B. PRÉCISER LE CHAMP D'APPLICATION DE LA DIRECTIVE (CHAPITRE I)

Un des enjeux principaux de la directive se trouve dans son champ d'application et la définition des plateformes qui y seraient soumises.

Les rapporteurs reconnaissent qu'il s'agit là d'un exercice délicat et que l'équilibre à trouver n'est pas aisé. Le champ d'application doit, en effet, être assez large afin d'éviter que certaines plateformes qui devraient légitimement en relever y échappent, mais pas trop large afin de ne pas y inclure des plateformes, dont l'activité n'engendre pas les difficultés que la directive veut régler.

Les rapporteurs estiment tout de même que le champ d'application pourrait être quelque peu précisé. L'enjeu est de circonscrire l'application de cette directive aux plateformes les plus concernées, et notamment celles de services organisés (livraison repas et VTC).

Le champ d'application ne devrait pas inclure les vraies plateformes de mise en relation (Doctolib, blablacar, le bon coin, etc.). Ces plateformes ne sont a priori pas concernées par la directive, au vu du l'article 2.2 et du considérant 18 de la directive.

Article 2

Définitions

1. Aux fins de la présente directive, on entend par:

1) «plateforme de travail numérique»: toute personne physique ou morale fournissant un service commercial qui satisfait à toutes les exigences suivantes:

a) il est fourni, au moins en partie, à distance par des moyens électroniques, tels qu'un site web ou une application mobile;

b) il est fourni à la demande d'un destinataire du service;

c) il comprend, en tant qu'élément nécessaire et essentiel, l'organisation du travail exécuté par des individus, que ce travail soit exécuté en ligne ou sur un site précis;

(...)

2. La définition des plateformes de travail numériques établie au paragraphe 1, point 1), ne recouvre pas les fournisseurs d'un service dont l'objectif principal est d'exploiter ou de partager des actifs. Elle est limitée aux fournisseurs d'un service pour qui l'organisation du travail exécuté par l'individu ne constitue pas qu'un élément mineur et purement accessoire.

Extrait du considérant 18 de la proposition de directive

« Les plateformes en ligne qui n'organisent pas le travail exécuté par des individus mais qui se bornent à fournir aux prestataires de services les moyens d'atteindre l'utilisateur final, par exemple en leur permettant de publier des offres ou des demandes de services ou en agrégeant et en affichant les prestataires de services disponibles dans un domaine spécifique, sans intervenir d'aucune autre manière, ne devraient pas être considérées comme des plateformes de travail numériques.

La définition des plateformes de travail numériques ne devrait pas inclure les fournisseurs d'un service dont l'objectif premier est d'exploiter ou de partager des actifs, tel que la location de courte durée de logements. Elle devrait être limitée aux fournisseurs d'un service pour qui l'organisation du travail exécuté par l'individu, tel que le transport de personnes ou de marchandises ou le nettoyage, constitue un élément nécessaire et essentiel et non un simple élément mineur et purement accessoire. »

Selon les rapporteurs, pourraient également être exclus du champ d'application de la directive d'autres types d'acteurs, comme les plateformes à but non lucratif (les plateformes d'entraide, comme les plateformes de voisinage par exemple), ce qu'ont proposé la PFUE et la présidence tchèque dans leur texte de compromis

Les agents commerciaux, au vu de leur activité fondée sur la vente d'un bien et non pas la prestation de travail, pourraient également être explicitement exclus du champ d'application de la directive. Définis par la directive 86/653/CEE comme des intermédiaires indépendants, il semblerait effectivement qu'ils n'aient pas vocation à entrer dans le champ d'application de la directive. Le texte de compromis proposé par la PFUE les exclut explicitement.

Par ailleurs, il semblerait, selon la DGT/DGE, que la directive pourrait s'appliquer aux centrales de réservation de taxis. S'il semble peu probable que ces acteurs remplissent les critères de la présomption, ils pourraient de fait être soumis aux dispositions relatives à la gestion algorithmique. A l'occasion d'un échange entre la DGE, l'Union Nationale des Industries du Taxi (UNIT) et la Fédération nationale des taxis indépendants (FNTI), les représentants de la filière taxi ont fait part de leur crainte de voir la présomption de salariat s'appliquer aux chauffeurs de taxis indépendants travaillant via des centrales de réservation. L'UNIT et la FNTI ont demandé que les centrales de réservation soient exclues de ce projet de règlementation, ou que les critères soient révisés en prenant en compte les caractéristiques intrinsèques des prestations fournies par des plateformes VTC.

La question des entreprises intermédiaires

En l'état actuel du texte, selon la France, la directive s'applique aux entreprises intermédiaires, qui mettent des travailleurs à la disposition des plateformes visées par la directive, et qui sont liées à ces travailleurs par des contrats commerciaux ou de travail. Pour répondre aux demandes de plusieurs délégations, la PFUE a apporté des précisions dans les textes, afin d'inclure explicitement les entreprises intermédiaires qui mettent des travailleurs à disposition des plateformes. Le texte de compromis tchèque renforce les propositions de la PFUE, en intégrant, à l'article 2, une définition de l'« intermédiaire » entre la plateforme et le travailleur, pour conforter l'inclusion de cet acteur dans le champ d'application de la proposition de directive. . L'article 4 relatif à la présomption de salariat pourrait ainsi s'appliquer à des travailleurs faux-indépendants qui passeraient par une entreprise intermédiaire afin d'effectuer un travail sur une plateforme et ce, afin d'éviter tout contournement de la législation par les plateformes.

La France s'est prononcée en faveur de la proposition de la Présidence qui vise justement à éviter le contournement de la directive par les plateformes. Elle a cependant estimé que la définition proposée méritait d'être retravaillée car elle risquait, en étant trop large, de capturer des sociétés qui contractent avec les travailleurs et les plateformes pour d'autres finalités (ex : intermédiaires qui loueraient des vélos à prix réduit à des livreurs).

Par ailleurs, la présidence tchèque a proposé l'ajout d'un nouvel article (2.a), prévoyant que « les États membres veillent à ce que la plateforme de travail numérique, l'intermédiaire ou les deux soient responsables des obligations et jouissent des droits découlant de la présente directive. Les États membres veillent à ce que le recours à des intermédiaires ne conduise pas à une diminution de la protection accordée aux personnes effectuant un travail sur une plateforme ».

La Commission européenne a réagi en confirmant que tous les travailleurs, qu'il existe ou non un intermédiaire, doivent bénéficier de la même protection. Elle a cependant jugé inacceptable que la possibilité soit donnée aux États membres de transférer aux seuls intermédiaires les obligations devant incomber aux plateformes.

Par ailleurs, les rapporteurs soutiennent les modifications apportées par la présidence française, dans son texte de compromis, s'agissant de la définition des représentants des travailleurs (article 2.1.5). Le texte de la directive ne définissait les représentants que pour les travailleurs salariés, la PFUE a élargi cette définition aux représentants des travailleurs indépendants pour couvrir à la fois les représentants des salariés et ceux des autres travailleurs de plateforme qui peuvent exister dans certains États membres, comme en France.