Rapport d'information n° 904 (2021-2022) de M. Christian KLINGER , fait au nom de la commission des finances, déposé le 28 septembre 2022

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N° 904

SÉNAT

2021-2022

Enregistré à la Présidence du Sénat le 28 septembre 2022

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des finances (1) sur le dispositif d' indemnisation pour les victimes de la Dépakine ,

Par M. Christian KLINGER,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. Claude Raynal , président ; M. Jean-François Husson , rapporteur général ; MM. Éric Bocquet, Daniel Breuiller, Emmanuel Capus, Bernard Delcros, Vincent Éblé, Charles Guené, Mme Christine Lavarde, MM. Dominique de Legge, Albéric de Montgolfier, Didier Rambaud, Jean-Claude Requier, Mme Sylvie Vermeillet , vice-présidents ; MM. Jérôme Bascher, Rémi Féraud, Marc Laménie, Stéphane Sautarel , secrétaires ; MM. Jean-Michel Arnaud, Arnaud Bazin, Christian Bilhac, Jean-Baptiste Blanc, Mme Isabelle Briquet, MM. Michel Canévet, Vincent Capo-Canellas, Thierry Cozic, Vincent Delahaye, Philippe Dominati, Mme Frédérique Espagnac, MM. Éric Jeansannetas, Patrice Joly, Roger Karoutchi, Christian Klinger, Antoine Lefèvre, Gérard Longuet, Victorin Lurel, Hervé Maurey, Thierry Meignen, Sébastien Meurant, Jean-Marie Mizzon, Claude Nougein, Mme Vanina Paoli-Gagin, MM. Paul Toussaint Parigi, Georges Patient, Jean-François Rapin, Teva Rohfritsch, Pascal Savoldelli, Vincent Segouin, Jean Pierre Vogel .

L'ESSENTIEL

I. LE DISPOSITIF D'INDEMNISATION POUR LES VICTIMES DU VALPROATE DE SODIUM A ÉTÉ MIS EN PLACE SUITE À « L'AFFAIRE DE LA DÉPAKINE »

A. LES DOMMAGES CAUSÉS PAR LA PRISE DE DÉPAKINE DURANT LA GROSSESSE CONCERNENT DES DIZAINES DE MILLIERS DE PERSONNES

La « Dépakine » est le nom d'un médicament contenant du valproate de sodium, utilisé pour lutter contre l'épilepsie , commercialisé depuis 1967, et qui a été racheté par Sanofi. Il est devenu le médicament le plus utilisé au monde contre l'épilepsie.

Depuis les années 1980, il est établi que la prise de valproate de sodium par la femme enceinte peut provoquer de graves malformations du foetus. Dans les années 2000, de nombreuses études ont mis en évidence un lien entre l'exposition in utero au valproate de sodium et le développement de troubles neurodéveloppementaux. Les conséquences en termes de santé publique sont importantes : on estime que des dizaines de milliers d'enfants souffrent de dommages consécutifs à une prise de valproate de sodium pendant la grossesse .

Contrairement à d'autres dossiers mettant en cause la santé publique, les dommages découlant de l'exposition in utero au valproate de sodium ne sont contestés par aucun des acteurs . La controverse porte sur la question de savoir si les professionnels de santé et les femmes ont été suffisamment informés des risques encourus par la prise de ce médicament .

L'affaire de la Dépakine a pris de l'ampleur médiatique avec l'action de la lanceuse d'alerte Marine Martin. Elle a fondé en 2011 l'association Aide aux Parents d'Enfants souffrant du Syndrome de l'Anti-Convulsivant (APESAC), destinée à organiser l'action des familles victimes de l'exposition au valproate de sodium .

L'affaire de la Dépakine a fait l'objet de nombreux contentieux, à la fois au civil et au pénal . En avril 2017, l'APESAC a introduit une action de groupe devant le Tribunal de grande instance de Paris. La juridiction a rendu un premier jugement le 5 avril 2022, dans lequel elle considère recevable l'action de l'APESAC, et elle retient la faute de SANOFI. Toutefois, jusqu'à présent, aucune décision de justice définitive n'a encore reconnu la responsabilité du laboratoire.

B. LE DISPOSITIF D'INDEMNISATION MIS EN PLACE EN 2017 S'APPUIE SUR UN COLLÈGE D'EXPERTS CHARGÉ DE L'INSTRUCTION DES DOSSIERS DES VICTIMES

Suite à une mission de l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) un dispositif d'indemnisation pour les victimes a été créé par l'article 150 de la loi du 29 décembre 2016 de finances initiale pour 2017 . Il est entré en vigueur le 1 er juin 2017, et sa gestion a été confiée à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux (ONIAM).

L'organisation initiale du dispositif en deux instances (le collège d'experts et le comité d'indemnisation), était particulièrement complexe, et avait conduit à des retards dans la mise en place du dispositif et le traitement des dossiers. En conséquence, le dispositif a été réformé par l'article 266 de la loi de finances initiale pour 2020 : les deux instances ont été fusionnées en un nouveau collège d'experts d'unique .

Le traitement d'un « dossier Dépakine » suit deux phases :

- une phase d'instruction, où le collège d'experts se prononce sur l'imputabilité des dommages à la prescription de valproate de sodium (avant le 31 décembre 2015), et le cas échéant, il précise pour chaque préjudice les circonstances, les causes, la nature et l'étendue des dommages imputables . Il définit également les différentes responsabilités ;

- une phase d'indemnisation, où les personnes désignées responsables doivent présenter une offre d'indemnisation dans le mois qui suit la réception de l'avis du collège d'experts . Si la personne désignée ne présente pas d'offre ou présente une offre manifestement insuffisante, l'ONIAM présente une offre en substitution. Par la suite, l'ONIAM se retourne contre la personne désignée responsable.

La présentation d'offres en substitution en cas de défaillance est similaire aux autres dispositifs d'indemnisation de l'ONIAM. L'intérêt est de pouvoir indemniser rapidement les victimes, et de laisser l'ONIAM gérer le recouvrement. Dans le cas du dispositif d'indemnisation pour les victimes de la Dépakine, SANOFI conteste systématiquement devant les juridictions l'ensemble des titres de recettes émis par l'ONIAM. Le laboratoire n'a donc jusqu'à présent présenté aucune offre d'indemnisation .

II. UNE SOUS-EXÉCUTION BUDGÉTAIRE CHRONIQUE QUI RÉVÈLE LES FAIBLESSES DU DISPOSITIF D'INDEMNISATION

A. LES CRÉDITS DESTINÉS AU DISPOSITIF D'INDEMNISATION SONT CONTINUELLEMENT SOUS-EXÉCUTÉS DEPUIS SA CRÉATION

Les crédits destinés au dispositif d'indemnisation pour les victimes de la Dépakine sont continuellement sous-exécutés depuis sa création : alors que les prévisions initiales évaluaient la dépense à 77,7 millions par an, l'exécution annuelle du dispositif jusqu'en 2021 n'a jamais dépassé 16,8 millions d'euros. Même l'abaissement des prévisions à 40,3 millions d'euros en 2020 n'a pas permis d'obtenir une exécution conforme aux prévisions.

Comparaison entre les prévisions et l'exécution
du dispositif d'indemnisation (en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat, à partir des documents budgétaires et des réponses au questionnaire

La sous-exécution du dispositif d'indemnisation s'explique essentiellement par le non-recours au dispositif. Il existe en effet un écart important entre les prévisions et le nombre de dossiers déposés à l'ONIAM (environ 850 au milieu de l'année 2022) et les données épidémiologiques : dans un rapport de 2018, l'ANSM estime qu'entre 2 150 et 4 100 enfants souffriraient de malformations, et entre 16 600 et 30 400 connaîtraient des troubles neurodéveloppementaux .

B. LES CAUSES DU NON-RECOURS SONT PARTAGÉES ENTRE LA FAIBLESSE DES INDEMNISATIONS, LA COMPLEXITÉ DE LA PROCÉDURE POUR LES FAMILLES ET LES RETARDS DANS LA PROCÉDURE D'INDEMNISATION

Lorsque l'on compare le référentiel Mornet (utilisé dans les juridictions civiles) et le référentiel ONIAM, on constate que les indemnisations versées par l'ONIAM sont en moyenne inférieures de 30 à 40 % à celles versées par les juridictions civiles pour les dommages permanents . La procédure amiable est ainsi moins intéressante pour les victimes à mesure que les préjudices sont importants .

Il est assumé dans une certaine mesure que le dispositif d'indemnisation propose des indemnisations plus faibles que les juridictions. En contrepartie, la procédure amiable promet une indemnisation simplifiée et plus rapide en comparaison de l'action devant les tribunaux. Or, le dispositif d'indemnisation pour les victimes de la Dépakine peine à remplir ces conditions .

Il est nécessaire pour les familles de constituer des dossiers qui font des centaines de pages, en sachant que certains documents sont particulièrement difficiles à retrouver, comme des pièces médicales datant de plusieurs décennies. Il faut également rappeler que les femmes qui font ces démarches souffrent d'épilepsie, qui est une maladie chronique et fortement handicapante .

Concernant les délais de recours, l'article L. 1142-24-12 du code de la santé publique prévoit que l'avis du collège d'experts doit être émis dans un délai de six mois à compter de la saisine de l'office . Dans la pratique, ce délai est très loin d'être respecté . Le délai moyen de la procédure est en effet de 32 mois en cas d'acceptation, et de 34 mois en cas de rejet .

Ces délais résultent de l'accumulation du stock de dossiers, à la suite des défaillances de l'organisation initiale du dispositif. Il est probable que les délais aient atteint un plafond, et diminueront les années à venir.

Il n'en reste pas moins que ces délais ne sont pas acceptables pour les victimes. Ils viennent remettre en cause l'un des intérêts du dispositif amiable, qui est de proposer une procédure plus rapide que la justice .

Pour expliquer les retards, l'ONIAM met en avant la complexité des dossiers Dépakine au niveau médical et juridique. En effet, chaque dossier Dépakine comprend en moyenne une dizaine de préjudices, et les troubles du neurodéveloppement sont connus pour être difficiles à évaluer. De plus, les questions de prescription compliquent la recherche de responsabilité.

Ces difficultés étaient toutefois connues même avant la mise en place du dispositif, et pouvaient être bien mieux anticipées . L'organisation initiale du dispositif était inadaptée à la réalité des dossiers Dépakine, et les années perdues jusqu'à la réforme de 2019 continuent malheureusement de peser sur le fonctionnement du dispositif d'indemnisation.

III. LA RÉUSSITE DU DISPOSITIF D'INDEMNISATION PASSÉ PAR UNE MEILLEURE ANTICIPATION DES RISQUES

A. UNE NOUVELLE RÉFORME GLOBALE DU DISPOSITIF N'EST PAS PERTINENTE, MAIS IL DOIT ÊTRE RENFORCÉ

Les représentants de l'ONIAM ont insisté sur la nécessité de stabiliser le dispositif, et donc ne pas opérer de nouvelles réformes. Le rapporteur spécial partage cette conclusion .

Le nouveau collège d'experts n'a repris ses travaux que depuis le 1 er octobre 2020, et à partir de cette date le rythme d'examen des dossiers a nettement accéléré. Le collège a tenu 130 séances en 2021, ce qui correspond à une moyenne d'environ 3 séances par semaine, en sachant que chaque séance correspond à une demi-journée de travail. Les retards persistants s'expliquent par le stock important de dossiers.

Il est difficile d'exiger davantage de séances, dans la mesure où les membres du collège d'experts sont des praticiens en exercice. Plus fondamentalement, une nouvelle réforme globale de la procédure d'indemnisation risquerait de déstabiliser le collège d'experts et d'aggraver les retards . Toutefois, cela ne signifie pas que la gestion du dispositif d'indemnisation ne puisse pas être améliorée .

Le nombre de membres du collège d'experts est conforme aux textes, mais leur recrutement présente des fragilités . Alors que trois suppléants sont prévus par membre du collège, un des membres n'en possède qu'un, et deux membres n'en possèdent aucun. Pour faciliter leur recrutement, il est envisageable de relever la rémunération des experts, qui est aujourd'hui faible au regard des tâches effectuées (237 096 euros étaient consacrés en 2021 à la rémunération des neuf experts du collège).

La contestation systématique par SANOFI des titres de recettes émis par l'ONIAM a donné lieu à un contentieux important : en mars 2022, 240 procédures ont été enregistrées par le service en charge du valproate de l'Oniam. Cet afflux de contentieux pose un risque pour le bon fonctionnement du dispositif, et il convient de s'assurer que l'office dispose d'un nombre de juristes suffisant pour le traiter .

La relation avec les familles est l'un des points faibles du dispositif actuel . Bien que prévu par le dernier contrat d'objectifs et de performance signé entre l'État et l'ONIAM, il n'existe toujours pas de baromètre permettant de mesurer la prise en charge des familles par le dispositif. De plus, les familles font état de difficultés à joindre le secrétariat de l'ONIAM, et témoignent de leur incompréhension vis-à-vis des pièces médicales demandées, des documents pris en compte ou non par le collège d'experts, ou de plusieurs règles procédurales. Pour ces raisons, il est essentiel que le personnel support de l'ONIAM soit en mesure d'accompagner convenablement les familles ayant saisi le dispositif d'indemnisation, et d'énoncer des règles claires quant aux documents pouvant être communiqués au collège d'experts .

B. LE DISPOSITIF D'INDEMNISATION POUR LES VICTIMES DU VALPROATE DE SODIUM DOIT FAIRE L'OBJET D'UNE RÉFLEXION SUR LE TEMPS LONG

Les effets de l'exposition in utero au valproate de sodium continuent de faire l'objet de recherches. Une hypothèse, l'existence d'une transmission entre les générations des dommages causés par l'exposition au valproate, pourrait avoir des conséquences importantes sur l'indemnisation des victimes : une nouvelle génération de personnes aurait à être indemnisée, et les victimes actuelles connaîtraient un préjudice d'anxiété .

L'APESAC a mené en 2021 une étude qui conclut à un risque important pour des parents ayant été exposés in utero au valproate de sodium de transmettre des dommages à leurs enfants. Cette étude doit toutefois être confirmée par une étude scientifique indépendante. Un rapport de l'INSERM de septembre 2021 fait ainsi de la recherche des effets transgénérationnels de l'exposition au valproate de sodium un axe prioritaire pour les recherches à venir .

Dans l'attente de ces études, il est nécessaire de mettre en place des scénarios d'adaptation du dispositif d'indemnisation pour les victimes du valproate de sodium au cas où une transmission entre les générations des dommages serait identifiée. Tout l'enjeu est d'éviter la situation où, par manque de prévision, la réforme du dispositif d'indemnisation conduirait à de nouveaux retards dans l'indemnisation des victimes .

Depuis la mise en place du dispositif d'indemnisation pour les victimes de la Dépakine, aucune somme n'a été recouvrée sur les personnes désignées responsables autre que l'État, c'est-à-dire essentiellement SANOFI .

L'implication de SANOFI dans le dispositif aurait des conséquences majeures pour son financement : pour 91,1 % du montant des offres proposées, l'ONIAM agit en substitution de la personne désignée responsable, qui est, dans la très grande majorité des cas, SANOFI .

Toutefois, dans ses réponses, le laboratoire confirme que les titres de recettes émis par l'ONIAM sont systématiquement contestés devant les tribunaux, et il ne fait pas de doutes à ce stade que SANOFI épuisera l'ensemble des voies de recours juridictionnelles pour contester sa responsabilité dans les dommages causés par la Dépakine. Compte tenu des délais de recours devant la justice, il est probable qu'une décision de justice définitive issue de la contestation d'un titre de recouvrement par l'ONIAM ne surviendra pas avant de nombreuses années .

Le rapporteur spécial relève que le « dispositif d'indemnisation pour les victimes de la Dépakine » est régulièrement appelé « fonds d'indemnisation pour les victimes de la Dépakine » dans les médias, comme s'il était implicitement admis que l'État paierait l'ensemble des indemnisations . Il était par ailleurs évident dès la mise en place du dispositif que SANOFI ne participerait pas au dispositif d'indemnisation , contesterait systématiquement les titres de recettes , et donc que le dispositif d'indemnisation pour les victimes de la Dépakine équivaudrait, pendant les années que dureraient les procédures de justice, à un « fonds d'indemnisation » abondé par l'État. Or, l'État n'a pas vocation à assurer l'ensemble des risques d'accidents médicaux .

Le principe d'indemnisation qui caractérise les dispositifs de l'ONIAM était prometteur : il s'agit de proposer aux victimes des offres en substitution, pour qu'elles soient indemnisées rapidement, avant de se retourner devant les personnes responsables, qui ont la possibilité de contester cette imputation devant la justice. Toutefois, dans la pratique, la longueur des procédures devant les juridictions conduit à des délais de recouvrement très importants, ce qui remet en cause l'équilibre de ces dispositifs.

Il n'y a pas de solution évidente à ce dilemme. Il est bien évidemment nécessaire de respecter la présomption d'innocence des personnes mises en cause, mais il faut également veiller à ce que l'État ne supporte pas l'ensemble de l'indemnisation dans une affaire qui ne relève que partiellement de sa responsabilité.

Un préalable est de s'interroger sur le régime de responsabilité applicable aux médicaments qui présentent des défauts. Ils relèvent en effet de la loi n° 98-389 du 19 mai 1998, qui transpose la directive 85/374/CEE relative à la responsabilité pour les produits défectueux. Selon ces textes, les médicaments relèvent du même régime de responsabilité que les autres produits défectueux. Or, en raison des effets potentiels de long terme des médicaments, l'application d'un régime général présente des limites.

Pour cette raison, dans le cadre des discussions à l'échelle européenne sur le sujet, il est pertinent d'engager une réflexion sur la spécificité des médicaments par rapport aux autres produits, en ce qui concerne le régime de responsabilité applicable en cas de défaut. Une telle réflexion permettrait une meilleure répartition des responsabilités entre l'ensemble des acteurs .

Les 10 recommandations du rapporteur spécial
(à destination de l'ONIAM et du Ministère de la santé et de la prévention)

1. Initier une étude pour estimer le niveau de recours au dispositif d'indemnisation amiable pour les victimes de la Dépakine.

2. Renforcer et élargir la campagne d'information au sujet du dispositif d'indemnisation pour les victimes de la Dépakine.

3. Revaloriser la rémunération des experts, de manière à ce qu'elle gagne en attractivité par rapport aux juridictions civiles.

4. Redéployer en partie le personnel support de l'ONIAM vers les relations avec les familles ayant saisi le dispositif d'indemnisation pour les victimes de la Dépakine.

5. Examiner l'opportunité de renforcer temporairement le nombre de juristes présents au sein du service d'indemnisation pour les victimes du valproate de sodium, pour faire face à la progression du contentieux relatif aux titres de recettes émis par l'ONIAM.

6. Mettre en place un baromètre de satisfaction des personnes ayant recours au dispositif d'indemnisation.

7. Mettre en place des lignes directrices précises sur les documents pouvant être communiqués au collège d'experts.

8. Poursuivre l'élaboration d'un projet de réponse unique pour les familles ayant saisi en même temps la voie contentieuse et la voie amiable, et clarifier la situation des familles ayant accepté une offre d'indemnisation partielle proposée par la voie contentieuse.

9. Mettre en place des scénarios d'adaptation du dispositif d'indemnisation pour les victimes de la Dépakine dans le cas où une transmission entre les générations des dommages serait identifiée.

10. Dans le cadre de discussions au niveau européen, engager une réflexion sur le statut particulier des médicaments au regard de la directive 85/374/CEE en matière de responsabilité du fait des produits défectueux, afin de permettre une meilleure répartition des responsabilités.

