M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Dominique Faure, ministre déléguée. Pour insister sur un point dont nous avons largement débattu, l’augmentation du plafond de ressources permet à un plus grand nombre d’accéder aux prêts. Nous espérons que ce sera suffisant. Toute proposition est bonne à prendre. Je vous ai entendue.

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Anglars. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Franck Menonville applaudit également.)

M. Jean-Claude Anglars. Madame la ministre, depuis une vingtaine d’années, l’accession à la propriété est problématique, car il existe un décalage croissant entre le souhait des Français d’être propriétaire et la difficulté à le devenir.

Ainsi, en 2023, les propriétaires représentent seulement 58 % des ménages, alors que l’accession à la propriété est un objectif principal pour les Français. Par exemple, parmi les 18-30 ans, 80 % des non-propriétaires souhaitent le devenir, selon un sondage Ifop de 2022. Cette situation est un enjeu de société tant l’accession à la propriété est facteur de promotion et d’intégration sociales.

Dans ce débat, à l’instar de mes collègues, j’attirerai surtout votre attention, madame la ministre, sur l’enjeu majeur de l’accession à la propriété dans les territoires ruraux à la suite des choix du Gouvernement relatifs à la politique du zéro artificialisation nette. Le ZAN est une politique qui s’inscrit dans une logique plutôt comptable, commode pour l’État, mais moins pour les programmes locaux d’urbanisme. Derrière les impératifs de renaturation, de sobriété foncière et de revitalisation du bâti, de fortes contraintes s’imposeront aux communes rurales.

Or, vous le savez, de nombreux ménages ne peuvent actuellement accéder à la propriété que par l’habitat individuel dans des territoires où le foncier est peu cher, c’est-à-dire dans les territoires dits périphériques, urbains comme ruraux. Bien que des améliorations aient été apportées au texte par le Sénat, l’objectif ZAN risque de remettre en cause cette possibilité malgré la garantie rurale, à savoir une capacité de développement d’un hectare pour chaque commune d’ici à 2031.

En ce sens, plusieurs travaux du Sénat ont montré que le ZAN touchera en priorité les classes moyennes modestes, habitant ou souhaitant habiter en zones rurales et périurbaines, qui verront leur projet d’accession à la propriété rendu de plus en plus difficile.

Face à ce risque majeur pour le développement de territoires déjà marqués par des inégalités au regard des communes les plus denses, quelles sont les solutions prévues par le Gouvernement pour soutenir l’accès à la propriété en milieu rural ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de lintérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité. Monsieur le sénateur Anglars, vous savez de quoi vous parlez en évoquant les possibles difficultés dans l’accession à la propriété entraînées par nos objectifs de zéro artificialisation nette d’ici à 2050 et d’une diminution de 50 % de l’artificialisation des sols à horizon de 2030.

La politique du Gouvernement est claire : mettre le paquet sur la rénovation énergétique et la rénovation tout court de l’ensemble de nos 800 000 logements vacants. Nous accompagnerons au travers de France Ruralité tous les maires qui le souhaitent en leur apportant l’ingénierie nécessaire à la lutte contre les vacances de logement et à la rénovation de ces maisons de village que nos jeunes aiment beaucoup, afin de les réhabiliter et les rendre attractives pour tous ceux qui voudront s’y installer.

Selon vous – et je respecte votre opinion –, du fait de cet objectif de zéro artificialisation nette, les classes moyennes pourraient rencontrer des difficultés à s’installer en zone rurale.

Pour la mise en œuvre de cette politique publique de réduction de l’artificialisation des sols, dont nous sommes fiers, nous avons retenu l’horizon 2030, voire 2050. Il sera donc temps de retravailler ensemble dans un an, deux ans ou trois ans pour faire évoluer les choses.

Laissons à cette politique le temps de se mettre en place, notamment au travers de cette garantie rurale, voulue par la grande majorité du Sénat. Nous aurons alors l’occasion d’évaluer collectivement si, oui ou non, nos jeunes peuvent accéder à la propriété dans nos beaux villages.

Conclusion du débat

M. le président. En conclusion du débat, la parole est à M. Jean-Baptiste Blanc, pour le groupe auteur de la demande. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Jean-Baptiste Blanc, pour le groupe Les Républicains. Ce débat sur l’accession à la propriété, demandé par mon groupe, aura permis des échanges substantiels. Il a montré que les chantiers sont encore à venir et que nombre de mécanismes juridiques méritent d’être repensés. Il s’agit d’un véritable sujet à tiroirs.

