Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de lintérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, le 4 juillet dernier, le Président de la République recevait les élus locaux des communes les plus touchées par les violences urbaines.

À cette occasion, il prenait huit engagements, qui font depuis l’objet d’un suivi resserré par la Première ministre et les ministres concernés. Tel était d’ailleurs l’objet du Conseil national de la refondation consacré aux suites données aux violences urbaines qui s’est tenu la semaine dernière.

L’un de ces engagements était de confier les attributions des logements sociaux aux maires, dans une logique de responsabilisation accrue.

Afin de mieux comprendre les enjeux afférents à cet engagement, il convient de rappeler que le dispositif d’attribution de logements sociaux fait l’objet d’un encadrement législatif et réglementaire particulièrement développé et détaillé. L’empilement des textes successifs sur le sujet peut d’ailleurs parfois rendre leur lecture complexe, même pour les initiés !

Toutefois, il convient de garder à l’esprit que les attributions de logements sociaux doivent concilier, conformément à la vocation généraliste du parc social en France, recherche de mixité sociale, en particulier dans les quartiers relevant de la politique de la ville et dans certaines résidences confrontées à la précarité croissante de leurs occupants, et accès au logement pour les publics prioritaires, au premier rang desquels figurent les ménages bénéficiant d’une reconnaissance du droit au logement opposable, sans oublier les sortants d’hébergement et les autres ménages définis comme prioritaires dans le code de la construction et de l’habitation, dans les accords collectifs départementaux et les conventions intercommunales d’attribution des logements.

L’État et les bailleurs sociaux sont responsables de l’atteinte des objectifs en matière d’accueil des plus défavorisés et peuvent être sanctionnés en cas de manquement en la matière.

Par ailleurs, pour avoir une bonne compréhension des possibilités offertes par les dispositifs d’attribution ainsi que leurs limites, il convient de rappeler que les attributions s’organisent à trois niveaux.

Au premier niveau s’effectuent l’inscription et la vérification des conditions d’éligibilité des demandeurs de logement.

Le deuxième niveau est celui des réservataires de logements sociaux. Il s’agit principalement des collectivités locales, de l’État et d’Action Logement. En contrepartie de leurs apports financiers ou de l’octroi de garanties de prêt, ils disposent de logements réservés et sont responsables de la désignation des candidats pour l’attribution de ces logements. En règle générale, sauf cas particulier des publics prioritaires, ils doivent présenter au moins trois candidatures pour un même logement.

Au troisième niveau est prise la décision d’attribution ou de non-attribution, voire le refus d’attribution. Ces décisions constituent les prérogatives essentielles de la commission d’attribution et d’examen de l’occupation des logements, la Caleol, qui réunit, outre des représentants du bailleur social, le maire, le préfet et le président de l’EPCI.

Dans ces conditions, vous le comprendrez aisément, aucune réforme des attributions ne peut s’envisager sans réfléchir à ses conséquences sur les deux objectifs majeurs de la politique d’attribution que je viens d’évoquer ni à sa mise en œuvre concrète par les différents maillons de la chaîne d’attribution que je viens de présenter.

L’engagement du Président de la République doit donc s’apprécier à l’aune de ces objectifs et de cette organisation.

Donner plus de pouvoir aux maires en matière d’attribution, c’est d’abord leur permettre de faciliter la mixité sociale. Qui, mieux qu’un élu local, un maire, peut connaître finement, immeuble par immeuble, les enjeux de peuplement, de logement et d’habitat, pour éviter d’aggraver les difficultés qui peuvent éventuellement exister ?

Donner plus de pouvoir aux maires en matière d’attribution, c’est également les responsabiliser s’agissant du logement des plus défavorisés, principalement en dehors des quartiers prioritaires de la politique de la ville et dans les résidences à enjeu de mixité sociale. Il ne peut y avoir de politique d’attribution juste et solidaire sans mobilisation pour l’accès au logement des plus modestes prioritairement dans des lieux qui ne concentrent pas déjà des ménages en situation précaire.

