B. LE DIFFICILE POSITIONNEMENT POLITIQUE DES OPÉRATIONS D'ASSISTANCE DE L'UNION : L'EXEMPLE DE LA MOLDAVIE

L'actualité de la nouvelle proposition d'assistance macrofinancière à la République de Moldavie a conduit votre rapporteur spécial à s'intéresser plus particulièrement à cette opération et à se rendre en Moldavie pour y rencontrer les autorités locales, les représentants de la Commission européenne et de la société civile.

La situation économique et politique de ce petit pays enclavée entre la Roumanie et l'Ukraine met en lumière les difficultés et les paradoxes auxquels l'Union européenne peut être confrontée dans sa mission d'assistance.

Principales caractéristiques de la République de Moldavie

Nature du régime : République parlementaire

Président de la République : Igor Dodon (Parti socialiste)

Chef du gouvernement : Pavel Filip (Parti démocrate)

Superficie : 33 700 km²

Capitale : Chisinau (un peu plus de 800 000 habitants en 2015)

Monnaie : le leu (pl. lei) moldave (environ 1 euro = 22 lei)

Population : 3,5 millions dont Ukrainiens (8,5 %) ; Russes (6 %) ; Gagaouzes (4,5 %); Roms (3,5%) (recensement de 2004)

Croissance démographique (2014) : - 0,2 %

Indice de développement humain (Classement PNUD 2015) : 107ème rang (2014 : 114ème)

PIB (2015): 6,551 Mds USD (prévisions FMI pour 2016 : 6,3 Mds USD)

PIB par habitant PPA (2014) : 5 040 USD (Banque mondiale)

Taux de croissance (2015 et 2016) : -0.5% et + 4.1 % (+4,6% en 2014 +8,9% en 2013) - prévision FMI 2017 : + 4.5%

Taux de chômage (2014) : 3,9 %

Taux d'inflation (2015) : 9,3% (prévision FMI 2016 +7.4%)

Solde budgétaire : (2015) : -3,9% du PIB(-1,8% 2014, - 1,8 % en 2013, - 2,1 % en 2012)

Balance commerciale (2014) : -292 M USD

Source : ministère des affaires étrangères et du développement international

1. L'Union européenne : premier pourvoyeur d'aide financière à la Moldavie

Petit pays agricole dépourvu de ressources naturelles, la Moldavie a souffert de l'effondrement de l'Union soviétique, qui a entraîné la perte d'une grande partie de ses débouchés commerciaux. Avec environ 30 % de sa population vivant sous le seuil de pauvreté, il s'agit du pays le plus pauvre du continent européen. De plus, les revendications sécessionnistes de la Transnistrie, région située le long de la frontière ukrainienne où sont concentrées les activités industrielles, ont des incidences économiques négatives.

Depuis son indépendance en 1991, le pays est fortement soutenu par les institutions financières internationales, au premier rang desquelles le FMI et la Banque mondiale, et a bénéficié à six reprises de l'assistance financière de l'Union européenne entre 1994 et 2010. La Moldavie a également fait l'objet de plusieurs programmes d'appui budgétaire dans le cadre de l'instrument européen de voisinage 62 ( * ) et s'est vue accordée des prêts de la BEI, faisant ainsi de l'Union européenne le premier donateur du pays. Par ailleurs, la Moldavie a conclu un accord d'association 63 ( * ) avec l'Union européenne en 2014.

Opérations d'assistance macrofinancière de l'Union européenne
en faveur de la Moldavie

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat (à partir des données de la Commission européenne)

Confrontée à une dégradation de sa situation budgétaire et de sa balance des paiements sous l'effet conjugué d'une fraude bancaire de grande ampleur en novembre 2014 et du ralentissement économique de certains de ses partenaires commerciaux (Ukraine et Russie), la Moldavie a présenté une nouvelle demande d'assistance macrofinancière en août 2015 , réitérée en mars 2016, parallèlement à la négociation avec le FMI d'un nouveau programme et d'une facilité élargie de crédit d'un montant total de 161 millions d'euros pour une durée de trois ans.

La condition préalable d'un accord avec le FMI étant satisfaite 64 ( * ) , la Commission européenne a considéré que la demande moldave d'une septième assistance macrofinancière était justifiée au regard de son besoin de financement extérieur estimé à 402 millions d'euros entre 2016 et 2018 - soit près de deux fois son déficit 2017. Ce besoin de financement provient du déficit de la balance courante, de l'amortissement de la dette qui atteindrait 582 millions de dollars par an, et de la nécessité de reconstituer les réserves de change 65 ( * ) . Cependant, le caractère urgent de cette aide est discutable, les autorités moldaves entendues par votre rapporteur spécial admettant que le versement d'une seule tranche d'aide d'ici la fin de l'année 2017 ne présenterait pas de difficulté majeure. De plus, les taux sur le marché domestique - atteignant 26 % début 2016 - sont redescendus à 6 % à la fin de l'année.