Je voudrais en conclusion revenir sur quelques chantiers ou difficultés qui méritent d’être soulignés.

Premier chantier, la fiscalité locale doit être repensée, afin de parvenir à un équilibre entre, d’un côté, la nécessité d’accroître les ressources des collectivités et, de l’autre, l’impératif d’accession des Français à la propriété.

À ce titre, la suppression de la taxe d’habitation sur les résidences principales a des effets néfastes tant sur les communes que sur les propriétaires. L’augmentation de la taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB), qui pèse sur ces mêmes propriétaires, en est le corollaire inévitable.

Madame la ministre, tout l’été, nous avons assisté à un jeu extrêmement malsain entre l’État et les collectivités locales sur le relèvement de la TFPB. Il faut en sortir. À cet égard, la fiscalité du ZAN est une piste envisageable : il va bien falloir financer ce modèle et réinventer une fiscalité locale – et une vraie ! – à l’aune de ces nouveaux objectifs.

Deuxième chantier, vous ne pourrez non plus vous contenter des conclusions du CNR Logement, exposées au mois de juin dernier. Elles ont en commun l’absence d’une ambition véritablement marquée à même de ralentir cette crise accélérée et historique du logement. Car c’est bien de cela qu’il s’agit, en toile de fond, cet après-midi.

Vous ne pourrez pas vous contenter de demander à Action Logement de pallier les insuffisances de l’État. Il va falloir faire preuve de davantage d’imagination.

Troisième chantier, celui du modèle pavillonnaire. Le malaise est né des propos malheureux de l’ancienne ministre déléguée au logement, en fin de discussion de la loi Climat et résilience.

Le malaise vient aussi d’un décret sur l’artificialisation que le Conseil d’État vient de censurer en partie. Certes, nous avions été associés à l’élaboration de ce décret lors de la commission mixte paritaire. Toutefois, et vous ne l’ignorez pas, en cherchant des stocks de foncier pour faire du pavillon sur le pavillon, pour faire de la ville dense, le Gouvernement a pu nous amener à penser qu’il voulait en finir avec le modèle pavillonnaire.

Dès lors, sans l’apport du Sénat lors de cette commission mixte paritaire pour sauver une certaine forme de pavillon – nous avons bien compris qu’il n’était plus possible de faire comme avant –, il n’y aurait pas eu d’avancée.

Or force est de constater que cette affaire de PTZ est venue tout remettre à plat : nous avons le sentiment que vous voulez en finir avec ce modèle, alors que l’accord auquel nous étions parvenus cherchait à concilier respect de l’environnement et maintien d’une forme de modèle pavillonnaire. À tout le moins, il s’agissait d’étudier les choses au cas par cas : dans la mesure où aucun territoire en France ne ressemble à un autre, le pavillonnaire peut parfois être la réponse, et parfois non.

Nous éprouvons une grande frustration devant la disparition d’un article de notre proposition de loi, qui offrait aux élus une forme de liberté en leur permettant d’indiquer les espaces qu’ils voulaient densifier et ceux qu’ils souhaitaient renaturer.

Dernier chantier, celui des outils. Nous avons parlé des établissements publics fonciers, qu’il est nécessaire de « muscler », car ce sont de bons outils. Mais il faut aussi évoquer les sociétés d’économie mixte (SEM), les sociétés d’économie mixte à opération unique (Sémop), les sociétés publiques locales (SPL) et peut-être les zones d’aménagement concerté (ZAC), qu’il faut faire évoluer, et les secteurs de renouvellement pavillonnaire, qu’il faut inventer.

Si nous ne menons pas ces chantiers, il n’y aura pas de déblocage réel de la crise du logement et il ne sera pas possible d’accéder à la propriété ; je pense notamment aux primo-accédants et aux zones rurales, comme l’ont souligné nombre de nos collègues.

Le débat de cet après-midi est un point d’entrée vers de nombreux autres sujets. Si la reprise de nos travaux pouvait nous inciter à travailler tous ensemble pour tout réinventer, ce serait une bonne chose. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Bernard Pillefer applaudit également.)

