorithmes présentées dans leur rapport d'information n° 274 sur le projet de règlement sur les services numériques (Digital Services Act - DSA). La culture algorithmique infiltre des champs de relations sociales immenses. Il faut garantir la transparence de ces algorithmes et la capacité d'acteurs tiers à les vérifier pour des personnes qui ne possèdent pas toutes les compétences requises pour comprendre tout ce que ces algorithmes impliquent. Il faut réintroduire de la décision et de la critique citoyenne en la matière.

Mme Pascale Gruny. - Sur la question des algorithmes, cette proposition de directive vient en complément d'autres textes déjà publiés par la Commission, mais dont certains sont encore en cours de discussion. Effectivement, nous avons inclus toutes ces réserves dans notre rapport. La proposition de directive comporte des dispositions obligeant les plateformes à transmettre des informations aux travailleurs sur les algorithmes utilisées. Nous proposons de renforcer cette transparence de la gestion algorithmique. L'application de ces obligations prendra du temps et nécessitera évidement du contrôle.

S'agissant du lien social, il est essentiel mais nous voyons qu'il évolue énormément. Nombre de jeunes préfèrent créer leur entreprise et ne souhaitent plus travailler dans des entreprises telles que nous les connaissions. Ce sont des éléments que nous devons avoir à l'esprit dans nos réflexions sur le modèle économique et social du monde du travail de demain.

M. André Reichardt. - Je voudrais à mon tour saluer la qualité du travail des rapporteurs et l'intelligence de leurs réflexions en la matière, ainsi que le courage de la Commission. Proposer dans une directive une présomption de salariat est un acte fort, inattendu. On est certes ici dans l'amélioration des conditions de travail dans le cadre du travail via une plateforme mais je voudrais tout de même faire le lien avec la réflexion qui a lieu dans notre propre pays concernant le statut d'autoentrepreneur.

Ce statut - innovation française d'un ministre qui émet désormais des réserves - a pu donner lieu à toute une série de dérives. La Chambre de commerce et d'industrie (CCI France), la Chambre des métiers et de l'artisanat (CMA France) ou l'U2P (Union des entreprises de proximité) ont fait des constats sévères sur l'utilisation du statut d'autoentrepreneur dans notre pays. Certains évoquent même l'utilisation de l'auto-entreprenariat pour blanchir le travail au noir. Certains estiment que 70 % des autoentrepreneurs ne déclarent aucun chiffre d'affaires ; on se demande à quoi sert encore le contrôle. Il y a là une piste de travail visant à améliorer les conditions de travail, pas seulement dans le cadre des plateformes mais dans un cadre plus général. Il faut du courage pour faire face aux dérives auxquelles nous assistons à l'heure actuelle. La Commission a publié une directive qui va dans le bon sens et nous pouvons, à partir de là, réfléchir plus largement à la question des conditions de travail dans notre pays.

Mme Pascale Gruny. - C'est un sujet compliqué. Quand je disais que beaucoup de jeunes veulent créer leur entreprise, ils démarrent en fait souvent avec un statut d'autoentrepreneur, ce qui peut être une solution temporaire intéressante pour démarrer une activité. Ce statut a quand même évolué, bien qu'il puisse toujours donner lieu aux dérives qui viennent d'être évoquées. Aujourd'hui, il y a ceux qui ne gagnent rien du tout avec leur statut, et ceux qui travaillent beaucoup et qui, par conséquent, atteignent les plafonds de chiffre d'affaires autorisés sous ce statut et sont ainsi contraints de passer dans des modèles de société différents. Ces modèles sont néanmoins d'une complexité telle qu'ils ne sont pas favorables à la création initiale d'une entreprise.

Parmi ceux qui contestent le statut d'autoentrepreneur, figurent essentiellement des professionnels du secteur du bâtiment. La question du travail non déclaré est bien évidemment à prendre en compte mais cette semaine à la Chambre des métiers, nous sommes convenus qu'il n'est pas normal d'utiliser à long terme ce statut d'autoentrepreneur, bien qu'il soit utile pour démarrer une activité.

M. Victorin Lurel. - A l'instar de mes collègues, je remercie les rapporteurs. Pouvez-vous nous dire quel est le rapport de force politique sur cette proposition de directive ? Je comprends que la France a fait volteface sur la question du mécanisme de présomption de salariat : est-ce une position stabilisée ? J'ai cru comprendre que le groupe des socialistes et démocrates (S&D), au Parlement européen, considérait cette proposition comme un recul, tandis que le Parti populaire européen (PPE) est divisé. Quel est l'avenir de ce texte ? Y a-t-il des chances raisonnables que la proposition tchèque soit suivie par les autres États membres ?

Mme Laurence Harribey. - La situation politique n'est pas complètement stabilisée, c'est le jeu de l'Europe. C'est normal que le S&D soit rétif car la position de leur rapporteure au Parlement allait très au-delà de la proposition de la Commission. La Commission a fait une proposition courageuse, mais on voit au Parlement européen - c'est le jeu - une surenchère pour sécuriser et aboutir à un texte final de compromis.