À cet égard, nous devons le reconnaître, les dispositifs existants en la matière, notamment ceux qui ont été créés en 2017, ne fonctionnent pas.

La loi relative à l’égalité et à la citoyenneté n’a pas permis d’inverser les tendances observées. Les sanctions ne sont pas une solution et la responsabilité reste trop diluée. La responsabilisation proposée par le Président de la République, dans une logique de gagnant-gagnant, doit justement permettre, en parallèle des objectifs de mixité sociale, aux plus défavorisés d’être aussi logés en dehors des quartiers déjà fragiles.

Enfin, donner plus de pouvoir aux maires en matière d’attribution doit faciliter la production de nouveaux logements sociaux. Dès lors que les élus locaux seront davantage décisionnaires, ils pourront aussi plus facilement accepter, voire encourager, le développement de programmes de logements sociaux afin de répondre aux besoins de leurs territoires.

Le Gouvernement a donc déjà commencé à œuvrer pour concrétiser cet engagement dans le cadre des travaux engagés sur la décentralisation, à l’issue desquels nous souhaitons présenter un projet de loi au printemps 2024.

Ces travaux doivent permettre d’adopter l’approche globale nécessaire à la mise en œuvre de politiques d’attribution répondant aux différents enjeux que je viens d’expliciter. Ils doivent contribuer à simplifier les procédures et les dispositifs existants, jugés par tous trop complexes et, finalement, peu efficaces. Ils doivent surtout conduire à mieux répartir les pouvoirs et les responsabilités. Il s’agit de donner aux collectivités les moyens d’atteindre les objectifs qui leur sont imposés en matière d’attribution de logements sociaux, et ce dans le respect du principe d’égalité des droits des citoyens.

Seule cette logique globale permettra ensuite, conformément au souhait du Président de la République, une clarification concernant les lieux de prise de décision et une juste responsabilisation des acteurs publics.

C’est la raison pour laquelle la proposition de loi qu’il nous est proposé d’examiner aujourd’hui visant à renforcer le rôle des maires dans l’attribution de logements sociaux nous paraît légèrement incomplète, du fait qu’elle ne s’attaque qu’à l’un des éléments de la chaîne d’attribution et qu’elle vise essentiellement à conférer de nouveaux droits aux maires, sans les responsabilités associées. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Sophie Primas. Ils les ont, les responsabilités !

Mme Dominique Faure, ministre déléguée. Pour autant, cette proposition de loi permet d’ouvrir la discussion. Portée par le groupe Les Républicains, elle a fait l’objet d’un travail important de la commission des affaires économiques, dont je salue et félicite la nouvelle présidente, Dominique Estrosi Sassone, qui est aussi la rapporteure du texte.

À l’issue de son examen par la commission, le texte a déjà considérablement évolué. En particulier, je note que la commission privilégie un pouvoir d’opposition du maire à l’attribution d’un logement à un ménage plutôt qu’une hausse des droits de vote au profit de la commune par l’augmentation du nombre de représentants siégeant dans les commissions d’attribution.

La commission a aussi souhaité automatiser la délégation du contingent préfectoral aux maires lors de la première mise en location des nouvelles résidences.

Nous partageons avec les sénateurs la volonté d’avancer sur le sujet des attributions, en lien avec le projet plus global du Gouvernement de décentraliser aux collectivités locales un certain nombre de leviers de la politique du logement et de l’habitat.

Au-delà de la légère réserve que j’ai exprimée concernant la nécessité d’avoir une approche globale permettant de lier ce sujet à d’autres enjeux de la décentralisation, tels que la programmation des logements sociaux, la politique de loyer des bailleurs sociaux ou les attributions de logements sociaux aux ménages prioritaires, nous souhaitons bien sûr travailler le texte présenté.

En premier lieu, permettez-moi de rappeler les droits dont disposent d’ores et déjà les maires dans les commissions d’attribution de logements sociaux.