PREMIÈRE PARTIE

UN DISPOSITIF D'INDEMNISATION QUI A FAIT L'OBJET D'UNE RÉFORME MAJEURE EN 2019

I. UN DISPOSITIF QUI N'ÉTAIT PAS OPÉRATIONNEL LORS DE SA MISE EN oeUVRE

A. L' « AFFAIRE DE LA DÉPAKINE » A CONDUIT À LA CRÉATION DU DISPOSITIF D'INDEMNISATION POUR LES VICTIMES DU VALPROATE DE SODIUM

1. L'exposition in utero au valproate de sodium est à l'origine de malformations et de troubles du développement, qui sont établis depuis longtemps par la littérature médicale

La « Dépakine » est le nom d'un médicament contenant du valproate de sodium, utilisé pour lutter contre l'épilepsie . Il est commercialisé depuis 1967, d'abord par le laboratoire Labaz, puis par Sanofi après son rachat en 1973. Il est devenu par la suite le médicament le plus utilisé au monde contre l'épilepsie .

À partir des années 1980, il a été établi que la prise de valproate de sodium par la femme enceinte peut être à l'origine de malformations congénitales graves du foetus 1 ( * ) . L'une des malformations caractéristiques de l'exposition au valproate de sodium est le spina bifida , qui correspond à un défaut de fermeture du tube neural. Il en résulte des problèmes moteurs, ainsi que de graves problèmes gastriques et rénaux. De façon complémentaire, il a été établi que le risque tératogène consécutif à une prise de valproate de sodium est également plus élevé par rapport aux autres médicaments antiépileptiques 2 ( * ) .

Dans les années 2000, de nombreuses études ont mis en évidence un lien entre des troubles cognitifs chez les enfants et la prise de valproate de sodium par la mère enceinte . L'exposition au valproate de sodium est ainsi associée à un QI verbal de 8 à 15 points inférieur à la moyenne, des retards de la marche et des problèmes de mémorisation. Les résultats à des tests de langage et de mathématiques sont significativement plus mauvais chez les enfants exposés in utero au valproate de sodium 3 ( * ) . Un lien a également été établi entre l'exposition au valproate et le développement de troubles de déficit de l'attention et hyperactivité (TDAH), et l'apparition de troubles du spectre autistique 4 ( * ) .

Jusqu'à présent, aucun lien direct n'a été établi entre la prise de valproate de sodium par le père et l'apparition de malformations ou de troubles cognitifs chez l'enfant. L'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) recommande néanmoins de poursuivre les recherches sur le sujet 5 ( * ) .

En 2021, l'association d'aide aux parents d'enfants souffrant du syndrome de l'anti-convulsivant (APESAC) a publié une étude sur l'impact transgénérationnel de l'exposition au valproate de sodium durant la grossesse, qui concluait à un risque important de transmission de malformations et de troubles neurodéveloppementaux par des parents exposés in utero au valproate de sodium à leurs enfants 6 ( * ) . Cette étude n'est toutefois pas reconnue comme étant une étude épidémiologique, mais l'INSERM a identifié la transmission transgénérationnelle des dommages liés au valproate de sodium comme un axe prioritaire de recherche 7 ( * ) . L'impact potentiel sur l'indemnisation des victimes de l'identification d'un effet transgénérationnel de l'exposition au valproate de sodium sera détaillé dans le IV de la deuxième partie de ce rapport .

2. Un scandale sanitaire portant sur la question de l'information des patientes sur les effets secondaires du valproate de sodium, qui a débouché sur la création d'un dispositif d'indemnisation

Malgré l'identification des effets néfastes de l'exposition au valproate de sodium dès les années 1980, le principe actif a continué à être prescrit à de nombreuses femmes enceintes .

Il a été établi que la prise de valproate de sodium durant la grossesse est responsable de malformations chez 2 150 à 4 100 personnes, et de troubles du neurodéveloppement chez 16 600 à 30 400 personnes. On estime même qu'environ 14 300 femmes ont pris du valproate de sodium durant leur grossesse entre 2007 et 2014.

Une difficulté de « l'affaire de la Dépakine » est que, dans certains cas, le médicament est indispensable pour la personne sous traitement : il n'existe pas toujours de substitut au valproate de sodium pour soigner l'épilepsie.

Cependant, contrairement à d'autres dossiers mettant en cause la santé publique, les dommages découlant de l'exposition in utero au valproate de sodium, les malformations congénitales et les troubles cognitifs au sens large, ne sont contestés par aucun des acteurs. La controverse porte en réalité sur la question de savoir si les professionnels de santé et les femmes enceintes ont été suffisamment informés des risques encourus par la prise de ce médicament .

L'objet du rapport n'est pas de trancher cette question, qui fait encore l'objet de nombreux contentieux. Il est toutefois utile de rappeler les événements qui ont mené à la création du dispositif d'indemnisation pour les victimes de la Dépakine.

En 2008, pour la première fois, une victime a engagé la responsabilité de SANOFI devant le tribunal judiciaire au titre des dommages causés par l'exposition in utero au valproate de sodium.

L'affaire de la Dépakine a toutefois pris de l'ampleur médiatique avec l'action de la « lanceuse d'alerte » Marine Martin. Elle fonde en 2011 l'association Aide aux Parents d'Enfants souffrants du Syndrome de l'Anti-Convulsivant 8 ( * ) (APESAC), destinée à organiser l'action des familles victimes de l'exposition au valproate de sodium . La même année, Marine Martin a saisi la justice contre SANOFI.

L'APESAC est également à l'origine de l'action de groupe introduite devant le tribunal de grande instance de Paris en avril 2017, pour laquelle une première décision a été rendue le 5 janvier 2022 .

Le 22 juin 2015, le ministre des affaires sociales et de la santé a missionné l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) pour qu'elle rédige un rapport sur l'affaire de la Dépakine. Le rapport fait notamment le constat « d'un défaut de réactivité des autorités sanitaires et du principal titulaire de l'autorisation de mise sur le marché. Les alertes ont été, au plan français et européen, motivées davantage par des signaux exogènes, notamment médiatiques, que par une prise en compte des données de pharmacovigilance et des publications scientifiques » 9 ( * ) .

À la suite de ce rapport, un dispositif d'indemnisation pour les victimes a été créé par l'article 150 de la loi n° 2016-1917 du 29 décembre 2016 de finances initiale pour 2017 . Le dispositif a été précisé par le décret du 7 mai 2017 relatif à la prise en charge et à l'indemnisation des victimes du valproate de sodium, et il est entré en vigueur le 1 er juin 2017. Sa gestion a été confiée à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux (ONIAM).

Désormais, toute personne estimant avoir subi un préjudice en raison de malformations et de troubles du développement imputables à l'exposition in utero au valproate de sodium peut saisir l'ONIAM pour obtenir réparation .

Les procédures applicables aux accidents médicaux, définies par la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, ne permettaient pas d'indemniser les victimes de manière homogène et avec un niveau d'expertise suffisant. En effet, en raison de la grande variabilité des effets de l'exposition in utero au valproate de sodium, un groupe d'experts dédié était nécessaire pour indemniser au mieux les victimes. À ces facteurs s'ajoutait le nombre potentiellement important de dossiers, qui justifiait également la mise en place d'une procédure à part pour l'indemnisation des victimes de la Dépakine.

Dans le cadre du dispositif d'indemnisation des victimes de la Dépakine, l'ONIAM formule directement des offres d'indemnisation au nom de l'État, et lorsque aucun responsable n'a été identifié. Lorsqu'un responsable autre que l'État a été désigné, et que celui-ci ne formule pas d'offre d'indemnisation, l'ONIAM propose une offre en substitution de la personne responsable. L'office entame ensuite des démarches de recouvrement auprès des personnes désignées responsables, qui peuvent les contester par la voie contentieuse.

3. « L'affaire de la Dépakine » a donné lieu à de nombreux contentieux, pour lesquels aucune décision définitive n'a encore été rendue

« L'affaire de la Dépakine » a fait l'objet de nombreux contentieux. Il faut relever que jusqu'à présent, même si de nombreux jugements ont engagé la responsabilité de SANOFI, aucune décision de justice définitive n'a encore reconnu la responsabilité du laboratoire .

L'affaire comporte premièrement un volet pénal . En 2016, une enquête pénale a été ouverte par le tribunal judiciaire de Paris, et au début de l'année 2020, SANOFI a été mis en examen pour « tromperie aggravée », « blessures involontaires » et « homicides involontaires ». L'Agence nationale de santé du médicament (ANSM) a également été mise en examen pour « blessures et homicides involontaires par négligence ».

D'après l'APESAC, « une centaine de famille se sont jointes à la procédure en cours ». L'instruction du dossier est toujours en cours et SANOFI a demandé une contre-expertise après sa mise en examen, en estimant qu'il y aurait eu un manque d'impartialité lors de la première expertise.

Des familles ont également mené une action en responsabilité civile contre SANOFI devant les juridictions civiles . On compte 29 actions engagées à l'encontre du laboratoire. Parmi les requérants, 18 familles ont saisi en parallèle le dispositif d'indemnisation pour les victimes de la Dépakine.

Le 20 novembre 2017, la Cour d'appel d'Orléans a rendu une décision (n°16/00141) condamnant SANOFI à verser 3 millions d'euros à une famille, dont la fille a besoin d'une assistance permanente.

Dans l'arrêt n°18-16537 du 27 novembre 2019, la Cour de cassation a annulé partiellement cette décision au motif que la Cour d'appel n'avait pas examiné la cause d'exonération de responsabilité invoquée par la société. La Cour a néanmoins confirmé la recevabilité de l'action, ainsi que le lien de causalité entre le préjudice subi par l'enfant de la requérante et la prise de Dépakine pendant la grossesse. La Cour de cassation a renvoyé le dossier devant la Cour d'appel de Paris, et le dossier est toujours en cours d'instruction.

Pour citer une décision plus récente, en mai 2022 le tribunal de Nanterre a condamné SANOFI à verser 450 000 euros à une famille. Les magistrats ont estimé que les éléments présentés par les parents d'une fille victime sont suffisants pour établir « l'imputabilité à l'exposition à la Dépakine des éléments dysmorphiques énumérés par les experts, des difficultés motrices, du retard d'acquisition de la marche, des troubles de la motricité fine (dyspraxie), du retard global des acquisitions, des troubles de l'attention, de la fatigabilité, et des troubles neurocomportementaux de leur fille ». SANOFI a interjeté appel de cette décision.

Des recours indemnitaires ont été également formés devant le juge administratif afin d'obtenir de l'État la réparation des préjudices découlant de l'exposition in utero au valproate de sodium .

Huit premières requêtes indemnitaires ont été déposées devant le Tribunal administratif de Montreuil en 2017. Le Tribunal a rendu trois décisions le 2 juillet 2020 (n° 1704275, n° 1704392 et n° 1704394), dans lesquelles il estime que le manque d'information de la mère est imputable à l'État : au regard de la littérature médicale disponible avant les années 2000, les autorités de santé auraient dû prendre davantage de mesures pour informer les patientes en âge de procréer des effets du valproate de sodium sur le foetus.

Le Tribunal ajoute que pour les malformations, la période de responsabilité de l'État court à partir de 1983, tandis que pour que les troubles du développement, la période de responsabilité n'intervient qu'à compter de 2004. Le Tribunal a en outre retenu une exonération partielle de responsabilité de l'État par la reconnaissance de la faute du laboratoire et des prescripteurs.

Le Tribunal administratif de Montreuil a affirmé la même jurisprudence pour les cinq autres dossiers. Sur les huit dossiers de 2017, sept ont fait l'objet d'un appel devant la Cour administrative d'appel de Versailles, et ils sont toujours en cours d'instruction.

Une partie du contentieux fait également suite aux offres proposées par l'ONIAM. Jusqu'à présent, 7 offres de l'ONIAM ont été contestées par des familles de victime devant le juge administratif .

En outre, les personnes autres que l'État désignées responsables par l'ONIAM, SANOFI pour l'essentiel, contestent systématiquement les titres de recettes émis à leur encontre devant le juge. Il s'agit d'un contentieux massif : l'ONIAM a environ 200 contentieux devant le tribunal judiciaire de Bobigny suite aux ordres de recouvrement émis par l'office contre SANOFI . À ce stade, SANOFI utilise l'ensemble des moyens de recours qui lui sont accessibles, ce qui rallonge fortement les procédures.

Toutes les actions en responsabilités citées précédemment sont des actions individuelles. Une place particulière doit être accordée à l'action de groupe introduite par l'APESAC en avril 2017 devant le Tribunal de grande instance de Paris, en citant en exemple 14 familles .

La possibilité de mener une action de groupe pour les associations d'usagers du système a été ouverte par l'article 184 de la loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé, et est codifiée à l'article L. 1143-1 du code de la santé publique.

L'intérêt pour les familles est que le coût de l'action en justice est supporté par l'association et non par les familles. Cette action de groupe est la première menée dans le champ de la santé.

L'APESAC a engagé la responsabilité de SANOFI sur deux terrains :

- la faute de vigilance pour les enfants qui connaissent des préjudices en raison de la prise de valproate de sodium pendant la grossesse avant le 22 mai 1998 10 ( * ) ;

- le défaut du produit ou faute de vigilance après cette date.

Dans un premier jugement rendu le 5 janvier 2022, le tribunal judiciaire de Paris a jugé que SANOFI « aurait dû, dès 1984, solliciter la modification de la notice des notices des médicaments Dépakine et Dépakine Chrono auprès de l'agence nationale de sécurité du médicament », et que par conséquent, SANOFI a commis une faute par « manquement à son obligation de vigilance renforcée et à son obligation d'information ».

Le juge a décidé que la responsabilité de SANOFI ne pouvait pas être retenue après 2006, et il précise qu'en ce qui concerne le défaut d'information relatif aux troubles neurodéveloppementaux, la responsabilité du laboratoire ne peut pas être retenue avant 2001. Le juge a ensuite condamné SANOFI à verser 120 000 euros pour aider les familles dans leurs démarches. Enfin, le juge a estimé que l'action de groupe présentée par l'APESAC est recevable. SANOFI a fait appel de cette décision.

La responsabilité juridique dans l'affaire de la Dépakine

Premièrement, le régime de responsabilité diffère selon que la grossesse a eu lieu avant ou après 1998.

Si la grossesse a eu lieu avant 1998, l'action en réparation relève du régime jurisprudentiel de responsabilité de droit commun antérieur à la loi du 19 mai 1998.

Si la grossesse a eu lieu après 1998, l'engagement de la responsabilité du fabriquant relève des articles 1245-1 et suivants du code civil, issus de la loi du 19 mai 1998, qui transpose la directive 85/374/CEE du 25 juillet 1985.

Selon l'article 1245-15, « Sauf faute du producteur, la responsabilité de celui-ci, fondée sur les dispositions du présent chapitre, est éteinte dix ans après la mise en circulation du produit même qui a causé le dommage à moins que, durant cette période, la victime n'ait engagé une action en justice . »

L'article 1245-16 précise que : « L'action en réparation fondée sur les dispositions du présent chapitre se prescrit dans un délai de trois ans à compter de la date à laquelle le demandeur a eu ou aurait dû avoir connaissance du dommage, du défaut et de l'identité du producteur . »

Le délai de 10 ans est une contrainte particulièrement importante pour les familles. Cependant, comme l'indique l'article 1245-15, l'engagement de la responsabilité du producteur sur le terrain de la faute permet de contourner la forclusion. À ce titre, les personnes qui ont engagé la responsabilité de SANOFI au contentieux estiment que le défaut d'information du laboratoire sur la dangerosité du produit constitue une faute.

La position de SANOFI sur cette question est la suivante : « Dès le début des années 1980, Sanofi a fourni des informations sur les risques de malformations à l'Autorité de santé. Depuis cette époque, ces risques sont mentionnés dans les documents à destination des praticiens. Les Autorités de santé de l'époque avaient en revanche refusé la demande du Laboratoire visant à mentionner ces éléments dans la notice patient . » Le Laboratoire considère ainsi que seul l'État a commis une faute dans cette affaire.

Le juge judiciaire, dans la décision du 5 janvier 2022, a retenu la faute de SANOFI pour :

- la période de 1984 à 2006 pour les malformations ;

- la période de 2001 à 2006 pour les troubles neurodéveloppementaux.

Concernant l'argument développé par SANOFI, le Tribunal judiciaire a décidé que :

« En l'espèce, le fait d'avoir obtenu une autorisation administrative de mise sur le marché constitue une obligation du producteur. Elle ne le dispense pas de prendre des mesures de précautions supplémentaires pour assurer la sécurité des utilisateurs.

Ainsi, le laboratoire était tenu d'assurer une véritable veille sanitaire de pharmacovigilance et devait, dès avoir eu connaissance d'effets indésirables lors de la grossesse de l'utilisatrice, faire modifier en ce sens les informations destinées aux utilisatrices ainsi qu'aux professionnels de santé. Il lui appartenait de faire les demandes de modification de l'autorisation de mise sur le marché de façon sérieuse et étayée, avec une information complète et correspondant à l'état de la science en temps utile.

La question d'une faute éventuelle d'un autre acteur tiers à la présente procédure est inopérante . » 11 ( * )

Source : commission des finances du Sénat, à partir des réponses au questionnaire du rapporteur spécial

B. L'ORGANISATION INITIALE DU DISPOSITIF ÉTAIT TROP COMPLEXE, CE QUI A RETARDÉ SA MISE EN oeUVRE

1. Un dispositif initial qui reposait sur deux instances : un collège d'experts et un comité d'indemnisation

Initialement, la demande d'indemnisation était traitée par deux comités rattachés à l'ONIAM : le collège d'experts, compétent pour l'imputabilité du dommage, et le comité d'indemnisation, compétent pour évaluer la nature et l'étendue du préjudice .

Le collège d'experts avait pour mission d'instruire la demande et d'examiner la question de l'imputabilité des dommages au produit . Le collège procédait lui-même à l'expertise à partir du dossier de la demande, et il adressait son projet de rapport au demandeur qui disposait d'un délai de quinze jours pour y répondre. Une fois le lien de causalité entre le dommage et le produit établi, le collège d'experts transmettait le dossier au comité d'indemnisation. Le collège d'experts disposait de 4 mois pour mener l'instruction.

Le comité d'indemnisation devait se prononcer pour chaque préjudice sur les circonstances, les causes, la nature et l'étendue des dommages ainsi que sur les responsabilités des différents acteurs . Le comité d'indemnisation avait la possibilité de mener toute instruction utile à l'instruction de la demande.

Une fois finalisé, le projet d'avis était adressé aux parties ainsi qu'au service médical des organismes de sécurité sociale auquel la victime est affectée. Les parties disposaient de 15 jours pour y répondre, et l'ensemble des observations des parties étaient jointes à l'avis. Le comité d'indemnisation disposait de 3 mois pour rendre son avis.

Lorsque le comité concluait à la responsabilité d'un laboratoire ou d'un praticien, le responsable disposait d'un mois pour formuler une offre à la victime. En l'absence d'offre, l'ONIAM faisait une offre de substitution à l'amiable, et l'ONIAM se retournait contre le responsable pour récupérer les sommes avancées . Lorsque le comité retenait la responsabilité de l'État 12 ( * ) , ou ne parvenait pas à identifier une personne responsable, l'ONIAM adressait directement une offre à la victime.

Si la victime acceptait l'offre proposée par l'ONIAM, alors la victime n'avait plus la possibilité de formuler un recours en indemnisation devant le juge administratif ou le juge judiciaire, sauf exceptions. La victime avait néanmoins toujours la possibilité de refuser l'offre en saisissant le juge .