M. le président. Nous en avons terminé avec le débat sur l’accession à la propriété.

Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures cinq, est reprise à seize heures dix.)

M. le président. La séance est reprise.

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Dossier législatif : proposition de loi visant à renforcer le rôle des maires dans l'attribution des logements sociaux
Discussion générale (suite)

Rôle des maires dans l’attribution des logements sociaux

Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi visant à renforcer le rôle des maires dans l'attribution des logements sociaux
Article unique

M. le président. L’ordre du jour appelle, à la demande du groupe Les Républicains, la discussion de la proposition de loi visant à renforcer le rôle des maires dans l’attribution des logements sociaux, présentée par Mme Sophie Primas et plusieurs de ses collègues (proposition n° 494 [2022-2023], texte de la commission n° 10, rapport n° 9).

Dans la discussion générale, la parole est à Mme Sophie Primas, auteur de la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe INDEP.)

Mme Sophie Primas, auteur de la proposition de loi. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, permettez-moi tout d’abord de saluer la première journée de présidence de notre collègue Mathieu Darnaud, auquel je souhaite le plus grand succès dans sa mission. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées des groupes UC, INDEP, RDPI et RDSE.)

Je souhaite également remercier Bruno Retailleau, le président de notre groupe, qui a inscrit à l’ordre du jour cette proposition de loi, premier texte de cette session, ainsi que les quatre-vingt-cinq cosignataires. J’y vois la reconnaissance de l’importance du sujet que nous défendons depuis des mois, voire des années, et qui s’est révélé peut-être plus encore pendant les désordres du mois de juin dernier. Il a trait à ce que l’on appelle peu élégamment le « peuplement » de nos communes.

Je veux également remercier Dominique Estrosi Sassone, qui a accepté d’être la rapporteure de cette proposition de loi, certes sur un sujet qu’elle connaît bien, mais dans un délai vraiment très restreint.

Mes chers collègues, je voudrais commencer par vous dire ce que ce texte n’est pas.

Il n’est pas l’alpha et l’oméga d’une réforme de fond du logement que nous attendons avec une réelle impatience. La crise qui touche durablement ce secteur économique n’a rien d’un hasard : elle est la conséquence de décisions prises en silo depuis six ans en matière de fiscalité, de suppression de recettes pour les communes, de la réduction de loyer de solidarité (RLS), de la politique d’attribution, de la descente aux enfers du peuplement de certains quartiers, de la montée des normes de construction et donc du coût de construction, de la raréfaction du foncier, par nature inflationniste, de la hausse des taux d’intérêt… Sur toutes ces questions, le Sénat alerte, alerte et alerte encore depuis des années ! Oui, nous avons hâte de travailler sur ces sujets ; non, ce texte n’est pas la solution à la crise du logement !

Il n’est pas non plus une réponse aux errements de la politique de la ville, dénoncés dans plusieurs rapports transpartisans de cette assemblée, ni à ces zonages « politique de la ville » qui correspondent non à la réalité de nos territoires, mais à des impératifs budgétaires de l’État.

Année après année, vous restreignez les moyens des communes, qui ont de plus en plus de mal à accompagner les plus modestes de leurs administrés.

Ce texte n’est pas non plus – tout du moins, je l’espère – le grand acte de décentralisation de la politique du logement promis, une fois encore, par le Président de la République et qui, hypothétiquement, devrait arriver l’année prochaine, à un moment encore indéterminé…

Ce texte n’est pas, comme je l’ai entendu, le retour d’un clientélisme local, reproche parfois adressé par des personnes qui n’ont jamais présidé la moindre commission d’attribution des logements ni assumé la responsabilité locale de gérer comme un horloger les équilibres dans nos communes.

M. André Reichardt. Très bien !

Mme Sophie Primas. Ce texte n’est sûrement pas la possibilité offerte aux maires de refuser tous les dossiers difficiles. Les maires, mes chers collègues, ont le sens des responsabilités ; ils prennent chacun leur part des difficultés des Français.

Dans mon département des Yvelines, l’exemple de Montigny-le-Bretonneux le démontre parfaitement : depuis que la communauté d’agglomération de Saint-Quentin-en-Yvelines donne une voix prépondérante au maire, la commune accueille plus que sa part de familles fragiles.

