EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 28 juin 2017, sous la présidence de Mme Michèle André, présidente, la commission a entendu une communication de M. François Marc, rapporteur spécial, sur l'assistance macrofinancière de l'Union européenne aux pays tiers.

M. François Marc , rapporteur spécial « Affaires européennes » . - Les premières années du cadre financier 2014-2020 de l'Union européenne ont été marquées par le besoin urgent de répondre à la crise des réfugiés et, plus généralement, par la volonté de renforcer le partenariat de l'Union européenne avec les pays tiers. Dans le cadre de la révision à mi-parcours du cadre financier, il a ainsi été proposé d'augmenter les crédits de divers instruments dédiés à l'action extérieure de l'Union européenne, dont ceux de l'assistance macrofinancière aux pays tiers.

L'assistance macrofinancière a vocation à répondre à des besoins exceptionnels de financement extérieur des pays qui sont « politiquement, économiquement et géographiquement proches de l'Union européenne », en leur accordant des prêts ou des dons.

Depuis la première opération d'assistance en faveur de la Hongrie en 1990, plus de 63 assistances ont été décidées en complément des programmes du Fonds monétaire international. Le périmètre géographique des interventions s'est étendu et le montant des prêts accordés a fortement augmenté.

Dans ce contexte, j'ai jugé opportun de consacrer ma mission annuelle de contrôle à l'assistance macrofinancière. Il se trouve que ce sujet a fait l'objet d'une actualité au cours des derniers mois puisque le Parlement européen et le Conseil ont examiné une proposition d'assistance de 100 millions d'euros à la Moldavie. C'est la raison pour laquelle j'ai complété les auditions réalisées à Paris et à Bruxelles par un déplacement à Chisinau, la capitale de la Moldavie, afin de mieux comprendre les enjeux de l'assistance de l'Union européenne.

Au terme de ces travaux, trois grands constats peuvent être tirés. Premièrement, l'assistance macrofinancière s'est fortement développée à la suite de l'effondrement de l'Union soviétique, et ce en dehors d'un cadre juridiquement contraignant. Il s'agit donc d'un instrument particulièrement souple, qui fait figure d'hybride entre les programmes de prêt de l'Union à ses États membres et les aides aux pays du voisinage. Le budget de l'Union européenne dispose de ses propres instruments directs d'action extérieure - instrument européen de voisinage, instrument de préadhésion, ou encore instrument de coopération au développement. Par ailleurs, des garanties sont accordées par le budget communautaire à un certain nombre de dispositifs - plan Juncker, mécanisme européen de stabilisation financière, assistance à la balance des paiements des pays non membres de la zone euro. En dehors du budget de l'Union, il faut citer le mécanisme européen de stabilité, autonome, qui dispose d'une capacité de prêt à hauteur de 500 milliards d'euros. L'assistance macrofinancière vient compléter cette panoplie d'instruments et fait l'objet d'un provisionnement du fonds de garantie pour les actions extérieures.

Au début des années 1990, les premières opérations d'assistance macrofinancière se sont concentrées dans le voisinage proche, à l'est de l'Union : en Hongrie, en Tchécoslovaquie, en Bulgarie, en Roumanie et dans les États baltes. Ensuite, à partir de 1994, une deuxième série d'opérations d'assistance concerna les États nouvellement indépendants de l'ancienne Union soviétique, notamment l'Ukraine, la Moldavie, la Biélorussie, la Géorgie et l'Arménie et, à la suite des guerres en ex-Yougoslavie, les Balkans occidentaux.

Plus récemment, des prêts ont été accordés aux pays du bassin méditerranéen, en particulier à la Jordanie en 2013 et en 2016 et à la Tunisie, en 2014 et en 2016.

Cette extension fut possible grâce au faible degré d'encadrement juridique de l'assistance macrofinancière. Contrairement à la plupart des autres instruments financiers, aucun règlement ne définit les règles générales d'intervention de l'assistance macrofinancière. Une liste de critères a simplement été établie par le Conseil en 1995 : en principe, l'assistance macrofinancière est un instrument « de nature exceptionnelle, non lié et sans affectation particulière », destiné à rétablir la viabilité financière des pays candidats à l'adhésion, déclarés ou potentiels, des pays concernés par la politique de voisinage ou « d'autres pays tiers présentant une importance stratégique pour l'Union » ; par ailleurs, les pays demandeurs doivent remplir plusieurs conditions, dont la conclusion d'un accord préalable avec le FMI, le respect de « mécanismes démocratiques effectifs » ; enfin, ils doivent mettre en oeuvre de façon satisfaisante les mesures de politique économique négociées avec la Commission européenne.