La volteface du gouvernement français est très positive. Tout n'est pas stabilisé mais on devrait arriver à une solution de compromis. La rapporteure socialiste du Parlement européen a déclaré être ouverte aux discussions. Initialement, elle avait proposé de transférer les critères vers les considérants.

Mme Pascale Gruny. - Au-delà du rapport de force politique, il y a le rapport de force entre États membres. Au sein du groupe PPE, il y a également des divisions. Le rapporteur fictif du texte - un député allemand du PPE - est accusé d'être trop à gauche. Avec le Président Rapin et notre collègue Florence Blatrix Contat, nous sommes allés à Madrid la semaine dernière et nous avons pu interroger nos collègues espagnols sur cette proposition de directive. Ils considèrent que le texte ne va pas encore assez loin, étant donné qu'ils sont en avance sur cette question dans leur législation nationale.

M. Didier Marie. -Je salue l'initiative de la Commission de mettre un texte de cette nature sur la table pour encadrer cette ubérisation de l'économie qui ne fait que s'accroître. Cette directive devra être transposée en droit national et nous aurons à notre niveau l'opportunité d'améliorer certaines dispositions. J'ai deux interrogations. La première concerne les conséquences de cette forme de travail sur l'accès et le financement de la protection sociale en France. Manifestement, l'encadrement des algorithmes devrait permettre d'éviter l'exploitation des failles qui existent dans ce système. Quelles sont les possibilités nouvelles en matière de protection sociale qui seraient offertes aux travailleurs qui seraient rétablis dans un statut de salarié ? Quelles conséquences sur le financement de notre modèle social à l'échelle nationale et à l'échelle européenne ?

Ma deuxième question concerne les travailleurs étrangers. Sait-on si les travailleurs étrangers des plateformes ont un statut de travailleur indépendant ? S'ils l'ont, sait-on si cela leur ouvre des droits de séjour ? Considérez-vous que la requalification potentielle en travailleur des plateformes soit susceptible d'améliorer leurs conditions de vie et de leur ouvrir des perspectives de régularisation ? Aujourd'hui, il y a une véritable exploitation de filières de travailleurs étrangers par ces plateformes.

Mme Pascale Gruny. - Sur la question de la protection sociale, c'est le droit national qui s'applique une fois que le travailleur sera requalifié en salarié. Concernant les travailleurs indépendants, le renforcement du dialogue social est essentiel. Sur la question des travailleurs étrangers, ils doivent évidemment être en règle pour pouvoir travailler en France.

Mme Laurence Harribey. - A partir du moment où il y a requalification en salariat, la sous-location de compte est illégale. Or la question des travailleurs étrangers est souvent liée aux sous-locations illégales de comptes. La proposition de directive devrait contribuer à la diminution de ce phénomène. S'agissant de la protection sociale, le renversement de la charge preuve concernant la présomption de salariat est fondamental, d'autant que le recours initié par la plateforme n'aura pas d'effet suspensif. Cette absence d'effet suspensif est essentielle, bien que des problèmes de remboursement - par exemple de cotisations sociales - risquent de se poser. Certaines plateformes souhaitaient conserver un effet suspensif à la procédure pour gagner du temps mais l'effet non-suspensif permet de garantir l'effectivité du mécanisme de présomption de salariat. En prévoyant cette présomption réfragable de salariat, la proposition de directive va conduire à faire un tri entre les plateformes, en particulier celles dont le modèle économique n'est pas viable.

Mme Pascale Gruny. - J'étais plus réservée sur la question de l'effet non-suspensif au vu des conséquences en cas de changement de qualification à l'issue de la procédure, mais je comprends son intérêt. La proposition de directive vise, avant tout, à contrôler les dérives de ces plateformes, et leur utilisation abusive du statut d'indépendant ainsi qu'à protéger les travailleurs vulnérables.

La commission autorise la publication du rapport d'information et adopte la proposition de résolution européenne, disponible en ligne sur le site du Sénat, ainsi que l'avis politique qui en reprend les termes et qui sera adressé à la Commission européenne.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE

RELATIVE À L'AMÉLIORATION DES CONDITIONS DE TRAVAIL DANS LE CADRE DU TRAVAIL VIA UNE PLATEFORME

Le Sénat,

Vu l'article 88-4 de la Constitution,

Vu le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE), notamment l'article 153, paragraphe 1, point b) et paragraphe 2, point b), ainsi que l'article 16,

Vu la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, et notamment les articles 8, 16, et 31,

Vu le socle européen des droits sociaux, et notamment le principe n° 5,

Vu la communication de la Commission du 14 janvier 2020 intitulée «Une Europe sociale forte pour des transitions justes», COM(2020) 14 final,

Vu la communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions du 4 mars 2021 intitulée «Plan d'action sur le socle européen des droits sociaux », COM(2021) 102 final,

Vu la communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions du 4 mars 2021 intitulée « De meilleures conditions de travail pour une Europe sociale plus forte: tirer pleinement parti de la numérisation pour l'avenir du travail », COM(2021) 761 final,