2. Schéma simplifié de l'organisation initiale du dispositif d'indemnisation

Phase d'instruction

Comité d'indemnisation

Il émet un avis sur :

- les circonstances, les causes, la nature et l'étendue des dommages ;

- sur les différentes responsabilités

Il rend un avis d'indemnisation ou de non indemnisation.

4 mois à compter de la saisine du collège d'experts

Collège d'experts

Il examine l'imputabilité des dommages à la prescription pendant la grossesse.

Il rend un avis d'imputabilité ou de non-imputabilité.

3 mois à compter de la saisine du Comité

Il rend

Phase d'indemnisation

Cas n° 1 :

La personne a
1 mois pour formuler l'offre.

Si substitution :

+ 3 mois avant l'offre de l'ONIAM.

Cas n°2 :

1 mois

La victime refuse l'offre.

Elle a la possibilité de saisir le juge administratif pour contester l'offre.

La possibilité d'une action directe contre une personne responsable reste ouverte.

Cas n°1 : l'avis identifie une personne responsable autre que l'État. L'ONIAM enjoint la personne à formuler une forme.

Cas n°2 : l'avis identifie l'État comme responsable ou l'avis n'identifie aucun responsable.

La personne ne formule pas d'offre ou une offre manifestement insuffisante.

Substitution de l'ONIAM.

Offre d'indemnisation de l'ONIAM

La victime accepte l'offre.

Il s'agit d'une transaction au sens de l'article 2044 du code civil.

3. La coordination entre les deux organes était complexe, ce qui a conduit à leur fusion en 2019 en un collège d'experts unique

Cette organisation initiale faisait face à plusieurs difficultés. La coordination entre les deux comités était source de lourdeurs administratives, et la complexité des dossiers Dépakine, à la fois sur le plan médical et sur le plan juridique, avait été sous-estimée .

La faiblesse du dispositif a conduit à des retards importants dans le processus d'indemnisation des victimes : les premières indemnisations n'ont été payées qu'en 2019 .

En conséquence, le dispositif a été réformé par l'article 266 de la loi de finances pour 2020, complété par le décret du 13 mai 2020 relatif à l'indemnisation des victimes du valproate de sodium . Le principal changement tient dans ce que le dispositif ne comprend désormais plus qu'un collège unique d'experts, qui se prononce sur l'imputabilité des dommages, les circonstances, les causes, la nature et l'étendue des dommages, ainsi que les responsabilités des différents acteurs. Le collège dispose d'un délai de 6 mois pour se prononcer.

En outre, l'article 266 instaure un régime de présomption de l'imputabilité des malformations congénitales et des troubles du développement comportemental et cognitif sur les effets secondaires du valproate de sodium ou de l'un de ses dérivés, lorsque celui-ci a été prescrit à compter de 1982 pour les malformations, et à compter de 1984 pour les troubles du développement neurocognitifs (article L. 1142-24-12 du code de la santé publique).

II. UN NOUVEAU DISPOSITIF METTANT EN PLACE UN COLLÈGE D'EXPERTS UNIQUE

A. LA RÉFORME DE 2019 A OPÉRÉ UNE VÉRITABLE SIMPLIFICATION DE L'ORGANISATION DU DISPOSITIF D'INDEMNISATION

Depuis la réforme de 2019, le collège d'experts unique gère l'ensemble de la phase d'instruction et de la phase d'indemnisation.

1. Phase d'instruction de la demande
a) Dépôt du dossier de demande

Toute personne qui s'estime victime d'un préjudice en raison d'une ou de plusieurs malformations ou de troubles du développement imputables à la prescription de valproate de sodium ou de l'un de ses dérivés pendant une grossesse, avant le 31 décembre 2015, peut saisir l'ONIAM afin d'obtenir la reconnaissance de l'imputabilité de ces dommages à cette prescription (article L. 1142-24-10 du code de la santé publique). La saisine de l'ONIAM suspend les délais de prescription et de recours contentieux.

L'article L. 1142-24-10 précise que « la demande précise le nom des médicaments qui ont été administrés et les éléments de nature à établir l'administration de valproate de sodium ou de l'un de ses dérivés . » L'article R. 1142-63-24 du code de la santé publique détaille ce que doit contenir le dossier :

- la qualité d'assuré social de la personne à l'origine de la demande et les prestations reçues ou à recevoir des autres tiers payeurs relativement au dommage qu'elle a subi ;

- les certificats médicaux précisant l'étendue des dommages dont le demandeur a été ou s'estime victime ;

- tous les documents de nature à appuyer la demande, et en particulier visant à établir l'existence d'une malformation ou d'un trouble du comportement.

Dans la pratique, la constitution d'un dossier de demande requiert également les éléments du parcours médical de la mère relatifs à sa prise de valproate de sodium.

b) Instruction de la demande

Une fois que le dossier a été déposé, il est transmis au collège d'experts, qui peut procéder à « toute investigation utile à l'instruction de la demande, dans le respect du principe du contradictoire » (article L. 1142-24-11 du code de la santé publique).

Composition du collège d'experts

D'après les articles L. 1142-24-11 et R. 1142-63-18 du code de la santé publique, le collège d'experts est composé des personnes suivantes :

- un conseiller d'État ou un magistrat (ordre judiciaire ou administratif) qui le préside ;

- un médecin compétent dans le domaine de la pédopsychiatrie ;

- un médecin compétent dans le domaine de la neuropédiatrie ;

- trois personnes compétentes dans les domaines de la réparation du dommage corporel et de la responsabilité médicale ;

- un médecin proposé par le président du Conseil national de l'ordre des médecins ;

- un médecin proposé par les associations d'usagers du système de santé ayant fait l'objet d'un agrément au niveau national dans les conditions prévues à l'article L. 1114-1 ;

- un médecin proposé par les entreprises pratiquant l'assurance de responsabilité civile médicale ;

- médecin proposé par les producteurs, exploitants et fournisseurs de médicaments contenant du valproate de sodium et de ses dérivés.

Chaque membre du collège possède trois suppléants.

Dans la pratique, le collège d'experts comprend bien toutes les personnes titulaires prévues par les textes. En revanche, le nombre de membres suppléants du collège, 19 au 30 mars 2022, est nettement inférieur à celui prévu par les textes (27 suppléants).

En particulier, le membre titulaire au titre de sa compétence en pédopsychiatrie, celui proposé par les associations d'usagers du système de santé, et celui proposé par les exploitants de médicaments, n'a pas de suppléant.

D'après les informations données par l'ONIAM, un expert en pédopsychiatre supplémentaire devrait ou a déjà rejoint le collège d'experts en tant que suppléant.

Un représentant de l'ONIAM peut assister aux séances du collège d'experts. Contrairement aux commissions de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux, le représentant de l'ONIAM ne dispose pas de voix délibérative.

L'article L. 142-24-11 du code de la santé publique dispose que « la composition du collège d'experts et ses règles de fonctionnement » sont « propres à garantir son indépendance, son impartialité et le respect du principe du contradictoire ».

Les experts ont l'obligation de se déporter lorsqu'ils ont eu à connaître, dans le cadre professionnel ou extra-professionnel, de la situation des victimes directes et indirectes, ou des professionnels de santé mis en cause.

Source : commission des finances du Sénat, à partir des réponses au questionnaire du rapporteur spécial

L'ONIAM prend en charge le coût des expertises ordonnées par le collège d'experts. L'office demande ensuite le remboursement de ces expertises aux personnes désignées comme responsables, dans la limite de leur part de responsabilité (article R. 1142-63-29 du code de la santé publique).

Un projet d'avis est transmis à la personne qui a déposé la demande et à toutes les personnes intéressées par le litige, ce qui inclut les organismes de sécurité sociale auxquels la victime est affiliée. Les destinataires de ce projet d'avis disposent ensuite d'un mois pour faire parvenir leurs observations, et le collège d'experts peut rendre son avis.

c) Avis rendu par le collège d'experts

Dans son avis, le collège d'experts se prononce sur l'imputabilité des dommages à la prescription de valproate de sodium (avant le 31 décembre 2015), et le cas échéant, il précise pour chaque préjudice les circonstances, les causes, la nature et l'étendue des dommages imputables . Il précise également les responsabilités afférentes .

L'avis est transmis à l'ensemble des personnes intéressées par le litige. L'ONIAM est lié par cet avis. En théorie, l'avis doit être rendu dans un délai de six mois après la saisine de l'ONIAM (Article L1142-24-12 du code de la santé publique).

Si le collège d'experts a rendu un avis de non-imputabilité, cet avis peut faire l'objet d'un réexamen par le collège, si l'une des conditions prévues par l'article L. 1142-24-12 du code de la santé publique est présente :

« 1° Si des éléments nouveaux sont susceptibles de justifier une modification du précédent avis ;

2° Si les dommages constatés sont susceptibles, au regard de l'évolution des connaissances scientifiques, d'être imputés au valproate de sodium ou à l'un de ses dérivés . »

Si l'avis a été rendu par l'ancien comité d'indemnisation, l'article 266 de la loi de finances initiale pour 2020 dispose que : « Les dossiers en cours de rapport ou d'avis à la date de l'installation du nouveau collège d'experts sont repris par ce dernier, qui peut également être saisi d'une demande de réexamen d'un dossier ayant fait l'objet d'un avis du comité d'indemnisation, sous réserve que cet avis n'ait pas donné lieu au paiement transactionnel d'une indemnité . » La victime a également la possibilité de contester cet avis devant le juge administratif.

L'ensemble des procédures sont valables autant pour les victimes directes que les victimes indirectes.

Victime directe et indirecte

Une victime directe est une personne née d'une mère ayant pris du valproate de sodium au cours de sa grossesse, et qui présente un préjudice lié à la prise de ce médicament.

Une victime indirecte est une personne, distincte de la victime directe, qui estime avoir subi un préjudice en raison de la prise de valproate de sodium par une autre personne. Il s'agit en général des parents de la victime directe, mais cette catégorie inclut également les frères et soeurs, ainsi que les grands-parents.

La victime indirecte peut prétendre à l'indemnisation des préjudices suivants :

- préjudice d'affection ;

- préjudice exceptionnel ;

- frais d'obsèques ;

- préjudice lié à la perte de revenus ;

- frais de dossier et d'avocat.

Il est possible pour une personne d'être à la fois une victime directe et une victime indirecte. C'est le cas en particulier dans les fratries où différents enfants connaissent un préjudice causé par la prise de valproate de sodium par la mère.

2. Phase d'indemnisation de la demande

Les personnes désignées comme responsables doivent présenter dans le mois qui suit la réception de l'avis une offre d'indemnisation. Si le responsable est l'État, ou s'il n'y a pas de personne responsable désignée, l'ONIAM se charge directement d'adresser l'offre à la victime.

Si dans ce délai, l'une des personnes désignées comme responsable ne présente pas d'offre ou présente une offre manifestement insuffisante, l'ONIAM présente une offre en substitution . Cette offre peut être partielle ou complète, et provisionnelle ou définitive.

Les différents types d'offres d'indemnisation

Offre provisionnelle/ offre définitive

Une offre provisionnelle est proposée lorsque l'état de la victime n'est pas consolidé, c'est-à-dire lorsque les dommages que connaît la victime en raison de l'exposition in utero au valproate de sodium sont encore en train d'évoluer. Une offre définitive, qui vient compléter l'offre provisionnelle, est proposée une fois que l'état de la victime est consolidé.

Des préjudices ne peuvent être indemnisés qu'à compter du moment où l'état de la victime est consolidé 13 ( * ) . C'est le cas notamment du déficit fonctionnel permanent, du préjudice esthétique permanent, du préjudice sexuel et des frais d'assistance par tierce-personne. Les préjudices cités sont parmi ceux qui offrent l'indemnité la plus importante, ce qui explique que la différence entre l'offre provisionnelle et l'offre définitive peut être importante.

Les offres provisionnelles représentent environ un cinquième de l'ensemble des offres proposées par l'ONIAM.

Offre partielle/ offre complète

Une offre partielle est présentée lorsqu'il est impossible de présenter une offre sur la totalité des préjudices retenus par le collège d'experts. L'impossibilité de présenter une offre sur certains préjudices découle en général du manque de documents médicaux, et plus rarement, du caractère inédit du préjudice. L'ONIAM adresse une demande de pièces complémentaires pour les autres préjudices, et une offre complète est formulée par la suite.

Un peu moins de la moitié des offres proposées par l'ONIAM sont des offres partielles.

La distinction entre offre provisionnelle et offre définitive, et celle entre offre partielle et offre complète, ne sont pas propres au dispositif d'indemnisation pour les victimes de la Dépakine, mais sont appliquées pour les autres dispositifs de l'ONIAM.

La victime a ensuite le choix entre accepter l'offre ou la refuser. Si la victime accepte l'offre, elle constitue une transaction au sens de l'article 2044 du code civil, et par conséquent elle n'est pas susceptible de recours ultérieur devant un juge . Le paiement doit intervenir dans un délai d'un mois à compter de la réception par l'ONIAM de l'acceptation de l'offre.

Si la victime refuse l'offre, elle a la possibilité de saisir le juge . L'article L. 1142-20 du code de la santé publique s'applique : « La victime, ou ses ayants droit, dispose du droit d'action en justice contre l'office si aucune offre ne lui a été présentée ou si elle n'a pas accepté l'offre qui lui a été faite . »

Si l'ONIAM a présenté une offre en substitution, l'office entame des démarches de recouvrement auprès des personnes désignées responsables (diligences de l'agent comptable, etc.). L'établissement émet un titre de recettes auprès des personnes concernées, qui ont la possibilité de contester le titre devant le juge dans un délai de 2 mois après son émission. Jusqu'à présent, les personnes désignées responsables ont contesté tous les titres émis par l'ONIAM. Un même dossier peut faire l'objet de plusieurs ordres de recouvrement, et donc d'autant de procédures contentieuses.

3. Possibilité de réexamen des dossiers

Du point de vue de l'ONIAM, sont considérés comme clos les dossiers qui ont fait l'objet d'une demande de retrait, ceux qui ont fait l'objet d'un rapport définitif de rejet, et ceux qui ont l'objet d'un avis définitif de l'ancien comité d'indemnisation ou du nouveau collège d'experts . Un dossier clos n'empêche pas la victime de faire un recours contentieux. Seule l'acceptation d'une offre d'indemnisation, en ce qu'elle constitue une transaction au sens du code civil, éteint les possibilités de recours.

Les dossiers qui ont fait l'objet d'une offre partielle ou une offre provisionnelle ne sont pas considérés comme clos : le collège d'experts devrait se réunir une nouvelle fois pour compléter l'offre et/ou formuler une offre définitive d'indemnisation. L'acceptation d'une offre partielle ou provisionnelle par la victime n'empêche pas celle-ci de former un recours contentieux par la suite, contrairement à l'acceptation d'une offre définitive.

Il est possible que l'ONIAM réexamine des dossiers qu'elle considère comme clos dans des cas restreints :

- dans le cas où le dossier a fait l'objet d'une demande de désistement, il peut faire l'objet d'une réouverture sans condition ;

- lorsque le dossier a fait l'objet d'un rejet définitif de la part de l'ancien collège d'experts, le nouveau collège d'experts peut réexaminer le dossier si « des éléments nouveaux sont susceptibles de justifier une modification du précédent avis » ou « les dommages constatés sont susceptibles, au regard de l'évolution des connaissances scientifiques, d'être imputés au valproate de sodium ou à l'un de ses dérivés » (article L. 1142-24-12 du code de la santé publique). Il ne doit pas y avoir eu de décision de justice définitive entre temps ;

- lorsque le dossier a fait l'objet d'un avis définitif de l'ancien comité d'indemnisation, il peut être réexaminé si l'offre n'a pas été acceptée (article 266 de la loi n° 2019-1479 du 28 décembre 2019 de finances pour 2020).

B. SCHÉMA DU FONCTIONNEMENT ACTUEL DU DISPOSITIF D'INDEMNISATION POUR LES VICTIMES DE LA DÉPAKINE

Phase d'instruction

Dépôt du dossier

Saisine de l'ONIAM. Suspend les délais de prescriptions et de recours contentieux.

Cas n°2 : Avis d'imputabilité

On passe à la phase d'indemnisation.

Projet d'avis

Le projet d'avis est transmis à toutes les personnes intéressées par le litige. Elles peuvent faire parvenir des observations.

Collège d'experts

Transmission du dossier au collège d'experts, qui mène l'instruction.

6 mois à compter de la saisine du collège d'experts

Avis

Dans son avis, le collège d'expert se prononce sur l'imputabilité des dommages au valproate de sodium, ainsi que sur les circonstances, les causes, la nature et l'étendue des dommages imputables.

Cas n°1 : Avis de non-imputabilité

Dans son avis, le collège d'expert se prononce sur l'imputabilité des dommages au valproate de sodium, ainsi que sur les circonstances, les causes, la nature et l'étendue des dommages imputables.

Phase d'indemnisation

Cas n° 1 :

La personne a
1 mois pour formuler l'offre.

Si substitution :

+ 3 mois avant l'offre de l'ONIAM.

Cas n°2 :

1 mois

Cas n°1

L'avis identifie une personne responsable autre que l'Etat. L'ONIAM enjoint la personne à formuler une offre.

Cas n°2

L'avis identifie l'Etat comme responsable ou l'avis n'identifie aucun responsable.

Offre d'indemnisation de l'ONIAM

La victime refuse l'offre.

Elle a la possibilité de saisir le juge administratif pour contester l'offre.

La possibilité d'une action directe contre une personne responsable reste ouverte.

La personne ne formule pas d'offre ou une offre manifestement insuffisante.

Substitution de l'ONIAM

La victime accepte l'offre .

Il s'agit d'une transaction au sens de l'article 2044 du code civil.

Un recours devant le juge n'est normalement plus possible, sauf dans certains cas.

Possibilité de réexamen de la décision

Cas n°3

L'avis identifie une personne responsable autre que l'État. L'ONIAM enjoint la personne à formuler une offre.

Cas n°2

L'avis identifie une personne responsable autre que l'État. L'ONIAM enjoint la personne à formuler une offre.

Cas n°1

Si le dossier a fait l'objet d'une demande désistement, le dossier peut être réouvert sans condition.

Encadrement du dispositif d'indemnisation pour
les victimes de la Dépakine par les autorités de tutelle

La tutelle de l'ONIAM est exercée par les ministères sociaux, et plus précisément, par la direction générale de l'offre de soin, la direction des affaires juridiques des ministères sociaux, la direction de la sécurité sociale et la direction générale de la santé.

Concernant la Dépakine, un conseil d'orientation a lieu deux fois par an. Ce conseil réunit les représentants de l'administration centrale ainsi que ceux de l'ONIAM. Les tutelles ne sont pas présentes aux délibérations du collège d'experts.

L'encadrement de l'ONIAM est également assuré par un contrat d'objectifs et de performance, signé par l'office et les représentants de l'État. Le dernier contrat signé couvre la période de 2021 jusqu'à 2023, et il met l'accent sur la réduction du stock de dossiers et l'amélioration des délais de procédure.

DEUXIÈME PARTIE

LE DISPOSITIF D'INDEMNISATION POUR LES VICTIMES DE LA DÉPAKINE N'EST PAS PARVENU À ÊTRE UNE ALTERNATIVE VIABLE À LA VOIE CONTENTIEUSE

Le dispositif d'indemnisation pour les victimes de la Dépakine fait face à un non-recours qui est estimé comme important , ce que reflètent les chiffres de l'exécution du dispositif. S'il est difficile d'évaluer précisément les raisons qui poussent les familles à ne pas faire appel au dispositif, celui-ci présente plusieurs faiblesses importantes : les indemnisations sont plus faibles que celles des juridictions civiles, il est complexe pour les victimes, et les délais de recours sont aussi longs que ceux des juridictions .

