III. UN BUDGET PEU LISIBLE : À NOUVEAU EN 2022, UNE CONTRIBUTION SIGNIFICATIVE DE LA MISSION « PLAN DE RELANCE » AU FINANCEMENT DE LA POLITIQUE DE L'EMPLOI

Le PLF 2021 avait prévu pour le programme 364 « Cohésion » de la mission « Plan de relance » des ouvertures de crédits de plus de 8,9 milliards d'euros en AE et 10 milliards d'euros pour le financement de dispositifs entrant dans le champ de la mission « Travail et emploi » .

Au cours de l'année 2021, l'essentiel de ces dispositifs ont en conséquence donné lieu à des transferts de crédits et délégations de gestion au profit de la délégation générale à l'emploi et à la formation professionnelle (DGEFP).

Ces crédits devaient notamment financer :

- l' activité partielle de droit commun (APDC) à distinguer de l'activité partielle « Covid-19 » relevant de la mission « Plan d'urgence face à la crise sanitaire » 7 ( * ) et l'activité partielle de longue durée (APLD) ;

- des mesures de renforcement de dispositifs préexistants de la politique de l'emploi et de la formation professionnelle ciblés sur les jeunes : contrats aidés dans les secteurs marchand et non-marchand, insertion par l'activité économique (IAE), Garantie jeunes, emplois francs, plan d'investissement dans les compétences (PIC), obligation de formation etc . ;

- des dispositifs exceptionnels visant à faciliter l'entrée dans la vie professionnelle , avec en particulier une prime à l'embauche des jeunes de moins de 26 ans en contrat à durée indéterminée (CDI) ou en contrat à durée déterminée (CDD) de plus de trois mois et des aides exceptionnelles aux employeurs d'apprentis et en contrat de professionnalisation ;

- un dispositif inédit d'aide à l'embauche des travailleurs handicapés ;

- des mesures de renforcement des dispositifs préexistants de la politique de formation professionnelle (ProA, compte personnel de formation) ;

- des subventions de soutien à Pôle emploi et France compétences.

En PLF 2022, les crédits demandés au titre de ces dispositifs sont principalement des crédits de paiement, à hauteur de 3,3 milliards d'euros, destinés à couvrir la consommation autorisations d'engagement antérieurement votées.

Il est par ailleurs à noter que l'essentiel des nouvelles AE ouvertes sur ces dispositifs, qui s'élèvent à 500 millions d'euros, auraient tout aussi bien pu être inscrites sur la mission « Travail et emploi ».

À titre d'exemple, la mesure de revalorisation de la rémunération des stagiaires de la formation professionnelle (196 millions d'euros en AE et 93 millions d'euros en CP), certes bienvenue compte tenu des niveaux de rémunération très faibles (inférieures au seuil de pauvreté monétaire) qui prévalaient jusqu'alors, revêtait néanmoins pour le rapporteur spécial Jean-François Husson « un caractère pérenne en imparfaite adéquation avec les principes du plan de relance [qui] a donc une fois de plus été [mobilisé] pour remédier (...) à un problème structurel de sous-financement » 8 ( * ) .

De même, les ouvertures de crédits proposées destinées à renforcer le PIC (128 millions d'euros en AE et 233 millions d'euros en CP) auraient tout à fait pu être inscrites sur l'action dédiée du programme 103.

Dispositifs de la mission "Plan de relance" entrant matériellement dans le champ de la mission « Travail et emploi » en 2021 et 2022

(en milliards d'euros)

PLF 2021

PLF 2022

Action du programme 364

Dispositif

AE

CP

AE

CP

01 « Sauvegarde de l'emploi »

Activité partielle

4,4

4,4

-

-

FNE-Formation

0,588

0,588

-

0,05

02 « Jeunes »

Aide exceptionnelle au contrat de professionnalisation

0,056

0,640

-

0,267

Aide exceptionnelle à l'apprentissage

0,057

0,801

-

1,625

Emplois francs plus jeunes

0,008

0,004

-

0,004

VTE vert

0,002

0,002

-

0,002

Prime à l'embauche (ASP)

0,1

0,9

-

0,09

Contrats initiative emploi (CIE) pour les jeunes

0,211

0,172

-

0,08

Parcours emploi compétences (PEC) pour les jeunes

0,416

0,240

-

0,166

Insertion par l'activité éconoique (IAE) pour les jeunes

0,047

0,047

-

-

Aide à la création d'entreprises pour les jeunes

0,025

0,025

-

-

Missions locales

0,100

0,100

-

-

Allocation PACEA

0,022

0,022

-

-

Allocation Garantie jeunes

0,211

0,095

-

0,116

Accompagnement des jeunes diplômés vers l'emploi par l'Association pour l'emploi des cadres