Vu la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative à l'amélioration des conditions de travail dans le cadre du travail via une plateforme, COM(2021) 762 final,

Vu l'étude d'impact de la Commission européenne accompagnant la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative à l'amélioration des conditions de travail dans le cadre du travail via une plateforme, SWD(2021) 396 final/2, et notamment l'étude intitulée « Study to support the impact assessment of an EU Initiative on improving the working conditions of platform workers » (Étude étayant l'analyse d'impact d'une initiative de l'UE sur l'amélioration des conditions de travail des travailleurs des plateformes), 2021,

Vu les textes de compromis du Conseil sur la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative à l'amélioration des conditions de travail dans le cadre du travail via une plateforme, publiés respectivement les 19 mai et 19 septembre 2022 sous présidence française et tchèque (2021/0414(COD)),

Vu le rapport de Mme Sylvie Brunet du 27 juillet 2021, fait au nom de la commission de l'emploi et des affaires sociales du Parlement européen, sur des conditions de travail, des droits et une protection sociale justes pour les travailleurs de plateformes - nouvelles formes d'emploi liées au développement numérique, 2019/2186(INI),

Vu le projet de rapport de Mme Elisabetta Gualmini, fait au nom de la commission de l'emploi et des affaires sociales du Parlement européen du 3 mai 2022 (2021/0414(COD)) ;

Vu la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels,

Vu la loi n° 2019-1428 du 24 décembre 2019 d'orientation des mobilités,

Vu l'ordonnance n° 2021-484 du 21 avril 2021 relative aux modalités de représentation des travailleurs indépendants recourant aux plateformes,

Vu l'ordonnance n° 2022-492 du 6 avril 2022 renforçant l'autonomie des travailleurs indépendants des plateformes de mobilité, portant organisation du dialogue social de secteur et complétant les missions de l'Autorité des relations sociales des plateformes d'emploi,

Vu la proposition de loi n° 717 (2018-2019) relative au statut des travailleurs des plateformes numériques, déposée au Sénat le 11 septembre 2019 par M. Pascal Savoldelli et ses collègues du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et Écologiste,

Vu la proposition de loi n° 155 (2019-2020) visant à rétablir les droits sociaux des travailleurs numériques, déposée au Sénat le 28 novembre 2019 par Mme Monique Lubin et ses collègues du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain,

Vu la proposition de loi n° 187 (2020-2021) relative à la protection des travailleurs indépendants par la création d'un devoir de vigilance, à la défense du statut de salarié et à la lutte contre l'indépendance fictive, déposée au Sénat le 4 décembre 2020 par M. Olivier Jacquin et plusieurs de ses collègues du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain,

Vu la proposition de loi n° 426 (2020-2021) visant à lutter contre l'indépendance fictive en permettant des requalifications en salarié par action de groupe et en contrôlant la place de l'algorithme dans les relations contractuelles, déposée au Sénat le 4 mars 2021 par M. Olivier Jacquin et plusieurs de ses collègues du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain,

Vu la proposition de loi n° 852 (2021-2022) relative aux travailleurs en situation de dépendance économique vis-à-vis des plateformes numériques, déposée au Sénat le 2 août 2022 par M. Bruno Retailleau, Mme Frédérique Puissat et plusieurs de leurs collègues du groupe Les Républicains,

Vu le rapport d'information du Sénat n° 452 (2019-2020) de M. Michel Forissier, Mmes Catherine Fournier et Frédérique Puissat, fait au nom de la commission des affaires sociales, « Travailleurs des plateformes : au-delà de la question du statut, quelles protections ? » , déposé le 20 mai 2020,

Vu le rapport d'information du Sénat n° 867 (2020-2021) de M. Pascal Savoldelli, fait au nom de la mission d'information, « L'ubérisation de la société : quel impact des plateformes numériques sur les métiers et l'emploi ? Plateformisation du travail : agir contre la dépendance économique et sociale », déposé le 29 septembre 2021,

Vu le rapport d'information du Sénat n° 759 (2020-2021) de Mme Martine Berthet, MM. Michel Canévet et Fabien Gay, fait au nom de la délégation aux entreprises, « Évolution des modes de travail, défis managériaux : comment accompagner entreprises et travailleurs ? », déposé le 8 juillet 2021,

Vu le rapport d'information de l'Assemblée nationale n° 3789 (quinzième législature) de Mmes Carole Grandjean et Danièle Obono, fait au nom de la commission des affaires européennes sur la protection sociale des travailleurs des plateformes numériques, déposé le 20 janvier 2021,

Vu l'étude de la division de la législation comparée du Sénat n° 296 sur le statut des travailleurs de plateformes numériques publiée en octobre 2021,

1. Sur l'opportunité de la proposition de directive

Considérant que le développement des plateformes va s'amplifier dans les années qui viennent, la Commission européenne estimant que les travailleurs de ces plateformes seront 43 millions en 2025, contre 28 millions aujourd'hui ;