Le dispositif d'indemnisation a connu une amélioration visible de son fonctionnement depuis la fusion des instances en un collège d'experts unique . Toutefois, le nouveau collège d'experts a hérité d'un stock de dossiers important, et la progression du contentieux liée au recouvrement des recettes met sous tension les services de l'ONIAM.

Il est nécessaire de s'assurer de la résilience et de l'adaptabilité du dispositif , pour traiter au mieux les dossiers qui restent en stock, et pour anticiper de possibles évolutions des modalités l'indemnisation, en raison par exemple de l'identification éventuelle d'une transmission entre générations des dommages causés par l'exposition au valproate de sodium.

I. LA SOUS-EXÉCUTION DES CRÉDITS DU DISPOSITIF D'INDEMNISATION TÉMOIGNE D'UN NON-RECOURS SIGNIFICATIF

A. DES PRÉVISIONS ÉPISTÉMOLOGIQUES REHAUSSÉES EN CE QUI CONCERNE LES TROUBLES DU NEURODÉVELOPPEMENT

À sa création, le besoin de financement du dispositif d'indemnisation était estimé à 466,2 millions d'euros pour un fonctionnement de six ans, qui était la durée de vie initialement envisagée pour le dispositif, soit 77,7 millions d'euros par an (entre 2018 et 2023). Sur ce montant, 424,2 millions d'euros correspondaient aux prévisions d'indemnisation, 30 millions d'euros au coût des expertises, et 12 millions d'euros au fonctionnement des instances du dispositif (2 millions d'euros par an) 14 ( * ) .

Le coût de fonctionnement a été calculé par référence au coût de fonctionnement du dispositif d'indemnisation des victimes du benfluorex (« médiator »), qui est de 1,5 million d'euros par an.

Pour ce qui concerne le coût des indemnisations, de 70,7 millions d'euros par an, les prévisions ont été établies en septembre 2016, en retenant un chiffre compris entre 8 190 et 10 290 dossiers potentiels .

Concernant les malformations, le taux a été estimé entre 50 et 100 cas pour 1 000 grossesses où la mère a pris du valproate de sodium. Le nombre de victimes ayant subi une malformation a été évalué entre 2 100 et 4 200 . Parmi elles, il a été estimé que :

- 1 800 à 3 600 personnes présenteraient des signes morphologiques (malformations mineures) ;

- 300 à 600 personnes présenteraient des malformations majeures ;

Pour les pathologies du développement neurocognitif (troubles du neurodéveloppementaux, ou troubles du développement) :

- 4 200 personnes présenteraient une déficience intellectuelle 15 ( * ) ;

- 1 470 personnes présenteraient des « troubles autistiques » 16 ( * ) ;

- 420 personnes présenteraient de l'autisme.

En 2018, l'Agence nationale de sécurité du médicament et la Caisse nationale de l'Assurance maladie ont publié de nouvelles prévisions épidémiologiques 17 ( * ) , qui présentent des différences significatives par rapport à celles retenues dans les prévisions initiales. Le nombre de malformations est similaire (2 150 à 4 100), mais le nombre de troubles neurodéveloppementaux serait bien plus élevé : entre 16 600 et 30 400 enfants seraient concernés, tandis que les prévisions initiales retenaient 6 090 personnes .

Au regard de cette nouvelle estimation, il était légitime d'estimer que le dispositif d'indemnisation pour les victimes de la Dépakine se révèlerait beaucoup plus coûteux que prévu.

Or, c'est l'inverse qui s'est produit : le rapporteur spécial constate depuis plusieurs années une forte sous-exécution du dispositif d'indemnisation par rapport aux prévisions .

B. UN DISPOSITIF CONTINUELLEMENT SOUS-EXÉCUTÉ DEPUIS SA CRÉATION

L'action « Actions juridiques et contentieuses » du programme 204, « Prévention, sécurité sanitaire et offre de soins » inclut une dotation versée à l'ONIAM. Cette dotation comprend notamment l'ensemble des dépenses relatives au fonctionnement et à l'indemnisation du dispositif « valproate de sodium ».

Depuis la création du dispositif jusqu'au 30 juin 2022, 46,6 millions d'euros ont été engagés, et 38 millions d'euros de crédits de paiement ont été consommés . L'exécution du dispositif a atteint 16,8 millions d'euros en 2021, ce qui est presque cinq fois inférieur aux prévisions initiales pour une année. En conséquence, les prévisions de dépenses ont été abaissées à 40,3 millions d'euros en 2020 et en 2021, ce qui resté nettement plus élevé que l'exécution réelle.

La prévision des crédits au titre du dispositif « valproate de sodium » était de 38 millions d'euros en 2022. Il est acté que la durée de vie du dispositif se poursuivra au-delà de 6 ans : en audition, les représentants de l'office ont évoqué une durée de vie de 15 ans. Les prévisions sur les prochaines années de la dotation à l'ONIAM au titre du dispositif « valproate de sodium » sont les suivantes :

- 35,8 millions d'euros pour 2023 ;

- 40,7 millions d'euros pour 2024 ;

- 42,8 millions d'euros pour 2025.

Elles ont été établies à partir du stock de dossiers connus au 31 décembre 2021, soit 838 dossiers.

Exécution du dispositif d'indemnisation

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat, à partir des documents budgétaires

Comparaison entre les prévisions et
l'exécution du dispositif d'indemnisation

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat, à partir des documents budgétaires et des réponses au questionnaire

Plusieurs facteurs rendent difficiles les prévisions annuelles concernant le dispositif d'indemnisation pour les victimes de la Dépakine . Les indemnités accordées varient fortement selon les préjudices des individus, les symptômes de l'exposition in utero au valproate de sodium étant nombreux et de gravité variable. Le décalage entre l'offre provisionnelle et l'offre définitive complexifie également les prévisions.

Ces difficultés ne suffisent toutefois pas à expliquer une
sous-exécution aussi importante du dispositif
.

Le facteur principal de l'écart entre l'exécution et les prévisions est en réalité l'écart entre le nombre de dossiers déposés (850) et les données épidémiologiques (entre 2 150 et 4100 enfants souffriraient de malformations, et entre 16 600 et 30 400 de troubles neurodéveloppementaux). Cet écart est le résultat d'un non-recours probablement important au dispositif d'indemnisation pour les victimes de la Dépakine .

Le second facteur tient dans les défaillances initiales du dispositif : le dispositif d'indemnisation pour les victimes de la Dépakine ayant connu des retards importants lors de sa mise en place, les premières indemnisations n'ont pas eu lieu avant 2019 . Les besoins de financement du dispositif étaient donc réduits.

Les retards dans l'indemnisation des victimes favorisent en outre le non-recours, ce qui sera examiné plus en détails dans la suite du rapport.

II. LES CAUSES DU NON-RECOURS SONT PARTAGÉES ENTRE PLUSIEURS FACTEURS, DONT DES RETARDS DANS LA PROCÉDURE D'INDEMNISATION

A. MÊME SI DES DONNÉES PRÉCISES NE SONT PAS DISPONIBLES, LE NON-RECOURS AU DISPOSITIF D'INDEMNISATION EST PROBABLEMENT IMPORTANT

La question du non-recours au dispositif d'indemnisation pour les victimes du valproate de sodium est fondamentale.

Il n'existe toutefois pas de données concernant le non-recours au dispositif d'indemnisation pour la Dépakine . Toutefois, l'écart entre les estimations épidémiologiques et le nombre de dossiers déposés est tel qu'un phénomène de non-recours important au dispositif est probable .

À cet égard, aucune des personnes interrogées par le rapporteur spécial n'a nié l'existence d'un non-recours significatif au dispositif d'indemnisation. Le rapport conjoint de l'IGF et de l'IGAS affirmait par ailleurs que le niveau de recours au dispositif est probablement « faible », même s'il n'est pas possible d'en donner une estimation 18 ( * ) .

La mission conjointe de l'IGF et de l'IGAS précise que « qu'aucun travail d'envergure (avec Santé publique France par exemple) n'a été initié pour estimer le niveau de recours au dispositif de l'ONIAM. » 19 ( * ) Le rapporteur spécial souligne qu'un tel travail serait pourtant indispensable pour évaluer correctement l'efficacité du dispositif d'indemnisation.

Recommandation n° 1 : initier une étude pour estimer le niveau de recours au dispositif d'indemnisation amiable pour les victimes du valproate de sodium.

Pour expliquer le non-recours au dispositif, les représentants de l'administration ont évoqué en audition la médiatisation relativement faible de l'affaire de la Dépakine, en comparaison en particulier de l'affaire du Médiator .

La différence de médiatisation entre les deux affaires est visible, et elle peut effectivement expliquer que certaines familles ne connaissent pas le dispositif d'indemnisation pour les victimes du valproate de sodium. Par ailleurs, les troubles du neurodéveloppement, qui sont l'un des préjudices majeurs de l'exposition in utero au valproate de sodium, sont des symptômes peu spécifiques, au sens où ils peuvent découler de nombreuses causes différentes. Par conséquent, des familles qui connaissent ces préjudices peuvent ne pas faire le lien avec la prise de Dépakine durant la grossesse .

Une campagne d'information a été mise en oeuvre à l'automne 2019. Elle reposait sur la diffusion d'une fiche d'information à destination des associations de patients, des professionnels des structures sanitaires et médico-sociales et des ordres professionnels. Elle vise en particulier les centres de compétence et de référence ANDDI-rares et DéfiScience, centres référents pour les troubles du langage et des apprentissages, centres ressources autisme, les plateformes orientation et diagnostic autisme.

Ces fiches d'information sont utiles, mais le ciblage sur les établissements spécialisés dans certains troubles du neurodéveloppement peut conduire à manquer des familles, étant donné que ces troubles sont souvent sous-diagnostiqués . L'information sur l'existence du dispositif d'indemnisation pour les victimes du valproate de sodium, et plus généralement sur l'affaire de la Dépakine, doit donc être élargie .

La décision du 5 janvier 2022 a provoqué un regain de médiation sur l'affaire de la Dépakine. Par ailleurs, le Tribunal prévoit dans sa décision la publication d'extraits du jugement dans la presse écrite.

Recommandation n° 2 : renforcer et élargir la campagne d'information au sujet du dispositif d'indemnisation pour les victimes de la Dépakine.

Enfin, l'impossibilité de formuler un recours devant le juge après acceptation d'une offre de l'ONIAM, qui est intrinsèque au fonctionnement d'une procédure amiable, peut également dissuader des familles de formuler un recours.

Ces facteurs ne suffisent toutefois pas à expliquer l'ampleur du
non-recours au dispositif d'indemnisation. Des décisions de justice importantes ont été rendues depuis la création du dispositif, sans qu'elles ne donnent lieu à un afflux notable de nouveaux dossiers.

Le dispositif d'indemnisation pour les victimes du valproate de sodium présente également des faiblesses intrinsèques, qui peuvent dissuader les familles de demander réparation par la voie amiable .

En particulier, le dispositif d'indemnisation a connu des retards très importants, au point que les délais étaient comparables à ceux des juridictions. Le dispositif est également complexe pour les familles, et les indemnités sont moins intéressantes par rapport à celles prononcées par les juridictions.

B. LES INDEMNITÉS VERSÉES PAR L'ONIAM SONT INFÉRIEURES À CELLES DES JURIDICTIONS, CE QUI PEUT INCITER LES FAMILLES À PRÉFÉRER LA VOIE CONTENTIEUSE POUR LES CAS LES PLUS GRAVES

Des indemnités trop faibles en comparaison des décisions des juridictions peuvent être une première raison expliquant que certaines familles se détournent de la procédure amiable. Il ne faut toutefois pas exagérer sa portée, ce facteur concernant surtout les familles qui connaissent les préjudices les plus importants .

1. Les indemnités versées par l'ONIAM sont très variables selon la gravité du préjudice

Au 31 décembre 2021, le montant total des offres proposées par l'ONIAM était de 38,3 millions d'euros, pour 159 dossiers, ce qui représente un montant moyen d'environ 241 000 euros par dossier. Le dernier rapport d'activité de l'ONIAM précise que jusqu'à la même date, 33,4 millions d'euros ont été perçus par les victimes.

Le tableau suivant présente la répartition du montant des offres émises par l'ONIAM :

Montant des offres

Nombre d'offres aux victimes directes

Nombre d'offres aux victimes indirectes

Supérieur à 2 millions d'euros

2

-

Entre 1,5 et 2 millions d'euros

-

-

Entre 1 et 1,5 millions d'euros

7

-

Entre 800 000 et 1 million d'euros

2

-

Entre 600 000 et 800 000 euros

4

-

Entre 400 000 et 600 000 euros

6

-

Entre 300 000 et 400 000 euros

7

-

Entre 200 000 et 300 000 euros

15

-

Entre 160 000 et 200 000 euros

12

-

Entre 120 000 et 160 000 euros

12

1

Entre 100 000 et 120 000 euros

5

-

Entre 80 000 et 100 000 euros

10

-

Entre 60 000 et 80 000 euros

7

-

Entre 40 000 et 60 000 euros

13

-

Entre 20 000 et 40 000 euros

19

26

Entre 10 000 et 20 000 euros

13

138

Entre 5 000 et 10 000 euros

5

129

Inférieure à 5 000 euros

10

168

TOTAL

149

462

Source : commission des finances du Sénat

Deux offres sont supérieures à 2 millions d'euros. La plus importante indemnité accordée à une victime directe est de 2 069 445,57 euros, et elle a été accordée pour une victime qui a besoin de l'assistance permanente d'une tierce personne. Une victime indirecte a bénéficié d'une indemnisation entre 120 000 et 160 000 euros au titre de la perte de revenus 20 ( * ) .

Il y a une grande variabilité dans les offres proposées : les deux tiers des offres sont inférieurs à 200 000 euros, tandis qu'un tiers des offres est supérieur à 200 000 euros . La valeur médiane des offres proposées aux victimes directes se situe entre 80 000 et 100 000 euros. Pour les victimes indirectes, la valeur médiane est entre 5 000 et 10 000 euros.

Les préjudices qui donnent lieu aux indemnités les plus importantes sont le besoin d'assistance par une tierce personne, le déficit fonctionnel permanent et le préjudice professionnel. À l'inverse, le préjudice esthétique temporaire est le préjudice qui donne lieu à l'indemnisation la plus faible (en moyenne inférieure à 20 000 euros).

2. La comparaison entre les référentiels montre que les indemnités versées par l'ONIAM sont en moyenne plus faibles que celles prononcées par les juridictions civiles

La comparaison directe entre les indemnisations proposées par l'ONIAM et celles prononcées par les juridictions est délicate , dans la mesure où les familles qui font un recours contentieux sont en général celles qui ont connu les préjudices les plus importants.

En revanche, il est possible de comparer le référentiel Mornet et le référentiel ONIAM , car ils se fondent sur la même nomenclature des préjudices, qui a été déterminée par les groupes de travail Yvonne Lambert-Faivre et Jean-Pierre Dintilhac.

Référentiel Mornet et référentiel ONIAM

Le « référentiel Mornet », du nom de Benoît Mornet, conseiller à la Cour de cassation, est un barème d'indemnisation utilisé par les juridictions civiles pour la réparation du dommage corporel. Il n'a pas de valeur obligatoire, mais il propose « une aide méthodologique et des références d'indemnisation aux praticiens (magistrats et avocats) confrontés à cette question . » 21 ( * )

Le référentiel reprend la nomenclature des préjudices corporels déterminée par les groupes de travail Yvonne Lambert-Faivre et Jean-Pierre Dintilhac, et il intègre la jurisprudence des juridictions civiles jusqu'en juillet 2021.

Le « référentiel ONIAM » est un barème d'indemnisation utilisé par l'ONIAM pour l'indemnisation des accidents médicaux. Ce barème est en effet utilisé non seulement dans le cadre du dispositif d'indemnisation pour les victimes de la Dépakine, mais aussi pour l'indemnisation de l'ensemble des accidents médicaux traités par l'ONIAM, à l'exception des dommages imputables à la contamination par le virus de l'hépatite C, qui font l'objet d'un barème spécifique.

Le référentiel ONIAM tient compte des indemnisations allouées par les juridictions judiciaires et administratives, ainsi que des indemnisations allouées par voie transactionnelle.

Le référentiel ONIAM a fait l'objet d'une actualisation de sa table de capitalisation au
1 er janvier 2022, et la dernière actualisation des montants relatifs à l'indemnisation du déficit fonctionnel permanent date du 1 er avril 2022. Tout comme le référentiel Mornet, le référentiel ONIAM intègre la nomenclature des préjudices corporels Lambert-Faivre et Dintilhac.

Questionnée sur le montant de l'indemnisation accordée aux victimes, l'APESAC la qualifie d'« indemnisation au rabais ». La raison majeure étant les différences de référentiel : « L'ONIAM se substitue aux laboratoires mais refuse d'appliquer le référentiel des cours civiles (compétentes dans ce contentieux), à savoir le référentiel Mornet, et applique le référentiel ONIAM, qui indemnise à peine à hauteur de 60 % des indemnités qu'aurait pu percevoir la victime devant la juridiction compétente . » 22 ( * )

Le chiffre de « 60 % » avancé par l'APESAC n'est pas vérifié pour l'ensemble des indemnisations, mais les indemnisations prévues par le barème ONIAM sont effectivement inférieures à celles du référentiel Mornet . On peut le constater pour plusieurs préjudices donnant lieu à des indemnités importantes : le préjudice esthétique permanent, le déficit fonctionnel permanant et le besoin d'assistance permanent par une tierce personne.

Comparaison entre le référentiel Mornet et le référentiel ONIAM
au titre du préjudice esthétique permanent

Degré du préjudice

Référentiel Mornet

Référentiel ONIAM

Comparaison entre le référentiel ONIAM et le référentiel Mornet

1/7 Très léger

Jusqu'à 2 000 euros

811 à 1 098 euros

95,4 %

2/7 Léger

2 000 à 4 000 euros

1 572 à 2 126 euros

61,6 %

3/7 Modéré

4 000 à 8 000 euros

3 076 à 4 162 euros

60,3 %

4/7 Moyen

8 000 à 20 000 euros

6 121 à 8 281 euros

51,4 %

5/7 Assez important

20 000 à 35 000 euros

11 502 à 15 561 euros

49,2 %

6/7 Important

35 000 à 50 000 euros

20 014 à 27 078 euros

55,4 %

7/7 Très important

50 000 à 80 000 euros

32 453 à 43 907 euros

58,7 %

Exceptionnel

Supérieur à 80 000 euros

Pas d'indications

-

Note : la comparaison est entre le référentiel ONIAM et le référentiel Mornet est déterminé par le rapport des valeurs moyennes du référentiel ONIAM sur les valeurs moyennes du référentiel Mornet. Par exemple, pour le préjudice « 4/7 Moyen », la valeur arrondie au dixième du rapport est déterminée par : (6 121 + 8 281)/2) / ((8 000 + 20 000)/2) x 100 = 7 201 / 14 000 x 100 = 51,4. Concernant le préjudice 1/7 « Très léger », la valeur choisie du référentiel Mornet est 1 000 euros.

Source : commission des finances du Sénat

Déficit fonctionnel permanent

Le déficit fonctionnel permanent mesure la réduction du potentiel physique, psychosensoriel ou intellectuel, et les douleurs séquellaires après consolidation 23 ( * ) . Il est exprimé par un taux allant de 1 à 100 %, et il est noté « DFP ». Le montant de l'indemnisation versée à la victime dépend ensuite de l'âge de la victime, une victime jeune ayant droit à une indemnisation plus élevée qu'une victime âgée. Le barème est différent entre les hommes et les femmes, compte tenu de l'espérance de vie un peu plus élevée de ces dernières. Le tableau suivant donne une comparaison entre les deux référentiels pour un cas particulier, mais des chiffres similaires sont retrouvés pour l'ensemble des cas.

