EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 26 janvier 2022 sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission a entendu une communication de MM. Vincent Delahaye et Rémi Féraud, rapporteurs spéciaux, sur les contributions de la France au financement des organisations internationales.

M. Claude Raynal , président . - Je laisse la parole aux rapporteurs spéciaux de la mission « Action extérieure de l'État » pour nous présenter les conclusions de leur contrôle sur les contributions de la France au financement des organisations internationales.

M. Rémi Féraud , rapporteur spécial . - Nous nous sommes intéressés aux contributions financières que verse la France au système multilatéral et plus particulièrement au système onusien. Nos ambitions étaient multiples.

Nous souhaitions obtenir une évaluation des dépenses en faveur du multilatéralisme puisque nous n'en disposons pas chaque année dans le cadre, par exemple, de l'examen des lois de finances.

Nous voulions comprendre comment nos contributions sont calculées et quels sont les facteurs de leur évolution dans le temps.

Nous souhaitions nous assurer que ces dépenses sont suivies et pilotées efficacement.

Et, enfin, nous voulions dresser un état de lieu de notre position financière et donc de notre influence au sein du système multilatéral, sujet sur lequel reviendra notamment Vincent Delahaye.

Nous avons sollicité très largement l'administration, que ce soit par le biais du ministère des affaires étrangères ou du ministère du budget afin d'obtenir plusieurs documents très utiles, notamment chiffrés. Nous les remercions pour le travail fourni et pour nos échanges. Nous avons par ailleurs, échangé avec une chercheuse de l'Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS), Madame Magali Chelpi-den Hamer, qui a réalisé un travail en lien avec notre sujet que vous pourrez trouver sur le site de l'IRIS.

Au cours de notre contrôle, un constat s'est imposé rapidement.

La dépense en faveur des institutions internationales est éparpillée entre de nombreux ministères, missions et programmes budgétaires. Cela ne concerne donc pas seulement le ministère des affaires étrangères.

Si chaque ministère sait combien il verse, aucun exercice de synthèse n'est fait au niveau interministériel. Cela fait que chaque année, l'État dans son ensemble n'a aucun outil pour savoir combien il verse au système multilatéral.

En conséquence, l'exercice de pilotage ne se fait qu'au niveau ministériel et pas au niveau de l'État dans son ensemble, ce qui nous semble être un problème. Nous avons, dans ce contexte, pris beaucoup de temps pour être en mesure d'évaluer le coût des contributions internationales de la France.

Pour le ministère des affaires étrangères, les contributions internationales s'élevaient à 2,2 milliards d'euros en 2021. Un tiers est porté par la mission Action extérieure de l'État au titre du financement du système onusien, c'est-à-dire des opérations de maintien de la paix, du budget des agences et du budget ordinaire. Deux tiers sont portés par la mission Aide publique au développement avec pour principaux bénéficiaires le Fonds européen de développement, l'Alliance du vaccin GAVI et le Haut-Commissariat aux réfugiés de l'ONU.

Sur le périmètre de l'État, l'évaluation a été plus compliquée. En effet, depuis la suppression d'un document de politique transversale consacrée à l'action extérieure de l'État en 2019, il n'y a plus d'exercice de synthèse. Pour nous fournir des réponses, il a fallu que la direction du budget lance une enquête à notre demande auprès des autres ministères pour construire un tableau de synthèse.

En clair, si le Président de la République, le Premier ministre mais aussi les parlementaires veulent, à un moment « T », savoir combien la France verse et à qui, l'information n'était en pratique pas disponible.

Au final, après un travail de recherche, nous avons évalué le montant des contributions internationales à 5,6 milliards d'euros en 2021 dont 56,5 % de contributions obligatoires.

Les trois principaux ministères concernés sont celui des affaires étrangères, de la recherche et de l'enseignement supérieur et enfin de l'économie.

Environ 210 organisations, programmes ou fonds perçoivent une contribution française, notamment l'Agence spatiale européenne, le Fonds européen de développement et l'Association internationale de développement de la Banque mondiale.