Considérant que, sur les 28 millions de personnes qui travaillent aujourd'hui par l'intermédiaire de plateformes au sein de l'Union européenne, 5,5 millions pourraient actuellement relever d'une qualification juridique erronée ;

Considérant que certaines personnes travaillant par l'intermédiaire de plateformes ne bénéficient pas des droits en matière de travail et de protection sociale qui découleraient d'un statut professionnel, parmi lesquels le droit à un salaire minimum (quand il existe), à la réglementation du temps de travail et à la protection de la santé au travail, aux congés payés ou à un meilleur accès à la protection contre les accidents du travail, aux prestations de chômage et de l'assurance maladie, ainsi qu'aux pensions de retraite ;

Considérant que ce modèle d'ubérisation présente des dérives mais qu'il répond également à une aspiration à l'indépendance de certains travailleurs et présente des atouts, notamment en termes d'accès au marché du travail des publics les plus éloignés de l'emploi ;

Considérant que la question du statut et des conditions de travail des travailleurs de plateforme concerne tous les États membres de l'Union européenne, qui font face à une multiplicité et une diversité de législations et jurisprudences sur le sujet ;

Considérant que jusqu'ici, seul un petit nombre d'États membres de l'Union européenne (UE) ont adopté une législation nationale visant à améliorer les conditions de travail et/ou l'accès à la protection sociale dans le cadre du travail via une plateforme ;

Estime qu'il est nécessaire d'encadrer juridiquement à l'échelle européenne ce modèle économique innovant, sans en freiner le développement, et accueille ainsi favorablement la proposition de directive de la Commission visant à réguler le développement des plateformes et encadrer les conditions de travail des travailleurs en relevant ;

Approuve le choix de la Commission de ne pas avoir établi un troisième statut dans son texte, les exemples européens - en Italie, Espagne ou au Royaume-Uni - prouvant, en effet, que la création d'un tel tiers-statut n'empêche pas de nombreuses actions en requalification ;

Soutient l'ambition, poursuivie par cette directive, de rééquilibrer le rapport de force entre travailleurs et plateformes, et d'inciter les plateformes à des pratiques plus vertueuses ;

Estime que cette directive apportera une meilleure sécurité juridique aux différents acteurs, tout du moins sur le long terme dans la mesure où le contentieux qui en résultera ne devrait probablement pas diminuer à court terme ;

Adhère à l'objectif de créer des conditions de concurrence équitables entre les plateformes et les entreprises traditionnelles qui emploient des travailleurs salariés, d'autant que - selon les estimations de la Commission européenne - il devrait en résulter pour les États membres de l'UE entre 1,6 et 4 milliards d'euros de recettes annuelles supplémentaires (cotisations sociales et impôts), dont 328 à 780 millions pour la France.

2. Sur la base juridique du texte

Considérant que l'articulation des deux bases juridiques du texte (articles 153, paragraphes 1 et 2, point b) et 16 du TFUE) et leur application aux travailleurs salariés, d'une part, et travailleurs indépendants, d'autre part, n'apparait pas assez clairement dans la proposition de directive ;

Estime nécessaire de clarifier le texte en distinguant mieux les dispositions applicables aux « travailleurs de plateforme » (travailleurs salariés) et les dispositions applicables aux « personnes exécutant un travail via une plateforme » (travailleurs indépendants) ;

3. Sur le champ d'application de la directive (Chapitre I)

Considérant qu'un des enjeux principaux de la proposition de directive est son champ d'application et la définition des plateformes qui y seraient soumises ;

Considérant la difficulté à trouver un équilibre entre un champ d'application assez large afin d'éviter que certaines plateformes qui devraient légitimement en relever y échappent, mais suffisamment circonscrit pour ne pas y soumettre des plateformes dont l'activité n'engendre pas les difficultés que la directive entend régler ;

Estime que le champ d'application de la proposition de directive doit être précisé, pour cibler les plateformes les plus concernées, notamment celles de services organisés (livraison repas et mobilité) ;

Approuve le considérant 18 et l'article 2.2 de la proposition de la directive qui excluent de son champ d'application les vraies plateformes de mise en relation qui notamment se bornent à fournir aux prestataires de service les moyens d'atteindre l'utilisateur final ou dont l'objectif principal est d'exploiter ou partager des actifs ;

Demande que soient également exclus du champ d'application de la proposition de directive d'autres types d'acteurs, comme les plateformes à but non lucratif (les plateformes d'entraide, telles les plateformes de voisinage) et les agents commerciaux, dans la mesure où leur activité est fondée sur la vente de biens et non pas sur la prestation de travail ;

Souhaite, en revanche, que soient incluses explicitement dans le champ d'application de la proposition de directive les entreprises intermédiaires qui mettent des travailleurs à disposition des plateformes, afin de prévenir tout contournement de la législation par les plateformes ;

Préconise que soit clarifié le sort des centrales de réservation de taxi afin que le mécanisme de présomption de salariat ne leur soit pas applicable, soit en excluant ces centrales du champ d'application de la proposition de directive, soit en révisant les critères permettant d'établir une présomption de salariat ;

