LA TAXE SUR LES SERVICES NUMÉRIQUES

La division de la Législation comparée du Sénat a conduit une recherche sur les différents modèles de taxation des services numériques dans six pays : l'Australie, l'Autriche, l'Espagne, l'Italie, la Nouvelle-Zélande et le Royaume-Uni.

1. Des initiatives volontaristes en Europe continentale mais dispersées et dépendantes du cycle électoral
a) Les tâtonnements de l'Italie en 2017 et en 2018

Les initiatives fiscales italiennes visant les fournisseurs de services numériques remontent à 2017.

En premier lieu, un décret-loi rapidement ratifié instaura non pas une taxe à proprement parler, mais une procédure de coopération facultative renforcée entre certaines entreprises et l'administration fiscale italienne 86 ( * ) . Les entreprises visées étaient celles qui appartenaient à des groupes multinationaux dont les revenus consolidés étaient supérieurs à un milliard d'euros et qui effectuaient des cessions de biens et des prestations de services dans le territoire italien pour un montant de plus de 50 millions d'euros annuels. Ces conditions permettaient dans les faits de faire rentrer les géants du numérique dans le champ d'application du texte, bien que le texte ne fît pas mention des services ou des transactions numériques. Le but était de faciliter les négociations avec l'administration fiscale italienne afin de déterminer le montant des impôts dus par ces entreprises, alors que la reconnaissance d'un établissement permanent sur le territoire italien n'était pas aisée, les établissements de ces groupes actifs en Italie étant installés sur le papier à l'étranger.

Une deuxième étape est franchie dans la loi de finances italienne pour 2018 qui introduit une taxe sur les transactions numériques (imposta sulle transazioni digitali) portant sur les prestations de services par des moyens numériques à des résidents italiens 87 ( * ) . Dans les faits, cette taxe est restée lettre morte avant d'être remplacée par une taxe sur les services numériques (servizi digitali) en 2019.

En 2018, le gouvernement italien avait prévu l'obligation de payer une taxe d'un montant correspondant à 3 % de la valeur nette de chaque prestation de services réalisée par le biais de moyens numériques 88 ( * ) . L'entreprise devenait imposable dès lors qu'elle avait effectué plus de 3 000 transactions numériques dans l'année civile. Le législateur avait ainsi fait le choix de fixer le seuil d'imposition en fonction du nombre des transactions plutôt qu'en fonction d'un montant financier.

Cependant, l'indispensable décret d'application du ministre de l'économie et des finances prévu par la loi de finances n'ayant jamais été pris en raison du changement de gouvernement après les dernières élections législatives, la taxe sur les transactions numériques est demeurée entièrement sans effet avant d'être abrogée par la nouvelle loi de finances pour 2019.

b) L'instauration d'une taxe sur les services numériques dans la loi de finances italienne pour 2019

La loi de finances italienne pour 2019 a institué une taxe sur les services numériques 89 ( * ) . Toutefois, sa mise en oeuvre effective reste suspendue à la prise d'un décret d'application conjoint du ministre de l'économie et des finances et du ministre du développement économique, après avoir entendu l'Autorité de régulation du secteur des télécommunications, le Défenseur de la protection des données personnelles et l'Agence pour l'Italie digitale 90 ( * ) . Le décret d'application n'a pas encore été pris, ce qui bloque pour l'instant l'application de la taxe.

L'assujetti à la taxe sur les services numériques italienne est défini comme toute personne exerçant des activités commerciales qui, à titre individuel ou au niveau d'un groupe de sociétés, réalise un chiffre d'affaires global supérieur à 750 millions d'euros dont au moins 5,5 millions d'euros en Italie 91 ( * ) .

Le taux de la taxe est fixé à 3 % du montant des opérations taxables par l'assujetti chaque trimestre, soit 3 % du revenu tiré de la fourniture de services (1) de publicité sur des plateformes numériques, (2) de mise à disposition d'une interface numérique permettant aux usagers d'être en contact et d'interagir entre eux ou de faciliter la fourniture directe de biens ou de services et (3) de transmission de données recueillies par les usagers et générées par l'utilisation d'une interface numérique.