L'absence d'information agrégée nous semble être un véritable problème. Nous proposons donc de rétablir un document de politique transversale visant à présenter la synthèse des contributions versées chaque année ce qui permettra d'exercer un contrôle parlementaire plus simple et efficace.

Faute d'information agrégée, par ailleurs, le pilotage est défaillant. Il s'exerce au niveau du ministère des affaires étrangères qui a créé un comité de pilotage qui joue un rôle utile mais qui nous paraît perfectible. Au niveau interministériel, il existe un comité relatif à l'aide publique au développement. Pour autant, cela exclut un volume important de contributions qui interviennent dans d'autres domaines.

Nous proposons de renforcer les capacités de pilotage des contributions internationales sur trois volets principalement.

D'abord, en confiant au ministère des affaires étrangères la tâche de réaliser un référentiel de la performance des organisations internationales qui, aujourd'hui, n'existe pas.

Ensuite, en évaluant et en renforçant les moyens humains dédiés au suivi budgétaire des organisations internationales, ce qui mobilise aujourd'hui une vingtaine de personnes environ au ministère des affaires étrangères.

Enfin, en confiant à une structure interministérielle la mission d'assurer un suivi et un pilotage des contributions internationales en produisant des éléments d'analyse et des recommandations.

Enfin, nous avons détecté qu'il existait aujourd'hui un risque important lié à la question des taux de change et du risque de change. En effet, environ 12 % des contributions internationales sont versées en devises, en particulier en dollars.

Il en résulte des difficultés au moment de la construction du projet de loi de finances et de son exécution puisque les taux de change sont susceptibles d'évoluer et, ainsi, de générer un gain ou une perte au change. Le ministère des affaires étrangères nous a d'ailleurs indiqué que lorsqu'il y a un gain, celui-ci est « gelé » par le ministère du budget afin de faire face à d'éventuels aléas en gestion. Il considère que cette situation est asymétrique puisque lorsqu'il y a une perte, le ministère du budget pèserait pour qu'elle soit couverte par des redéploiements budgétaires plutôt que par des crédits nouveaux.

Pour limiter le risque de change, un mécanisme de couverture de change a été mis en oeuvre avec l'Agence France Trésor et systématiquement activé depuis 2017 mais ne l'a pas été en 2022.

Nous avons identifié deux difficultés.

D'abord, il n'existe pas de doctrine claire sur la pratique à suivre lorsque le taux de change de marché a dévié de façon importante par rapport au taux de budgétisation au moment du dépôt du projet de loi de finances. Faut-il modifier les crédits du PLF pour maintenir le pouvoir d'achat en devises ? Faut-il laisser au ministère le soin de faire des redéploiements au sein de son budget et d'assumer ses pertes ou ses gains ? Visiblement, ce serait la seconde solution qui prévaudrait aujourd'hui, non sans difficultés.

Ensuite, le ministère des affaires étrangères peut décider de recourir ou non au mécanisme de couverture au risque de s'exposer à une sérieuse perte au change, ce qui est le cas cette année. Il y a environ déjà 30 millions d'euros de perte et il est possible que montant s'accroisse encore si rien n'est fait.

Nous recommandons donc d'établir une doctrine s'agissant des décisions à prendre lorsque les taux de change ont évolué sensiblement entre la budgétisation et le dépôt du projet de loi de finances et de rendre systématique l'activation de la couverture de change afin d'éviter une prise de risque.

L'esprit du vote du budget n'est pas de se situer dans une logique de prise de risque face à l'évolution des taux de change mais bien que l'administration bénéficie des crédits votés pour financer les politiques publiques.

M. Vincent Delahaye , rapporteur spécial . - Nous nous sommes interrogés sur l'influence de la France au sein des organisations internationales au regard des financements qu'elle apporte.

Les contributions sont un levier d'influence majeur et dans certaines organisations il y a même un « ticket minimal » de financement à apporter pour participer aux organes décisionnels.

Le montant des contributions est également pris en compte pour répartir, entre chaque nationalité, le niveau des effectifs d'agents au sein des organisations internationales.