Ils sont membres de droit de ces commissions et disposent d’une voix prépondérante en cas de partage des voix. Dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville, ils peuvent demander la mise en place d’une commission interbailleurs et interréservataires chargée de désigner les candidats aux logements à attribuer. En outre, en cas d’échec de l’attribution d’un logement social, ils peuvent présenter un candidat. Enfin, parce qu’ils octroient des garanties aux emprunts, voire des subventions, les maires disposent de droits de réservation dans les programmes…

Mme Dominique Estrosi Sassone, rapporteur. Mais non !

Mme Dominique Faure, ministre déléguée. … représentant, suivant les situations locales, de 20 % à 50 % des logements. Ils ont donc déjà un impact non négligeable sur le peuplement des résidences au travers de leur capacité à proposer des candidats pour une partie des logements.

La proposition de loi que vous portez vise à octroyer plus de pouvoirs aux maires.

Le Gouvernement est favorable à la disposition prévoyant que le maire dispose d’un pouvoir d’opposition à une proposition d’attribution et qu’il peut demander la non-attribution d’un logement social. Cette proposition nous semble préférable aux hypothèses d’accroissement du nombre de représentants de la commune au sein des Caleol, peu crédibles dans la pratique au vu des difficultés rencontrées par les bailleurs pour disposer d’un représentant dans chacune de ces commissions et des problèmes éventuels de quorum.

Néanmoins, le pouvoir d’opposition du maire, s’il n’est pas encadré, peut poser des difficultés. Il peut engendrer de la vacance locative en cas de refus répétés, ce qui aurait un effet défavorable sur la situation financière des bailleurs sociaux. En outre, sur le terrain, il existe un risque de squats dans les logements vacants. Surtout, pareilles situations susciteraient l’incompréhension de nos concitoyens, dans la mesure où la pression n’a jamais été aussi forte sur le parc locatif social. Il importe que les éventuelles oppositions puissent être justifiées, en particulier auprès du réservataire ayant présenté le candidat, qui, bien qu’il participe à la Caleol, n’y dispose pas de droit vote.

Le Gouvernement a donc déposé deux amendements visant à surmonter ces difficultés, de manière à créer un pouvoir d’opposition efficace permettant de travailler avec les réservataires de logements sociaux sur des propositions plus adaptées aux logements proposés.

Nous vous proposons ainsi de limiter l’exercice de ce droit de veto à une attribution par logement en contrepartie de l’organisation d’une concertation préalable à la mise en location des programmes entre le maire, le bailleur social et les réservataires, à même de définir, en amont des Caleol, des orientations en matière de peuplement. Le Gouvernement est en effet favorable au dialogue local dans le cadre des mises en service de nouveaux immeubles de logements sociaux. Ce sont en effet des moments de peuplement très stratégiques, qui peuvent être déterminants pour l’équilibre social de la nouvelle résidence.

Cette concertation, qui existe aujourd’hui de manière facultative et qui est d’ordre réglementaire, vous l’avez dit, sera ainsi de niveau législatif, ce qui lui conférera un caractère obligatoire.

En outre, le Gouvernement propose de motiver et de notifier la décision de non-attribution au réservataire. En cas de désaccord, celui-ci pourra, s’il le souhaite, saisir la commission de coordination prévue par la loi, qui doit permettre de régler le différend à l’amiable.

La proposition de loi prévoit par ailleurs une délégation automatique du contingent préfectoral au maire, hors part dévolue aux fonctionnaires de l’État, lors des mises en service des nouveaux programmes de logements sociaux. Or le Gouvernement ne souhaite pas que ce pouvoir de délégation de l’essentiel du contingent préfectoral au maire soit automatique.

Aussi, tout en reconnaissant l’intérêt que peut représenter cette mesure, le Gouvernement a déposé un amendement visant à faire en sorte que cette délégation reste une faculté à la main du préfet. La concertation préalable entre le maire, le bailleur social et les réservataires que le Gouvernement propose d’introduire permettra au préfet d’apprécier l’opportunité de déléguer tout ou partie de son contingent au maire.