0,003

0,003

-

-

Accompagnement intensif jeunes (AIJ)

0,069

0,069

-

-

Parcours personnalisés pour les jeunes de 16 à 18 ans dans le cadre de l'obligation de formation

0,21

0,123

-

-

Plan d'investissement dans les compétences (PIC) pour les jeunes

0,700

0,193

-

0,233

Revalorisation de la rémunération des jeunes stagiaires de la formation professionnelle

0,085

0,085

0,087

0,041

Poursuite d'études pour les néo-bacheliers

0,039

0,039

-

0,041

03 « Handicap »

Aide à l'embaauche des travailleurs handicapés

0,085

0,078

-

0,006

04 « Formation professionnelle »

Dotation complémentaire allouée aux associations "Transition pro" (ATpro)

0,100

0,100

-

-

Promotion de l'alternance (Pro A)

0,270

0,108

-

0,108

Abondement au compte personnel de formation (CPF) des métiers stratégiques

0,023

0,023

-

-

Revalorisation de la rémunération des adultes en formation

0,106

0,106

0,109

0,052

France compétences

0,750

0,750

-

-

Pôle emploi

0,250

0,250

0,175

0,175

PIC - Expérimentation, innovation et prospective

-

-

0,103

0,208

PIC - Programmes nationaux (formation)

-

-

0,025

0,025

8,933

9,9625

0,499

3,289

La position des rapporteurs spéciaux

Les rapporteurs spéciaux ne peuvent que regretter le caractère incomplet et peu lisible du budget de la mission « Travail et emploi » tel qu'il a été présenté aux parlementaires dans la version initiale du projet de loi de finances.

Le « revenu » devenu « contrat » d'engagement pour les jeunes avait été annoncé par le président de la République le 12 juillet 2018. Celui-ci aurait utilement pu être intégré au projet de loi de finances pour 2022 déposé à l'Assemblée nationale, quitte à envisager des ajustements au cours de la discussion parlementaire . Le Haut Conseil des finances publiques a exprimé les mêmes regrets quant à ces « conditions de saisine qui ne lui permettent pas de rendre un avis pleinement éclairé sur les prévisions de finances publiques pour 2022 à l'intention du Parlement et des citoyens, en application de son mandat » 9 ( * ) . C'est d'autant plus regrettable que le dispositif proposé implique une réforme en profondeur de la politique d'accompagnement des jeunes rencontrant des difficultés d'insertion sociale et professionnelle. Dans ces conditions, les parlementaires se trouvent contraints de se prononcer sur un dispositif proposé sans étude d'impact et sans disposer du temps nécessaire pour entendre sur ce point les principaux acteurs concernés par sa mise en oeuvre.

De même, le plan de lutte contre les tensions de recrutement, doté de 1,4 milliard d'euros, a été annoncé le 28 septembre 2021, soit quelques jours seulement après le dépôt du PLF pour 2022 et alors que la problématique des emplois non pourvus avait été mise en avant par les pouvoirs publics dès l'été.

Enfin, en 2022 comme en 2021 , le financement de dispositifs semblables par les missions « Plan de relance » et « Travail et emploi », sans que la distinction ne soit toujours bien justifiée , se fait au détriment de la lisibilité budgétaire de cette politique publique.

La position d'Emmanuel Capus, rapporteur spécial

Le rapporteur spécial tient à rappeler que ce budget 2022 s'inscrit dans une conjoncture très particulière sur le marché du travail . En premier lieu, celle-ci se caractérise par un fort dynamisme des embauches (+ 438 000 entre fin 2020 et fin juin 2021 selon l'Insee, soit davantage que les - 293 000 destructions constatées sur l'année 2020). Le taux de chômage au sens du Bureau international du travail (BIT) s'établissait à 8 % au deuxième trimestre 2021, soit au même niveau qu'en juin 2019, et devrait encore diminuer durant le second semestre.