Dans ce contexte, la France est amenée parfois à soutenir certaines organisations afin de favoriser la nomination ou le maintien à des fonctions de direction de certains de nos compatriotes. On a pu le constater récemment dans le cas des financements accordés à l'ONU en faveur du maintien de la paix, dont les opérations sont dirigées par un français. En sens inverse, on a pu constater dans nos échanges avec l'administration et des experts que la faiblesse de nos contributions dans certaines organisations comme le Programme alimentaire mondial pouvait limiter notre influence.

Nous avons travaillé sur une quarantaine d'organisations du système onusien. Ce choix est justifié par la volonté de travailler sur un périmètre pleinement international, là où d'autres organisations à l'instar de l'Agence spatiale européenne ou de l'OTAN ont une dimension plus strictement européenne ou occidentale.

Au total, le montant des contributions étatiques perçues par les organisations internationales que nous avons examinées s'élève, en 2020,
à 42,2 milliards de dollars. La part de la France s'élève à 1,1 milliard de dollars, soit 0,9 milliard d'euros.

Nous avons choisi le système onusien également parce qu'il fournit un volume important et exploitable d'informations financières, ce qui n'est pas le cas de beaucoup d'autres organisations.

Nous faisons d'ailleurs la recommandation que l'État se dote d'un outil de veille permettant de suivre, sur longue période et pour l'ensemble des organisations, l'évolution des contributions versées par l'ensemble des donateurs. L'absence d'un outil de cette nature au niveau de l'État constitue un vrai manque si l'on veut mettre en place une véritable stratégie de pilotage et de ciblage de nos contributions internationales.

On s'aperçoit, à l'issue de cette analyse, sans surprise, de la place prépondérante des États-Unis qui assurent plus du quart des financements au système onusien avec 11,6 milliards de dollars en 2020, loin devant l'Allemagne et la France.

Un second constat est l'importance des contributions volontaires dans le mode de financement des États. Elles sont majoritaires pour l'ensemble des principaux financeurs à l'exception notable de la Chine et de la France.

Or, la Chine voit augmenter très rapidement le montant de ses contributions obligatoires compte tenu de sa place croissante dans l'économie mondiale. Elle a donc moins besoin que nous de mobiliser les contributions volontaires pour accroître son poids dans le financement du système onusien.

Dans le classement des contributeurs au système onusien, nous occupions la septième place en 2020 mais cette position fluctue depuis 2013. On observe, surtout, une contraction du poids de la France dans l'ensemble des financements versés au système onusien. Nous représentions 3,7 % des contributions étatiques perçues par les organisations onusiennes en 2010, nous n'en représentions plus que 2,7 % en 2020. Cela résulte du recul de notre position au sein de l'économie mondiale, à comparer à la montée en puissance de la Chine et de certains pays émergents. On peut se consoler car nous ne sommes pas les seuls dans ce cas qui concerne l'essentiel du monde occidental, États-Unis compris.

Nous faisons le constat qu'en matière de contributions volontaires, la France a fait preuve d'attentisme au cours de la dernière décennie.

Nous étions mal placés au début des années 2010 puisque nous représentions 0,9 % de l'ensemble des contributions volontaires perçues par le système onusien en 2013. Nous sommes passés à 1,6 % en 2020 ce qui est positif et témoigne d'un effort. Pour autant cet effort, équivalent à une hausse d'environ 180 millions de dollars de nos contributions sur la période, se compare assez difficilement à celui concédé par nos partenaires. Ainsi, l'Allemagne a augmenté de 2,9 milliards de dollars le montant de ses contributions volontaires sur la même période.

En moyenne annuelle, nos contributions aux diverses organisations onusiennes ont évolué dans des proportions bien moins importantes que celles de l'Allemagne, de la Chine ou du Royaume-Uni.

La Chine augmente ses contributions, notamment obligatoires, mais cible également très bien ses contributions volontaires. Par exemple, elle a augmenté ses contributions volontaires à l'Union internationale des télécommunications (UIT) d'environ 60 % chaque année pendant sept ans. Cela lui offre une influence très importante au sein de cette organisation qui est l'une des enceintes de définition des standards internationaux en matière de télécommunication.