J’ai même entendu qu’une sélection par le nom serait possible. Mes chers collègues, moi qui ai été maire d’une commune que j’habite depuis plus de soixante ans, laquelle compte plus de 40 % de logements sociaux, qui habite cette vallée de Seine dans laquelle la diversité d’origine est une réalité depuis des décennies, au-delà des discours, je suis outrée de ces propos et de cette défiance vis-à-vis des maires !

Alors, qu’est-ce que ce texte ?

Ce texte est un premier pas, modeste, mais urgent. Un premier pas vers une décentralisation que nous appelons de nos vœux, que les élus appellent de leurs vœux et que les bailleurs eux-mêmes, publics ou privés, appellent de leurs vœux.

Ce texte revient à redonner aux maires et à leurs adjoints la responsabilité pleine et entière de la qualité de vie et de la bonne intégration de toutes les populations, y compris et surtout des populations modestes. C’est préférer l’intelligence territoriale des élus locaux et des services sociaux des communes à celle des algorithmes ou des considérations financières des bailleurs.

Combien d’idioties voyons-nous dans nos communes, dans nos quartiers ? Des personnes à mobilité réduite auxquelles on attribue un logement au second étage sans ascenseur ; des couples, qui travaillent à deux ou trois heures de transport de leur logement et qui, déracinés de leur environnement, finiront soit par lâcher leur travail pour cause d’épuisement, soit par être dans l’incapacité de s’occuper de leurs enfants, ce qu’on leur reprochera par la suite !

Ce texte, qui fait confiance aux maires, revient à s’assurer enfin que chaque famille reçue soit bien intégrée dans un immeuble, dans un quartier, dans un environnement favorable, garant de la véritable mixité : pas la mixité théorique, pas celle de Twitter ou des plateaux de télévision, dont certains ont plein la bouche, mais la vraie mixité, celle d’âge, de niveaux sociaux, d’éducation, de structure familiale.

Il s’agit aussi de s’assurer que l’on ne met pas de la misère sur de la misère, des turbulents avec d’autres turbulents, pour garantir ainsi la structuration des quartiers et leur tranquillité.

Ce texte revient encore à aider les maires à convaincre les habitants, parfois réticents, que la construction de logement social sert à aider ceux des habitants de la commune ou des alentours qui cherchent un logement, soit parce que la famille habite là, soit parce que les personnes travaillent à proximité.

Comment faire comprendre à nos habitants que l’on construit du logement social qui ne sera pas destiné en priorité à ceux qui en ont besoin localement ?

Comme je l’ai souligné, j’ai entendu que ce texte sonnait le retour du clientélisme.

Mes chers collègues, si le clientélisme revient à attribuer un logement social à un enfant de la commune qui souhaite y rester, je l’assume ! Car nos quartiers, ce sont aussi des relations familiales, amicales, des relations de solidarité, des attachements à une commune dans laquelle on a grandi et qui signifient autre chose que simplement trouver un toit.

Si le clientélisme revient à donner un logement aux personnes qui travaillent sur le territoire, aux agents territoriaux spécialisés des écoles maternelles (Atsem) de nos établissements scolaires, aux infirmières de nos hôpitaux ou aux agents de police et aux gendarmes de notre département, je l’assume !

M. Max Brisson. Très bien !

Mme Sophie Primas. Et ne me parlez pas des « priorités » de la loi du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbains, dite loi SRU. Elles sont si nombreuses qu’elles n’ont plus de sens !

Mes chers collègues, que voyons-nous depuis que l’attribution n’est plus décidée par les maires ? Des quartiers qui se déstructurent, qui se déshumanisent, lentement mais sûrement, qui se déséquilibrent parfois, qui se concentrent sur ceux qui sont de plus en plus en difficulté, qui s’électrisent. Croyez-moi, c’est une réalité, y compris dans ma propre commune.

Nos compatriotes en rendent responsables les maires, et ce n’est plus possible !

Les maires veulent bien assumer la construction de logements sociaux. Ne vous arrêtez pas aux quelques contre-exemples caricaturaux ; attachez-vous aux centaines de maires de bonne volonté, qui veulent bien évidemment prendre leur part des cas les plus difficiles, mais qui veulent aussi avoir la pleine responsabilité de l’équilibre de leur commune, du peuplement de leurs quartiers, qu’ils connaissent mieux que toutes les commissions d’attribution des logements et d’examen de l’occupation des logements (Caleol) ou tous les algorithmes.