M. André Reichardt. Et la décentralisation ?

Mme Dominique Faure, ministre déléguée. Comme Mme la rapporteure l’a précisé, cette pratique est déjà en vigueur dans certains territoires ; une telle mention législative pourra en faciliter l’extension à d’autres territoires.

Toutefois, en l’absence d’un transfert de responsabilité au maire en matière d’accès au logement des plus défavorisés, responsabilité qui pèse uniquement sur l’État et les bailleurs sociaux, il n’apparaît pas souhaitable de rendre cette délégation automatique et de maintenir la possibilité, pour le préfet, d’en apprécier l’opportunité en fonction du contexte local.

Bien entendu, dans l’hypothèse d’une refonte plus globale des compétences et des responsabilités liée à une décentralisation des politiques du logement, ce point pourra évoluer.

Enfin, d’un point de vue plus symbolique, le Gouvernement partage la préoccupation que la présidence des Caleol puisse être exercée par les élus locaux du territoire concerné.

Toutefois, les agendas des élus ne leur permettent pas toujours de se rendre dans les commissions, qui, pour certaines, ne concernent que quelques logements, ou bien qui se réunissent, pour nombre de bailleurs, toutes les semaines ou toutes les deux semaines et portent sur des logements répartis sur plusieurs communes.

Aussi, le Gouvernement a déposé un amendement visant à permettre au maire de présider la Caleol pour les dossiers le concernant. Toutefois, il est également attentif au maintien de la présidence intercommunale lorsque la Caleol est intercommunale, comme l’a d’ailleurs prévu la commission. En effet, l’échelon intercommunal sera particulièrement important dans les discussions à venir sur la décentralisation du logement.

En conclusion, le Gouvernement émettra un avis favorable sur la proposition de loi, sous réserve des légères modifications proposées, à savoir la motivation des éventuelles oppositions à une attribution, le caractère facultatif de la délégation du contingent préfectoral et un dialogue local renforcé en amont de la mise en service des opérations de logements sociaux.

Surtout, nous espérons pouvoir poursuivre les travaux sur ce sujet dans le cadre des travaux engagés sur la décentralisation de la politique du logement, pour concrétiser les annonces faites par le Président de la République, en recherchant à la fois le renforcement du pouvoir local, auquel nous croyons, l’attribution de responsabilités claires, que nous voulons, et la simplification des processus, à laquelle nous sommes très attachés. Pouvoir et responsabilités doivent être indissociables sur un sujet constituant un tel enjeu social pour nos concitoyens.

Au-delà de nos échanges d’aujourd’hui, je vous assure de la pleine mobilisation et de la pleine écoute du Gouvernement, en particulier de mon collègue Patrice Vergriete, les politiques de logement social en France constituant un enjeu majeur. (Applaudissements sur des travées du groupe RDPI.)

M. le président. La parole est à M. Pierre Médevielle.

M. Pierre Médevielle. Monsieur le président, madame la ministre, madame la rapporteure, mes chers collègues, la politique du logement se situe au carrefour d’enjeux sociaux, environnementaux, territoriaux et économiques. Il s’agit d’une politique essentielle pour notre pays, a fortiori quand il est question de logement social.

Assurer à tous nos concitoyens un logement décent, adapté à leurs moyens financiers et à leurs besoins, est un enjeu essentiel. Nous en sommes tous convaincus en ces murs.

À ce défi s’en ajoutent d’autres, non moins importants : il faut améliorer les performances énergétiques de notre parc immobilier, rénover l’existant, rendre plus facile l’accès à la propriété ou encore garantir une mixité sociale.

En ce qui concerne ce dernier objectif, l’ampleur et l’état de l’offre du logement social sont des marqueurs importants. Les collectivités doivent disposer d’un parc de logements sociaux salubres et en nombre suffisamment important pour accueillir dans de bonnes conditions les populations à faibles ressources, sans pour autant les concentrer dans un même espace. Il s’agit d’organiser de manière équilibrée l’accueil des différentes populations, en fonction de leurs besoins, dans une perspective de solidarité territoriale.