Le rapport contient un tableau qui croise, pour la France et plusieurs pays, l'évolution moyenne de nos contributions et de notre part dans les financements totaux perçus par plusieurs organisations onusiennes. On remarque que la France n'a pas adopté une position véritablement marquée en matière d'engagement ou de désengagement financiers comparativement à d'autres pays. En contrepartie nous n'avons pas non plus augmenté significativement notre poids dans le financement des organisations, c'est-à-dire notre influence. Nous sommes un peu le ventre mou de ce tableau.

Dans la compétition pour l'influence au sein des organisations internationales, la France a des atouts qu'il ne faut ni négliger ni surestimer.

Nous sommes membres du Conseil de Sécurité des Nations unies.

Nous bénéficions d'une forte présence de nos compatriotes dans les effectifs des agences onusiennes. Nous sommes, en effet, le deuxième pays après les États-Unis avec 4 364 Français employés par ces organisations. Cela ne devrait pas durer puisque les règles de recrutement tiennent compte du poids de chaque pays dans le financement du système onusien. Or, comme nous l'avons vu, notre poids se réduit. En outre, sur ce sujet, nous observons que si les Français sont nombreux parmi les effectifs, ils occupent moins souvent des postes à responsabilité.

Depuis 2021 au moins, le ministère des affaires étrangères défend une stratégie de renforcement des contributions volontaires.
Entre 2020 et 2021, le montant de ces contributions a augmenté de près
de 960 millions d'euros, alloués notamment au Fond vert pour le climat, à l'alliance pour le vaccin et l'Association internationale de développement de la banque mondiale.

Nous ne sommes pas, à ce stade, en mesure de dire comment cet effort financier se traduira en termes d'influence faute de disposer d'éléments de comparaison avec nos partenaires.

Le ministère souhaite donc renforcer nos contributions volontaires et il me semble que nous ne pouvons que partager cet objectif.

Il souhaite assurer un meilleur ciblage par rapport à nos priorités. Or, comme nous l'avons évoqué, nous n'avons pas l'impression que l'État dispose pour l'instant de tous les moyens permettant d'assurer un pilotage et un ciblage efficace.

On sent que des efforts ont été faits pour créer, par exemple, une équipe d'appui au niveau interministériel pour favoriser le placement de personnels. Nous considérons que c'est une initiative positive qui devra être complétée d'un travail rapide sur les facteurs d'attractivité de la France pour l'installation des organisations internationales.

Enfin, le ministère souhaite renforcer la coordination européenne.

Il faut savoir qu'en agrégeant les contributions des États membres de l'Union européenne, nous sommes le principal contributeur au système onusien, devant les États-Unis. Pour autant, il faut tenir compte du fait que nous nous situons, sur le plan financier, dans une position très asymétrique par rapport à l'Allemagne. Elle est le premier contributeur européen dans près de 28 organisations onusiennes contre 6 pour la France. L'Allemagne n'a donc pas le même intérêt que la France à coordonner au niveau européen les efforts financiers en faveur des organisations internationales. Nous avons donc intérêt, il nous semble, à diversifier le nombre de nos interlocuteurs européens.

M. Claude Raynal , président . - Vous avez évoqué les plus de 4 000 français employés par les organisations du système onusien, certains d'entre eux sont-ils des fonctionnaires français mis à disposition ? Disposez-vous de chiffres permettant d'évaluer la part relative de ces mises à disposition par rapport aux effectifs employés directement par les organisations ?

M. Jean-François Husson , rapporteur général . - L'absence de pilotage interministériel de la dépense me paraît poser une vraie difficulté, surtout lorsqu'elle est rapportée au volume de crédits dédiés aux organisations internationales. Je pense qu'il est indispensable d'aller vers davantage de transparence pour permettre à l'État de mieux appréhender l'ampleur des efforts réalisés.

Je partage le constat des rapporteurs spéciaux selon lequel il faut que la France mène des initiatives au niveau européen pour contrer l'influence grandissante de certains pays émergents. Je suis également d'accord sur l'importance de consolider rapidement notre ambition européenne.