Le ministère des finances moldave souligne quant à lui l'importance de la part de don de l'assistance macrofinancière pour mettre en oeuvre les réformes attendues par les bailleurs internationaux et l'Union européenne, notamment dans le secteur public. Le document de travail accompagnant la proposition d'assistance de la Commission européenne souligne toutefois, à juste titre, que la réforme des secteurs financier et bancaire constitue le principal défi à relever.

La fraude bancaire de novembre 2014

En novembre 2014 fut révélée la disparition d'un milliard de dollars américains de fonds de déposants dans un scandale de corruption impliquant les trois principales banques de Moldavie. N'étant plus en mesure de poursuivre leur activité, ces banques ont été placées sous un régime d'administration spéciale par la Banque centrale de Moldavie et ont fait l'objet d'un plan de sauvetage dont le coût est estimé à 13 % du PIB du pays.

Cette fraude bancaire massive a déclenché des manifestations publiques et a contribué à la forte instabilité politique du pays avec, notamment, la démission de trois gouvernements en un an et le remplacement du gouverneur de la Banque centrale.

Compte tenu des risques potentiels, la Commission européenne et la Banque mondiale ont suspendu leurs programmes d'appui budgétaire en juillet 2015 . Selon la Cour des comptes européenne « la situation du secteur bancaire a sérieusement remis en question l'intégrité des financements de l'UE dont le budget de l'État moldave a été crédité. Il est cependant impossible de prouver que les fonds de l'UE étaient spécifiquement concernés, puisqu'il ont été intégrés dans le budget général de l'État » 66 ( * ) .

Malgré les « importantes faiblesses » 67 ( * ) des circuits administratifs et financiers du pays relevées par le rapport d'évaluation opérationnelle de février 2016 et les « carences du pays en matière de gouvernance » 68 ( * ) , la Commission européenne considère que l'assistance macrofinancière « renforcerait la valeur ajoutée et l'efficacité de l'intervention financière globale de l'Union européenne » 69 ( * ) . Tout en admettant une certaine dégradation de la situation politique du pays au cours des dernières années, l'ambassadeur et chef de la délégation de l'Union européenne en Moldavie, M. Pirkka Tapiola, a estimé que sans assistance macrofinancière le gouvernement moldave ne serait ni incité, ni en mesure de poursuivre les réformes prescrites en matière de gouvernance des secteurs public, bancaire, énergétique et de lutte contre la corruption. Aussi cette nouvelle assistance de 100 millions d'euros semble-t-elle motivée aussi bien par des considérations financières que politiques, en vue d'éviter une détérioration de la situation du pays. D'après le FMI, le principal risque pesant sur les perspectives macroéconomiques de la Moldavie réside, en effet, dans « le risque croissant de populisme » 70 ( * ) .

2. Une stratégie européenne critiquée, voire jugée contre-productive

Si les décisions d'octroi d'assistance macrofinancière ont longtemps été consensuelles, la proposition de la Commission européenne de verser une nouvelle aide de 100 millions d'euros à la Moldavie a suscité certaines interrogations, voire des critiques, aussi bien à Bruxelles qu'à Chisinau.

Tout d'abord, compte tenu du contexte financier certes dégradé mais ne présentant pas un réel degré de gravité, la France a exprimé des réserves quant à l'opportunité de recourir à l'assistance macrofinancière et émis l'idée d' « envisager une aide-programme ou une aide-projet, plus adaptées à la situation moldave » 71 ( * ) .

Ensuite, l'absence de garantie d'indépendance du système judiciaire, le regain de corruption au sein de la classe politique et un projet de réforme du système électoral présenté par le parti démocrate au pouvoir ont suscité des doutes quant à la satisfaction par le gouvernement moldave des conditions préalables de respect des principes démocratiques et de l'État de droit. En réaction au projet d'introduction d'un mode de scrutin uninominal aux élections législatives, perçu comme une tentative du parti démocrate, crédité de 4 % dans les sondages électoraux, de demeurer au pouvoir, le Parti populaire européen (PPE) et l'Alliance des démocrates et des libéraux pour l'Europe (ALDE) ont ainsi publié une déclaration commune appelant à un gel des crédits européens en faveur de la Moldavie en cas d'adoption de ce projet. Dans un avis publié le 6 juin 2017, la Commission de Venise 72 ( * ) et l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) ont indiqué qu' « un tel changement majeur, bien qu'il constitue une prérogative souveraine du pays, n'était pas souhaitable pour le moment » 73 ( * ) .