Les sociétés proposant des services numériques en Italie mais établies à l'étranger et n'ayant ni d'établissement déclaré sur le territoire italien, ni de numéro d'identification fiscale sont tenues de s'enregistrer auprès de l'administration fiscale (Agenzia delle entrate) aux fins de déterminer leur imposition découlant de la taxe numérique.

La nouvelle taxe italienne sur les services numériques étant considérée comme un impôt indirect, la loi prévoit l'application du régime de la TVA (imposta sul valore aggiunto) en ce qui concerne le contrôle fiscal, les sanctions et la détermination des pénalités, le recouvrement de la taxe ainsi que le contentieux relatif à la taxe sur les services numériques.

c) Un projet de loi déposé au Parlement en Espagne mais reporté après les prochaines élections législatives

Le 25 janvier 2019, le Congrès des députés espagnol a enregistré le dépôt d'un projet de loi portant création d'une taxe sur certains services numériques 92 ( * ) . La convocation des élections générales en Espagne le 28 avril prochain après la censure du gouvernement Sanchez devrait retarder la discussion et l'adoption de ce texte.

Selon l'exposé des motifs, le projet de loi vise à anticiper la conclusion d'un accord sur cette taxe au sein de l'Union européenne en l'absence de consensus entre les États membres. Toutefois, le gouvernement espagnol réaffirme sa volonté de participer au mouvement d'harmonisation européenne si bien que la taxe sur certains services numériques proposée correspond en grande partie au projet de la Commission européenne.

Le projet de loi espagnol définit la taxe sur certains services numériques (determinados servicios digitales) comme une contribution indirecte sur la prestation de certains services numériques dans lesquels interviennent les usagers situés sur le territoire espagnol (art. 1). Dans ce cas, la participation des usagers constitue un élément indispensable du processus de création de valeur de l'entreprise prestataire. La qualification de services numériques imposables au titre de cette loi est toutefois limitée aux services de publicité en ligne, d'intermédiation en ligne et de transmission de données (art. 4).

Certains services susceptibles de rentrer dans ces catégories ne sont pas assujettis (art. 6). Les exemptions les plus importantes portent sur :

- les ventes de biens ou de services en ligne dans lesquelles le fournisseur n'agit pas en qualité d'intermédiaire ;

- les prestations d'intermédiation en ligne dont la finalité unique ou principale est de fournir un service de communication ou de paiement à travers une interface numérique ;

- les prestations de services financiers régulés par des entités financières régulées ;

- les prestations de services numériques par des sociétés membres d'un groupe de sociétés ou détenues directement ou indirectement par une autre à hauteur de 100 % des participations. Comme dans le régime italien, cette exception relève du cas du contrôle d'une société par une autre.

Afin d'éviter le contentieux international des investissements ou sur la double imposition, l'exposé des motifs prend le soin d'indiquer clairement que cette nouvelle taxe ne constitue pas un impôt sur les revenus ou sur le patrimoine et ne rentre pas, de ce fait, dans le champ d'application des conventions fiscales internationales sur la double imposition. Les dispositions du projet de loi s'entendent sans préjudice des traités et des conventions internationales faisant partie de l'ordonnancement juridique espagnol (art. 3).

Sont assujetties, peu importe que leur lieu d'établissement soit situé en Espagne, dans un État membre ou dans un État tiers, les entreprises qui réalisent un chiffre d'affaires global supérieur à 750 millions d'euros dont au moins 3 millions ont été réalisés en Espagne (art. 8).

