B. LES INDEMNITÉS VERSÉES PAR L'ONIAM SONT INFÉRIEURES À CELLES DES JURIDICTIONS, CE QUI PEUT INCITER LES FAMILLES À PRÉFÉRER LA VOIE CONTENTIEUSE POUR LES CAS LES PLUS GRAVES

Des indemnités trop faibles en comparaison des décisions des juridictions peuvent être une première raison expliquant que certaines familles se détournent de la procédure amiable. Il ne faut toutefois pas exagérer sa portée, ce facteur concernant surtout les familles qui connaissent les préjudices les plus importants .

1. Les indemnités versées par l'ONIAM sont très variables selon la gravité du préjudice

Au 31 décembre 2021, le montant total des offres proposées par l'ONIAM était de 38,3 millions d'euros, pour 159 dossiers, ce qui représente un montant moyen d'environ 241 000 euros par dossier. Le dernier rapport d'activité de l'ONIAM précise que jusqu'à la même date, 33,4 millions d'euros ont été perçus par les victimes.

Le tableau suivant présente la répartition du montant des offres émises par l'ONIAM :

Montant des offres

Nombre d'offres aux victimes directes

Nombre d'offres aux victimes indirectes

Supérieur à 2 millions d'euros

2

-

Entre 1,5 et 2 millions d'euros

-

-

Entre 1 et 1,5 millions d'euros

7

-

Entre 800 000 et 1 million d'euros

2

-

Entre 600 000 et 800 000 euros

4

-

Entre 400 000 et 600 000 euros

6

-

Entre 300 000 et 400 000 euros

7

-

Entre 200 000 et 300 000 euros

15

-

Entre 160 000 et 200 000 euros

12

-

Entre 120 000 et 160 000 euros

12

1

Entre 100 000 et 120 000 euros

5

-

Entre 80 000 et 100 000 euros

10

-

Entre 60 000 et 80 000 euros

7

-

Entre 40 000 et 60 000 euros

13

-

Entre 20 000 et 40 000 euros

19

26

Entre 10 000 et 20 000 euros

13

138

Entre 5 000 et 10 000 euros

5

129

Inférieure à 5 000 euros

10

168

TOTAL

149

462

Source : commission des finances du Sénat

Deux offres sont supérieures à 2 millions d'euros. La plus importante indemnité accordée à une victime directe est de 2 069 445,57 euros, et elle a été accordée pour une victime qui a besoin de l'assistance permanente d'une tierce personne. Une victime indirecte a bénéficié d'une indemnisation entre 120 000 et 160 000 euros au titre de la perte de revenus 20 ( * ) .

Il y a une grande variabilité dans les offres proposées : les deux tiers des offres sont inférieurs à 200 000 euros, tandis qu'un tiers des offres est supérieur à 200 000 euros . La valeur médiane des offres proposées aux victimes directes se situe entre 80 000 et 100 000 euros. Pour les victimes indirectes, la valeur médiane est entre 5 000 et 10 000 euros.

Les préjudices qui donnent lieu aux indemnités les plus importantes sont le besoin d'assistance par une tierce personne, le déficit fonctionnel permanent et le préjudice professionnel. À l'inverse, le préjudice esthétique temporaire est le préjudice qui donne lieu à l'indemnisation la plus faible (en moyenne inférieure à 20 000 euros).

2. La comparaison entre les référentiels montre que les indemnités versées par l'ONIAM sont en moyenne plus faibles que celles prononcées par les juridictions civiles

La comparaison directe entre les indemnisations proposées par l'ONIAM et celles prononcées par les juridictions est délicate , dans la mesure où les familles qui font un recours contentieux sont en général celles qui ont connu les préjudices les plus importants.

En revanche, il est possible de comparer le référentiel Mornet et le référentiel ONIAM , car ils se fondent sur la même nomenclature des préjudices, qui a été déterminée par les groupes de travail Yvonne Lambert-Faivre et Jean-Pierre Dintilhac.

Référentiel Mornet et référentiel ONIAM

Le « référentiel Mornet », du nom de Benoît Mornet, conseiller à la Cour de cassation, est un barème d'indemnisation utilisé par les juridictions civiles pour la réparation du dommage corporel. Il n'a pas de valeur obligatoire, mais il propose « une aide méthodologique et des références d'indemnisation aux praticiens (magistrats et avocats) confrontés à cette question . » 21 ( * )

Le référentiel reprend la nomenclature des préjudices corporels déterminée par les groupes de travail Yvonne Lambert-Faivre et Jean-Pierre Dintilhac, et il intègre la jurisprudence des juridictions civiles jusqu'en juillet 2021.