Demande que la notion de « représentants des travailleurs », figurant dans la proposition de directive, ne renvoie pas uniquement aux représentants des travailleurs salariés, mais également à ceux des travailleurs indépendants afin de couvrir à la fois les représentants des salariés et ceux des autres travailleurs de plateforme qui peuvent exister dans certains États membres, comme en France ;

4. Sur le mécanisme de présomption légale de salariat (chapitre II)

a) Sur la liste des critères et le seuil

Considérant que le choix des critères et du seuil permettant d'établir la présomption légale de salariat constitue l'enjeu principal de la proposition de directive ;

Considérant que l'article 4 de la proposition prévoit cinq critères de contrôle permettant de déterminer si la plateforme est un employeur et dispose que si la plateforme remplit au moins deux de ces cinq critères, elle est juridiquement présumée être un employeur ;

Souhaite que soient précisés les critères et éventuellement que soit assoupli le seuil proposés par la directive afin de réserver la présomption de salariat aux situations réelles de subordination et d'éviter de requalifier en salariés des travailleurs qui seraient de « vrais » indépendants ;

Soutient, sur ce point, le texte de compromis présenté par la présidence tchèque le 19 septembre 2022 qui conserve les cinq critères et le déclenchement de la présomption de salariat dès lors que deux de ces cinq critères sont remplis, mais prévoit deux assouplissements : le premier écartant la présomption de salariat si la plateforme ne remplit que les deux premiers critères (a et b), le second prévoyant que le respect des obligations légales spécifiques de la plateforme ou nécessaires à la protection de la santé et de la sécurité des destinataires du service ne soit pas pris en compte dans l'analyse des critères ;

b) Sur le principe du renversement de la charge de la preuve

Considérant que la proposition de directive précise que la présomption de salariat doit pouvoir être renversée devant les juridictions, à charge pour les plateformes d'apporter la preuve de l'absence de lien de subordination dans la relation avec le travailleur ;

Soutient ce mécanisme de renversement de la charge de la preuve, essentiel pour rééquilibrer le rapport de force entre travailleurs et plateformes ;

c) Sur la marge de manoeuvre laissée aux États membres dans l'application du mécanisme de présomption

Considérant que la Commission européenne avait indiqué, lors des réunions préparatoires au Conseil, que les États membres disposaient d'une marge de manoeuvre pour ne pas appliquer la présomption de salariat dans les cas où la relation contractuelle ne relevait manifestement pas du salariat selon les critères nationaux ;

Propose, à des fins de clarification, d'ajouter un article dans la directive afin de reconnaître plus clairement la faculté des autorités nationales compétentes à ne pas appliquer la présomption.

5. Sur la gestion des algorithmes (chapitre III)

a) Sur l'articulation des dispositions de la directive concernant la gestion algorithmique avec les autres textes européens existants

Considérant qu'en matière de protection des données et des algorithmes, la proposition de directive viendrait s'ajouter à plusieurs règlements européens existants : le règlement n° 2019/1150 sur les relations entre les plateformes et les entreprises (règlement dit « P2B »), le règlement général n° 2016/679 sur la protection des données (RGPD) ainsi que la proposition de règlement sur l'intelligence artificielle (COM (2021) 206 final), en cours de discussion ;

Estime qu'il convient de veiller à l'articulation de la proposition de directive avec ces textes et notamment avec la proposition de règlement sur l'intelligence artificielle ;

b) Sur les dispositions relatives à la transparence et à la surveillance des algorithmes

Considérant que les plateformes utilisent des algorithmes pour faire correspondre l'offre et la demande de travail, mais également pour assigner des tâches aux personnes qui travaillent par leur intermédiaire, surveiller et évaluer ces personnes et prendre des décisions les concernant ;

Considérant que cette gestion algorithmique peut avoir des conséquences importantes sur les conditions de travail des travailleurs, que la transparence de ces algorithmes est actuellement insuffisante, et que les travailleurs ne disposent pas d'un accès efficace à des voies de recours contre les décisions prises ou appuyées par ces systèmes ;

Soutient les dispositions de la proposition de directive qui permettent de répondre à certains déséquilibres dans ce domaine, comme les asymétries d'information, dans la relation entre travailleurs et plateformes;

Préconise de renforcer certaines dispositions concernant la transparence et la surveillance de la gestion des algorithmes, en particulier :

- l'article 6, en prévoyant que la transmission des informations sur les algorithmes par les plateformes aux représentants des travailleurs et aux autorités de travail nationales se fait de façon systématique et non sur demande de ces derniers ;

- l'article 7, en conférant la surveillance et l'évaluation de l'incidence des risques induits par les algorithmes à des organismes tiers et non aux plateformes (paragraphe 3), notamment pour les plus importantes d'entre elles, et en prévoyant une périodicité minimale pour cette évaluation (paragraphe 1) ainsi que la transmission automatique des résultats des évaluations aux travailleurs, à leurs représentants et aux autorités nationales compétentes (paragraphes 1 et 2) ;