M. Rémi Féraud . - Pour répondre en partie à la préoccupation du rapporteur général, nous pensons qu'il est nécessaire de rétablir le document de politique transversale, supprimé en 2019, consacré à « l'action extérieure de l'État » et dont l'un des chapitres offrait une vision synthétique des contributions versées aux organisations internationales. Nous pensons que le rétablissement de ce document pourrait être tout aussi utile aux parlementaires qu'à l'exécutif lui-même, puisqu'il ne dispose pas d'une vision consolidée de ses contributions internationales.

M. Vincent Delahaye . - Pour répondre à l'interrogation de M. le Président, j'ajouterai que les plus de 4 000 fonctionnaires français travaillant au sein des organisations internationales sont très majoritairement employés directement par ces structures. Cependant, nous ne disposons pas de chiffres permettant d'apprécier la part des mises à disposition de fonctionnaires par la France.

M. Roger Karoutchi . - Pour ma part, je déplore l'absence de coordination entre les versements que nous faisons aux fonds européens d'aide au développement et l'action que nous menons, en propre, avec l'Agence française de développement. Cette absence de coordination est d'autant plus incompréhensible que ces deux actions sont placées sous la tutelle d'un même ministère. Il me semblerait plus logique de coordonner de façon plus claire les versements que nous effectuons de manière forfaitaire à destination des fonds européens avec les opérations que nous menons dans le cadre AFD.

Concernant l'influence de la France, il est incontestable que nous avons beaucoup de nationaux français qui participent aux organisations internationales. Mon expérience d'ambassadeur auprès de l'OCDE m'a néanmoins permis de constater que la France appuyait assez peu ses nationaux au sein des organisations internationales. Alors que les gouvernements des autres pays intervenaient pour que des postes stratégiques soient confiés à leurs ressortissants, le Gouvernement français se refusait généralement à mener une telle stratégie d'influence et renvoyait aux méthodes de sélection des organisations internationales.

Si la qualité des candidats français permet bien de décrocher quelques postes à responsabilité, les Français sont de moins en moins nombreux au sein de ces organisations, alors même que les candidats des autres États n'étaient pas toujours excellents, tant s'en faut. Le Quai d'Orsay en particulier se refuse à jouer ce rôle d'influence pour permettre aux Français d'avoir accès aux postes stratégiques.

M. Michel Canévet . - Le sujet des contributions aux organisations internationales est particulièrement important. J'abonderai dans le même sens que Roger Karoutchi : il est indispensable qu'il y ait de la cohérence entre les versements que nous effectuons au profit des organisations internationales et les actions que nous menons avec nos propres outils. Je pense que cette coordination doit impérativement être renforcée au niveau européen.

J'ai lu avec intérêt la recommandation numéro neuf du rapport, qui recommande une augmentation du niveau des contributions volontaires. Une telle recommandation mérite d'autant plus d'être soulignée qu'elle s'éloigne de la ligne de conduite habituelle de Vincent Delahaye. Pour autant, est-ce que l'influence ne se mesure qu'au montant des contributions ? N'existe-t-il pas d'autres moyens pour renforcer notre influence ?

Je souhaite enfin évoquer le train de vie d'un certain nombre d'organisations internationales. Je pense que celui-ci est parfois en contradiction avec l'objet même des missions qui leur sont confiées. Il y a tout de même une forme de contradiction à intervenir dans l'humanitaire et voyager en classe « Business », loger dans les plus grands hôtels et dîner aux meilleures tables. Je pense qu'il faudra se pencher sur ces questions. Les organisations doivent être exemplaires dans leur façon de fonctionner.