Mes chers collègues, ce premier pas est une étape fondamentale. Ce texte n’est pas la solution unique aux événements que nous avons connus en juin, mais il en constitue un élément.

Faites confiance aux maires, à leurs adjoints, aux services des villes qui font du travail de dentelle, cage d’escalier par cage d’escalier, microquartier par microquartier, famille par famille. Répondez à l’engagement pris le 3 juillet dernier par le Président de la République auprès du président du Sénat et le 4 juillet auprès des maires qui ont connu les émeutes, sans attendre le grand soir du logement. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP.)

M. le président. La parole est à Mme le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente de la commission des affaires économiques, rapporteur. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la commission des affaires économiques a approuvé la proposition de loi de notre collègue Sophie Primas visant à renforcer le rôle des maires dans l’attribution des logements sociaux. Elle a même décidé de renforcer les prérogatives des maires en la matière.

Avant de vous présenter les évolutions souhaitées par notre commission et de répondre à certaines critiques qui ont été formulées, je voudrais revenir sur le diagnostic largement partagé qui nécessite une intervention législative aujourd’hui.

Quel est ce constat ? Les maires ont un rôle central dans le développement du logement social au travers des permis de construire, de l’apport de terrains ou de financements et de la garantie des emprunts. Mais cette centralité ne leur est pas reconnue dans l’attribution des logements, qui leur échappe majoritairement.

Nombreux sont ceux qui déplorent désormais un véritable sentiment de dépossession des maires vis-à-vis du logement social, ce qui fragilise leur volonté d’en construire de nouveaux. Cette défiance est également palpable parmi nos concitoyens, ce qui affaiblit l’acceptation de nouveaux programmes.

Cette perception est alimentée par au moins quatre facteurs.

Premièrement, la pénurie de logements sociaux face à une demande croissante, alors que le parcours résidentiel est complètement bloqué.

Deuxièmement, la montée en puissance de politiques publiques conduisant à des relogements prioritaires, comme le renouvellement urbain, la politique du Logement d’abord ou du droit au logement opposable (Dalo), qui préemptent le peu de logements disponibles, parfois au détriment des demandeurs de la commune où ils sont situés.

Troisièmement, la très grande complexité de la gestion en flux et de la cotation des demandes, qui vont entrer en vigueur à la fin de 2023 et qui suscitent inquiétude et incompréhension.

Quatrièmement, la montée en puissance des intercommunalités, qui contribue à complexifier les modalités de la décision.

Ces constats ont été corroborés par les émeutes de l’été dernier. Le Président de la République n’a-t-il pas déclaré, madame la ministre, devant les 220 maires qu’il recevait à l’Élysée le 25 juin dernier, vouloir travailler sur les attributions de logements sociaux afin de laisser une plus grande marge de manœuvre aux maires et de leur donner une meilleure maîtrise du « peuplement » de leur commune ?

La proposition de loi que nous examinons cet après-midi, sur l’initiative de Mme Sophie Primas, que je remercie très sincèrement, et du groupe Les Républicains, qui l’a inscrite à l’ordre du jour en priorité, identifie parfaitement l’un des nœuds du problème : la marginalisation des maires dans les commissions d’attribution, isolés parmi une douzaine de membres.

Notre commission a donc travaillé à trouver la meilleure solution pour y remédier, en concertation avec les associations d’élus, avec le mouvement HLM et avec les services du ministère du logement.

La commission a retenu trois leviers pour redonner la main au maire.

Premièrement, accorder la présidence de la commission d’attribution des logements sociaux au maire de la commune ou au président de l’intercommunalité lorsque celle-ci est intercommunale. C’est logique et cohérent, puisque les intercommunalités sont les chefs de file de la politique de l’habitat comme gestionnaires du bassin de vie.

Deuxièmement, accorder au maire un droit de veto sur une attribution donnée. Ce droit de veto sera motivé et s’inscrira dans le droit existant.

Troisièmement, généraliser la délégation du contingent de l’État au maire lors de la première attribution d’un programme neuf, lui permettant ainsi d’avoir directement à sa main la moitié des logements à attribuer. Cette faculté est déjà permise par le droit actuel : mise en œuvre dans certains territoires, elle n’est toutefois pas aussi connue ni utilisée qu’elle le devrait.