Néanmoins, certaines difficultés subsistent , avec un taux de chômage de longue durée stabilisé à un niveau important (2,4 % des actifs, soit 710 000 personnes), des difficultés persistantes d'accès à l'emploi pour les jeunes , dont le taux de chômage s'élève à 19,8 %, et une proportion de NEET de 12,8 %, soit supérieure de 0,5 point à son niveau d'avant crise, et - de façon plus nouvelle - de fortes tensions de recrutement . Selon la direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares), on compte 264 800 emplois vacants au 2 ème trimestre 2021, soit une hausse de 22 % par rapport au 1 er trimestre, particulièrement marquée dans le tertiaire marchand (+32 %), l'industrie (+18 %) et la construction (+17 %).

Le budget présenté, avec les limites évoquées supra , a le mérite de répondre très directement à ces enjeux , en prévoyant le financement d'un plan de réduction des tensions de recrutement centré sur la formation professionnelle et ciblé sur les chômeurs de longue durée ainsi qu'un renforcement important des crédits destinés aux personnes les plus éloignées du marché du travail, avec une progression des crédits du programme 102 de 8 % en CP dans la version initiale du PLF 2022, avant même la prise en compte du contrat d'engagement.

Outre des renforcements ponctuels, l'effort de maîtrise structurelle des effectifs s'est maintenu , avec un schéma d'emploi nul cette année et un bilan de - 781 ETPT sur le quinquennat. Dans les prochaines années, sous réserve de la poursuite de l'amélioration de la conjoncture constatée en 2021, le rapporteur spécial appelle à ce que les efforts de rationalisation de la dépense entrepris en 2018 puissent reprendre, après les hausses légitimes que celle-ci a pu connaître dans le contexte de la réponse aux conséquences sociales de la crise sanitaire puis de la relance .

La position de Sophie Taillé-Polian, rapporteure spéciale

La rapporteure spéciale ne peut que se réjouir de la poursuite en 2022 de l'effort accru consenti en faveur de la politique de l'emploi depuis 2020. Elle observe néanmoins que la hausse des crédits tient pour partie à la conduite de mesures temporaires en réponse à des situations conjoncturelles, à l'instar du plan de réduction des tensions de recrutements.

La hausse des emplois prévue est temporaire également , avec l'accompagnement de la réforme « Organisation territoriale de l'État » et le recrutement de renforts temporaires pour colmater les brèches et faire face au surcroît d'activité généré par la crise dans les services déconcentrés du ministère ainsi qu'à Pôle emploi. Si ces recrutements sont indispensables, ils renvoient dans le même temps le signal paradoxal d'un ministère chargé de l'amélioration de la qualité de l'emploi mais créateur de précarité pour ses propres agents.

Les réductions structurelles des effectifs se poursuivraient en outre à un rythme soutenu pour Pôle emploi et pour l'AFPA , affectée par un brutal plan de sauvegarde de l'emploi, conséquence de difficultés financières largement imputables à l'intégration dans le champ concurrentiel, prévue par l'ordonnance n° 2016-1519 du 10 novembre 2016, des missions de service public qu'elle exerce. C'est d'autant plus dommageable qu'elle a su, par le passé, démontrer une efficacité sociale élevée, avec un taux d'entrée en emploi supérieur à la moyenne des organismes de formation.

Le financement de Pôle emploi pose également question . Depuis plusieurs années, la rapporteure spéciale déplore la baisse de la subvention pour charges de service public au profit d'un financement par l'Unédic. Ce choix est critiquable au plan des principes, en ce qu'il conduit à faire supporter aux chômeurs eux-mêmes le coût du service public de l'emploi. Il l'est également au plan pratique, puisqu'il augmente la procyclicité des ressources de Pôle emploi, ce qui est peu adapté aux missions de l'opérateur. Le système a montré ses limites, avec la nécessité de prévoir une compensation - partielle - par des crédits budgétaires de sa diminution attendue en 2022 en conséquence de l'impact de la crise sur les ressources de l'Unédic et alors que l'opérateur connaît depuis 2020 un surcroît d'activité important.

On observe donc que, sur le quinquennat, les crédits de la mission « Travail et emploi » ont évolué suivant la conjoncture économique. On est cependant en droit de se demander si ceux-ci ne suivent pas en parallèle le cycle électoral, laissant ainsi craindre un nouveau tournant austéritaire dans les années à venir .


* 7 Voir infra le commentaire des crédits de la mission « Plan d'urgence face à la crise sanitaire ».

* 8 Annexe n° 32, au rapport général n° 138 (2020-2021) de M. Jean-François Husson, fait au nom de la commission des finances, déposé le 19 novembre 2020.

* 9 Haut Conseil des finances publiques, Avis du 17 septembre 2021 relatif aux projets de lois de finances et de financement de la sécurité sociale pour l'année 2022.

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