C. POUR UNE ASSISTANCE MACROFINANCIÈRE TRANSPARENTE ET SANS CONCESSION, AFFIRMANT LA SPÉCIFICITÉ DE L'UNION EUROPÉENNE

La multiplication des demandes d'assistance macrofinancière adressées à la Commission européenne au cours des dernières années atteste de l'attractivité de cet instrument mais aussi de la possibilité pour l'Union européenne de jouer un rôle de premier plan, aux côtés des institutions financières de Bretton Woods. En ce qu'elle participe de la politique d'influence de l'Union européenne et contribue, certes modestement, à la stabilité financière de son voisinage, l'assistance macrofinancière mérite donc d'être poursuivie.

La légitimité et la plus-value de l'intervention européenne pourraient néanmoins être confortées, d'une part, en dotant l'assistance macrofinancière d'un régime juridique propre et, d'autre part, en renforçant la dimension politique des conditionnalités lorsque cela est jugé nécessaire.

1. Doter l'assistance macrofinancière d'un cadre juridique

L'assistance macrofinancière est aujourd'hui l'un des seuls instruments financiers de l'Union européenne dépourvu de régime propre juridiquement contraignant. Depuis l'échec des négociations de la proposition de règlement-cadre de 2011 au sujet de la procédure de décision - la Commission européenne proposant de remplacer la codécision par une procédure de comitologie afin d'accélérer les délais d'octroi - le statu quo perdure.

L'absence d'encadrement juridique précis est « sous-optimale » : en effet, la déclaration commune du Parlement européen et du Conseil de 2013 n'ayant qu'une valeur politique, ni la sécurité juridique du dispositif, ni la cohérence de l'intervention européenne ne sont garanties. De plus, cette situation alimente des interrogations récurrentes, qui peuvent être source de tensions entre institutions, et porter préjudice à l'adoption rapide des décisions d'assistance.

La présentation par la Commission européenne d'une nouvelle proposition de règlement-cadre définissant les grands principes d'intervention de l'assistance macrofinancière, la procédure de décision - à savoir la codécision - et les rôles respectifs de la Commission européenne, du Parlement européen et du Conseil, serait donc la bienvenue.

Recommandation n° 1 : mieux encadrer juridiquement le recours à l'assistance macrofinancière grâce à l'adoption au niveau européen d'un règlement spécifique à cet instrument financier afin de renforcer la sécurité juridique et la cohérence de l'action extérieure de l'Union.

Le futur règlement-cadre devrait, en outre, confirmer le principe selon lequel l'assistance macrofinancière intervient de façon exceptionnelle, lorsqu'un État tiers rencontre de graves difficultés à court terme de balance des paiements ou un déficit budgétaire menaçant sa stabilité, et ce afin de préserver la spécificité de cet instrument, qui implique un versement direct de l'aide à la banque centrale du pays bénéficiaire. En-dehors de ces cas, il semble possible de recourir à un grand nombre d'autres programmes du budget européen, comme l'instrument européen de voisinage (IEV), l'instrument de coopération au développement (ICD), voire le futur plan d'investissement extérieur.

Recommandation n° 2 : réserver effectivement l'assistance macrofinancière aux pays en grave difficulté financière nécessitant une intervention urgente et privilégier, dans les autres cas, le financement de projets ou de programmes d'action ciblés.

Enfin, l'adoption d'un règlement-cadre spécifique à l'assistance macrofinancière serait l'occasion de clarifier la méthodologie appliquée pour déterminer le montant d'assistance attribué sous forme de don et celui accordé sous forme de prêt.

Recommandation n° 3 : clarifier les modalités de partage entre les prêts et les dons accordés au titre de l'assistance macrofinancière.

2. Assumer la dimension politique de l'assistance macrofinancière en promouvant les valeurs de l'Union

Dès lors que l'assistance macrofinancière est censée « soutenir la politique extérieure de l'Union » et « aider les bénéficiaires à tenir leurs engagements à l'égard des valeurs [de] l'Union, notamment la démocratie, l'État de droit, la bonne gouvernance, le respect des droits de l'homme, le développement durable et la lutte contre la pauvreté » 77 ( * ) , les objectifs politiques de certaines opérations d'assistance ainsi que les mesures attendues pour les atteindre gagneraient à être énoncés plus clairement.

Comme l'illustre l'exemple de la Moldavie, les conditions préalables d'ordre politique ne sont pas suffisantes, qui plus est en l'absence de régime juridiquement contraignant. L'adoption, en annexe du texte de compromis accordant l'assistance, d'une déclaration commune des trois institutions européennes appelant la Moldavie à suivre les recommandations de la Commission de Venise et de l'OSCE au sujet de son projet de réforme du système électoral marque une étape importante vers une meilleure prise en compte des valeurs définies à l'article 2 du traité sur l'Union européenne 79 ( * ) . Ainsi, selon le commissaire européen à la politique du voisinage, Johannes Hahn, « pour la première fois , [...] l'aide macrofinancière est liée aux exigences et aux normes de l'État de droit » 80 ( * ) . Même si ce lien est ténu, il a le mérite d'expliciter les attentes de l'Union européenne vis-à-vis du gouvernement moldave. Des conditions garantissant l' indépendance du système judiciaire ou la remise de l'enquête concernant la fraude bancaire de 2014 auraient probablement pu être ajoutées. Le Premier ministre moldave, M. Pavel Filip, a quant à lui appelé l'Union à séparer « la partie technique de la partie politique » 81 ( * ) .