M. Hervé Maurey . - Je voudrais à mon tour remercier et féliciter les rapporteurs pour ce rapport très intéressant, mais tout de même un peu effrayant. Je trouve effectivement effrayant que l'État ne connaisse pas le montant des sommes qu'il consacre aux organisations internationales, surtout quand il s'agit de sommes importantes. Je trouve également effrayant que la part de la Chine dans les organisations internationales soit de plus en plus forte. Vincent Delahaye prenait l'exemple de l'organisation internationale des télécoms ; on peut aussi citer l'exemple de l'Organisation pour l'alimentation et l'agriculture (FAO), dont le directeur est pour la première fois un Chinois, qui a battu une candidate française. Cela montre que quand on a des candidats, et même de bons candidats, ils peuvent être battus aujourd'hui par des Chinois, de par cette montée de leur influence. Je me demande - mais vous n'aurez peut-être pas d'explication - pourquoi cette synthèse, qui existait jusqu'en 2019, a été supprimée. Pourquoi, quand il y a des gains de change, le Quai d'Orsay n'en bénéficie-t-il pas alors qu'il ne bénéficie, si je puis dire, que des pertes ? Pourquoi, selon les années et sans doute selon le bon vouloir de ceux qui sont responsables de cette décision, ne prend-on pas toujours une couverture de change ? Enfin, et c'est peut-être la question la plus cruciale, comment renforce-t-on nos contributions volontaires, quand on connaît nos contraintes budgétaires globales ? Est-ce qu'on le fait à enveloppe constante en diminuant certaines contributions, mais lesquelles, ou va-t-on dans le sens - ce qui se fait beaucoup en ce moment, en cette période électorale - de prendre des mesures ou de faire des propositions qui creusent encore les déficits que nous combattons par ailleurs matin, midi et soir ?

M. Albéric de Montgolfier . - Je voudrais à nouveau remercier les deux rapporteurs, notamment de leur proposition visant à rétablir le document de politique transversale. Je crois que le constat est partagé que nous n'avons pas assez de vision transversale sur un montant de 5,6 milliards d'euros, et l'intérêt de ce contrôle est notamment d'avoir permis d'évaluer cette dépense. Ma question concerne l'UNESCO, dont le siège est à Paris. puisque les États-Unis s'étaient retirés, du temps du précédent président, et qu'un certain nombre de pays dont la France, me semble-t-il, avaient annoncé qu'ils augmenteraient leur contribution ou qu'ils compenseraient la perte de contribution américaine, est-ce que cela a été fait et est-ce que, avec la nouvelle administration, il y a eu un signal d'un éventuel retour ?

M. Emmanuel Capus . - Je partage l'analyse sur le fait qu'il y a un effort de pilotage interministériel et de synthèse à effectuer. Nous savons tous intuitivement qu'il y a un rééquilibrage au niveau international vers l'Asie, et que ce qui a été dit est donc tout à fait logique sur le fait que la part des contributions européennes, voire américaines, diminue substantiellement. Il a été beaucoup dit que la France contribuait moins à l'ensemble de ces organismes que l'Allemagne notamment. Je voudrais savoir - parce qu'il y a d'autres façons d'intervenir sur la scène internationale au service de la collectivité mondiale - si les participations en nature de la France, notamment de nos armées dans l'ensemble des opérations menées dans le monde, sont valorisées, évaluées. C'est en effet une contribution qui mérite d'être mise en avant, une contribution financière - mais l'actualité récente nous rappelle que c'est aussi une contribution par le prix du sang - de telle sorte qu'il me semble que si elle n'est pas évaluée, il faudrait trouver un moyen de la valoriser, parce que c'est un apport différent de celui de certains de nos partenaires.

M. Claude Raynal , président . - J'ai moi-même deux interrogations complémentaires. Comment pourrait-on mieux faire, sur le plan européen, pour avoir une influence plus grande en associant l'ensemble des pays européens ? C'est une question légitime, mais à mettre en parallèle avec notre positionnement sur le siège au niveau du conseil de sécurité. En effet, nous avons là une vision de conservation, si je puis dire, certainement pas de siège européanisé. Est-ce que nos partenaires nous demandent si notre approche européenne sur les contributions et sur l'influence, nous serions prêts à la partager aussi sur le conseil de sécurité ? Avez-vous un peu regardé ce sujet ?

D'autre part, sur la stratégie d'influence, j'ai une petite expérience car j'ai fait fonction de premier conseiller dans une ambassade et j'ai des souvenirs très précis sur les Français mis à la disposition d'une organisation internationale. Le fonctionnaire français mis à disposition d'une organisation internationale n'est plus français. il n'a de français que le partage de la langue, mais n'utilise pas sa position pour influencer au bénéfice de son pays, contrairement à d'autres, que je ne citerai pas par discrétion, qui sont beaucoup plus allants sur le sujet. Avez-vous également regardé ce point ?