6. Sur le dialogue social (chapitres III et IV) et les initiatives sociales des plateformes

Considérant que le dialogue social et l'acquisition de droits collectifs participent à l'amélioration des conditions de travail des travailleurs de plateformes ;

Soutient les articles visant à renforcer ce dialogue et la représentation collective tels l'article 9 qui prévoit l'information et la consultation des travailleurs des plateformes et de leurs représentants sur les décisions de gestion algorithmique, ou l'article 15 qui impose aux plateformes de faciliter la mise en place de canaux de communication permettant aux travailleurs de s'organiser et d'être contactés par leurs représentants ;

Appuie le projet de lignes directrices précisant l'application du droit de la concurrence de l'UE aux conventions collectives des travailleurs indépendants, complément indispensable à la proposition de directive ;

Considérant que la directive ne doit pas brider les initiatives sociales entreprises par les plateformes ;

Salue le considérant 23 de la proposition de directive, qui précise que le financement de prestations de protection sociale, la mise en place d'une assurance accidents ou d'autres types d'assurance, les mesures de formation ou les prestations similaires en faveur des travailleurs non-salariés ne devraient pas être considérés comme des éléments déterminants de subordination ;

7. Sur d'autres dispositions de la proposition de directive

Considérant qu'il ne faut pas imposer des contraintes administratives, financières et juridiques trop lourdes aux petites et moyennes entreprises (PME) ;

Préconise de maintenir, dans le texte, des dispositions spécifiques aux PME, notamment:

-à l'article 8, un délai de réponse plus important pour ces entreprises en cas de contestations par les travailleurs des décisions prises par le biais d'un algorithme ;

-à l'article 12, une fréquence réduite pour les PME dans la mise à jour des informations communiquées par les plateformes aux autorités des États membres ;

Considérant que la sous-location illégale des comptes est une pratique assez fréquente et préjudiciable dans le domaine du travail de plateforme, notamment dans le secteur de la livraison ;

Demande l'ajout d'un article concernant le travail via une plateforme non déclaré et prévoyant que les plateformes de travail numériques mettent en place des processus fiables de vérification de l'identité des travailleurs des plateformes ;

Invite le Gouvernement à soutenir ces orientations et à les faire valoir dans les négociations à venir.

ANNEXES

Annexe 1 : comparatif des couvertures sociales des salariés et des travailleurs de plateformes en France

Type de couverture

Salariés

Travailleurs de plateformes

Frais de santé

Sécurité sociale

Arrêts maladie

· Indemnités journalières égales à 50 % du salaire journalier brut dans la limite de 1,8 SMIC, soit une indemnité maximale de 45,55 euros par jour.

· Délai de carence de trois jours.

· Indemnités journalières égales à 1/730e du revenu d'activité annuel moyen des trois dernières années civiles dans la limite du plafond de la sécurité sociale, soit une indemnité maximale de 56,35 euros par jour.

· Délai de carence de trois jours.

· L'indemnité journalière est nulle pour les micro-entrepreneurs dont le revenu annuel moyen est inférieur à 4 046,40 euros en 2021, sauf pour les micro-entrepreneurs versant une cotisation minimale (sur option).

Accidents du travail/maladies professionnelles

· Branche AT-MP de la sécurité sociale.

· L'indemnité journalière est égale à 60 % (80 % après 28 jours) du salaire journalier de référence, égal à 1/30,42 du salaire brut du mois civil précédant l'arrêt de travail.

· Ce salaire journalier ne peut excéder 0,834 % du plafond annuel de la sécurité sociale, soit 343,07 euros en 2021. L'indemnité maximale est donc de 205,84 euros pendant les 28 premiers jours, puis de 274,46 euros à partir du 29ème jour.

· Les frais de santé sont remboursés à 100 % des tarifs de l'assurance maladie.

· Pas de couverture obligatoire.

· Faculté d'adhérer à l'assurance volontaire AT-MP ou à une assurance privée.

· En cas d'adhésion à l'assurance volontaire, les prestations sont celles de droit commun, à l'exclusion des indemnités journalières, auxquelles l'assurance volontaire n'ouvre pas droit.

· Si le travailleur réalise un chiffre d'affaires au moins égal à 13 % du plafond annuel de la sécurité sociale, soit 5 347,68 euros en 2021, la plateforme prend en charge les éventuelles cotisations d'assurance contre le risque AT-MP souscrite à titre volontaire par le travailleur, dans la limite du montant de la cotisation due au titre de l'assurance volontaire de la sécurité sociale.

Maternité

· Durée d'indemnisation de seize semaines.

· Indemnisation conditionnée à une durée minimale de huit semaines.

Complémentaire santé

· Obligation pour l'employeur de proposer une couverture complémentaire à tous ses salariés.

· Participation financière de l'employeur au moins égale à 50 % de la cotisation.

· Pas de couverture obligatoire.