Comparaison entre le référentiel Mornet et le référentiel ONIAM
au titre du déficit fonctionnel permanent
dans le cas d'une femme avec un DFP de 35 %

Âge (années)

Référentiel Mornet

Référentiel ONIAM

Montant du référentiel ONIAM / montant du référentiel Mornet

10

155 925

104 304

66,9 %

20

144 375

95 113

65,9 %

40

117 425

76 926

65,5 %

60

83 650

59 762

71,4 %

80

53 900

44 412

82,4 %

Source : commission des finances du Sénat, d'après le référentiel Mornet et le référentiel ONIAM, ainsi que les réponses au questionnaire du rapporteur spécial

Besoin d'assistance par une tierce personne

En ce qui concerne le besoin d'assistance par une tierce personne, le référentiel Mornet indique que : « Le tarif horaire de l'indemnisation se situe entre 16 et 25 euros de l'heure en fonction du besoin, de la gravité du handicap et de la spécialisation de la tierce personne ». Le référentiel ONIAM indique quant à lui que : « L'indemnisation de ce poste dépend du niveau de qualification et la mission de la tierce personne requise. Le taux horaire proposé par l'ONIAM est de 13€/h pour une aide non spécialisée et de 18€/h pour une aide spécialisée . »

Si on fait la moyenne des chiffres indiqués, on aboutit à une indemnisation par l'ONIAM qui représente 75 % de celle indiquée par le référentiel Mornet. Cette différence entre les deux indemnisations représente une somme conséquente lorsque le besoin d'assistance par une tierce personne est à vie.

Le versement indemnités plus faibles par l'ONIAM, en comparaison des jugements des juridictions civiles, est en réalité une partie intégrante du dispositif : le dispositif d'indemnisation amiable mène à des indemnisations plus faibles, mais en échange, il promet une indemnisation plus rapide, moins onéreuse, et simplifiée en comparaison de l'action devant les tribunaux .

Cet équilibre suppose toutefois deux conditions : l'écart entre le montant accordé par l'ONIAM et celui accordé par les juridictions civiles ne doit pas être trop important, et la procédure amiable doit effectivement être plus rapide et plus simple que la procédure contentieuse .

Les offres émises par l'ONIAM font l'objet d'un bon taux d'acceptation : seules 5 offres ont jusqu'à présent fait l'objet d'une contestation devant le juge administratif. Cependant, ce taux d'acceptation élevé peut aussi s'expliquer par la lassitude des familles, qui ne souhaitent pas engager une nouvelle procédure devant la justice, après une procédure amiable qui a parfois déjà duré plusieurs années et qui a nécessité d'effectuer de nombreuses démarches.

Il est difficile d'estimer le rôle que joue le montant des indemnisations dans le non-recours au dispositif. Le rapport de la Cour des comptes de 2017 estimait que l'indemnisation moins favorable effectué par l'ONIAM par rapport aux juridictions civiles peut être effectivement un facteur de désaffectation du dispositif, en relativisant cependant sa portée 24 ( * ) .

Enfin, la procédure amiable est moins intéressante à mesure que les préjudices sont importants . Par exemple, des préjudices qui représentaient 2 millions d'euros de réparations devant les juridictions civiles (assistance par une tierce personne) donneraient lieu à une indemnisation de 1,5 million par l'ONIAM, soit une différence de 500 000 euros.

En contrepartie, l'avantage du dispositif d'indemnisation amiable pour les familles devrait être sa simplicité et sa rapidité. Or, les délais d'indemnisation sont bien supérieurs aux 6 mois prévus par les textes, et la procédure amiable est particulièrement complexe pour les familles. En conséquence, la plus-value du dispositif d'indemnisation amiable par rapport à l'action contentieuse est difficile à trouver .

C. LA COMPLEXITÉ DE LA PROCÉDURE AMIABLE PEUT DISSUADER LES VICTIMES D'Y RECOURIR

La procédure amiable est particulièrement complexe du point de vue de vue des victimes . L'APESAC avance ainsi qu'il faut : « rassembler le dossier médical de la mère pour prouver la consommation de Dépakine puis le dossier de l'enfant pour prouver les dommages. Certains dossiers font plus de 800 pages . » Des chiffres similaires sur le nombre de dossiers ont été évoqués par l'ONIAM. Plusieurs facteurs expliquent la lourdeur de ces dossiers.

Bien que l'établissement d'une présomption de causalité à la prise de valproate de sodium lors du constat de malformations ou de troubles du développement a permis de faciliter le traitement des dossiers, il n'en demeure pas moins qu'il est nécessaire de caractériser les préjudices .

Les préjudices découlant de l'exposition in utero au valproate de sodium sont de nature diverse : ils comprennent notamment des malformations, des troubles du développement et des troubles du spectre autistique ; l'ensemble de ces troubles étant cumulables. Il est ainsi estimé que chaque dossier Dépakine comprend en moyenne une dizaine de préjudices .

De plus, les troubles du neuro-développements sont particulièrement difficiles à évaluer sur le plan médical : il est nécessaire de faire des diagnostics et de passer des tests en centres spécialisés, ceux-ci pouvant prendre des mois voire davantage.

Outre la taille des dossiers, l'ancienneté de certaines pièces requises est l'une des difficultés majeures pour les victimes . Il est nécessaire pour les femmes de récupérer des pièces qui se trouvent dans des archives des médecins. Or, en raison de l'ancienneté de la prise de valproate de sodium, certains documents ne sont plus accessibles (détruits, perdus...), voire, dans certains cas, les médecins prescripteurs sont décédés.

Il resterait l'avantage du coût pour les familles : le dispositif amiable serait bien moins cher que la voie contentieuse . En effet, d'après des représentants d'une association de victimes, le coût d'une expertise judiciaire pour une victime est de 500 euros de frais d'huissier, 1 500 à 2 500 euros de frais d'avocats, 1 500 à 2 500 euros de frais de médecin conseil, et enfin de 3 500 à 6 000 euros pour les honoraires de l'experts. Les frais d'expertise sont particulièrement variables, en raison des différences de complexité entre les dossiers. À ces chiffres il faut ajouter les frais de déplacement et les frais afférents.

En comparaison, un avocat n'est en théorie pas nécessaire pour mener la procédure amiable, et les frais d'expertise sont pris en charge par l'ONIAM.

Toutefois, dans la pratique, les familles font souvent réaliser des expertises pour l'élaboration des dossiers, et la procédure amiable a été en partie « juridictionalisée » : un cabinet d'avocats, qui exerce un quasi-monopole sur le sujet, gère la majorité des dossiers Dépakine déposés à l'ONIAM. Le coût de la procédure amiable n'est donc en fin de compte pas beaucoup plus avantageux pour les familles que la voie contentieuse .

Il faut ajouter que les femmes qui prennent de la Dépakine sont des femmes qui souffrent d'épilepsie. L'épilepsie est une maladie chronique, qui est particulièrement handicapante pour les personnes qui y sont sujettes . Des déplacements par exemple peuvent être rendus bien plus compliqués par cette maladie. Enfin, les familles ont à la charge un ou des enfants malades, parfois lourdement handicapés, ce qui rajoute une difficulté supplémentaire aux démarches . L'accessibilité à un dispositif d'indemnisation comme celui-ci doit donc faire l'objet d'une attention particulière .

D. LA PROCÉDURE D'INDEMNISATION A CONNU DES RETARDS PARTICULIÈREMENT IMPORTANTS DEPUIS LA CRÉATION DU DISPOSITIF

L'article L. 1142-24-12 du code de la santé publique dispose que : « L'avis du collège d'experts est émis dans un délai de six mois à compter de la saisine de l'office . » Dans la pratique, ce délai est très loin d'être respecté .

Le délai moyen de la procédure est en effet de 32 mois en cas d'acceptation, et de 34 mois en cas de rejet . Ces délais ont nettement augmenté depuis la mise en place du dispositif d'indemnisation pour les victimes de la Dépakine.

Évolution des délais de la procédure d'indemnisation,
depuis le dépôt de la demande
jusqu'au rendu de l'avis par le collège d'experts

Date de l'avis rendu par le collège d'expert

Délai de la procédure

2018

14,6 mois

2019

16,3 mois

2020

16,7 mois

2021

32 mois

Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses au questionnaire du rapporteur spécial

La progression du délai de la procédure s'explique par son caractère cumulatif : l'ONIAM n'était pas parvenu à absorber l'ensemble des dossiers qui lui parviennent, et cela plusieurs années de suite, ce qui en conséquence fait que les dossiers qui reçoivent un avis d'indemnisation font encore partie du stock de dossiers déposés les premières années du dispositif.

Avec la diminution du nombre de dossiers déposés depuis 2019, et l'augmentation du rythme d'examen des dossiers la réforme du collège d'experts, il est probable que la durée de la procédure ait atteint un plafond , et qu'elle diminue les années suivantes. Par ailleurs, l'ONIAM a indiqué que la majorité des dossiers aux préjudices les plus importants ont été traités, et que par conséquent les dossiers restants devraient pouvoir être traités plus rapidement.

Il n'en reste pas moins qu'il est peu probable que la durée de traitement des dossiers atteigne le délai réglementaire de 6 mois à court et moyen termes .

De tels délais ne sont bien entendu pas acceptables pour les victimes. Ils viennent remettre en cause l'un des intérêts du dispositif amiable, qui est de proposer une procédure plus rapide que la justice . Les délais présentés sont en effet comparables à la durée de traitement d'une requête par le juge administratif et le juge judiciaire. Il faut également relever que le dépassement du délai réglementaire de traitement des dossiers ne concerne pas que le dispositif « Dépakine » au sein de l'ONIAM, mais également le collège d'experts « Benfluorex » et les Commission de conciliation et d'indemnisation (CCI) 25 ( * ) .

Les causes principales de ce retard sont les défaillances de l'organisation initiale du dispositif, et la sous-estimation de la complexité à la fois médicale et juridique des dossiers Dépakine.

1. L'organisation initiale du dispositif était une cause de retards

L'organisation initiale du dispositif en deux instances, le collège d'experts et le comité d'indemnisation, était à l'origine de lourdeurs procédurales . Cette organisation était incontestablement un facteur de retards . À ce titre, les personnes interrogées par le rapporteur spécial saluent unanimement la fusion opérée en 2019 des deux comités en un collège unique.

La réforme du régime de présomption en 2019 a également permis de simplifier le dispositif : il n'est désormais plus nécessaire de rechercher le lien de causalité entre la prise de valproate de sodium durant la grossesse et la présence de certains préjudices (malformations et troubles du développement).

Les apports de la réforme ont toutefois été contrebalancées par la nécessité de mettre en place un nouveau collège d'experts ce qui, conjuguée à la crise de la Covid-19, a eu pour conséquence que le collège n'a pu reprendre ses travaux d'instruction qu'à partir du 1 er octobre 2020 . Cette « pause » dans la tenue des séances du collège d'experts a contribué à l'accumulation du stock de dossiers, et explique la forte augmentation du délai de procédure entre 2020 et 2021 .

Il est difficile de faire une estimation précise d'à quel point la réforme de 2019 a permis d'accélérer la procédure, dans la mesure où l'ONIAM continue d'écouler le stock de dossiers accumulés durant les premières années du dispositif. Le rythme de réunion du collège d'experts est effectivement plus rapide depuis la réforme : en 2018, le collège d'experts s'était réuni 54 fois (48 fois pour le comité d'indemnisation), tandis qu'en 2021, le collège d'experts s'est réuni 132 fois .

Les années qui ont été « perdues » avec un dispositif qui n'était pas efficace étaient malheureusement déterminantes pour les dossiers avec les pathologies les plus lourdes . La mise en place du dispositif d'indemnisation en 2016 était déjà tardive au regard de la médiatisation de l'affaire de la Dépakine (2011). Les familles avaient besoin d'une indemnisation la plus rapide possible, et elles n'allaient pas attendre une éventuelle réforme du dispositif plusieurs années après.

Il est donc probable que, malgré toutes les améliorations qui pourraient être apportées au dispositif aujourd'hui, qu'une partie du
non-recours parmi les victimes qui connaissent les préjudices les plus importants ne soit pas rattrapable.

2. La complexité médicale et juridique des dossiers Dépakine aurait pu être mieux anticipée

La complexité des dossiers ne représente pas seulement une difficulté pour les familles, mais est également une cause des retards dans la procédure d'indemnisation . Les dossiers « Dépakine » comportent en effet de nombreux enjeux sur le plan médical :

- les dommages possibles de l'exposition in utero au valproate de sodium sont nombreux et très variables quant à leur intensité . Or chaque préjudice nécessite l'examen des pièces médicales correspondantes et mobilise une expertise propre ;

- les troubles du neurodéveloppement, qui font partie des effets majeurs de l'exposition au valproate de sodium, sont difficiles à évaluer , en sachant que les troubles du développement ne se traduisent pas nécessairement par du retard mental. En particulier, le diagnostic d'autisme met du temps long pour être posé, et l'autisme peut s'exprimer sous des formes diverses ;

- l'état de santé des enfants est susceptible d'évoluer durant la procédure , de manière spontanée et en raison des traitements et du suivi dont ils bénéficient ;

- la prise de valproate de sodium durant la grossesse remonte parfois à plusieurs décennies avant que la procédure d'indemnisation soit engagée. Les pièces médicales sont d'autant plus difficiles à retrouver et à interpréter ;

- il n'existe pas de test biologique qui permette d'imputer avec certitude les lésions ou atteintes provoquées par l'exposition au valproate de sodium durant la grossesse ;

- les connaissances sur l'effet de l'exposition in utero au valproate de sodium sont évolutives.

De même, au niveau juridique, les dossiers Dépakine sont complexes :

- les régimes de responsabilité médicale applicables sont distincts selon la date de la prise de valproate de sodium ;

- la recherche de responsabilité est complexe , dans la mesure où une décision de justice définitive sur le sujet n'a pas encore été rendue, et où les personnes responsables diffèrent selon la date de la prise de valproate de sodium et le contexte dans lequel le médicament a été prescrit ;

- l'une des difficultés avec la Dépakine est que, dans certains cas, ce médicament ne peut pas être arrêté , au risque de mettre en danger la vie de la mère, en sachant que des substituts n'existent pas toujours.

Il est bien entendu difficile de prévoir à l'avance le temps moyen de l'examen d'un dossier qui porte sur une question aussi complexe que l'exposition au valproate de sodium durant la grossesse.

Il était cependant possible d'anticiper davantage ce problème en amont de la mise en place du dispositif d'indemnisation. Aucune des difficultés mentionnées n'était réellement imprévisible :

- il était déjà bien établi au moment de la mise en place du dispositif d'indemnisation que les effets de l'exposition in utero au valproate de sodium sont très nombreux, et que ces effets comportent des troubles neurodéveloppementaux, qui sont connus pour être particulièrement difficiles à évaluer ;

- il était également prévisible qu'obtenir certaines pièces médicales pour les femmes dont la grossesse s'est déroulée il y a longtemps serait difficile ;

- enfin, les questions juridiques relatives à la recherche des responsabilités dans les dossiers Dépakine étaient également documentées.

Il n'était certes pas possible de résoudre l'ensemble de ces difficultés en amont, mais il était nécessaire a minima de les prendre davantage en compte dans les prévisions et la mise en place du dispositif d'indemnisation pour les victimes de la Dépakine .

Ces retards sont d'autant plus incompréhensibles que le nombre de dossiers déposés à l'ONIAM était très inférieur aux prévisions initiales . Le chiffre de 10 290 dossiers potentiels avait été retenu, qui devaient être déposés sur une durée de six ans, ce qui revient à 1 715 dossiers par an. Ce nombre est supérieur au double des dossiers qui ont été déposés à l'ONIAM jusqu'à aujourd'hui .

Il apparaît que la rapidité de traitement des dossiers dans les prévisions initiales était fortement surévaluée, et que le délai prévu
à l'article L. 1142-24-12 du code de la santé n'avait ainsi aucune chance d'être respecté
.

Cette situation est particulièrement dommageable au regard de la crédibilité du dispositif d'indemnisation. La promesse d'un traitement des dossiers en six mois pouvait être attirante pour les familles, en comparaison de la voie contentieuse, mais le doute sur la sincérité de ce délai a pu au contraire détourner les victimes de la procédure amiable.

III. UNE NOUVELLE RÉFORME D'AMPLEUR N'EST PAS À PRIVILÉGIER, MAIS LE DISPOSITIF D'INDEMNISATION DOIT ÊTRE RENFORCÉ

Les représentants de l'ONIAM ont longuement insisté durant leur audition sur la nécessité de stabiliser le dispositif, et donc ne pas opérer de nouvelles réformes. Le rapporteur spécial partage cette conclusion .

Le nouveau collège d'experts n'a repris ses travaux que depuis le 1 er octobre 2020, et à partir de cette date le rythme d'examen des dossiers a nettement accéléré. Une nouvelle réforme globale de la procédure d'indemnisation risquerait de destabiliser le collège d'experts et d'aggraver les retards .

Toutefois, cela ne signifie pas que la gestion du dispositif d'indemnisation ne puisse pas être améliorée. Il est toujours difficile de recruter l'ensemble des experts prévus aux articles L. 1142-24-11 et R. 1142-63-18 du code de la santé publique, l'augmentation du nombre de contentieux à la suite de l'émission des titres de recettes pose un risque de gestion, et enfin la satisfaction des demandeurs doit faire l'objet d'une évaluation afin de préserver le caractère « amiable » de la procédure.

Nombre de dossiers déposés et autres données sur le traitement
des dossiers dans le cadre du dispositif d'indemnisation

2017

2018

2019

2020

2021

2022

Dossiers déposés (victimes directes/ indirectes)

76/194

284/887

240/852

152/544

71/225

16/29

Dossiers clos

20

49

40

20

Offres proposées

3

249

529

258

531

Offres provisionnelles proposées

1

53

141

60

55

Offres partielles proposées

1

105

218

72

269

Offres acceptées par les demandeurs

72

311

247

208

Indemnités payées

5,3 millions d'euros

12,3 millions d'euros

15,8 millions d'euros

3,22 millions d'euros

Offres contestées devant le juge administratif

2

2

1

-

Titres exécutoires émis par l'ONIAM

5,1 millions d'euros

11,6 millions d'euros

15,2 millions d'euros

1,5 million d'euros 26 ( * )

Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses au questionnaire du rapporteur spécial

A. LE COLLÈGE D'EXPERTS A ATTEINT UN RYTHME SATISFAISANT D'EXAMEN DES DOSSIERS, MAIS DES DIFFICULTÉS DE RECRUTEMENT PERDURENT

La vitesse de traitement des dossiers dépend du nombre de séances qu'est capable de tenir le collège d'experts. Chaque séance correspond à environ une demi-journée.

Le rythme de la tenue des séances a nettement augmenté à partir de la première séance du nouveau collège d'experts, le 1 er octobre 2020, pour atteindre 130 séances en 2021. En 2022, le nombre de séances tenues jusqu'au 15 juillet est de 76 .

L'ONIAM précise que le quorum pour réunir le collège a toujours été atteint, et donc qu'aucune séance n'a jamais été annulée en raison de l'absence de l'un de ses membres. Chaque semestre, un calendrier prévisionnel des séances du collège est établi, dans l'objectif de permettre aux experts de s'assurer de leurs disponibilités.

Le nombre de séances en 2021 correspond à une moyenne d'environ 3 séances par semaine, si on inclut des semaines de repos . Le rythme actuel de travail du collège d'experts apparaît donc soutenu . Les membres du collège d'experts étant praticiens en exercice, il n'est pas envisageable qu'ils puissent se réunir plus souvent .

