B. LA PRÉSERVATION DE L'INFLUENCE FRANÇAISE AU SEIN DES ORGANISATIONS INTERNATIONALES IMPOSE DE SOUTENIR L'EFFORT

1. Aux côtés du levier financier, la France dispose d'atouts pour préserver son influence qu'il ne faut ni négliger ni surestimer

Les auditions conduites par les rapporteurs ont été l'occasion pour les auditionnés de rappeler que la France dispose d'un certain nombre d'atouts pour aborder la compétition en matière d'influence au sein des organisations internationales.

D'une part, elle est un membre permanent du Conseil de sécurité des Nations-Unies ce qui lui donne un poids très important dans la définition de la politique de sécurité collective.

Cette présence est un actif essentiel mais les rapporteurs rappellent qu'elle ne saurait constituer, en soi, un argument suffisant pour justifier un moindre effort en matière de contributions volontaires.

En effet, le Royaume-Uni est également un membre du Conseil de sécurité des Nations-Unies , ce qui ne l'a pas dissuadé de mener une stratégie volontariste en matière d'influence au plan financier.

D'autre part, la France bénéficie d'une très forte présence de ses ressortissants parmi les agents qui travaillent pour les organisations internationales.

Nombre de ressortissants travaillant pour entité
relevant du système onusien

(en nombre de personnes)

Source : commission des finances d'après les données publiées par l'ONU

Ainsi, en 2020, les organisations du système onusien
employaient 4 364 agents de nationalité française , en faisant le deuxième pays en termes d'effectifs représentés.

Par ailleurs, le ministère des affaires étrangères a pu indiquer aux rapporteurs que la France figurait également, en dehors du système
des Nations-Unies, parmi les cinq plus importants pays d'origine des agents des institutions internationales.

Si cette présence constitue bien un levier de rayonnement et d'influence, les rapporteurs rappellent que cette situation n'est pas durable ne serait-ce que parce que les règles applicables au sein du système onusien tiennent compte, pour 55 %, du montant des contributions obligatoires versées pour répartir les recrutements en fonction de la nationalité .

Par ailleurs, si le nombre de français parmi les fonctionnaires internationaux est important (20 260 en 2020, soit 9 % des effectifs), le ministère des affaires étrangères note que la situation n'est pas satisfaisante en termes de niveau de responsabilité.

Il estime notamment que « les Français ne sont pas assez représentés aux postes les plus stratégiques des organisations internationales» .

Enfin, si les rapporteurs ont été sensibilisés à l'importance que joue, dans la stratégie d'influence française, le maintien et l'approfondissement de son aide bilatérale , ils rappellent que la France ne se distingue pas particulièrement dans ce domaine , comme l'ont rappelé récemment les sénateurs Jean-Claude Requier et Michel Canévet.

Répartition entre l'aide publique au développement bilatérale et
multilatérale en 2020

(en pourcentage de l'aide totale)

Source : rapport des sénateurs J-C Requier et M. Canévet fait au nom de la commission des finances sur les crédits de la mission Aide publique au développement au PLF pour 2022

En effet, au regard des versements assimilables à de l'aide publique au développement, la France mobilisait, en 2020, environ 74,5 % de ses efforts par le canal bilatéral, soit moins que les États-Unis ou l'Allemagne et autant que le Royaume-Uni.

L'argument souvent avancé lors des auditions d'une plus forte granularité de notre aide bilatérale qui permettrait à la France d'intervenir au plan diplomatique dans un nombre plus varié de territoires mériterait d'être davantage investigué.

En effet, il n'apparait pas, en première analyse et au regard des données mises à disposition par l'OCDE que la France soutiendrait par le canal de l'APD des États où n'interviendrait pas également l'un de ses principaux partenaires (Allemagne, Royaume-Uni, États-Unis...).

2. Le ministère des affaires étrangères défend une stratégie de renforcement des contributions volontaires

Interrogé par les rapporteurs, le ministère des affaires étrangères a rappelé que la France avait conduit, en 2021, un effort supplémentaire pour renforcer ses contributions volontaires , en particulier dans le champ de l'aide publique au développement.