· Certaines plateformes proposent d'elles-mêmes une offre similaire aux travailleurs indépendants qui les utilisent.

· Les plateformes de mobilité ont la possibilité d'élaborer des chartes de responsabilité sociale par lesquelles elles peuvent prévoir des garanties de protection sociale complémentaire.

Assurance vieillesse de base

· Validation d'un trimestre pour chaque tranche de salaire de 150 SMIC horaire brut, pour un maximum de quatre trimestres par an et dans la limite du plafond de la sécurité sociale.

· Validation de trimestres conditionnée au versement d'un montant minimal de cotisations sociales.

· Ce montant dépendant du chiffre d'affaires réalisé, aucun trimestre n'est validé si ce dernier est inférieur à certains seuils.

Chômage/perte d'activité

· Assurance chômage.

· Allocation comprise entre 57 et 75 % du salaire journalier de référence.

· Durée maximale d'indemnisation de 24 mois pour les salariés âgés de moins de 53 ans à la fin de leur contrat de travail, 30 mois de 53 à 54 ans et 36 mois au-delà de 54 ans.

· Allocation aux travailleurs indépendants d'un montant de 800 euros par mois pendant six mois.

· Versement sous condition d'avoir exercé une activité indépendante en continu pendant deux ans, généré un revenu annuel d'au moins 10 000 euros, cessé cette activité du fait du placement de l'entreprise en liquidation ou en redressement judiciaire et de disposer de ressources personnelles inférieures au montant du RSA, soit 565,34 euros en 2021.

Prestations familiales

· Sécurité sociale

Source : Mission d'information du Sénat, d'après Jean-Yves Frouin, « Réguler les plateformes numériques de travail », 2020, et commission des affaires sociales du Sénat, « Travailleurs des plateformes : au-delà de la question du statut, quelles protections ? », rapport d'information n° 452 (2019-2020), 20 mai 2020.

Annexe 2 : Comparatif des tiers-statut mis en place au Royaume-Uni, en Espagne et en Italie

Source : Conseil national du numérique, « Travail à l'ère des plateformes. Mise à jour requise », juillet 2020.

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES ET CONTRIBUTIONS ÉCRITES

Auditions

Institutions européennes

Mme Sylvie Brunet, députée européenne, membre de la commission de l'emploi et des affaires sociales du Parlement européen

Mme Manuela Geleng, directrice des conditions de travail et du dialogue social au sein de la direction générale de l'emploi et des affaires sociales de la Commission européenne

Administration française

MM. Geoffroy Cailloux, sous-directeur des services marchands, et Arnaud Boyer, directeur de projets « Plateformes numériques » de la direction générale des entreprises (ministère de l'économie et des finances)

Mme Nina Prunier, cheffe de bureau des relations individuelles de la direction générale du travail (ministère du travail, du plein emploi et de l'insertion)

Mme Émilie Marquis-Samari, conseillère emploi, santé et sécurité au travail, inclusion sociale à la Représentation permanente de la France à Bruxelles

Experts

Me Emmanuelle Barbara, avocate spécialiste en droit du travail, de la sécurité sociale et de la protection sociale

M. Mathias Dufour, président du think tank « #Leplusimportant »

Me Kevin Mention, avocat spécialiste en droit du travail

Associations représentative/syndicats des travailleurs

MM. Karim Ben daoud, président, Radoine Atyf, responsable relation chauffeurs et plateformes et Yassine Bensaci, responsable relation chauffeurs marseillais de l'Association des VTC de France 

M. Pierre Burban, secrétaire général de l'Union des entreprises de proximité (U2p)

M. Grégoire Leclercq, président de la Fédération nationale des autoentrepreneurs et microentrepreneurs (FNAE)

M. Ludovic Voet, Secrétaire confédéral de la Confédération européenne des syndicats (CES)

Représentants des plateformes

MM. Marc de la Fayolle, directeur financier, et Benoit de Daran, consultant de Brigad

Mmes Laurène Guardiola, responsable des affaires publiques, et Marine Charpentier, conseillère juridique « emploi Europe » d'Uber

MM. Julien Lavaud, directeur des affaires publiques France, et Ronan Breen, directeur des affaires publiques Europe de Deliveroo

M. Aurélien Pozzana, vice-président de la Fédération Française des Transports de Personne sur Réservation (FFTPR), directeur des affaires publiques de Bolt pour l'Europe de l'Ouest

Mmes Méleyne Rabot, directrice générale, Laurence Crevel, directrice des ressources humaines, Désirée Ramialison, responsable communication de Just Eat

MM. Édouard Rudolf, vice-président de la Fédération des Enseignants et des Auto-Écoles d'Avenir (FENAA) et directeur général d'En voiture Simone et Soliman Chaouche, responsable des affaires publiques de la FENAA