Cette liste de critères n'a pas de caractère juridiquement contraignant. Dès lors, chaque opération fait l'objet d'une analyse au cas par cas par la Commission européenne et doit ensuite être adoptée par le Parlement européen et le Conseil.

Depuis 2014, plusieurs opérations d'assistance de grande ampleur ont été décidées : 2,8 milliards d'euros de prêts ont été accordés à l'Ukraine ; 500 millions d'euros en faveur de la Tunisie et 200 millions d'euros au profit de la Jordanie en 2016.

Ainsi, l'assistance macrofinancière a changé de dimension au cours des dernières années : le montant total d'assistance décaissée devrait atteindre le niveau record de 1,9 milliard d'euros en 2017 pour un encours total de prêts de 4,6 milliards d'euros à la fin de l'année, contre 565 millions d'euros fin 2013.

Deuxièmement, l'assistance macrofinancière a un impact macroéconomique positif, même si celui-ci est limité. Les évaluations ex post disponibles concluent que l'intervention de l'Union européenne a effectivement contribué à la stabilisation macroéconomique à court terme dans la plupart des pays bénéficiaires. Par exemple, l'assistance macrofinancière a permis d'atténuer les effets récessifs de la crise économique et financière de 2008 en Moldavie et en Arménie. En l'absence d'assistance, leurs PIB respectifs auraient été inférieurs de 1,1 % et de 0,6 % en 2011.

Dans quelques rares cas, aucun impact macroéconomique n'a été observé, par exemple en Bosnie-Herzégovine en raison du déblocage tardif de l'assistance dans un contexte où le pays aurait lui-même pu lancer une émission obligataire, ou encore au Liban en raison du faible montant accordé (40 millions d'euros).

En matière de réformes structurelles, les résultats sont mitigés. Le décaissement de chaque tranche de prêt ou de don est en effet soumis au respect d'un certain nombre de conditions, négociées en amont entre la Commission européenne et le pays bénéficiaire. En règle générale, on observe que des progrès ont été accomplis en matière de gestion des finances publiques et dans les secteurs bancaire et financier. Ainsi, le système bancaire a fait l'objet de réformes en Arménie, en Roumanie, en Macédoine, en Serbie et en Albanie au début des années 2000, sous l'impulsion des opérations d'assistance. Les conditionnalités négociées par l'Union européenne ont également permis d'accélérer l'adoption de certaines réformes en Géorgie.

Toutefois, ces conditionnalités présentent des insuffisances : tout d'abord, il est fréquent que certaines conditions de décaissement soient satisfaites avant même la signature du protocole d'accord, ce qui conduit à s'interroger sur le niveau d'exigence fixé par la Commission européenne. Ensuite, il existe bien souvent un écart entre la satisfaction formelle de certaines conditions - grâce à l'adoption d'une nouvelle loi ou la création d'une structure administrative - et leur mise en oeuvre sur le terrain, par manque de moyens ou de volonté politique. Enfin, certaines conditionnalités de l'assistance macrofinancière sont généralement très similaires aux prescriptions du FMI. Cela atteste de la très bonne coordination entre la Commission européenne et le FMI, mais soulève aussi la question de la valeur ajoutée de l'intervention européenne.

Du point de vue de l'Union européenne, l'assistance macrofinancière a un coût modéré, dans la mesure où elle est accordée principalement sous forme de prêts ; 261 millions d'euros de dons ont été versés entre 2007 et 2013 (soit 47 % du total des versements) et 58 millions d'euros (1 %) entre 2014 et 2017.

Les fonds prêtés sont levés sur les marchés internationaux par la Commission européenne et garantis par le budget communautaire ; la Commission rétrocède ensuite intégralement ses conditions de financement favorables au pays bénéficiaire.

De plus, le risque financier pour le budget de l'Union européenne est relativement faible : aucun défaut de paiement n'a été observé à ce jour et chaque prêt donne lieu à un provisionnement d'environ 9 %, versé du budget général vers un fonds de garantie spécifique.

Ainsi, l'assistance macro-financière a un impact non négligeable mais d'une ampleur relativement modeste.