En effet, le montant des contributions volontaires françaises a augmenté de plus de 960 millions d'euros entre 2020 et 2021 se trouvant, ainsi, porté à 2,27 milliards d'euros .

Liste des principales augmentations des
contributions volontaires en 2021

(en millions d'euros)

Source : commission des finances d'après les données publiées par l'ONU

Si ces efforts vont dans le sens d'un renforcement de nos investissements dans le multilatéralisme , les rapporteurs ne sont, toutefois, pas en mesure de déterminer quel sera le gain qui pourra en être tiré en matière d'influence faute de connaître, pour les comparer, les montants investis par nos partenaires.

S'agissant du seul Fonds vert pour le Climat, les documents financiers produits par l'organisation 8 ( * ) montrent, en tout cas, qu'en 2021, la France aurait contribué à hauteur 1 793,2 millions de dollars, soit davantage que l'Allemagne (1 689,3 millions de dollars) mais moins que
le Royaume-Uni (1 851,9 millions de dollars).

La hausse des dépenses en matière de contributions volontaires
en 2021 s'accompagne, au moins dans les mots, de l'affirmation d'une doctrine volontariste pour le ministère des affaires étrangères . Celle-ci s'articulerait autour de plusieurs priorités .

En premier lieu, le ministère souhaite « renforcer nos contributions financières volontaires » ce qu'il a déjà entamé de faire, en assurant un ciblage cohérent avec les priorités de la France.

L'appui à la Francophonie constitue, pour le ministère un axe essentiel, de même que le soutien aux organisations qui interviennent dans le champ de la sécurité internationale .

Au plan de la méthode, le ministère indique vouloir travailler à mobiliser davantage le vecteur des contributions fléchées versées pour la réalisation d'actions précises à certains programmes et fonds des Nations-Unies.

Les rapporteurs ne peuvent que souscrire à cet objectif en rappelant, toutefois, qu'ils considèrent qu'un pilotage efficace des contributions ne pourra se faire sans instituer les outils nécessaires au niveau interministériel et sans créer des référentiels de performance adéquats afin de suivre objectivement l'emploi des contributions.

En second lieu, et dans une perspective comparable à celle tracée par les rapporteurs, le ministère des affaires étrangères entend renforcer la coordination entre les services de l'État et les autres parties prenantes pour dégager une vue d'ensemble et définir des priorités collectives.

À ce stade, les initiatives lancées se sont limitées à la création du task force interministérielle sur le placement de personnels.

Il s'agit pour les rapporteurs d'une initiative positive et qui doit être amplifiée, notamment en la complétant d'un travail rapide sur les facteurs d'attractivité des organisations internationales en France .

3. Si la coordination européenne doit être renforcée, la France n'est pas en mesure de faire porter sa stratégie sur ce seul levier

Au-delà des deux axes de travail précités, le ministère des affaires étrangères a fait état à plusieurs reprises, lors des échanges avec les rapporteurs, de l'importance qu'il accorde au renforcement de la coordination des interventions au niveau européen.

À cet égard, plusieurs initiatives ont été engagées par le ministère des affaires étrangères.

D'une part, un effort de coordination a été lancé en 2021 dans la perspective de créer un dispositif commun avec l'Allemagne pour le placement de Jeunes experts associés (JEA) et de Volontaires des Nations-Unies (VNU).

Cette expérimentation concernait 4 postes en 2021 et pourrait, si elle donne satisfaction, se généraliser progressivement à l'ensemble des États intéressés au sein de l'Union européenne.

En parallèle, le ministère souhaiterait mettre en oeuvre un dialogue entre les États membres afin de favoriser l'élection de candidats européens aux organismes de direction des organisations internationales.

Enfin, la France et l'Allemagne se seraient entendues sur des priorités communes pour le versement de certaines contributions volontaires.

Les rapporteurs sont parfaitement convaincus du fait que des synergies doivent être trouvées avec nos partenaires de l'Union européenne afin de peser plus efficacement sur l'action des organisations internationales.

En effet, au sein du système onusien, les contributions versées par les États membres de l'Union européenne sont, en cumulé, les plus importantes.