Enfin, l'introduction de conditions d'ordre politique - suffisamment précises, réalistes et en nombre limité - parmi les conditionnalités de décaissement des tranches d'aide serait un moyen d'accroître la valeur ajoutée de l'intervention européenne par rapport à celles du FMI et de la Banque mondiale. Comme l'ont relevé un grand nombre d'évaluations ex post , l'Union s'est souvent contentée de dupliquer ou de compléter les conditions du FMI. Aussi, la perception selon laquelle le FMI édicte les principales exigences, et qu'une fois ces dernières satisfaites, l'Union européenne suit, semble aujourd'hui prévaloir parmi les pays bénéficiaires.

Il convient donc d'affirmer la spécificité de l'assistance européenne pour que l'assistance macrofinancière, tout en répondant aux situations d'urgence, soit effectivement l'un des vecteurs du soft power de l'Union européenne.

Recommandation n° 4 : mieux préciser la conditionnalité de nature politique visant à prendre en considération la situation du pays au regard du respect des principes démocratiques, de l'État de droit ou des droits de l'homme, en vue de compléter les conditionnalités économiques et financières définies dans le protocole d'accord entre la Commission européenne et le pays bénéficiaire.

En complément ou alternativement à la précédente recommandation, le futur règlement-cadre régissant les opérations d'assistance macrofinancière pourrait prévoir une clause de suspension, voire d'annulation de l'aide dans l'hypothèse où certaines « lignes rouges », remettant en cause les conditions préalables d'ordre politique, seraient franchies. Tout projet de réforme portant manifestement atteinte à l'indépendance de la justice ou la révélation d'une grave affaire de corruption devraient, en particulier, appeler une réaction ferme de l'Union européenne. Cependant, l'objet d'une telle cause ne serait pas uniquement de sanctionner mais plutôt d'inciter au respect des valeurs de l'Union européenne.

Recommandation n° 5 : prévoir une nouvelle clause de suspension, voire d'annulation, du versement de l'assistance en cas de menace pour l'indépendance du système judiciaire ou de révélation d'un fait majeur de corruption dans le pays bénéficiaire.

Enfin, l'affirmation de la dimension politique de l'assistance macrofinancière pourrait passer par un renforcement des pouvoirs de contrôle des États membres. À l'heure actuelle, après l'adoption d'une décision accordant une assistance, sa mise en oeuvre est assurée par la Commission européenne qui négocie le protocole d'accord avec les autorités du pays bénéficiaire et procède au suivi de l'opération. Assistée par un comité composé de représentants des États membres dans le cadre de la « comitologie », la Commission européenne est tenue de recueillir l'avis de ce comité uniquement dans deux cas : pour adopter le protocole d'accord ou pour procéder à la réduction, à la suspension ou à l'annulation de l'aide.

En revanche, les représentants des États membres ne sont pas saisis formellement des résultats de l'évaluation des conditionnalités et ne peuvent aller à l'encontre d'une décision de la Commission de procéder à un décaissement. Cette situation peut sembler contestable au regard des enjeux politiques et financiers croissants de l'assistance macrofinancière.

Il est donc proposé que le comité de représentants des États membres existant puisse également émettre un avis sur chaque tranche de décaissement d'assistance . Cet avis serait rendu selon la procédure d'examen de la comitologie , ce qui signifie qu'en cas d'avis négatif, adopté à la majorité qualifiée, la Commission ne pourrait adopter son projet de décision ou bien devrait le transmettre au comité d'appel 82 ( * ) . En l'absence d'avis exprimé à la majorité qualifiée, la Commission européenne pourrait adopter le projet de décision 83 ( * ) . Cette procédure semble suffisamment équilibrée pour permettre de geler un décaissement en cas de désaccord majeur entre la Commission européenne et les États membres, sans alourdir outre mesure la gestion de l'assistance macrofinancière.

Recommandation n° 6 : renforcer les pouvoirs de contrôle des États membres durant la phase de mise en oeuvre des assistances, en leur conférant un pouvoir de décision sur chaque décaissement dans le cadre du comité existant chargé d'assister la Commission européenne dans ses compétences d'exécution (« comitologie »).


* 77 78 Déclaration commune du Parlement européen et du Conseil annexée à la décision n° 778/2013/UE du 12 août 2013 accordant une assistance macrofinancière supplémentaire à la Géorgie.

* 79 « L'Union est fondée sur les valeurs de respect de la dignité humaine, de liberté, de démocratie, d'égalité, de l'État de droit, ainsi que de respect des droits de l'homme, y compris des droits des personnes appartenant à des minorités. Ces valeurs sont communes aux Etats membres dans une société caractérisée par le pluralisme, la non-discrimination, la tolérance, la justice, la solidarité et l'égalité entre les femmes et les hommes. »

* 80 Bulletin quotidien Europe du 22 juin 2017.

* 81 Ibid.

* 82 Voir le règlement n° 182/2011 du Parlement Européen et du Conseil du 16 février 2011 établissant les règles et principes généraux relatifs aux modalités de contrôle par les États membres de l'exercice des compétences d'exécution par la Commission.

* 83 Sauf en cas d'opposition à la majorité simple des membres.

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