Notre pays connaît une crise du logement grave. Les élus locaux en témoignent et nous interpellent sur ce sujet dans toutes nos circonscriptions.

Pour relever ce défi d’ampleur, il faut apporter une réponse locale, adaptée à la diversité des territoires, de leurs habitants et de leurs besoins. Ce sont les maires qui bénéficient d’une connaissance fine de la réalité du terrain. Il est essentiel de leur permettre de reprendre la main sur la politique du logement social, sans pour autant les exposer à des difficultés nouvelles.

La montée en puissance récente des intercommunalités sur les thématiques du logement induit mécaniquement une diminution du poids décisionnel des maires en matière d’habitat. Pourtant, ils sont des acteurs centraux en la matière, car ils connaissent parfaitement, je le répète, le pouls et les besoins de leurs communes.

Aujourd’hui, les maires ont peu de poids au sein des Caleol, qui sont pourtant à l’origine de décisions cruciales dans la vie des communes. Le moindre changement en matière d’organisation spatiale de l’habitat, de populations installées ou d’évolution de leurs modes de vie a un impact sur l’ensemble de la commune.

Ce texte permet de revenir à une prise de décision à l’échelon le plus pertinent, à savoir l’échelon communal, en renforçant la place et le pouvoir des élus, comme nos maires l’attendent. Ce sont d’ailleurs vers eux que nos concitoyens se tournent en premier lieu pour comprendre les décisions d’attribution de logements sociaux.

Aujourd’hui, avec cette proposition de loi, le Parlement envoie un signal positif aux élus. Je profite de l’occasion qui m’est donnée pour saluer son auteure, Sophie Primas, ainsi que Mme la rapporteure, Dominique Estrosi Sassone.

La politique du logement social est un enjeu majeur pour nos communes. Ce texte va dans le bon sens, ce dont nous pouvons nous féliciter. Il s’agit d’une première étape, qui devra être suivie dans les prochains mois d’une réflexion d’ampleur sur la crise du logement que nous traversons. Nos concitoyens attendent une réponse à la hauteur des difficultés qu’ils rencontrent pour se loger dans de bonnes conditions. Il est urgent d’agir.

Quant aux maires, ils attendaient un signal fort dans ce domaine. Ce texte devrait constituer un premier motif de satisfaction.

Pour ces différentes raisons, le groupe Les Indépendants – République et Territoires votera ce texte, que plusieurs de nos collègues ont d’ailleurs cosigné. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme Amel Gacquerre. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Mme Amel Gacquerre. Monsieur le président, madame la ministre, madame la rapporteure, mes chers collègues, il est compliqué d’aborder le rôle des maires dans l’attribution des logements sociaux sans évoquer brièvement la situation du logement social dans notre pays, sa place dans nos communes.

Nous assistons aujourd’hui à la déflagration de la bombe sociale annoncée de longue date par les acteurs du logement. Ainsi, alors que la France devrait produire annuellement 198 000 logements sociaux pour répondre à la demande de nos concitoyens les plus modestes, seuls 80 000 logements sociaux environ seront construits en 2023. Ces chiffres dramatiques sont les révélateurs d’une réalité alarmante, reflets de la situation critique qui est la nôtre.

Le groupe de l’Union centriste tient à saluer l’annonce par le ministre chargé du logement de la création d’un fonds dédié à la rénovation des logements sociaux et doté de 1,2 milliard d’euros pour les trois prochaines années, l’objectif étant la rénovation de 120 000 logements par an.

Cependant, nous serons attentifs aux modalités de financement du fonds, ainsi qu’à sa mise en œuvre concrète. Nous aurions aimé que cette annonce s’accompagne de nouvelles encourageantes du Gouvernement en faveur de la construction de nouveaux logements sociaux.

Le logement social est le baromètre de la capacité de notre pays à loger les plus modestes, à protéger les plus fragiles, à offrir un toit à des familles entières aux revenus plafonnés.