Le taux d'imposition est fixé à 3 % des revenus tirés de prestations de services numériques imposables réalisées en Espagne après déduction du montant de la TVA due pour chaque fourniture de services numériques (art. 10 et 11). Pour déterminer la proportion d'activités en Espagne, un coefficient est appliqué au montant total des revenus tirés des activités numériques. En ce qui concerne les services de publicité en ligne, le coefficient correspond à la fraction du nombre d'occurrences de la publicité sur des dispositifs informatiques situés sur le territoire espagnol divisé par le nombre d'occurrences de la publicité en tout lieu. Pour les services d'intermédiation en ligne qui facilitent la remise de biens ou la prestation de services directement entre usagers, le coefficient correspond à la fraction du nombre d'usagers espagnols divisé par le nombre d'usagers global en tout lieu. Pour les autres services d'intermédiation en ligne, la base imposable est constituée par les revenus tirés des usagers titulaires d'un compte d'accès à l'interface numérique ouvert depuis un dispositif informatique situé en Espagne. Pour les services de transmission de données, le coefficient appliqué aux revenus totaux correspond à la fraction du nombre d'usagers ayant généré des données qui sont situés en Espagne divisé par le nombre total d'usagers ayant généré des données en tout lieu.

Le recouvrement de l'impôt est trimestriel et coïncide avec les trimestres naturels. Les assujettis devront présenter la déclaration et le calcul de cette taxe et réaliser le paiement conséquent selon des modalités déterminées par un décret du ministre des finances.

Sont également prévues d'autres obligations pour les redevables de la taxe : l'obligation de déclarer les activités dont découle l'assujettissement à l'impôt, la demande d'un numéro d'identification fiscale pour les entreprises qui n'ont pas d'établissement en Espagne et l'inscription dans un registre spécial de l'administration fiscale destiné à recueillir les données des assujettis à la taxe sur les services numériques. L'étendue, les limites et les conditions de ces obligations doivent être fixées par la voie réglementaire (art. 13).

En cas de manquement, il est fait renvoi à l'application du régime général des infractions fiscales. Une amende est prévue d'un montant équivalent à 0,5 % du montant des opérations imposables, jusqu'à 400 000 euros par année de manquement.

d) Les annonces autrichiennes face à l'impasse des négociations européennes

L' Autriche sous l'impulsion du chancelier Kurz a pris position en faveur d'une taxe sur les services numériques (Digitalsteuer) visant les multinationales. Elle a tenté de parvenir à une position commune au niveau européen au cours de sa présidence du Conseil au deuxième semestre 2018. Le 10 janvier 2019, à l'issue d'un séminaire gouvernemental, le ministre des finances Hölger a précisé les contours du projet du gouvernement autrichien. La taxe s'élèverait à 3 % des recettes de publicité en ligne enregistrées par les fournisseurs de services numériques. Seraient concernées les multinationales réalisant un chiffre d'affaires mondial supérieur à 750 millions d`euros et un chiffre d'affaires en Autriche d'au moins 10 millions d'euros. La proposition tient manifestement compte des projets de la Commission et de la tentative de compromis franco-allemand fin 2018.

Le gouvernement autrichien avait annoncé qu'il ne chercherait à mettre en oeuvre ce dispositif fiscal propre à l'Autriche que si aucun accord n'était conclu au niveau européen. Après l'échec des négociations au sein du Conseil, le ministre des finances autrichien a confirmé son intention le 15 mars 2019 et a constitué un groupe d'experts pour élaborer un dispositif précis sur la base des conclusions du séminaire gouvernemental de janvier. Il est attendu que la nouvelle taxe numérique soit intégrée au projet de loi de finances pour 2020.

Parallèlement, d'autres mesures fiscales sont prévues pour faire face à la numérisation de l'économie. Ainsi, la TVA (Umsatzsteuer (Ö)) s'appliquera dès le premier cent aux biens vendus en ligne depuis un État tiers alors qu'aujourd'hui elle ne s'applique que lorsque la valeur du bien acheté en ligne et importé dépasse 22 euros. Le site de commerce en ligne Alibaba est dans la ligne de mire du gouvernement autrichien pour des sous-déclarations systématiques de la valeur des biens. Enfin, l'Autriche prévoit de renforcer les obligations déclaratives de plateformes de location de logements comme Airbnb pour faciliter la levée des taxes afférentes.

Le gouvernement autrichien espère grâce à l'ensemble de ces mesures lever 200 millions d'euros par an.