Troisièmement, on observe que les considérations d'ordre politique jouent un rôle croissant. Ainsi, les critères de localisation géographique ou encore de gravité de la situation financière du pays une assistance ont pu être interprétés de façon extensive. Par exemple, un prêt de 30 millions d'euros fut accordé au Kirghizistan en 2013 pour soutenir « la force de l'élan prodémocratique et de réforme économique », tandis que la nouvelle proposition d'assistance de 100 millions d'euros à la Moldavie, dont 40 millions sous forme de don, ne semblait pas répondre au caractère d'urgence généralement requis.

Par ailleurs, certains États membres jouent un rôle de relai auprès de la Commission européenne pour soutenir des opérations d'assistance en faveur de pays tiers avec lesquels ils entretiennent des liens forts, par exemple la France avec la Tunisie ou la Roumanie avec la Moldavie.

Le cas de la Moldavie illustre également les dilemmes auxquels l'Union européenne est parfois confrontée dans sa volonté de soutenir le processus de réforme économique et politique.

L'Union européenne est le premier donateur de ce petit pays de 3,5 millions d'habitants - contre 5 millions au lendemain de l'indépendance - enclavé entre la Roumanie et l'Ukraine. Pour autant, sa stratégie est critiquée, voire jugée contre-productive, par certains acteurs qui dénoncent l'absence d'indépendance du système judiciaire, le regain de corruption au sein de la classe politique et la récente tentative de réforme du système électoral dans un sens favorable au parti démocrate au pouvoir.

La Commission européenne considère qu'en l'absence d'aide, les autorités moldaves ne pourront pas poursuivre les réformes engagées, en particulier pour assainir le système bancaire à la suite du « scandale du milliard » de dollars disparus en 2014 dans le cadre d'une fraude bancaire massive. Or, du point de vue de certains acteurs, le versement de cette aide risque d'être interprété comme un cautionnement des pratiques du parti au pouvoir, dirigé par un oligarque, et ainsi de diminuer la confiance accordée par la population à l'Union.

L'octroi d'une nouvelle assistance de 100 millions d'euros a donc suscité un débat de fond au Parlement européen, certains députés appelant à un gel de l'aide en cas de poursuite du projet de transformation du mode de scrutin. En définitive, cette assistance a été approuvée en première lecture le 6 juin dernier et a été assortie d'une déclaration commune appelant la Moldavie à suivre les recommandations de la commission de Venise concernant la réforme du système électoral. Faute de quoi, l'Union ne devrait plus s'engager plus avant.

En conclusion, partant de ces constats, il me semble que la légitimité et la plus-value de l'assistance macro-financière pourraient être confortées de deux manières : d'une part, en dotant cet instrument d'un régime juridique propre afin de mieux encadrer ses critères et ses modalités d'intervention ; d'autre part, en renforçant la dimension politique des conditionnalités ainsi que le pouvoir de contrôle des États membres.

Une première série de recommandations concerne donc l'encadrement juridique de l'assistance macrofinancière.

Tout d'abord, l'adoption d'un règlement-cadre définissant les grands principes d'intervention et les rôles respectifs de la Commission européenne, du Parlement européen et du Conseil est nécessaire pour renforcer la sécurité juridique de l'instrument et la cohérence de l'action extérieure de l'Union. En 2011, une tentative a été faite pour édicter un règlement-cadre, sans que celle-ci aboutisse, faute d'accord. Ce futur règlement-cadre devrait affirmer le caractère exceptionnel de l'assistance macrofinancière, l'idée étant de la réserver aux pays en proie à de graves difficultés financières et, dans les autres cas, d'avoir recours à d'autres programmes du budget européen comme l'instrument européen de voisinage, l'instrument de coopération au développement ou le futur « volet externe » du plan Juncker. L'adoption d'un règlement-cadre serait également l'occasion de clarifier les modalités de partage entre les prêts et les dons.

Enfin, les trois recommandations suivantes ont pour but d'affirmer la dimension politique de l'assistance macrofinancière.

Dès lors que l'assistance macro-financière a vocation à « soutenir la politique extérieure de l'Union » et à « aider les bénéficiaires à tenir leurs engagements à l'égard des valeurs de l'Union », les objectifs politiques des opérations d'assistance et les mesures attendues pour les atteindre gagneraient à être énoncés plus clairement. Je recommande donc de préciser la conditionnalité de nature politique afin de mieux prendre en considération la situation du pays et, ainsi, de compléter les conditionnalités économiques

et financières. De telles conditions me semblent d'autant plus utiles dans la perspective de futures opérations, des discussions ayant notamment été entamées avec la Biélorussie.