Cette mesure redonnera au maire une réelle capacité de maîtrise du peuplement. Elle me paraît également de nature à soutenir la construction de nouveaux logements sociaux et l’application de la loi SRU en permettant de répondre à la demande locale et donc de légitimer ce type de construction face aux critiques récurrentes que nous connaissons.

Je voudrais enfin répondre aux trois critiques principales formulées contre ce texte.

La première est de ne pas apporter de solution à la pénurie de logements sociaux et à la crise du logement. J’y souscris bien volontiers ! Vous le savez, j’ai toujours été en première ligne pour dénoncer les coupes claires du Gouvernement contre le logement, en particulier contre le logement social. La pénurie que nous constatons aujourd’hui est directement liée à la politique menée par Emmanuel Macron depuis 2017, dont les bailleurs sociaux ont été les premières victimes avec la RLS. Avec un peu plus d’un milliard d’euros par an en plus, beaucoup de logements sociaux seraient sortis de terre aujourd’hui sans cette politique !

Ce n’est pas l’objet du texte dont nous débattons. Je pense toutefois que celui-ci contribuera à débloquer des dossiers de construction de logements sociaux en redonnant confiance aux maires.

La deuxième critique adressée à cette proposition de loi est de ne pas constituer une réponse suffisante aux émeutes de l’été dernier. Là aussi, je reprends volontiers la critique : ce texte n’a nullement la prétention de résoudre le problème ô combien complexe et profond des quartiers prioritaires et, plus généralement, de l’intégration. C’est juste un élément qui doit permettre d’avancer dans la bonne direction.

Nous l’avions d’ailleurs indiqué dans le rapport d’information intitulé La politique de la ville, un tremplin pour les habitants, que nous avons publié à l’été 2022 avec Viviane Artigalas et Valérie Létard.

Enfin, comme l’a souligné Sophie Primas, certains reprochent à ce texte de rétablir le clientélisme, voire de permettre une discrimination des demandeurs en fonction de leur origine ou de leur nom sur des critères qui seraient non républicains.

Je trouve ce soupçon aussi insultant que blessant vis-à-vis des maires. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mmes Amel Gacquerre, Évelyne Perrot et Laure Darcos applaudissent également.) Gardons-nous des anathèmes ! Peut-on reprocher à un maire de vouloir loger ses habitants, à commencer par les ménages Dalo déjà installés sur sa commune ? Je ne le crois pas.

Je tiens à souligner qu’il n’y a absolument aucune ambiguïté dans ce texte : certes, la capacité du maire à décider est renforcée, mais celui-ci devra bien évidemment appliquer la législation en vigueur. La proposition de loi de Sophie Primas ne vient pas modifier les règles définissant les publics prioritaires, découlant de la mise en œuvre du droit au logement opposable ou encore de la future mise en œuvre de la gestion en flux et de la cotation des demandes de logement.

Si le maire utilise son droit de veto, il le fera sur une base légale. Concrètement, il le fera sur la base du travail de qualification du parc social et de son occupation réalisé par les bailleurs sociaux, en concertation avec les élus à l’échelon intercommunal, qui vise à identifier les résidences disposant de capacités d’accueil et celles, plus fragiles, ayant besoin de stabilisation.

L’Union sociale pour l’habitat (USH) a édité un document de référence et de cadrage qui identifie une cinquantaine de critères objectifs, et tout à fait républicains. Ce travail d’identification a notamment été mené dans des intercommunalités telles que Valenciennes, Limoges, Grenoble, Plaine Commune ou Boucle Nord de Seine en région parisienne, toutes parfaitement républicaines, me semble-t-il.

Nous le savons tous, nombre de difficultés s’expliquent par la concentration de publics fragiles dans les mêmes résidences. Pour réussir la mixité sociale, il faut autant accueillir des ménages fragiles que favoriser des ménages pouvant apporter de la stabilité à une résidence ou à un quartier.

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, c’est bien dans cet état d’esprit que la commission des affaires économiques a travaillé. Elle a souhaité, au travers de ce texte, non seulement redonner aux maires la main sur les attributions, mais surtout les conforter dans leur rôle central de garant et du bien vivre ensemble dans leur commune et de l’accès au logement. C’est ce que nos concitoyens attendent. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.