2. L'évolution des pays de Common Law : de la lutte contre l'optimisation fiscale des multinationales vers le ciblage des services numériques
a) Les initiatives du Royaume-Uni

Le gouvernement britannique a fait adopter dans la loi de finances pour 2015 une taxe sur les bénéfices détournés (Diverted Profits Tax - DPT) pour contrer certaines pratiques, en particulier les « arrangements artificiels » destinés à éviter une imposition au Royaume-Uni. 93 ( * ) Le ministre des finances expliquait alors cette mesure par le fait qu'il était nécessaire de s'assurer que les profits soient taxés au Royaume-Uni lorsque les activités économiques qui les avaient générés s'y étaient déroulées. Cette taxe est censée renforcer l'équité du système fiscal sans nuire à la compétitivité.

Cette taxe entrée en vigueur le 1 er avril 2015 est appelée communément « taxe Google ». Elle vise clairement les grandes multinationales du numérique même si elle couvre l'ensemble des secteurs économiques. Le mécanisme appelé « Double Irish » mis en place par Google était notamment dans la ligne de mire du gouvernement conservateur. En effet, les bénéfices réalisés par Google au Royaume-Uni sont rapatriés dans une société enregistrée à Dublin mais résidente fiscale aux Bermudes.

Le dispositif britannique est complexe. On se limitera à en donner les grandes lignes, le dispositif australien plus récent étant présenté plus en détail ci-dessous. Le principe fondamental est de définir juridiquement des structurations d'entreprises, par exemple l'absence délibérée d'un établissement permanent, ou des transactions entre entreprises liées, britanniques et non-britanniques, qui ne présentent aucune contrepartie économique réelle ( lack of economic substance ) et qui sont destinées à échapper à l'impôt sur les sociétés britannique ou à profiter d'une disparité fiscale entre États ( tax mismatch ). Il revient aux sociétés de déclarer les arrangements et schémas d'optimisation qu'elles ont mis en place et qui sont susceptibles d'entrer dans le champ d`application de la taxe, dans les trois mois suivant la fin de l'exercice comptable.

Le calcul du montant des bénéfices détournés fait l'objet de nombreuses dispositions. Les petites et moyennes entreprises 94 ( * ) sont exemptées du dispositif, dès lors que dans les schémas d'optimisation faisant intervenir deux sociétés liées, britannique et non-britannique, toutes les deux appartiennent à cette catégorie. Sur la base de leurs estimations, les services fiscaux britanniques notifient ensuite à l'entreprise leur décision de la taxer au titre de la Diverted Profits Tax (DPT) pour un montant correspondant à 25 % des bénéfices détournés sur la période comptable. 95 ( * )

Sur l'exercice 2017-2018, les services fiscaux ont procédé à 190 notifications d'imposition au titre de la DPT concernant 22 entreprises, chaque notification portant sur un schéma d'optimisation fiscale donné. Ces notifications ont entraîné la collecte de 219 millions de livres, auxquels il faut ajouter 169 millions de livres de collecte supplémentaire d'impôt sur les sociétés due aux changements de comportement et à la mise en conformité de certaines multinationales. Au total, on peut estimer à 388 millions de livres (environ 446 millions d'euros 96 ( * ) ) sur l'année le gain brut tiré de la législation anti-détournement de bénéfices.

Par ailleurs, dans deux prises de position publiques à l'automne 2017 et au printemps 2018, le gouvernement britannique a appelé de ses voeux une réforme des règles de taxation internationales pour les entreprises du numérique. En attendant une réforme globale, il a choisi d'instaurer une taxe sur les services numériques (Digital Services Tax - DST) qui entrerait en vigueur en avril 2020.

D'après le ministère des finances britannique 97 ( * ) , cette taxe rapporterait 1,5 milliard de livres sur 4 ans en appliquant un taux de 2 % sur les revenus de certains modèles d'activité des entreprises du numérique, dès lors qu'ils sont essentiellement liés à la participation d'usagers britanniques. Cela s'appliquerait aux moteurs de recherche, aux plateformes de réseaux sociaux et aux plateformes d'intermédiation de vente en ligne ( marketplaces) . Il ne s'agit pas d'une taxe sur la vente de biens en ligne proprement dite mais sur les revenus tirés de l'intermédiation de telles ventes. Il ne s'agit pas non plus d'une taxe généralisée sur la publicité en ligne ou sur la collecte de données. Ces activités ne seront taxées que si l'entreprise fournit une des prestations de moteur de recherche, de réseau social ou de marketplace . La DST n'entrera pas dans le champ d'application des traités anti-double imposition signés par le Royaume-Uni.