Inquiets des dérives oligarchiques du pouvoir et de la collusion entre un président « pro-russe » et un gouvernement se revendiquant « pro-européen », certains acteurs locaux rencontrés par votre rapporteur spécial prônaient l'abandon du projet d'assistance macrofinancière. Selon eux, l'octroi d'une nouvelle aide de l'Union européenne desservirait les intérêts européens dans la mesure où celle-ci risquerait d'être interprétée par la population comme une forme de soutien à la corruption. Déplorant que l'Union européenne fasse l'objet d'une forme de « chantage géopolitique » de la part des autorités moldaves, le chef de la délégation de l'Union européenne en Moldavie a admis la nécessité d'adopter une approche plus stricte vis-à-vis de ce pays.

Les insuffisances relevées par la Cour des comptes européenne concernant la mise en oeuvre du programme d'appui budgétaire pour le renforcement de l'administration publique 74 ( * ) indiquent, en effet, que la conditionnalité n'avait pas été suffisamment exploitée par le passé, ce qui avait fortement limité les effets positifs de ce programme 75 ( * ) .

Dans ce contexte, à la demande du Conseil et du Parlement européen, la Commission européenne s'est engagée à définir des conditionnalités plus strictes et plus précises dans le cadre de la prochaine opération d'assistance. Les trois tranches d'aide devraient donc être assorties de 31 conditions au total, contre dix pour la précédente assistance, concernant les secteurs bancaire, assurantiel, énergétique, la gestion des finances publiques, la lutte contre la corruption et le blanchiment d'argent ainsi que le climat des affaires concourant à la mise en oeuvre de l'accord de libre-échange complet et approfondi signé en juin 2014.

In fine , la proposition de décision accordant une assistance macrofinancière à la Moldavie a fait l'objet d'un accord en trilogue le 6 juin 2017, autorisant ainsi l'adoption de la décision en première lecture . En outre, en réaction au projet de loi de réforme électorale, le texte de compromis entre les trois institutions européennes comprend une déclaration commune rappelant que le respect de « mécanismes démocratiques effectifs, notamment de systèmes parlementaires multipartites, des droits de l'homme et de l'État de droit » est une condition préalable à l'assistance et devra faire l'objet d'une surveillance de la Commission européenne et du Service européen d'action extérieure tout au long du cycle de l'assistance 76 ( * ) .


* 62 Au total, dans le cadre de la politique européenne de voisinage, la Moldavie a bénéficié de 782 millions d'euros entre 2007 et 2015 ; le montant de l'aide (appui budgétaire et assistance technique) atteindrait entre 610 et 746 millions d'euros au titre de la période 2014-2020 . Par ailleurs, depuis 2007, la BEI accordé des prêts pour un montant total de 608 millions d'euros.

* 63 Cet accord d'association remplace l'accord de partenariat et de coopération entré en vigueur en 1998 et comprend un accord de libre-échange complet et approfondi et un programme d'association encourageant l'adoption d'un ensemble de réformes économiques.

* 64 Accord approuvé par le Conseil des gouverneurs du FMI approuvé le 7 novembre 2016.

* 65 Par ailleurs, les contributions du FMI et de la Banque mondiale ne permettraient pas de diminuer le besoin de financement du pays au cours de la période considérée en raison des remboursements prévus au titre d'accords antérieurs.

* 66 Cour des comptes européenne, rapport spécial n°13, op. cit ., p. 16.

* 67 Exposé des motifs de la proposition de décision du Parlement européen et du Conseil accordant une assistance macrofinancière à la République de Moldavie, COM(2017) 14 final, p. 6.

* 68 Ibid.

* 69 Ibid.

* 70 FMI, First reviews under the extended credit facility and extended fund facility arrangement, Republic of Moldova, avril 2017.

* 71 Direction générale du Trésor, réponse au questionnaire écrit de votre rapporteur spécial.

* 72 La Commission européenne pour la démocratie par le droit, également appelée Commission de Venise, est un organe consultatif du Conseil de l'Europe, composé d'experts indépendants en droit constitutionnel.

* 73 Statement by the Spokesperson on the Venice Commission and OSCE Office for Democratic Institutions and Human Rights' Opinion on a draft revision of the electoral legislation of the Republic of Moldova.

* 74 Financé par l'Instrument européen de voisinage.

* 75 Cour des comptes européenne, rapport spécial n° 13, op. cit., pp. 16 et suivantes.

* 76 Déclaration commune du Parlement européen, du Conseil et de la Commission, annexée au texte de compromis final.

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