Le « référentiel ONIAM » est un barème d'indemnisation utilisé par l'ONIAM pour l'indemnisation des accidents médicaux. Ce barème est en effet utilisé non seulement dans le cadre du dispositif d'indemnisation pour les victimes de la Dépakine, mais aussi pour l'indemnisation de l'ensemble des accidents médicaux traités par l'ONIAM, à l'exception des dommages imputables à la contamination par le virus de l'hépatite C, qui font l'objet d'un barème spécifique.

Le référentiel ONIAM tient compte des indemnisations allouées par les juridictions judiciaires et administratives, ainsi que des indemnisations allouées par voie transactionnelle.

Le référentiel ONIAM a fait l'objet d'une actualisation de sa table de capitalisation au
1 er janvier 2022, et la dernière actualisation des montants relatifs à l'indemnisation du déficit fonctionnel permanent date du 1 er avril 2022. Tout comme le référentiel Mornet, le référentiel ONIAM intègre la nomenclature des préjudices corporels Lambert-Faivre et Dintilhac.

Questionnée sur le montant de l'indemnisation accordée aux victimes, l'APESAC la qualifie d'« indemnisation au rabais ». La raison majeure étant les différences de référentiel : « L'ONIAM se substitue aux laboratoires mais refuse d'appliquer le référentiel des cours civiles (compétentes dans ce contentieux), à savoir le référentiel Mornet, et applique le référentiel ONIAM, qui indemnise à peine à hauteur de 60 % des indemnités qu'aurait pu percevoir la victime devant la juridiction compétente . » 22 ( * )

Le chiffre de « 60 % » avancé par l'APESAC n'est pas vérifié pour l'ensemble des indemnisations, mais les indemnisations prévues par le barème ONIAM sont effectivement inférieures à celles du référentiel Mornet . On peut le constater pour plusieurs préjudices donnant lieu à des indemnités importantes : le préjudice esthétique permanent, le déficit fonctionnel permanant et le besoin d'assistance permanent par une tierce personne.

Comparaison entre le référentiel Mornet et le référentiel ONIAM
au titre du préjudice esthétique permanent

Degré du préjudice

Référentiel Mornet

Référentiel ONIAM

Comparaison entre le référentiel ONIAM et le référentiel Mornet

1/7 Très léger

Jusqu'à 2 000 euros

811 à 1 098 euros

95,4 %

2/7 Léger

2 000 à 4 000 euros

1 572 à 2 126 euros

61,6 %

3/7 Modéré

4 000 à 8 000 euros

3 076 à 4 162 euros

60,3 %

4/7 Moyen

8 000 à 20 000 euros

6 121 à 8 281 euros

51,4 %

5/7 Assez important

20 000 à 35 000 euros

11 502 à 15 561 euros

49,2 %

6/7 Important

35 000 à 50 000 euros

20 014 à 27 078 euros

55,4 %

7/7 Très important

50 000 à 80 000 euros

32 453 à 43 907 euros

58,7 %

Exceptionnel

Supérieur à 80 000 euros

Pas d'indications

-

Note : la comparaison est entre le référentiel ONIAM et le référentiel Mornet est déterminé par le rapport des valeurs moyennes du référentiel ONIAM sur les valeurs moyennes du référentiel Mornet. Par exemple, pour le préjudice « 4/7 Moyen », la valeur arrondie au dixième du rapport est déterminée par : (6 121 + 8 281)/2) / ((8 000 + 20 000)/2) x 100 = 7 201 / 14 000 x 100 = 51,4. Concernant le préjudice 1/7 « Très léger », la valeur choisie du référentiel Mornet est 1 000 euros.

Source : commission des finances du Sénat

Déficit fonctionnel permanent

Le déficit fonctionnel permanent mesure la réduction du potentiel physique, psychosensoriel ou intellectuel, et les douleurs séquellaires après consolidation 23 ( * ) . Il est exprimé par un taux allant de 1 à 100 %, et il est noté « DFP ». Le montant de l'indemnisation versée à la victime dépend ensuite de l'âge de la victime, une victime jeune ayant droit à une indemnisation plus élevée qu'une victime âgée. Le barème est différent entre les hommes et les femmes, compte tenu de l'espérance de vie un peu plus élevée de ces dernières. Le tableau suivant donne une comparaison entre les deux référentiels pour un cas particulier, mais des chiffres similaires sont retrouvés pour l'ensemble des cas.