Dans la conception britannique, la DST doit être étroitement ciblée, proportionnée et transitoire en attendant une solution internationale. Elle se caractérise par :

- un double seuil : pour être taxables, les revenus totaux générés par les activités commerciales faisant partie du champ visé doivent atteindre au moins 500 millions de livres dans le monde (environ 575 millions d'euros). En outre, un deuxième seuil est fixé à 25 millions de livres (environ 29 millions d'euros) de recettes réalisées au Royaume-Uni ou en lien avec les usagers du Royaume-Uni ;

- une clause de protection pour épargner les entreprises déficitaires, totalement exemptées, ou aux marges très réduites, qui bénéficieront d'un taux réduit ;

- une clause de révision en 2025, en fonction de l'avancée des négociations internationales. Dans l'éventualité où une solution internationale interviendrait avant 2025, la DST ne serait plus appliquée.

Le gouvernement britannique a lancé une consultation portant sur la conception de cette nouvelle taxe en novembre 2018, les contributions étaient attendues au plus tard pour le 28 février 2019. En termes de calendrier, la DST devrait être formellement créée par la loi de finances 2019-2020 et entrer en vigueur en avril 2020.

b) Un renforcement des arsenaux australiens et néo-zélandais

Depuis 2014 où elle a assumé la présidence du G20, l' Australie est en pointe dans la recherche d'un nouveau compromis multilatéral de refonte du système international de taxation des entreprises multinationales. Elle a participé activement aux travaux de l'OCDE visant à combattre l'érosion de la base fiscale et le transfert de bénéfices ( Base Erosion and Profit Shifting - BEPS Project ) et a déjà mis en oeuvre plusieurs de ses recommandations en durcissant sa législation.

L'approche australienne vise d'abord à contrecarrer et punir les différentes stratégies d'évasion ou d'optimisation fiscale des multinationales. De ce point de vue, les GAFA sont certes les sociétés concernées et consciemment visées au premier chef mais elles ne sont pas les seules. Les pratiques de Starbucks dans le commerce de boissons et la restauration sont aussi visées par exemple. En complément, le gouvernement australien commence à déployer une politique ciblant les défis posés par l'économie numérique et consulte en vue de l'élaboration d'une législation fiscale dédiée pour les prochains budgets.

La lutte contre l'évasion fiscale des multinationales repose sur deux blocs législatifs dont l'application repose sur une équipe spécialisée au sein des services fiscaux :

- la Multinational Anti-Avoidance Law de 2015 98 ( * ) ;

- la Diverted Profits Tax ou taxe sur les bénéfices détournés de 2017, qui est aussi connue dans les médias australiens comme « taxe Google ». 99 ( * )

Les deux dispositifs s'attaquent aux acteurs multinationaux majeurs ( significant global entities ), qui peuvent être soit une société-mère dont le revenu annuel total est supérieur ou égal à 1 milliard de dollars australiens (environ 625 millions d'euros), soit une entité appartenant à un groupe consolidé dont la société-mère bénéficie d'un revenu annuel de ce montant.

Le principe de la Multinational Anti-Avoidance Law (MAAL) est d'empêcher les multinationales de se structurer de telle sorte qu'elles échappent à l'impôt sur les sociétés australien tout en réalisant un chiffre d'affaires important en Australie. Entrée en vigueur le 1 er janvier 2016, la MAAL cible les dispositifs d'optimisation fiscale dans lesquels : (1) l'entité étrangère fournit des biens ou des services à un consommateur australien, (2) une entité australienne, qui est associée ou commercialement dépendante de l'entité étrangère, réalise une activité directement liée à la fourniture desdits biens ou services, (3) tout ou partie du revenu tiré par l'entité étrangère de l'activité en Australie n'est pas attribuable à un établissement permanent en Australie, (4) un des buts principaux de la structuration retenue est d'obtenir un gain fiscal au regard du droit commun australien, ce qui revient à introduire une notion d'intention, interprétée toutefois de façon minimaliste par l'administration fiscale. Si ces quatre conditions sont réunies, alors les services fiscaux australiens peuvent annuler unilatéralement tout gain fiscal et imposer l'entité étrangère sur la totalité de l'activité réalisée en Australie comme si elle y disposait d'un établissement permanent. De surcroît, les plafonds des pénalités qui peuvent être infligées à la multinationale en cas d'évasion fiscale sont doublés par rapport au droit commun.