Nous avons cessé de faire du logement social une chance pour nos concitoyens comme pour nos collectivités. Nous en avons fait une obligation et une contrainte pour de nombreuses communes, là où l’incitation devrait être la règle.

La collaboration entre État et collectivités devrait être notre boussole, dans l’optique de bâtir une politique du logement pour les Français, qui peinent de plus à envisager l’avenir sereinement.

En effet, les maires jouent un rôle central dans le développement du logement social, au travers de l’attribution des permis de construire ou de la garantie des emprunts. La proposition de loi qui nous est aujourd’hui soumise vise à corriger une injustice, car ce rôle central ne leur est pas reconnu concrètement.

À cet égard, je salue le dépôt de cette proposition de loi par notre collègue Sophie Primas. Avec ce texte, nous nous faisons les porte-parole des élus locaux, qui en ont souvent assez d’être de simples exécutants en matière de logement social.

Contrairement à ce qui pourrait être dit, les élus locaux font bien souvent le choix de construire des logements sociaux dans leurs communes, au détriment de logements intermédiaires ou d’infrastructures, dans l’optique de loger au mieux les plus modestes. Pourtant, ils n’ont pas pleinement la main pour choisir les dossiers des locataires, en dépit des investissements drastiques faits par leur commune.

Aujourd’hui, au sein des commissions d’attribution des logements et d’examen de l’occupation des logements, qui comptent une dizaine de membres, le maire ou son représentant est seul aux côtés de l’État ou des représentants des organismes d’HLM. Telle est leur réalité quotidienne.

Cette proposition de loi visant à faire des élus locaux de véritables décideurs en matière de logements sociaux est donc une étape majeure pour revaloriser le rôle des élus et des collectivités dans l’attribution des logements sociaux.

Je salue le travail de notre rapporteure, Dominique Estrosi Sassone, dont le rapport met en lumière les limites de la politique actuelle d’attribution des logements et le sentiment de dépossession des élus de leurs propres logements sociaux. Elle dresse un constat que nous ne voulons plus accepter. Les élus locaux doivent être incontournables.

Le travail réalisé en commission des affaires économiques est donc salutaire. Je salue la proposition de donner aux maires un droit de veto sur les attributions, ainsi que la délégation systématique au maire des droits de réservation de logements de l’État lors de la première attribution d’un programme neuf.

À ceux qui craignent l’usage abusif de ce droit de veto, je réponds qu’ils ne connaissent ni le quotidien ni l’engagement sincère des élus. Je préfère faire confiance aux élus responsables, qui ont à cœur de sauvegarder le bien-vivre ensemble dans leurs communes. (Mme le rapporteur acquiesce.)

Accorder au maire un droit de veto et la présidence des Caleol permettra d’envoyer un signal positif et de faciliter la construction de nouveaux logements sociaux, afin de répondre à une demande de plus en plus importante. On compte aujourd’hui 2,4 millions de demandeurs.

Cependant, une série de questions opérationnelles reste en suspens – nous en avons discuté –, notamment l’organisation des commissions aux présidences tournantes lorsqu’il s’agit de commissions intercommunales d’attribution de logements, ou la suite donnée aux demandes lorsque le maire utilise son droit de veto.

Ces difficultés opérationnelles ayant été évoquées, c’est sans hésitation que mes collègues du groupe Union Centriste et moi voterons ce texte, qui envoie un signal fort en faveur du logement social et de la nécessaire revalorisation de la place des élus locaux dans ce domaine.

Certes, ce texte ne résoudra pas la grave crise de l’offre de logements que nous traversons. Toutefois, c’est un pas significatif vers ce en quoi nous croyons ici, à savoir la nécessité de redonner aux élus le pouvoir d’agir.

Ce premier pas devra être suivi de la fameuse grande loi de décentralisation de la politique du logement que le Gouvernement s’est engagé à déposer, madame la ministre, et que nous attendons fermement. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, Les Républicains et INDEP.)

M. le président. La parole est à M. Yannick Jadot. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – Mme Gisèle Jourda applaudit également.)