Contributions écrites

Business Europe

SME United


* 1 http://www.senat.fr/dossier-legislatif/ppl18-717.html

* 2 https://www.senat.fr/dossier-legislatif/ppl19-155.html

* 3 https://www.senat.fr/dossier-legislatif/ppl20-187.html

* 4 http://www.senat.fr/dossier-legislatif/ppl20-426.html

* 5 http://www.senat.fr/leg/ppl21-852.html

* 6 https://www.senat.fr/notice-rapport/2019/r19-452-notice.html

* 7 http://www.senat.fr/rap/r20-759/r20-7592.html#toc150

* 8 https://www.senat.fr/rap/r20-867/r20-867.html

* 9 Conseil national du numérique, « Ambition numérique : pour une politique française et européenne de la transition numérique », juin 2015, p 395

* 10 Nicolas AMAR et Louis-Charles VIOSSAT. Les plateformes collaboratives, l'emploi et la protection sociale. Rapport de l'IGAS, 2016, n° 2015-121

* 11 D'après l'étude étayant l'analyse d'impact d'une initiative de l'UE sur l'amélioration des conditions de travail des travailleurs des plateformes (Study to support the impact assessment of an EU Initiative on improving the working conditions of platform workers), PPMI, 2021, p 58

* 12Rapport d'information n° 452 (2019-2020) de Michel FORISSIER, Catherine FOURNIER et Frédérique PUISSAT, fait au nom de la commission des affaires sociales, p 25

* 13 Société par actions simplifiée unipersonnelle.

* 14 Entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée

* 15 Rapport d'information n° 867 (2020-2021) de Pascal SAVOLDELLI, fait au nom de la mission d'information « Ubérisation », 29 septembre 2021.

* 16 Rapport d'information n° 452 (2019-2020) de Michel FORISSIER, Catherine FOURNIER et Frédérique PUISSAT, fait au nom de la commission des affaires sociales, p 17.

* 17 Conseil national du numérique, « Travail à l'ère des plateformes. Mise à jour requise », juillet 2020, p 110

* 18 Section s230(3) de l'Employment Rights Act de 1996.

* 19 Ces travailleurs remplissent les critères cumulatifs suivants : une relation de collaboration ; une relation continue et durable dans le temps ; une coordination fonctionnelle et une quasi-obligation personnelle de travail.

* 20 Conseil national du numérique, « Travail à l'ère des plateformes. Mise à jour requise », juillet 2020

* 21 Paragraphes rédigés d'après l'étude de législation comparée n° 296 du Sénat, octobre 2021 http://www.senat.fr/lc/lc296/lc2962.html#toc94

* 22 Sénat, Étude de législation comparée n° 296, octobre 2021 http://www.senat.fr/lc/lc296/lc2962.html#toc94

* 23 Jean-Yves FROUIN, Réguler les plateformes numériques de travail, rapport remis au Premier ministre le 1er décembre 2020

* 24 Soc. 28 novembre 2018

* 25 Soc. 4 mars 2020

* 26 Rapport d'information n° 759 (2020-2021) de Martine BERTHET, Michel CANÉVET et Fabien GAY, fait au nom de la délégation aux entreprises, déposé le 8 juillet 2021, page 64.

* 27 CJUE, Arrêt du 20 décembre 2017, Asociacion Profesional Elite Taxi, n° C-434/15.

* 28 Ordonnance B/Yodel Delivery Network (C-692/19)

* 29 Sur ce sujet, en juillet 2021, la plateforme de livraison de repas Foodinho a été sanctionnée par la CNIL espagnole d'une amende de 2,6 millions d'euros pour des algorithmes trop opaques.

* 30 Sénat, Étude de législation comparée n° 296, octobre 2021 http://www.senat.fr/lc/lc296/lc2962.html#toc94

* 31 L'article 101 du TFUE dispose que «sont incompatibles avec le marché intérieur et interdits tous accords entre entreprises, toutes décisions d'associations d'entreprises et toutes pratiques concertées, qui sont susceptibles d'affecter le commerce entre États membres et qui ont pour objet ou pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l'intérieur du marché intérieur ».

* 32 Rapport d'information n° 452 (2019-2020) de Michel FORISSIER, Catherine FOURNIER et Frédérique PUISSAT, fait au nom de la commission des affaires sociales, p 48.

* 33 https://www.etuc.org/en/document/open-letter-president-european-commission-ursula-von-der-leyen-ambitious-european

* 34 https://www.europarl.europa.eu/doceo/document/A-9-2021-0257_FR.html

* 35 https://www.europarl.europa.eu/doceo/document/TA-9-2021-0385_FR.pdf

* 36 Toutefois la DGE estime, s'agissant de la France, que cette estimation prend insuffisamment en compte les effets d'abattements de cotisations sociales patronales pour les rémunérations proches du SMIC. Elle considère que les effets de la directive en matière de cotisations sociales et impôts perçus devraient probablement être plus faibles, voire neutres: les hausses de taux de cotisation et de rendement de TVA étant plus ou moins compensées par l'effet des allègements généraux, les recettes publiques seraient relativement stables en cas de passage au salariat de ces travailleurs.

* 37 Jean-Yves FROUIN, Réguler les plateformes numériques de travail, rapport remis au Premier ministre le 1er décembre 2020