Une « scission » du collège, c'est-à-dire permettre au collège d'experts de se réunir en même temps en deux instances différentes, est une option possible pour traiter plus rapidement des dossiers.

Le rapport de l'IGF et de l'IGAS ne recommande pas cette scission du collège « la collégialité (et la nécessaire atteinte d'un quorum) constitue une garantie de traitement de qualité du dossier. » 27 ( * ) Il faut néanmoins rappeler que le quorum requis pour réunir le collège d'experts est déjà relativement faible : il ne nécessite la présence que de la moitié de ses membres. Permettre au collège de se scinder en deux permettrait également de mettre davantage à profit les membres suppléants du collège, qui sont normalement au nombre de trois par membre titulaire.

Cette proposition présente tout de même plusieurs limites :

- elle exposerait l'examen des dossiers à de possibles divergences d'appréciations, en sachant qu'un dossier peut revenir plusieurs fois devant le collège d'experts ;

- elle rendrait plus difficile la coordination entre les différences instances du collège d'experts et le reste des services de l'ONIAM ;

- tous les experts ne possèdent pas trois suppléants, dans le fonctionnement actuel du collège d'experts.

Le recrutement des experts présente en effet des difficultés. Les expertises requises pour traiter des dossiers « Dépakine » sont précises, et les experts doivent en outre présenter des garanties d'indépendance à la fois vis-à-vis des producteurs de médicaments et des associations de victimes . Ces difficultés de recrutement ne sont cependant pas irrémédiables .

Premièrement, le déficit en compétence concernait essentiellement l'expertise en pédopsychiatrie. Pendant longtemps, le collège d'experts n'avait qu'un membre titulaire en pédopsychiatrie, et pas de membres suppléants. L'ONIAM a déclaré que le collège allait recruter un expert supplémentaire en pédopsychiatrie, ce qui réduirait à deux le nombre de suppléants manquants pour cette discipline .

La pédopsychiatrie est d'une manière générale une spécialité en tension en France, les besoins ayant fortement augmenté depuis la crise de la Covid-19. Une attention particulière doit être portée à cette spécialité, qui est vitale pour le bon fonctionnement du dispositif d'indemnisation pour les victimes du valproate de sodium.

Ensuite, l'absence de membres suppléants pour les experts proposés par les associations de victimes et les producteurs de médicaments n'est pas tant une question de compétences qu'une question de difficultés à trouver des personnes possédant des garanties d'indépendance suffisantes. Ce problème peut être atténué en élargissant le champ du recrutement des experts, et en ouvrant notamment davantage la possibilité de recruter des experts étrangers .

Le rapport de l'IGAS et de l'IGF proposait par ailleurs d'engager une réflexion à ce sujet : « À ce titre, sans qu'elle ait pu approfondir davantage cette option, la mission s'interroge sur l'opportunité d'élargir, à moyen terme, le vivier d'experts médicaux à d'autres pays où un mécanisme de reconnaissance d'équivalence de diplômes existe . » 28 ( * )

La rémunération des experts est un autre levier d'action possible . Les membres du collège d'experts bénéficient des rémunérations suivantes 29 ( * ) :

- un montant forfaitaire de 230 euros par demi-journée de séance de travail 30 ( * ) ;

- un montant forfaitaire de 230 euros versé à l'expert qui rédige un rapport à la demande du président du collège ;

- un montant forfaitaire de 230 euros par demi-journée pour une réunion de travail convoquée par le président, dans la limite de 8 séances par an ;

- les membres bénéficient de la prise en charge du coût de leurs déplacements dans le cadre des modalités de droit commun de remboursement des frais de déplacement de la fonction publique.

Le rapport conjoint de l'IGF et de l'IGAS propose de différencier la rémunération des missions d'expertise selon le degré de complexité. À ce sujet, l'ONIAM répond que cette proposition « se heurterait à la nécessité de devoir envisager des critères objectifs échappant à toute appréciation empirique. » Cette proposition risquerait également de rajouter des incertitudes sur la rémunération des experts , alors que dans l'optique d'un renforcement de l'attractivité du collège, il est préférable de maintenir des principes clairs et prévisibles de rémunération.

La rémunération des experts semble moins attractive que dans les juridictions civiles, où les experts disposent d'une rémunération de 1 500 à 2 000 euros par dossier. Ce chiffre n'est pas entièrement comparable avec les indemnités forfaitaires prévues par l'arrêté du 29 juillet 2020, les indemnités étant comptées en « demi-journée » et non pas en dossiers 31 ( * ) , mais il est reconnu que les rémunérations des experts sont moins intéressantes que dans les juridictions civiles .

La contrepartie de cette rémunération plus faible est la récurrence des dossiers « Dépakine », qui permet des revenus stables . Cette contrepartie n'est cependant pas suffisante pour assurer l'attractivité du collège d'experts .

Pour ces raisons, il est justifié d'augmenter la rémunération des experts . Le total de la rémunération des experts (237 096 euros en 2021) représente par ailleurs une part marginale du budget alloué au dispositif d'indemnisation pour les victimes de la Dépakine.

Recommandation n° 3 : revaloriser la rémunération des experts, de manière à ce qu'elle gagne en attractivité par rapport aux juridictions civiles.

B. LE PERSONNEL DE L'ONIAM CONNAÎT DES TENSIONS POUR LES FONCTIONS JURIDIQUES ET LES FONCTIONS SUPPORTS

Au sein de l'ONIAM, 15 agents sont spécifiquement affectés à la gestion du dispositif d'indemnisation . Ces agents sont répartis de la manière suivante 32 ( * ) :

Poste

Nombre

Fonction

Juristes

7

Préparation des travaux des collèges, rédaction des avis et des décisions, analyse et instruction

Instructeurs

3

Élaboration du chiffrage des préjudices et gestions administrative des dossiers d'indemnisation

Assistants juridiques

3

Organisation des instances et secrétariat du service

Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses au questionnaire du Rapporteur spécial

L'ensemble de ces personnels sont des contractuels de droit public . Cette situation n'est pas anormale : le fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante (FIVA) comprend également une part très majoritaire (95 % des ETPT) de contractuels dans ses effectifs. Le recours à des personnels contractuels permet plus de souplesse dans la gestion de dispositifs qui n'ont pas vocation à être permanents, et dont le nombre de dossiers à traiter est variable selon les années.

Ces agents ne sont pas les seuls à travailler pour le dispositif d'indemnisation. Le personnel support de l'ONIAM participe également à la gestion du dispositif d'indemnisation pour les victimes de la Dépakine. L'ONIAM estime ainsi qu'un dixième de l'activité des ETP relevant des fonctions supports est consacrée au dispositif. La dépense annuelle de ce personnel support est évaluée à 138 000 euros .

Services supports participant à la gestion
du dispositif d'indemnisation

Services supports

Nombre ETP

Part gestion dispositif Dépakine

Informatique

3

0,3

AC

6

0,6

Finances

7,4

0,74

RH

4

0,4

Services généraux

3

0,3

Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses au questionnaire du rapporteur spécial

Le personnel de l'ONIAM fait l'objet d'adaptations pour suivre les évolutions du traitement des dossiers. Dans ses réponses, l'ONIAM déclarait ainsi que : « Récemment, c'est cette activité d'indemnisation qui a été renforcée en aval des travaux du collège Valproate pour mieux absorber la production de ce collège parvenue à un rythme de croisière . »

La masse salariale du dispositif d'indemnisation pour les victimes de la Dépakine a augmenté de manière croissante depuis la mise en place du dispositif. Cette hausse de la rémunération du personnel s'explique par la progression du nombre d'avis rendus par le collège d'experts jusqu'en 2022 .

Par ailleurs, un magistrat à temps plein a été détaché au collège d'experts . Les représentants de l'ONIAM ont longuement souligné devant le rapporteur spécial l'apport qu'a représenté ce magistrat pour le fonctionnement du collège d'experts.

La masse salariale du dispositif d'indemnisation
pour les victimes du valproate de sodium

Rémunération des experts

Rémunérations du personnel de l'ONIAM

2022 33 ( * )

122 851

460 000

2021

237 096

820 000

2020

127 883

720 000

2019

245 011

651 114

2018

193 526

437 400

2017

43 177

223 800

Note : la diminution de la rémunération des experts en 2020 s'explique par la crise sanitaire et la mise en place tardive du nouveau collège d'experts.

Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses au questionnaire du rapporteur spécial

La masse salariale consacrée au personnel de l'ONIAM est inférieure aux prévisions initiales (2 millions d'euros par an), sans que le dispositif d'indemnisation pour les victimes du valproate de sodium n'apparaisse manifestement en sous-effectif . À cet égard, le rapport conjoint de l'IGAS et de l'IGF relevait que d'une manière générale le coût de gestion de l'ONIAM « n'appelle pas de remarques structurantes » 34 ( * ) . Durant son audition, le président de l'ONIAM a ainsi affirmé que le nombre d'ETP au service du valproate de sodium est suffisant.

Il est possible cependant d'identifier des points de fragilité concernant les effectifs en charge de la gestion du dispositif d'indemnisation .

Le rapport conjoint de l'IGAS et de l'IGF relevait que la petite taille de l'ONIAM et du Fonds d'indemnisation des Victimes de l'Amiante a pour conséquence que leurs fonctions support « peinent à atteindre une masse critique » 35 ( * ) . Il a été mis en avant devant le rapporteur spécial par des représentants d'association de victimes que le secrétariat de l'ONIAM est difficile à joindre pour les familles, ce qui, couplé à la longueur des délais de procédure et à la difficulté de constituer les dossiers, conduit à des incompréhensions entre l'institution et les familles .

Le rapport conjoint de l'IGF et de l'IGAS préconise pour y répondre la mutualisation des fonctions support de l'ONIAM et du FIVA. Cette proposition est pertinente, mais elle va au-delà du champ de ce contrôle.

Il est pertinent néanmoins de redéployer les fonctions supports du dispositif d'indemnisation pour les victimes du valproate de sodium, en particulier en ce qui concerne le lien avec les familles . Le dialogue avec les familles constitue plus généralement l'un des points faibles du dispositif, comme cela sera examiné plus en détail dans la suite du rapport. Cette recommandation vise également à souligner les besoins particuliers des personnes qui déposent des demandes d'indemnisations, qui sont souvent des familles où la femme souffre d'une maladie chronique, ayant à leur charge un ou plusieurs enfants malades.

Recommandation n° 4 : Redéployer en partie le personnel support de l'ONIAM vers les relations avec les familles ayant saisi le dispositif d'indemnisation pour les victimes de la Dépakine.

Le deuxième point de fragilité concerne les personnes affectées au traitement contentieux. Le nombre de juristes membres du service, sept, est conséquent, mais ils font face à un contentieux important, et dont le nombre a fortement augmenté récemment . Dans ses réponses, l'ONIAM indiquait ainsi que :

« En mars 2022, c'est près de 240 procédures qui ont été enregistrées par le service en charge du valproate de l'ONIAM. Cette arrivée massive de contentieux mobilise fortement les équipes, à la fois pour l'enregistrement des assignations, s'agissant désormais d'un contentieux de masse, ainsi que pour la gestion des dossiers au fond, les contentieux des titres donnant lieu dans la plupart des cas à l'examen au fond des avis du collège et des différentes responsabilités . »

L'Office précise que le service « est mobilisé pour que ces contentieux ne nuisent pas à l'examen des dossiers des victimes ». Le ministère indique néanmoins que « ces actions sont longues, lourdes et incertaines pour l'établissement en raison de l'aléa judiciaire . » Il faut rappeler que le traitement des dossiers nécessite en lui-même une expertise juridique, et dès lors, le risque est que le traitement des contentieux empiète sur le travail du collège d'experts .

Enfin, la « juridictionnalisation » de la procédure amiable fait partie des raisons que cite l'ONIAM pour justifier les retards importants dans le traitement des dossiers. Les représentants de l'office ont répété à plusieurs reprises que la procédure d'indemnisation n'avait rien « d'amiable » dans la pratique, dans la mesure où chaque décision du collège d'experts est systématiquement contestée.

Or, si la « juridictionnalisation » de la procédure amiable est une cause de retards, cela signifie que les juristes sont mobilisés par les contentieux au point que la préparation des séances du collège d'experts en pâtit . Il convient donc de s'interroger sur la capacité de l'ONIAM à absorber l'ensemble du contentieux relatif à l'affaire de la Dépakine .

Les dépenses de contentieux sont coûteuses également. Au milieu de l'année 2022, le montant des frais d'avocats engagés par l'ONIAM s'élevait à 303 108 euros, ce qui, à titre de comparaison, est nettement supérieur à la rémunération des experts au même moment de l'année.

Dépenses d'avocat dans le cadre du dispositif d'indemnisation

(en euros)

2019

2020

2021

2022 (14/06/2022)

TOTAL

Montant dépenses d'avocat

6 000

52 380

151 536

303 108

513 024

Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses au questionnaire du rapporteur spécial

Une partie de ces coûts pourraient être limitée par une internalisation renforcée des compétences juridiques au sein du service du valproate de sodium .

Par ailleurs, le nombre de contentieux ne va probablement pas diminuer dans les prochaines années : les personnes désignées responsables autres que l'État contestent systématiquement les titres émis par l'ONIAM, ce qui, en sachant que l'ONIAM fait une offre en substitution dans plus de
90 % des cas, conduira à des centaines de contentieux supplémentaires.

Recommandation n° 5 : examiner l'opportunité de renforcer temporairement le nombre de juristes présents au sein du service d'indemnisation pour les victimes du valproate de sodium, pour faire face à la progression du contentieux relatif aux titres de recettes émis par l'ONIAM.

C. IL EST INDISPENSABLE DE METTRE EN PLACE DES OUTILS D'ÉVALUATION DU DISPOSITIF DU POINT DE VUE DES FAMILLES AFIN D'AMÉLIORER LE DIALOGUE AVEC LES VICTIMES

1. La mise en place d'un baromètre de « satisfaction » permettrait de mieux prendre en charge les victimes

L'APESAC estime que le collège d'experts ne prendrait pas en compte certains documents : la réalisation des tableaux décrivant les besoins par tierce personne réalisés par les familles ; la réalisation de vidéos par les familles dans leur quotidien ; la réalisation de tests en ligne MHAVIE décrivant les besoins d'aide au quotidien des enfants ; la communication de rapports d'expertises judiciaires ; et enfin la réalisation de certificats médicaux de médecins assurant le suivi des enfants.

À cela, l'ONIAM répond que « Aucun élément produit par une personne n'est écarté, par principe, des pièces composant un dossier soumis à l'appréciation du collège d'experts . » L'office précise que les conclusions des expertises judiciaires ne s'imposent pas au collège d'experts, qui conserve toute liberté d'appréciation.

L'APESAC avance également que l'ONIAM refuserait systématiquement les demandes de délais complémentaires formulées par les victimes, ce que conteste l'office, pour qui le principe est au contraire d'accorder les délais sollicités par les familles, en cohérence avec le caractère amiable du dispositif.

Il apparaît que l'ensemble de ces questions font l'objet d'appréciations variées, qui sont difficiles à objectiver. Ces versions divergentes témoignent du manque d'indicateurs sur la satisfaction des personnes ayant recours au dispositif d'indemnisation pour les victimes du valproate de sodium .

La nature particulière du dispositif rend certes plus complexe la mise en place d'instruments de mesure de la satisfaction des personnes que pour un service public ordinaire. Les familles qui saisissent le dispositif d'indemnisation amiable font face à des situations difficiles, ce qui doit être pris en compte dans les outils d'évaluation.

Pour autant, les familles ont des retours précis sur le fonctionnement du dispositif d'indemnisation, qu'il est essentiel de recueillir et de prendre en considération .

Le contrat d'objectifs et de performance pour 2021-2023 signé entre le ministère de la santé et des solidarités, représentant l'État, et l'ONIAM, prévoit que devait être mis en place en 2021 un baromètre de la satisfaction des usagers. Or au mois d'août 2022, ce baromètre n'avait pas encore été mis en place.

Il est important qu'il soit établi le plus rapidement possible afin d'avoir des indicateurs sur la prise en charge des victimes du valproate de sodium. Ce baromètre devra comprendre des cibles de satisfaction, et permettre de mesurer l'amélioration de la prise en charge des victimes .

Recommandation n° 6 : Mettre en place un baromètre de satisfaction des personnes ayant recours au dispositif d'indemnisation.

Recommandation n° 7 : Mettre en place des lignes directrices précises sur les documents pouvant être communiqués au collège d'experts.

2. La situation des familles qui ont fait une demande d'indemnisation à la fois devant les tribunaux et par la voie amiable doit être clarifiée

La situation des familles qui auraient engagé une procédure d'indemnisation à la fois devant le dispositif amiable et devant les juridictions est problématique . Ce cas concerne environ 50 dossiers sur l'ensemble des dossiers transmis à ce jour.

La doctrine du collège d'experts pour ces dossiers est que l'instruction de la demande est menée jusqu'à l'avis définitif, sauf si une décision de justice définitive a été rendue entre temps . Le collège d'experts poursuit donc le traitement du dossier si une décision qui a fait l'objet d'un appel ou si une décision partielle a été rendue.

Les conséquences sur la procédure d'indemnisation amiable ne sont pas claires lorsqu'une famille a accepté au cours de la procédure une indemnisation partielle d'une juridiction . Il apparaît dans ce cas que le collège d'experts rend bien un avis, mais que la famille ne bénéficie pas d'une indemnisation de la part de l'ONIAM. La raison est qu'une indemnisation complémentaire est attendue de la part des tribunaux, et donc qu'une indemnisation de l'ONIAM aboutirait à une double indemnisation.

Il n'est pas contestable que les situations de double-indemnisation doivent être évitées , à la fois car elles pourraient compromettre la sécurité juridique et financière des opérations en dépenses de l'ONIAM, et par équité envers les familles qui n'ont pas saisi la justice dans le même temps. Il est important toutefois de s'assurer que les conséquences de l'acceptation d'une indemnisation proposée par la justice soient claires du point de vue des familles. La poursuite du travail du collège d'experts peut en effet entretenir de faux espoirs chez les victimes .

L'ONIAM a déclaré que la justice administrative a été saisie sur cette question. Il est néanmoins utile d'élaborer en attendant des lignes directrices pour traiter les cas de double-saisine . À ce sujet, les représentants du ministère ont indiqué que « les autorités de tutelle travaillent actuellement sur un projet de réponse unique pour clarifier l'articulation de ces deux voies . »

Recommandation n° 8 : poursuivre l'élaboration d'un projet de réponse unique pour les familles ayant saisi en même temps la voie contentieuse et la voie amiable, et clarifier la situation des familles ayant accepté une offre d'indemnisation partielle proposée par la voie contentieuse.

IV. LE DISPOSITIF D'INDEMNISATION POUR LES VICTIMES DU VALPROATE DE SODIUM DOIT FAIRE L'OBJET D'UNE RÉFLEXION SUR LE TEMPS LONG

A. L'IDENTIFICATION D'UNE TRANSMISSION ENTRE LES GÉNÉRATIONS DES PRÉJUDICES CAUSÉS PAR L'EXPOSITION AU VALPROATE DE SODIUM CONDUIRAIT À UNE EXTENSION DES INDEMNISATIONS

Les « effets transgénérationnels » de l'exposition in utero au valproate de sodium signifient que les personnes exposées pourraient transmettre des dommages à leur descendance .

Une voie possible de cette transmission entre les générations serait le stress oxydant et l'inhibition des histones désacétylases (HDAC) résultant de l'exposition au valproate de sodium, dont les effets sont considérés comme épigénétiques.