Au 30 juin 2018, 44 multinationales avaient achevé ou engagé une procédure de mise en conformité. Le ministère des finances australien estime que chaque année 7 milliards de dollars australien en chiffres d'affaires seront réintégrés dans la base d'imposition australienne grâce à la MAAL. En outre, 200 millions de dollars australiens de TVA ont été récupérés sur 2016-2017 grâce à la mise en conformité.

Par ailleurs, la Diverted Profits Tax (DPT) est entrée en vigueur le 1 er juillet 2017. Elle vise spécifiquement les pratiques de transfert de bénéfices hors d'Australie grâce à des conventions ou des transactions entre entités apparentées ou affiliées. Classiquement dans ces schémas d'optimisation, une entité est redevable de l'impôt sur les sociétés en Australie et l'autre dans un pays à bas taux, par exemple Singapour. Sont sanctionnées les transactions transfrontalières entre entités apparentées qui (1) aboutissent à ce que l'entité imposable en Australie bénéficie d'un gain fiscal, autrement dit d'une baisse de son imposition, et que l'entité imposable à l'étranger supporte une augmentation du montant de son imposition inférieure à 80 % de ce gain fiscal, (2) manquent de substance économique réelle et (3) visent à obtenir un avantage fiscal au regard du droit commun australien. Lorsque ces conditions sont remplies, le taux de l'impôt sur les sociétés dû par l'entité australienne est relevé à 40 %. 100 ( * )

Sont exemptées de la DPT les fonds d'investissement, les entités étrangères propriétés d'un gouvernement étranger et les fonds de pension étrangers. De même, ne sont pas touchés les cas où l'entité australienne dispose d'un revenu annuel inférieur à 25 millions de dollars australiens (environ 15,5 millions d'euros).

En revanche, il convient de remarquer que la DPT est déclenchée sur la base d'une évaluation des services fiscaux et sans attendre une déclaration ou une auto-évaluation par l'entité australienne redevable. Le paiement est exigible immédiatement et la contestation du DPT ne le diffère pas, en accord avec le principe du « pay now, argue later » aussi valable au Royaume-Uni. Il revient à l'entité redevable qui conteste la DPT d'apporter aux services fiscaux les preuves qui la dédouaneraient.

Parallèlement, la réponse australienne au défi fiscal spécifique de l'économie numérique se consolide au travers de l'extension de la TVA ( Goods and Services Tax - GST ) aux biens et services numériques importés en 2017, aux biens importés de faible valeur en 2018 et aux services de réservation de logement touristique installés à l'étranger, cette dernière projetée à compter de 2019 101 ( * ) . En particulier, depuis le 1 er juillet 2017, la vente par un fournisseur non-résident de services électroniques et numériques à des consommateurs australiens est soumise à une TVA de 10 %, taux identique à celui qui s'applique à la fourniture de biens et de services physiques. Sont compris le streaming et le téléchargement de musique, de films, de jeux et d'applications pour mobile, les livres électroniques sur lecteurs, les services de stockage de données et de cloud . Le fournisseur non-résident de prestations de service numériques est tenu de s'enregistrer auprès de l'administration fiscale pour s'acquitter de la TVA dès lors que ses ventes annuelles en ligne dépassent 75 000 dollars australiens en valeur (environ 50 000 euros). Les plateformes comme Google Play, Apple App Store ou Amazon Kindle qui mettent à disposition des contenus sont tenues d'appliquer cette taxe et de procéder à sa déclaration.