Comparaison entre le référentiel Mornet et le référentiel ONIAM
au titre du déficit fonctionnel permanent
dans le cas d'une femme avec un DFP de 35 %

Âge (années)

Référentiel Mornet

Référentiel ONIAM

Montant du référentiel ONIAM / montant du référentiel Mornet

10

155 925

104 304

66,9 %

20

144 375

95 113

65,9 %

40

117 425

76 926

65,5 %

60

83 650

59 762

71,4 %

80

53 900

44 412

82,4 %

Source : commission des finances du Sénat, d'après le référentiel Mornet et le référentiel ONIAM, ainsi que les réponses au questionnaire du rapporteur spécial

Besoin d'assistance par une tierce personne

En ce qui concerne le besoin d'assistance par une tierce personne, le référentiel Mornet indique que : « Le tarif horaire de l'indemnisation se situe entre 16 et 25 euros de l'heure en fonction du besoin, de la gravité du handicap et de la spécialisation de la tierce personne ». Le référentiel ONIAM indique quant à lui que : « L'indemnisation de ce poste dépend du niveau de qualification et la mission de la tierce personne requise. Le taux horaire proposé par l'ONIAM est de 13€/h pour une aide non spécialisée et de 18€/h pour une aide spécialisée . »

Si on fait la moyenne des chiffres indiqués, on aboutit à une indemnisation par l'ONIAM qui représente 75 % de celle indiquée par le référentiel Mornet. Cette différence entre les deux indemnisations représente une somme conséquente lorsque le besoin d'assistance par une tierce personne est à vie.

Le versement indemnités plus faibles par l'ONIAM, en comparaison des jugements des juridictions civiles, est en réalité une partie intégrante du dispositif : le dispositif d'indemnisation amiable mène à des indemnisations plus faibles, mais en échange, il promet une indemnisation plus rapide, moins onéreuse, et simplifiée en comparaison de l'action devant les tribunaux .

Cet équilibre suppose toutefois deux conditions : l'écart entre le montant accordé par l'ONIAM et celui accordé par les juridictions civiles ne doit pas être trop important, et la procédure amiable doit effectivement être plus rapide et plus simple que la procédure contentieuse .

Les offres émises par l'ONIAM font l'objet d'un bon taux d'acceptation : seules 5 offres ont jusqu'à présent fait l'objet d'une contestation devant le juge administratif. Cependant, ce taux d'acceptation élevé peut aussi s'expliquer par la lassitude des familles, qui ne souhaitent pas engager une nouvelle procédure devant la justice, après une procédure amiable qui a parfois déjà duré plusieurs années et qui a nécessité d'effectuer de nombreuses démarches.

Il est difficile d'estimer le rôle que joue le montant des indemnisations dans le non-recours au dispositif. Le rapport de la Cour des comptes de 2017 estimait que l'indemnisation moins favorable effectué par l'ONIAM par rapport aux juridictions civiles peut être effectivement un facteur de désaffectation du dispositif, en relativisant cependant sa portée 24 ( * ) .

Enfin, la procédure amiable est moins intéressante à mesure que les préjudices sont importants . Par exemple, des préjudices qui représentaient 2 millions d'euros de réparations devant les juridictions civiles (assistance par une tierce personne) donneraient lieu à une indemnisation de 1,5 million par l'ONIAM, soit une différence de 500 000 euros.

En contrepartie, l'avantage du dispositif d'indemnisation amiable pour les familles devrait être sa simplicité et sa rapidité. Or, les délais d'indemnisation sont bien supérieurs aux 6 mois prévus par les textes, et la procédure amiable est particulièrement complexe pour les familles. En conséquence, la plus-value du dispositif d'indemnisation amiable par rapport à l'action contentieuse est difficile à trouver .


* 20 La perte de revenus des proches est définie de cette façon dans la nomenclature Dintilhac : « il convient de réparer au titre de ce poste, la perte ou la diminution de revenus subie par les proches de la victime directe lorsqu'ils sont obligés, pour assurer une présence constante auprès de la victime handicapée d'abandonner temporairement, voire définitivement, leur emploi. »

* 21 « L'indemnisation des préjudices en cas de blessures ou de décès » (Référentiel Mornet), Benoît Mornet, Septembre 2021.

* 22 Réponse de l'APESAC au questionnaire du rapporteur spécial.

* 23 Référentiel Mornet, d'après la Commission européenne (conférence de Trèves de juin 2000) et le rapport Dintilhac

* 24 Rapport public annuel 2017, Cour des comptes, février 2017, p. 84.

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