Cette question n'est pas purement médicale, dans la mesure où les conséquences de la reconnaissance d'une transmission entre les générations des dommages sur le coût de l'indemnisation seraient nombreuses :

- une nouvelle génération devrait être indemnisée ;

- la première génération connaîtrait un préjudice d'anxiété et un préjudice moral, en raison du risque de transmettre des handicaps à leurs enfants ;

- les victimes indirectes, particulièrement les conjoints des personnes victimes l'exposition au valproate de sodium, auraient également un préjudice d'anxiété et un préjudice moral pour leurs enfants.

À la fin de l'année 2021, avec l'aide de médecins conseils de l'association, l'APESAC a publié une étude sur l'impact transgénérationnel de l'exposition au valproate de sodium durant la grossesse. Cette étude est le résultat d'une collecte de données de 5 ans auprès de familles qui ont contactées l'APESAC, et elle se concentre sur 108 individus qui ont présenté des dommages importants suite à l'exposition au valproate de sodium et qui ont eu des enfants.

L'étude conclut à un risque important pour des parents ayant été exposés in utero au valproate de sodium de transmettre des dommages à leurs enfants . Parmi la population étudiée, 23 % des enfants présentaient des malformations caractéristiques de l'exposition au valproate de sodium, et 44 % présentaient des troubles du développement. 47 % des enfants ne présentaient pas de symptômes. L'étude ne précise pas la gravité des malformations et des troubles du développement constatés.

Toutefois, cette enquête menée par l'APESAC n'est pas reconnue par le ministère, au motif que cette étude ne peut pas être considérée comme une étude épidémiologique : « Concernant les effets transgénérationnels, l'enquête réalisée par l'APESAC, sur les familles adhérentes de l'association, ne peut être considérée comme une étude épidémiologique permettant de confirmer cette hypothèse . » L'étude ayant été menée par une association de défense des personnes victimes du valproate de sodium, elle ne présente en outre pas toutes les garanties d'indépendance requises pour une véritable étude.

Le ministère précise qu'il n'a identifié aucune étude dans la littérature internationale portant sur ce sujet chez les êtres humains .

Le rapport de l'INSERM de septembre 2021 rapporte une étude datant de 2019, qui montre un effet transgénérationnel sur trois générations de troubles du comportement chez le rongeur exposé in utero au valproate de sodium. En revanche, les malformations n'ont pas été observées aux générations suivantes 36 ( * ) .

Par ailleurs, il est écrit dans le même rapport qu'en théorie, l'effet transgénérationnel de l'exposition au valproate de sodium est plausible : « Au total, les données de la littérature sont trop peu nombreuses. Les arguments de type mécanistique ou toxicologique semblent étayer l'hypothèse d'un effet transgénérationnel des antiépileptiques et en particulier du valproate de sodium. Cependant, les éléments de preuve sont encore faibles et non démontrés par des études en population . »

Par conséquent, le rapport de l'INSERM considère comme prioritaires les recherches sur l'existence d'un risque renforcé de « troubles du neurodéveloppement et/ou de malformations à la deuxième génération lié à l'exposition in utero au valproate de sodium, chez l'animal et chez l'homme . »

L'INSERM privilégie l'option d'une étude de « Cohorte », c'est-à-dire une étude ayant pour objectif de comparer la fréquence des anomalies congénitales et des troubles du développement entre deux groupes : les personnes exposées au valproate de sodium, et un groupe témoin de personnes non exposées. Pour faciliter cette tâche, l'institut propose de conclure des partenariats avec des pays disposant longtemps de registres qui incluent les prescriptions médicamenteuses et les issues de grossesses, comme c'est le cas dans le nord de l'Europe 37 ( * ) .

En attente de nouvelles études, il est nécessaire de prévoir l'éventualité de l'identification d'un risque de transmission générationnel des dommages causés par l'exposition in utero au valproate de sodium .

L'enjeu est d'être capable d'adapter rapidement le dispositif d'indemnisation au cas où le nombre de bénéficiaires devait soudainement s'étendre . De plus, l'accès aux documents médicaux peut être encore plus difficile, car il faudrait remonter à la génération des grands-parents pour déterminer la prise initiale de valproate de sodium durant la grossesse. Les règles qui encadrent la constitution des dossiers et les outils d'identification des préjudices devront donc être adaptées.

Dans tous les cas, il s'agit d'éviter la situation où, par manque de prévision, la réforme du dispositif d'indemnisation conduirait à l'accumulation d'un stock de dossiers, et à un dépassement des délais de procédure.

Recommandation n° 9 : mettre en place des scénarios d'adaptation du dispositif d'indemnisation pour les victimes du valproate de sodium au cas où une transmission entre les générations des dommages serait identifiée.

B. LE REFUS DE SANOFI DE PARTICIPER À LA PROCÉDURE D'INDEMNISATION AMIABLE POSE LA QUESTION PLUS LARGE DE L'INDEMNISATION PUBLIQUE DES ACCIDENTS MÉDICAUX

Depuis la mise en place du dispositif d'indemnisation pour les victimes de la Dépakine, aucune somme n'a été recouvrée sur les personnes désignées responsables autre que l'État, c'est-à-dire essentiellement SANOFI . Dans ses réponses, le laboratoire confirme que les titres de recettes émis par l'ONIAM sont systématiquement contestés devant les tribunaux, et il ne fait pas de doutes à ce stade que SANOFI épuisera l'ensemble des voies de recours juridictionnelles pour contester sa responsabilité dans les dommages causés par la Dépakine.

L'implication de SANOFI dans le dispositif aurait des conséquences majeures pour son financement : pour 91,1 % du montant des offres proposées, l'ONIAM agit en substitution de la personne désignée responsable, qui est, dans la très grande majorité des cas, SANOFI .

Répartition des montants d'indemnisation selon la personne désignée responsable entre le 21 décembre 2018 et le 31 décembre 2021

Nombre d'engagements

Nombre de dossiers

Montant (en euros)

Répartition des montants

Montant moyens par dossier (en euros)

Substitution

702

136

34 864 821

91,1 %

256 359

Part État

362

74

3 238 828

8,5 %

43 768

Part ONIAM

21

9

153 191

0,4 %

17 021

Total

1 085

159

38 256 839

100 %

240 609

Note : la part « État » inclut la mise en cause de la responsabilité de l'Agence nationale du médicament (ANSM). La part « ONIAM » signifie qu'un responsable n'a pas été identifié, mais que l'ONIAM propose tout de même une offre d'indemnisation. « Substitution » indique qu'une personne autre que l'État a été désignée responsable.

Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses au questionnaire du rapporteur spécial

Le ministère fait l'hypothèse que SANOFI contribuerait davantage à la voie amiable si une décision de justice définitive était rendue : « Dans le cas d'une décision de justice définitive défavorable à Sanofi, le refus de contribuer à l'indemnisation amiable des victimes du valproate de sodium serait plus difficilement justifiable par le laboratoire. Il est ainsi possible que ce dernier s'implique davantage dans la voie amiable de facto moins coûteuse que la voie juridictionnelle . »

Les indemnités en moyenne plus faibles proposées par l'ONIAM par rapport aux juridictions civiles pourraient en effet inciter le laboratoire à privilégier la voie amiable . À cet égard, les représentants de l'office ont souligné en audition que dans l'affaire du Médiator, le barème plus faible avait incité Servier à s'impliquer davantage dans la voie amiable.

La plus grande implication de SANOFI n'est toutefois pas une certitude . Il existe une probabilité élevée que SANOFI estime qu'au regard de la part de responsabilité retenue par le collège d'experts (91,1 % des montants pour les responsables hors État), il est plus intéressant de continuer à contester systématiquement les titres de recettes émis par l'ONIAM .

De plus, il y a un écart entre la jurisprudence du collège d'experts de l'ONIAM et celle retenue par les juridictions civiles . Pour rappel, dans la décision du 5 janvier 2022, le Tribunal judiciaire de Paris a retenu la faute de SANOFI entre 1984 et 2006 en ce qui concerne les malformations, et entre 2001 et 2006 pour les troubles du neurodéveloppement.

Or, la doctrine actuelle du collège d'experts consiste à pouvoir reconnaître la responsabilité pour faute de l'ensemble des acteurs concernés, y compris SANOFI, à partir des mêmes dates que la présomption d'imputabilité des dommages à la prise de valproate de sodium mise en place par l'article 266 de la loi de finances initiale pour 2020 , c'est-à-dire à compter de 1982 pour les malformations, à compter de 1984 pour les troubles du neurodéveloppement, et jusqu'à 2012 pour l'ensemble des troubles. Pour les victimes qui auraient été exposées in utero au valproate de sodium antérieurement à ces dates, l'ONIAM fait une offre d'indemnisation au titre de la solidarité nationale.

Dans le cas du collège d'experts, il faut rappeler qu'il s'agit de dates à partir desquelles la responsabilité des acteurs peut être engagée , ce qui signifie que le collège d'experts n'est pas tenu, à chaque fois qu'une prise de valproate de sodium est constatée à partir des dates mentionnées, de retenir la responsabilité de l'ensemble des acteurs.

Il n'en reste pas moins que l'écart entre les dates retenues par le Tribunal judiciaire de Paris et le champ retenu par l'ONIAM est très important en ce qui concerne les troubles du développement.

Cet écart de jurisprudence constitue un risque juridique et financier pour l'État : même si les tribunaux devaient reconnaître la responsabilité de SANOFI, il existe une possibilité réelle que la jurisprudence du collège d'experts ne soit pas suivie, et que la responsabilité du laboratoire soit reconnue à une échelle moins importante qu'aujourd'hui . Cette hypothèse peut inciter à SANOFI à poursuivre les recours.

En outre, les sommes avancées par l'office lorsqu'il indemnise en substitution représentent une avance de trésorerie pour le laboratoire, qui n'est absolument pas négligeable au regard du nombre d'années que dureront encore les procédures .

Il est important de distinguer :

- les actions en responsabilité des familles à l'encontre de SANOFI portées devant les tribunaux judiciaires ;

- les contestations des titres de recettes émis par l'ONIAM par SANOFI devant les tribunaux compétents.

Une décision de justice définitive rendue dans le premier cas et qui mettrait en cause le laboratoire ne signifie pas que SANOFI aurait automatiquement à suivre les avis émis par le collège d'experts de l'ONIAM . Il est probable qu'il faille attendre qu'une procédure issue de la contestation d'un titre de recettes émis par l'ONIAM aboutisse à une décision de justice définitive avant que l'État ne puisse « récupérer » les sommes avancées .

Sachant que les procédures contentieuses engagées par les familles n'ont toujours pas abouti à une décision de justice définitive, alors que la première procédure a été engagée en 2008, il est très probable que l'ONIAM ne recouvre pas les recettes en question avant de nombreuses années. L'avance de trésorerie pour le laboratoire est donc considérable.

Le rapporteur spécial relève que le « dispositif d'indemnisation pour les victimes de la Dépakine » est régulièrement appelé « fonds d'indemnisations pour les victimes de la Dépakine » dans les médias 38 ( * ) , comme s'il était implicitement admis que l'État paierait l'ensemble des indemnisations . Même le rapport conjoint de l'IGAS et de l'IGF parle d'un « guichet public d'indemnisation au titre de la solidarité nationale » 39 ( * ) .

En effet, dès 2016, SANOFI avait indiqué que la mise en place du dispositif ne changeait rien à sa position quant aux responsabilités dans l'affaire de la Dépakine. Encore aujourd'hui, SANOFI est critique de la logique même du dispositif, qui repose sur une recherche de responsabilité hors du champ juridictionnel :

« En effet, d'un point de vue général et dans la mesure où le Dispositif repose sur une recherche de responsabilité (qu'il appartient en principe aux juridictions de trancher), il apparait complexe de concilier un tel Dispositif et les différentes procédures engagées, notamment, à l'encontre de Sanofi, et plus particulièrement la procédure pénale en cours dans le cadre de laquelle Sanofi et l'Autorité de santé ont été mis en examen . »

Il était par conséquent clair que SANOFI ne participerait pas au dispositif d'indemnisation , contesterait systématiquement les titres de recettes , et que le dispositif d'indemnisation pour les victimes de la Dépakine équivaudrait, pendant les années que dureraient les procédures de justice, à un « fonds d'indemnisation » abondé par l'État.

Cette situation est contestable au niveau des principes juridiques, et elle n'est pas acceptable sur le plan budgétaire .

L'intensification et la globalisation des risques à l'époque contemporaine, qui caractérise la « société du risque » théorisée par Ulrich Beck et Anthony Giddens, implique certes une présence importante de l'État dans la régulation et la réparation des dommages issus de la réalisation de ces risques . Certains risques étaient devenus trop importants pour que les sociétés d'assurance privées puissent les assumer. Dans le même temps, le souhait de protection des citoyens par l'État est devenu de plus en plus fort, à mesure que le champ de l'action publique a été étendu.

Pour toutes ces raisons, plusieurs fonds d'indemnisation ont été créés au cours des décennies précédentes. On peut citer le « Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions », créé par la loi n° 90-589 du 6 juillet 1990, ou le « Fonds d'indemnisation des victimes de l'Amiante », mis en place par la loi n° 2000-1257 du 23 décembre 2000 sur le financement de la sécurité sociale pour 2001.

Toutefois, cette présence renforcée de l'État dans l'indemnisation des citoyens n'a jamais signifié qu'il devait prendre en charge l'assurance de l'ensemble des risques dont il ne porte pas de responsabilité ou seulement une responsabilité partielle . Dès les arrêts fondateurs du droit public, le juge a reconnu l'existence une responsabilité administrative, mais il a précisé que cette responsabilité n'est ni générale ni absolue 40 ( * ) .

Or, les accidents médicaux ne constituent pas a priori des risques que les acteurs concernés, les laboratoires et leurs sociétés d'assurance, ne pourraient pas assumer . Dans le cas du dispositif d'indemnisation pour les victimes du valproate de sodium, les indemnisations accordées sur le fondement de la solidarité nationale ne constituent qu'une faible minorité des indemnisations versées.

Plus fondamentalement, trop étendre la responsabilité administrative conduit à remettre en cause la logique même du droit de la responsabilité. Jean-Bernard Auby, dans un article 41 ( * ) annexé au rapport public du Conseil d'État de 2005, « Responsabilité et socialisation du risque », pouvait écrire ainsi écrire :

« Ce qui advient n'est pas mystérieux. C'est que la construction intellectuelle et juridique de la responsabilité administrative en perd peu à peu son sens. Ses vertus régulatrices, disciplinaires, s'estompent, comme on l'a dit. Plus carrément encore, à force que l'État se voit imposer d'assumer des risques dans la production desquels il n'a eu aucune part, ou dans la production desquels, il n'a eu qu'une part réduite, les mécanismes mêmes de l'imputation de la responsabilité sont en péril : ils risquent d'être de moins en moins pris au sérieux à force d'être débordés par des systèmes d'indemnisation automatique . »

Plus précisément, l'indemnisation automatique par l'État des victimes d'accidents conduirait à délester les autres acteurs, en l'occurrence les laboratoires, de leurs responsabilités.

Au niveau budgétaire, admettre un principe d'indemnisation publique trop large irait à l'encontre de l'objectif d'une bonne gestion des finances publiques : les dépenses de l'État deviendraient, par définition, imprévisibles .

À ce titre, le principe d'indemnisation qui caractérise les dispositifs de l'ONIAM était prometteur. Pour rappel, il s'agit de proposer aux victimes des offres en substitution avant de se retourner devant les personnes responsables, qui ont la possibilité de contester cette imputation devant la justice. Toutefois, dans la pratique, la longueur des procédures devant les juridictions conduit à des délais de recouvrement très importants, ce qui remet en cause le bon fonctionnement de ces dispositifs.

Il n'y a pas de solution évidente à ce dilemme. Il convient de prendre garde à ne pas présumer la responsabilité des acteurs en dehors d'une décision de justice définitive, ni de remettre en cause la nécessité pour les victimes d'obtenir une indemnisation rapide .

Un préalable est de s'interroger sur le régime de responsabilité applicable aux médicaments qui présentent des défauts. Ils relèvent en effet de la loi n°98-389 du 19 mai 1998, qui transpose la directive 85/374/CEE relative à la responsabilité pour les produits défectueux. Selon ces textes, les médicaments relèvent du même régime de responsabilité que les autres produits défectueux. Or, en raison des effets potentiels de long terme des médicaments, l'application d'un régime général présente des limites . Par exemple, l'Allemagne a exclue les médicaments de l'application de la directive .

Le Rapporteur spécial soutient qu'il est pertinent d'engager une réflexion au niveau européen sur la spécificité des médicaments par rapport aux autres produits, en ce qui concerne le régime de responsabilité applicable en cas de défaut. Une telle réflexion permettrait une meilleure répartition des responsabilités entre l'ensemble des acteurs .

Recommandation n° 10 : dans le cadre de discussions au niveau européen, engager une réflexion sur le statut particulier des médicaments au regard de la directive 85/374/CEE en matière de responsabilité du fait des produits défectueux, afin de permettre une meilleure répartition des responsabilités.

EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 28 septembre 2022 sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission a entendu une communication de M. Christian Klinger, rapporteur spécial, sur le dispositif d'indemnisation pour les victimes de la Dépakine.

M. Claude Raynal , président . - Je laisse maintenant la parole au rapporteur spécial de la mission « Santé », Christian Klinger, qui a mené un contrôle budgétaire sur le dispositif d'indemnisation pour les victimes de la Dépakine.

M. Christian Klinger , rapporteur spécial . - En tant que rapporteur spécial de la mission « Santé », j'ai choisi de consacrer un contrôle budgétaire au dispositif d'indemnisation pour les victimes de la Dépakine, dispositif qui a été créé par la loi de finances pour 2017, à la suite de ce que l'on a appelé « l'affaire de la Dépakine ».

Il me semble pertinent de faire un bref retour sur cette affaire, afin que nous puissions bien comprendre les enjeux de ce dispositif.

La Dépakine est le nom d'un médicament contenant du valproate de sodium, qui est utilisé pour lutter contre l'épilepsie. Produit par Sanofi, il s'agit du médicament le plus utilisé dans le monde contre l'épilepsie.

Or on sait depuis les années 1980 que la prise de ce médicament par les femmes enceintes provoque des malformations congénitales graves. De plus, il a été établi dans les années 2000 que sa prise durant la grossesse est également à l'origine de troubles du neurodéveloppement, comme l'autisme par exemple.

Le nombre des victimes est élevé : on estime qu'entre 2 150 et 4 100 enfants seraient touchés par des malformations, et qu'entre 16 600 et 30 400 enfants souffriraient de troubles du développement consécutifs à l'exposition au valproate de sodium.

En 2011, la lanceuse d'alerte Marine Martin a médiatisé l'affaire. Elle a également fondé l'association d'aide aux parents d'enfants souffrant du syndrome de l'anticonvulsivant, mieux connue sous son acronyme d'Apesac, qui est la principale association des familles victimes de la Dépakine.

Depuis lors, de nombreux contentieux ont été portés devant les tribunaux.

Tout cela a mené à la création d'un dispositif d'indemnisation pour les victimes de la Dépakine, adossé à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (Oniam), qui se veut une procédure d'indemnisation amiable permettant d'éviter aux familles de passer par la voie contentieuse.

Prévu au départ pour une durée de six ans, ce dispositif devrait perdurer neuf ans de plus, soit quinze ans au total.

En raison des dysfonctionnements de son organisation initiale, celui-ci a fait l'objet d'une réforme d'ampleur en 2019.

J'en présente brièvement le fonctionnement actuel.