Enfin, le ministère des finances australien a lancé en octobre 2018 une consultation publique sur les modalités de révision du système de taxation des sociétés pour prendre en compte la numérisation 102 ( * ) . Le document de la consultation récapitule les actions déjà menées, anticipe les effets attendus de la numérisation croissante de l'économie et demande au public des contributions sur une série large de questions sans laisser transparaître de préférence pour une option particulière. Le gouvernement australien suit très attentivement les projets de la Commission européenne, des États membres et du Royaume-Uni, mais n'a pas encore arrêté de position ferme.

La Nouvelle-Zélande a annoncé le 18 février 2019 qu'elle lancerait une consultation sur les changements à apporter à la réglementation fiscale qui permet aux entreprises multinationales du numérique de réaliser des activités en Nouvelle-Zélande sans payer d'impôt sur les revenus qu'elles en tirent.

La Première ministre Jacinda Ardern a déclaré dans une conférence de presse 103 ( * ) à l'issue du Conseil des ministres que les multinationales devaient payer leur juste part d'impôt en Nouvelle-Zélande. La Nouvelle-Zélande s'est engagée au sein de l'OCDE pour développer un cadre pour lutter contre les défis fiscaux émergeant de la numérisation de l'économie mondiale. Le gouvernement néo-zélandais souhaite continuer à travailler au niveau multilatéral pour obtenir un accord large sur cette question, tout en étudiant la possibilité d'introduire dans l'intervalle une taxe sur les services numériques.

En parallèle, le groupe de travail sur les taxes (Tax Working Group) , mis en place en 2017, a publié son rapport final le 21 février 2019 104 ( * ) . Tout en soutenant la démarche du gouvernement de continuer à participer aux discussions de l'OCDE sur cette question, il recommande que la Nouvelle-Zélande soit prête à agir au mieux de ses intérêts et que « le Gouvernement se tienne prêt à mettre en oeuvre une taxe sur les services numériques si une masse critique d'autres pays vont dans cette direction et s'il est raisonnablement certain que les industries d'exportation néo-zélandaises ne seront pas matériellement impactées par des mesures de rétorsion » 105 ( * ) . La démarche néo-zélandaise s'inscrit d'ailleurs expressément dans la lignée d'autres pays pionniers, comme l'Australie, la France, l'Italie, l'Espagne, l'Autriche ou le Royaume-Uni.

Le rapport précise que le groupe de travail a reçu beaucoup de contributions du public sur ce sujet, qui ressent un sentiment d'injustice du fait que ces entreprises ne sont pas concernées par la taxation. Il s'inquiète que ce sentiment d'injustice puisse annoncer l'érosion de l'adhésion populaire au système fiscal dans son ensemble.

Le système fiscal néo-zélandais actuel semble prodiguer un avantage aux multinationales des services numériques par rapport aux entreprises néo-zélandaises du même secteur qu'il convient de réduire grâce à l'instrument fiscal. Le montant des services numériques transnationaux en Nouvelle-Zélande est estimé à 2,7 milliards de dollars néo-zélandais par an (environ 1,63 milliard d'euros). Une taxe apporterait un revenu de l'ordre de 30 à 80 millions NZD (de 18 à 48 millions d'euros). Son taux n'est pas fixé mais d'après les annonces du ministre du budget serait compris entre 2 et 3 % des revenus générés en Nouvelle-Zélande, dans la continuité des taux retenus par les autres pays.

L'influence australienne est patente. En 2018, le Parlement néo-zélandais a déjà adopté un texte visant à neutraliser l'érosion de la base d'imposition et le transfert de bénéfices 106 ( * ) , qui devrait rapporter 200 millions NZD à l'État. La proposition de taxation des multinationales du numérique s'inscrit dans la droite ligne de ce premier dispositif qui visait à lutter contre la planification fiscale agressive des multinationales.


* 86 Art. 1 er bis, Decreto-Legge. 24 aprile 2017, n. 50. Disposizioni urgenti in materia finanziaria, iniziative a favore degli enti territoriali, ulteriori interventi per le zone colpite da eventi sismici e misure per lo sviluppo. Équivalent fonctionnel d'une ordonnance, il a été modifié et ratifié par la loi 96/2017.