M. Yannick Jadot. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l’Abbé Pierre disait : « Gouverner, c’est d’abord loger son peuple. » Nous commémorerons bientôt les 70 ans de l’hiver 1954 et la question du logement social reste prégnante. L’accès au logement reste souvent la première préoccupation des Françaises et des Français, ainsi que leur premier poste de dépense. Malheureusement, la situation reste dramatique.

Nous connaissons les chiffres : plus de 4 millions de personnes sont mal logées ; 2,4 millions de familles attendent un logement social ; 12 % de nos concitoyens vivent en situation de précarité énergétique. Ainsi, une part de plus en plus importante de nos concitoyens et de nos concitoyennes souffre du mal-logement, rencontre des difficultés pour accéder à la propriété, comme en témoigne le débat que nous venons d’avoir, et galère pour accéder à un logement social.

Pourtant, malgré cet enjeu majeur, malgré ce défi, malgré cette préoccupation que nous entendons tous chaque fois que nous discutons avec nos concitoyens, la politique du logement est catastrophique depuis un certain nombre d’années, cela a été dit. Je pense à la chute du nombre de constructions de logements neufs et de logements sociaux.

Au fond, pour ce qui concerne le logement social, nous sommes face à une logique de prédation fiscale, plus de 10 milliards d’euros ayant été ponctionnés à Action Logement et à l’ensemble des acteurs, alors que ces organismes devraient participer à l’accroissement du logement social.

Signe dramatique, au moment où il faudrait embaucher dans le secteur du bâtiment, près de 100 000 emplois sont menacés. Ce n’est certainement pas avec des lois « anti-squat » visant les personnes ayant des difficultés à payer leur loyer qu’on réglera les problèmes !

Je l’ai bien compris, madame la rapporteure, tout cela, c’est la faute de l’écologie !

Mme Dominique Estrosi Sassone, rapporteur. C’est un peu réducteur !

M. Yannick Jadot. Va-t-on, dans les mois à venir, chaque fois qu’on abordera un sujet un peu difficile, dénoncer une écologie punitive ? L’argument est un peu court ! Il y a soixante-dix ans, on ne parlait pas encore d’écologie, pourtant, l’abbé Pierre dénonçait déjà les problèmes de logement.

Comment convient-il de traiter cette crise ? Bien évidemment, il faut mobiliser l’ensemble des acteurs du secteur. En la matière, pardonnez-moi, madame la ministre, la situation est catastrophique !

Vous avez intelligemment fait travailler l’ensemble des acteurs, de la Fondation Abbé Pierre à la Fédération française du bâtiment, dans le cadre du Conseil national de la refondation Logement. Ils ont œuvré, pendant des mois, pour construire des réponses, essayer de trouver des solutions opérationnelles, pour les collectivités comme pour l’État.

Pourtant, pas un de ces acteurs n’est ressorti de ces réunions sans se sentir humilié par cet exercice. Vous avez en effet méprisé leurs conclusions. (Mme la ministre fait un signe de dénégation.) Il convient désormais de les remobiliser, mais sur quelle politique, quelles compétences, avec quel budget, quels moyens, quel discours ?

Nous connaissons les moyens, qui sont aussi ceux de la rénovation énergétique, alors que notre pays compte 6 millions de passoires thermiques. On s’est aperçu que ces logements, qui sont un problème l’hiver, en sont un aussi et de manière dramatique l’été : dans 70 % des logements situés dans des quartiers prioritaires de la politique de la ville, on souffre d’étouffement. Il faut avancer sur ce sujet.

Il va aussi falloir respecter les règles. Il a beaucoup été question de la loi SRU, mais qu’attendez-vous, madame la ministre, pour exiger des préfets qu’ils imposent sa mise en œuvre dans les départements ? (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)

Madame la rapporteure, dans les Alpes-Maritimes, la quasi-totalité des communes ne sont pas dans les clous de la loi SRU. Il faudra l’appliquer si nous voulons du logement social dans notre pays !