Chaque victime peut déposer un dossier à l'Oniam, qu'un collège d'experts se charge ensuite d'instruire avant de rendre un avis dans lequel il se prononce sur l'imputabilité des dommages liés à la prescription du valproate de sodium, ainsi que sur la nature et l'étendue des dommages. Le collège d'experts se prononce également sur les personnes responsables.

Ensuite, il y a deux possibilités : soit l'État est reconnu responsable ou personne n'a été identifié comme responsable et dans ce cas l'Oniam formule directement une offre, soit une personne a été désignée comme responsable - pour l'essentiel, il s'agit de Sanofi - et celle-ci doit alors présenter une offre dans un délai d'un mois. Si elle ne présente pas d'offre ou une offre manifestement insuffisante, l'Oniam présente alors une offre de substitution et se tourne vers la personne désignée responsable pour recouvrer les fonds.

La personne désignée responsable a bien entendu la possibilité de contester la décision de recouvrement de l'Oniam devant les juridictions. Jusqu'à présent, les personnes désignées responsables ont contesté tous les titres émis par l'Oniam.

À ce stade, il me semble pertinent de se demander si ce dispositif d'indemnisation fonctionne correctement.

La première constatation que met en avant le contrôle est l'importance du non-recours au dispositif. Environ 850 dossiers ont été déposés à l'Oniam, alors que les estimations initiales, qui se fondaient pourtant sur des prévisions épidémiologiques plus optimistes que celles que nous avons actuellement, prévoyaient le dépôt de 8 000 à 10 000 dossiers en six ans.

Ce non-recours se traduit donc par une sous-exécution budgétaire continue et importante du dispositif depuis sa création. Ainsi, jusqu'au 30 juin 2022, seuls 46,6 millions d'euros ont été engagés et 38 millions d'euros de crédits de paiement ont été consommés. L'exécution des crédits a atteint 16,8 millions d'euros, ce qui est presque cinq fois inférieur aux prévisions initiales pour une année.

Les explications à ce non-recours sont multiples.

La première est que l'indemnisation accordée aux familles est en moyenne inférieure de 30 à 50 % à l'indemnisation accordée par les juridictions civiles. La procédure amiable est ainsi moins intéressante pour les victimes à mesure que les préjudices sont importants.

En contrepartie de cette indemnisation moindre, le dispositif amiable était censé être plus simple et plus rapide que la voie contentieuse. Or le dispositif d'indemnisation ne tient malheureusement pas ses promesses sur ces deux points. Il est obligatoire pour les familles de constituer des dossiers qui font, en règle générale, des centaines de pages, sachant que certains documents sont particulièrement difficiles à retrouver - je pense à des pièces médicales datant de plusieurs décennies.

Il faut également rappeler que les femmes qui font ces démarches sont fragiles : elles souffrent d'épilepsie, maladie chronique fortement handicapante.

Par ailleurs, le délai réglementaire de six mois prévu pour que le collège remette son avis est loin d'être respecté. Actuellement, le délai moyen de la procédure tourne autour de trente-deux mois. Ce délai résulte certes de l'accumulation du stock de dossiers à la suite des défaillances de l'organisation initiale du dispositif, de la complexité médicale et juridique des dossiers, de ralentissements liés à l'épidémie de la covid-19, mais il n'en est pas moins inacceptable pour les victimes. De tels délais viennent remettre en cause l'un des intérêts du dispositif amiable qui était de proposer une procédure plus rapide que la justice.

Toutes ces difficultés étaient prévisibles et auraient dû être mieux anticipées.

Aujourd'hui, le rythme de traitement des dossiers est satisfaisant. En 2021, le collège d'experts s'est réuni 130 fois, ce qui correspond à environ trois séances par semaine. Il est difficile d'exiger davantage de praticiens en exercice. Pour cette raison, une nouvelle réforme du dispositif ne serait pas pertinente. Par contre, celui-ci pourrait être renforcé.

Néanmoins, le recrutement de ce collège présente des fragilités. Tous les membres du collège d'experts n'ont pas un nombre de suppléants correspondant à ce qui est prévu par les textes. Une revalorisation de leur indemnité devrait être envisagée : pour mémoire une séance est actuellement indemnisée à hauteur de 230 euros par demi-journée, montant qui est inférieur aux indemnités prévues devant les juridictions civiles.

La contestation systématique par Sanofi des titres de recette émis par l'Oniam a donné lieu à un contentieux important. En mars 2022, ce sont 240 procédures qui ont été enregistrées par l'Oniam. Cet afflux de contentieux est un risque pour le bon fonctionnement du dispositif. Il convient donc de s'assurer que l'Office dispose d'un nombre de juristes suffisant pour le traiter.

La relation avec les familles est l'un des points faibles du dispositif actuel. Bien qu'il ait été prévu, il n'existe toujours pas de baromètre de satisfaction des personnes ayant eu recours au dispositif d'indemnisation. Plus généralement, d'après les témoignages que nous avons eus, les familles témoignent d'une forte incompréhension vis-à-vis de la procédure.

Pour ces raisons, il est essentiel que le personnel support de l'Oniam soit en mesure d'accompagner convenablement les familles ayant saisi le dispositif d'indemnisation et d'énoncer des règles claires quant aux documents pouvant être communiqués au collège d'experts.

Ces recommandations, rapides à mettre en oeuvre, devraient être accompagnées d'une réflexion sur un temps plus long.

Aujourd'hui, l'hypothèse de la transmission intergénérationnelle des dommages causés par la Dépakine est sérieusement envisagée. Il reste des études à mener sur la question, mais l'INSERM l'identifie comme un axe prioritaire de recherches. Toujours est-il qu'elle pourrait avoir des conséquences importantes sur l'indemnisation des victimes, puisqu'une nouvelle génération aurait à être indemnisée, et que les victimes actuelles connaîtraient un préjudice d'anxiété. Des scénarios d'adaptation du dispositif doivent donc être envisagés.

Depuis la mise en place du dispositif amiable, aucune somme n'a été recouvrée auprès de personnes désignées comme responsables - autres que l'État. Le laboratoire conteste systématiquement devant les tribunaux les titres de recette émis par l'Oniam. Les sommes avancées par l'Office lorsqu'il indemnise en substitution représentent 91 % des montants alloués, soit plus de 34 millions d'euros. Au rythme où vont les procédures judiciaires, de nombreuses années pourraient encore s'écouler avant que Sanofi ne soit obligé de participer au dispositif d'indemnisation.

Enfin, il est à noter que le mécanisme d'indemnisation des victimes est souvent appelé « fonds d'indemnisation » des victimes de la Dépakine dans les médias, comme s'il était implicitement admis que l'État paierait l'ensemble des victimes.

La situation est délicate : les victimes doivent évidemment être indemnisées, mais la présomption d'innocence doit aussi être respectée. En effet, aucune décision de justice définitive condamnant Sanofi n'a été rendue jusqu'à présent. Mais pour autant, l'État a-t-il vocation à assumer le risque lié aux accidents dus aux médicaments ? Il serait souhaitable d'engager une réflexion plus globale pour faire face à ce risque.

En outre, le médicament relève du régime de responsabilité du fait des produits défectueux. Ce régime est celui de l'article 1245-15 du code civil, aux termes duquel « sauf faute du producteur, la responsabilité de celui-ci est éteinte dix ans après la mise en circulation du produit même qui a causé le dommage ». Or ce délai de dix ans est particulièrement contraignant dans le secteur des médicaments.

Si la position du laboratoire précité devait faire école à l'échelle de l'ensemble des autres laboratoires, le risque lié aux médicaments finirait par être supporté essentiellement par la collectivité et non par les laboratoires. C'est pourquoi il serait intéressant de lancer une réflexion sur l'implication des exploitants de médicaments dans la couverture du risque lié à ces médicaments, et de profiter de la réécriture de la directive sur les produits défectueux par la Commission européenne pour envisager la sortie des médicaments de ce régime.

Compte tenu de l'ensemble de ces éléments, vous aurez compris que ce dispositif est perfectible. L'Oniam souffre qu'à chaque scandale sanitaire une mission nouvelle lui soit à nouveau confiée. Je propose donc une réflexion plus large, afin que l'État ne soit pas dans la réaction, mais dans l'anticipation.

M. Claude Raynal , président . - À titre personnel, je trouve cette communication très intéressante car, au-delà du dispositif concerné, c'est la question plus générale de la manière de gérer le risque qui est posée.

J'ai deux interrogations : l'État est-il mis en cause en tant que tel au titre de la mise en circulation du médicament sur le marché ? Dans son offre de substitution, l'Oniam intègre-t-il les coûts intermédiaires ?

M. Jean-François Husson , rapporteur général . - Ce contrôle budgétaire nous donne l'occasion d'évoquer des situations humaines très délicates. Le dispositif d'indemnisation pour les victimes de la Dépakine a le mérite d'exister et de proposer une solution intermédiaire avant la saisine des tribunaux. Hélas, le mécanisme prévu ne facilite pas autant les choses qu'on l'espérait...

Ma question porte sur votre recommandation de mieux indemniser les experts, qui sont au nombre de neuf : pour quelle raison sont-ils moins bien rémunérés que devant les autres juridictions ? Sont-ils mobilisés toute l'année ?

M. Roger Karoutchi . - La mise sur le marché de la Dépakine a-t-elle résulté d'une décision favorable de nos autorités de santé ou d'une autorisation européenne, auquel cas la responsabilité de l'État serait indirecte ?

M. Vincent Capo-Canellas . - Je souhaite m'attarder sur la recommandation n° 10, au titre de laquelle le rapporteur spécial préconise d'engager un dialogue au niveau européen : quelle est la répartition exacte des responsabilités entre États et Union européenne dans ce domaine ?

M. Christian Klinger , rapporteur spécial . - Pour répondre au président Raynal, je précise que l'État est bien mis en cause au travers de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé. D'après l'Oniam, sa responsabilité serait engagée dans 9 % des cas, les 91 % des cas restants étant imputables à Sanofi.

Je précise à l'attention du rapporteur général que, même si la comparaison est difficile, la rémunération des neuf experts est effectivement relativement faible. Les experts bénéficient d'un montant forfaitaire de 230 euros par demi-journée de séance, et la rémunération des experts dans les juridictions civiles est de 1 500 euros à 2 000 euros par dossier. Une rémunération plus faible est partiellement justifiée par le fait que les revenus du collège d'experts sont plus réguliers, mais cela ne suffit pas à compenser le déficit d'attractivité du collège d'experts.

S'agissant de la question de Vincent Capo-Canellas, je rappelle que le médicament relève d'une loi de 1998, qui transpose une directive européenne relative à la responsabilité pour les produits défectueux, texte qui prévoit une prescription de dix ans pour engager la responsabilité du fabricant. Ce délai de dix ans me paraît insuffisant tant il est vrai que les effets nocifs d'un médicament peuvent se révéler très longtemps après ; sans parler d'imprescriptibilité, l'exemple de l'Allemagne montre qu'il est envisageable de mettre en place une procédure spécifique pour les médicaments.

Concernant les coûts intermédiaires, il n'existe à ma connaissance aucun projet de faire peser ces coûts sur les laboratoires.

Autre précision, 240 titres de recettes sont actuellement contestés par Sanofi, ce qui fait peser sur les finances de l'Oniam des frais d'avocats, qui excèdent le coût du fonctionnement du collège d'experts. Il conviendrait certainement de renforcer temporairement l'équipe de juristes de l'Office pour procéder à ces recouvrements.

Je précise à l'attention de Roger Karoutchi que la Dépakine a bel et bien obtenu une autorisation de mise sur le marché, et que le contentieux porte sur la question de savoir si Sanofi a suffisamment alerté les autorités de santé. Cette question n'est pas tranchée à l'heure actuelle.

M. Roger Karoutchi . - Sanofi est une très grande entreprise, qui reçoit de considérables commandes de la part de l'État et qui bénéficie pour ces divers projets de subventions publiques importantes : j'ai du mal à comprendre que l'État ne dispose pas de moyens suffisants pour obliger ce laboratoire à assumer ses responsabilités concernant ce médicament défectueux qu'est la Dépakine !

Mme Frédérique Espagnac . - Il faut savoir qu'un tiers de la production mondiale de Dépakine est produit dans mon département et que Sanofi emploie dans son usine une cinquantaine de personnes. Pourtant, j'ose le dire, Sanofi est régulièrement mis en cause pour des rejets toxiques près de Pau. C'est pourquoi je rejoins Roger Karoutchi sur le fait que Sanofi se doit d'être exemplaire.

M. Christian Klinger , rapporteur spécial . - Mon intention n'est évidemment pas de faire le procès de Sanofi. Cela étant, j'observe une différence entre l'attitude de ce laboratoire et celle du laboratoire Servier, qui commercialisait le fameux Mediator et qui, aujourd'hui, rembourse l'intégralité du montant réclamé par l'Oniam au nom des victimes.

La commission a adopté les recommandations du rapporteur spécial et autorisé la publication de sa communication sous la forme d'un rapport d'information.

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES

Direction des affaires juridiques des ministères sociaux (DAJMS)

- M. Thomas BRETON, sous-directeur du contentieux ;

- Mme Hélène LUSSAN, cheffe du bureau de la médiation et de l'indemnisation.

Direction de la sécurité sociale (DSS)

- Mme Marion MUSCAT, adjointe à la sous-directrice de l'accès aux soins, des prestations familiales et des accidents du travail ;

- Mme Gabrielle de BUYER, cheffe du bureau des accidents du travail et des maladies professionnelles.

Office Nationale d'Indemnisation des Accidents Médicaux (ONIAM)

- M. Sébastien LELOUP, directeur général ;

- Mme Anne THAUVIN, directrice générale adjointe ;

- Mme Véronique DERUEL-VALLERAY, cheffe de service.

Association d'Aide aux Parents d'Enfants souffrant du Syndrome de l'Anti-Convulsivant (APESAC)

- Mme Marine MARTIN, présidente.

CONTRIBUTION ÉCRITE

- SANOFI.


* 1 Alexander, 1979 ; Brown et al., 1980 ; Robert, 1983.

* 2 Notamment Wyszynski et al., 2005 ; Weston et al., 2016.

* 3 Dean et al., 2002 ; Adab et al., 2004 ; Meador et al., 2008 ; Elkjaer et al., 2018.

* 4 Cohen et al., 2013 ; Wood et al., 2015 ; Christensen et al., 2019.

* 5 « Proposition pour un programme de recherche sur les effets de l'exposition in utero au valproate de sodium et autres antiépileptiques (AE) », INSERM, Septembre 2021, page 15.

* 6 Martin et al., 2021.

* 7 « Proposition pour un programme de recherche sur les effets de l'exposition in utero au valproate de sodium et autres antiépileptiques (AE) », INSERM, Septembre 2021, page 15.

* 8 Le « syndrome de l'anti-convulsivant » est une expression utilisée pour désigner l'ensemble des symptômes de l'exposition in utero au valproate de sodium. Cette expression est désormais peu employée dans la presse et la littérature scientifique, qui préfèrent parler directement de malformations et de troubles du neurodéveloppement.

* 9 Enquête relative aux spécialités pharmaceutiques contenant du valproate de sodium, IGAS, Février 2016, page 4.

* 10 Date d'entrée en vigueur de en vigueur de la loi n° 98-389 du 19 mai 1998 relative à la responsabilité du fait des produits défectueux

* 11 Tribunal judiciaire de Paris, 5 janvier 2022, n° 17/07001.

* 12 Ce qui inclut l'Agence nationale de sécurité du médicament.

* 13 Une exception existe lorsque la période avant consolidation est particulièrement brève : l'indemnisation peut être alors calculée au prorata temporis .

* 14 Le coût des actions récursoires n'avait pas été chiffré.

* 15 QI inférieur à 70 et troubles de l'adaptation sociale établis par des échelles standardisées.

* 16 Cette catégorie recoupe des signes caractéristiques de l'autisme qui ne sont cependant pas suffisants pour émettre un diagnostic d'autisme.

* 17 « Risque de troubles neurodéveloppementaux précoces (avant l'âge de 6 ans) associé à l'exposition in utero à l'acide valproïque et aux autres traitements de l'épilepsie en France », Étude de cohorte à partir des données du SNDS, Agence nationale de sécurité du médicament et Caisse nationale de l'Assurance maladie, juin 2018.

* 18 Consolider l'indemnisation publique dans le champ de la santé : enjeux et modalités du rapprochement entre le FIVA et l'ONIAM, IGF et IGAS, Février 2021, page 30.

* 19 Ibid.

* 20 La perte de revenus des proches est définie de cette façon dans la nomenclature Dintilhac : « il convient de réparer au titre de ce poste, la perte ou la diminution de revenus subie par les proches de la victime directe lorsqu'ils sont obligés, pour assurer une présence constante auprès de la victime handicapée d'abandonner temporairement, voire définitivement, leur emploi. »

* 21 « L'indemnisation des préjudices en cas de blessures ou de décès » (Référentiel Mornet), Benoît Mornet, Septembre 2021.

* 22 Réponse de l'APESAC au questionnaire du rapporteur spécial.

* 23 Référentiel Mornet, d'après la Commission européenne (conférence de Trèves de juin 2000) et le rapport Dintilhac

* 24 Rapport public annuel 2017, Cour des comptes, février 2017, p. 84.

* 25 Consolider l'indemnisation publique dans le champ de la santé : enjeux et modalités du rapprochement entre le FIVA et l'ONIAM, IGF et IGAS, février 2021, pages 25 et 27.

* 26 Au 31 mars 2022.

* 27 Consolider l'indemnisation publique dans le champ de la santé : enjeux et modalités du rapprochement entre le FIVA et l'ONIAM, IGF et IGAS, février 2021, page 45.

* 28 Consolider l'indemnisation publique dans le champ de la santé : enjeux et modalités du rapprochement entre le FIVA et l'ONIAM, IGF et IGAS, février 2021, page 46

* 29 Arrêté du 29 juillet 2020 fixant le montant des indemnités susceptibles d'être allouées aux membres du collège d'experts chargé d'instruire les demandes des victimes du valproate de sodium et de ses dérivés

* 30 La rémunération du Président est plus élevée : il dispose également d'une rémunération de 1 500 euros par mois, et ses indemnités sont de 300 euros au lieu de 230 euros.

* 31 Un même dossier Dépakine peut en effet être à l'ordre du jour de plusieurs séances du collège.

* 32 Les deux personnes « manquantes » dans le tableau correspondent aux dirigeants du service.

* 33 Au 30 juin.

* 34 Consolider l'indemnisation publique dans le champ de la santé : enjeux et modalités du rapprochement entre le FIVA et l'ONIAM, IGF et IGAS, Février 2021, page 50.

* 35 Consolider l'indemnisation publique dans le champ de la santé : enjeux et modalités du rapprochement entre le FIVA et l'ONIAM, IGF et IGAS, Février 2021, page 35.

* 36 Tartaglione et al., 2018.

* 37 « Proposition pour un programme de recherche sur les effets de l'exposition in utero au valproate de sodium et autres antiépileptiques (AE) », INSERM, Septembre 2021, page 15.

* 38 Par exemple, « Dépakine: Sanofi refuse de prendre sa part au fonds d'indemnisation des victimes », Le Point et AFP, 16 janvier 2019

* 39 Consolider l'indemnisation publique dans le champ de la santé : enjeux et modalités du rapprochement entre le FIVA et l'ONIAM, IGF et IGAS, février 2021, page 50

* 40 Au premier rang desquels, l'arrêt Blanco (Tribunal des conflits, 8 février 1873).

* 41 « Le droit administratif dans la société du risque. Quelques réflexions », Jean-Bernard Auby, 2005, dans le rapport public du Conseil d'État de 2005, « Responsabilité et socialisation du risque », page 351.

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