* 87 Art. 1, points 1011 à 1019, Legge 27 dicembre 2017, n. 205 Bilancio di previsione dello Stato per l'anno finanziario 2018 e bilancio pluriennale per il triennio 2018-2020.

* 88 L'article 1 point 1012 renvoyait au décret d'application de ces dispositions le soin de définir et indiquer les transactions qui rentraient dans son champ d'application, ces transactions étant en tout état de cause celles réalisées à travers Internet ou à travers un réseau électronique de sorte que l'opération devienne essentiellement automatisée et avec une intervention humaine minime.

* 89 Art. 1, points 35 à 45, Legge 30 dicembre 2018, n° 145. Bilancio di previsione dello Stato per l'anno finanziario 2019 e bilancio pluriennale per il triennio 2019-2021.

* 90 Respectivement, en italien, l'Autorita` per le garanzie nelle comunicazioni, il Garante per la protezione dei dati personali e l'Agenzia per l'Italia digitale.

* 91 La loi exclut de son champ d'application les sociétés contrôlées par une autre société aux termes de l'article 2359 du code civil italien, équivalent de l'article L. 233-3 du Code de commerce français.

* 92 121/000039 Proyecto de Ley del Impuesto sobre Determinados Servicios Digitales. Le ministère des finances espagnol avait élaboré un avant-projet de loi portant création d'une taxe sur certains services numériques soumis à la procédure de consultation publique le 23 octobre 2018. Il a également réalisé une étude d'impact sur l'avant-projet de loi en question. http://www.hacienda.gob.es/Documentacion/Publico/NormativaDoctrina/Proyectos/Tributarios/MAIN%20APL%20IDSD.pdf

* 93 Finance Act 2015 (Royal assent : 26 mars 2015), Part 3.

* 94 En l'absence de fixation d'un seuil spécifique pour la qualification de PME au sens de la Diverted Profits Tax, il convient de se référer à la définition standard comme entreprise de moins de 250 salariés. Il y a 5,7 millions de PME au Royaume-Uni selon cette définition soit 99 % des entreprises. Cf. House of Commons, C. Rhodes, Briefing Paper N.06152, Business Statistics, 12 décembre 2018.

* 95 Les bénéfices détournés sont taxés à 55 % lorsqu'ils sont intégrés dans un schéma de ring-fencing (séparation et cantonnement des actifs ou des bénéfices au sein d'une même entité pour des raisons de régulation sectorielle ou fiscales).

* 96 Taux de conversion au 21 mars 2019. Les fluctuations à la baisse de la livre britannique à l'approche du Brexit tendent à sous-estimer la valeur du seuil en euros.

* 97 https://assets.publishing.service.gov.uk/government/uploads/system/uploads/attachment_data/file/752172/DST_web.pdf

* 98 Tax Laws Amendment (Combating Multinational Tax Avoidance) Act 2015, (Royal Assent : 11/12/2015)

* 99 Treasury Laws Amendment (Combating Multinational Tax Avoidance) Act 2017 & Diverted Profits Tax Act 2017, (Royal Assent : 04/04/2017)

* 100 Le taux normal est en principe de 30 %, avec la perspective de le baisser à 25 % dans les prochains budgets.

* 101 Treasury Laws Amendment (2018 Measures No. 5) Bill 2018 : Online hotel bookings, projet de loi déposé au Parlement australien en Septembre 2018.

* 102 The digital economy and Australia's corporate tax system, Treasury Discussion Paper, Commonwealth of Australia, October 2018.

* 103 https://www.beehive.govt.nz/sites/default/files/2019-02/18%20February%202019%20Post%20Cab%20Press%20Conference.pdf

* 104 Un rapport d'étape, dont les premières recommandations étaient conformes à celles du document final, avait été rendu public en septembre 2018

* 105 https://taxworkinggroup.govt.nz/sites/default/files/2019-03/twg-final-report-voli-feb19-v1.pdf p.78-79

* 106 https://www.parliament.nz/en/pb/bills-and-laws/bills-proposed-laws/document/BILL_75623/taxation-neutralising-base-erosion-and-profit-shifting

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