Ainsi, les États membres, hors Royaume-Uni, ont versé,
en 2020, 12,8 milliards de dollars de contributions aux organisations onusiennes
dont 9,4 milliards de dollars sous forme de contributions volontaires.

Classement des principaux contributeurs au système des Nations-Unies en 2020 en agrégeant les versements des États membres de l'Union européenne

(en milliards de dollars)

Source : commission des finances d'après les données publiées par l'ONU

Dans ce contexte, l'Union européenne est au regard des contributions de ses membres, le premier financeur du système onusien, devant les États-Unis.

Par ailleurs, la capacité d'influence agrégée des États membres est particulièrement forte puisque l'UE se trouve être - par les contributions de ses membres - le premier financeur, en contributions totales,
de 35 organisations rattachées au système des Nations-Unies
.

En comparaison, les États-Unis ne sont les premiers contributeurs que d'une dizaine d'organisations onusiennes.

Capacité d'influence au regard du nombre d'organisations
où le pays ou l'entité est le premier financeur

(en nombre d'organisations relevant
du système onusien)

Source : commission des finances d'après les données publiées par l'ONU

Cette « force de frappe » potentielle de l'Union européenne constitue naturellement un levier sur lequel les rapporteurs invitent le ministère à s'appuyer tout en alertant, également, sur les limites de cet instrument qui ne présentera d'utilité qu'à la condition d'un renforcement préalable des contributions volontaires versées par les États européens autres que l'Allemagne.

En effet, l'analyse de la composition des contributions européennes indique que la France et ses partenaires se trouvent, sur ce sujet, dans une position particulièrement asymétrique vis-à-vis de l'Allemagne.

Ainsi, en 2020, les contributions de l'Allemagne au système onusien représentaient, 44,4 % des versements effectués par l'ensemble des États membres de l'Union européenne , hors Royaume-Uni, contre 9 % pour la France .

Répartition des financements aux organisations du système
onusien entre les États membres de l'Union européenne

(en pourcentage)

Source : commission des finances d'après les données publiées par l'ONU

Cette proportion est encore plus importante si l'on s'intéresse aux seules contributions volontaires puisqu'en ce cas l'Allemagne
représentait 51,2 % des versements au système onusien en 2020 .

Répartition des financements sous forme de
contributions volontaires aux organisations du système
onusien entre les États membres de l'Union européenne

(en pourcentage)

Source : commission des finances d'après les données publiées par l'ONU

Enfin, la prédominance de l'Allemagne est également manifeste lorsque l'on s'attache à regarder lequel des États membres de l'Union européenne est le premier contributeur européen aux organisations onusiennes.

En l'espèce, en 2020, l'Allemagne est le premier financeur européen de 28 organisations internationales rattachées aux Nations-Unies tandis que la France ne l'était que pour 5 d'entre elles devancée, du reste, par la Suède.

Capacité d'influence au regard du nombre d'organisations onusiennes
où l'État membre est le premier financeur européen

(en nombre d'organisations relevant
du système onusien)

Source : commission des finances d'après les données publiées par l'ONU

Dans ces conditions, on discerne difficilement quel pourrait être l'intérêt de l'Allemagne à s'intégrer dans une stratégie de coordination avec ces partenaires européens alors qu'elle occupe déjà une position dominante en la matière.

En tout état de cause, la France entrerait dans une négociation avec une position très affaiblie.

Aussi, les rapporteurs appellent à mobiliser autant que possible le levier européen , en ne limitant pas, néanmoins, l'exercice de coordination à un dialogue uniquement avec l'Allemagne et en renforçant , par ailleurs, la position de financeur de la France auprès des organisations internationales.

Recommandation n° 9 : Augmenter le niveau de nos contributions volontaires de sorte à réduire l'écart avec nos principaux partenaires au sein des organisations stratégiques par rapport à nos priorités.

Recommandation n° 10 : Favoriser le dialogue avec une diversité d'États membres de l'Union européenne pour permettre des interventions coordonnées en matière d'investissements et de soutien aux candidatures aux fonctions décisionnelles dans les organisations internationales.


* 8 https://www.greenclimate.fund/sites/default/files/document/gcf-b29-inf02.pdf.

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