Une clause explicite de suspension voire d'annulation de l'assistance pourrait également être introduite en cas de menace pour l'indépendance du système judiciaire ou de fait majeur de corruption. L'objet d'une telle clause ne serait pas tant de sanctionner que de dissuader les pays bénéficiaires de toute mesure ne respectant pas les valeurs de l'Union européenne.

Enfin, compte tenu des enjeux financiers et politiques croissants de l'assistance macrofinancière, il serait opportun de renforcer les pouvoirs de contrôle des États membres durant la mise en oeuvre des opérations. Aujourd'hui, les représentants des États membres ne sont pas saisis formellement des évaluations du respect des conditionnalités effectuées par la Commission européenne et ne peuvent s'opposer à une décision de décaissement d'une tranche d'assistance. Le groupe dit de « comitologie » compétent en matière d'assistance macrofinancière pourrait donc être consulté par la Commission européenne avant chaque décaissement. Conformément à la procédure d'examen, il ne pourrait s'opposer qu'à la majorité qualifiée.

M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général . - Je note qu'en Moldavie, le revenu minimum mensuel est de 96 euros.

Les prêts se font-ils au profit des banques centrales ? À quel taux ? Indépendamment des mécanismes de la Banque centrale européenne ?

M. Claude Raynal . - Il me semble que l'objet de cette assistance est assez proche du rôle traditionnel du FMI. La Commission européenne dispose-t-elle d'une capacité d'expertise et de suivi aussi forte que le FMI ? Il a été indiqué l'absence de défaut de paiement. Cependant, les prêts d'un montant élevé sont très récents, la plupart ayant été accordés à partir de 2014. Cela ne dit rien de la suite.

Enfin, j'apprécie tout particulièrement la première recommandation, qui me semble quelque peu contradictoire avec l'objet même du fonds : actuellement, l'assistance macro-financière est souple, laissée au libre arbitre politique.

M. François Marc . - La Moldavie est en effet le pays le plus pauvre d'Europe. Il faut donc aider ce pays à s'en sortir, à condition que celui-ci apporte des garanties quant à son évolution démocratique, au respect de l'état de droit et à la transparence de son système financier - c'est tout de même 1 milliard d'euros qui a disparu de la circulation ! Si ces exigences ne sont pas satisfaites, on pourra difficilement poursuivre l'assistance.

La banque centrale de chaque pays est destinataire des prêts ou des dons accordés par l'Union européenne. Les taux sont ceux auxquels la Commission européenne a emprunté sur les marchés, le coût étant supporté par le pays destinataire. Ainsi, en janvier 2015, la Géorgie a emprunté, par l'intermédiaire de l'Union, 10 millions d'euros sur 15 ans, au taux fixe de 0,519 %. En juillet 2015, l'Ukraine a bénéficié d'un prêt de 600 millions d'euros sur cinq ans, au taux de 0,25 %, dans le cadre de la troisième opération d'assistance. Ces taux sont bien inférieurs à ce qu'ils seraient si ces pays avaient dû se passer de l'intermédiation de l'Union.

En ce qui concerne le rôle du FMI, cette question revient régulièrement. L'intervention de ce dispositif n'est possible qu'en association avec le FMI. Le rôle de ce dernier s'inscrit dans un objectif de redressement à moyen et long termes de ces pays, alors que l'aide apportée par l'Europe est ponctuelle et vise à redresser à court terme une situation financière dégradée.

Certains récipiendaires de ces aides ont vocation à intégrer l'Union européenne et le fait que celle-ci soit associée à la remise à flot des finances de ces pays peut être bien perçu par leurs opinions publiques et ainsi faciliter l'adhésion populaire à l'idée de leur intégration.

Concernant les aides à la Jordanie ou à la Tunisie, elles s'inscrivent dans une problématique géopolitique plus large.

Ma première recommandation ne concerne pas uniquement les critères d'intervention. Elle répond également à une exigence de clarification des compétences entre les institutions. Les différents États membres de l'Union européenne sont confrontés aux mêmes problématiques. Le travail d'évaluation du dispositif européen soulève des questions sur la cohérence et la légitimité de certaines formes d'intervention.

Je vous renvoie aux interrogations du Parlement européen sur la Moldavie. Un règlement-cadre apporterait de la cohérence et permettrait de clarifier les critères de décision. Il me paraît donc souhaitable d'aller dans le sens que nous prônons.

La commission a donné acte de sa communication à M. François Marc, rapporteur spécial, et en a autorisé la publication sous la forme d'un rapport d'information.

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