M. Vincent Delahaye . - Roger Karoutchi nous ayant parlé de l'AFD, je renvoie la question sur Michel Canévet et Jean-Claude Requier, qui travaillent sur ce sujet-là en tant que rapporteurs des crédits de la mission Aide publique au développement. Sur la coordination de notre politique de développement avec celle des organisations internationales, je pense que c'est un domaine dans lequel nous avons des marges de progrès. Il me paraît comme à mon collègue Michel Canévet important de bien regarder le train de vie des organisations internationales ou des opérateurs, et notamment de l'AFD, de son siège et de ses rémunérations. Concernant la stratégie d'influence et le fait que nous ne soyons pas suffisamment proactifs sur les postes stratégiques, je rejoins un peu ce que vient de dire le président Raynal.

M. Roger Karoutchi . - En réalité, les fonctionnaires français qui sont employés dans les organismes internationaux à des postes clés savent très bien que le gouvernement, que les autorités françaises n'ont rien fait pour eux. Un Américain, lui, sait que l'État américain a usé de son influence pour qu'il soit là, il le doit aux États-Unis et il leur rend compte. Le fonctionnaire français, ou celui qui a été recruté par une organisation internationale, pense que la France n'a rien fait pour lui, que sa place est due à ses mérites et à partir de là, vous ne pouvez rien lui demander.

M. Vincent Delahaye . - Roger Karoutchi a donc répondu au président Raynal à ma place ! C'est une réalité et je pense qu'il y a aussi une tradition française qui fait que lorsqu'on est dans un organisme, on considère qu'on est international et qu'on est au service international avant d'être français. Dans d'autres pays, et pas uniquement aux États-Unis, ce raisonnement-là n'est pas forcément tenu. On rappelle en tout cas qu'il y a aussi une nécessité de faire en sorte que les intérêts du pays soient bien défendus. Il est vrai que c'est peut-être un changement à la fois de mentalité et de culture qu'il faudrait obtenir.

Sur l'augmentation des contributions volontaires, nous ne sommes pas rentrés dans le détail mais cela participe quand même de la stratégie d'ensemble, du pilotage et du ciblage. On a l'impression qu'aujourd'hui, cette stratégie est peu présente. Or, il faudrait peut-être diminuer nos contributions à certaines organisations dans lesquelles notre influence reste très limitée, voire nulle. En ciblant mieux, en faisant peut-être quelques impasses, nous pourrions, avec les moyens existants, renforcer nos contributions volontaires là où il le faut et là où c'est important pour nous en termes d'influence.

Je reviens sur l'influence, qui est quand même une faiblesse de la France. Au niveau européen, nous sommes très peu présents, nous avons peu d'influence par rapport à beaucoup d'autres pays, qui se débrouillent beaucoup mieux que nous. C'est sans doute culturel, on n'y attache pas assez d'importance, alors que cette influence est fondamentale et peut avoir beaucoup de conséquences sur nos choix.

Pour répondre à Emmanuel Capus quant à savoir si les participations en nature, c'est-à-dire par exemple par la mise à disposition de casques bleus, sont valorisées, ce n'est pas le cas. Les données concernent le seul vecteur financier. Il est vrai que les interventions militaires nous coûtent très cher et ne nous permettent pas forcément d'avoir beaucoup plus d'influence.

M. Rémi Féraud . - Concernant le risque de change, l'objectif du mécanisme de couverture n'est pas de réaliser un gain au change mais de permettre au ministère dépensier, ici le ministère des affaires étrangères, de se décharger du risque et de pouvoir raisonner avec des ressources en euros et un pouvoir d'achat en dollar qui soit figé. La décision d'activer le mécanisme lui revient et l'agence France Trésor n'intervient que dans la mise en oeuvre de la couverture de change, pas dans sa décision.

Il n'y a en réalité pas de doctrine absolue et cette année, nous sommes pour la première fois depuis cinq ans dans une absence de couverture de risque de change car, entre l'élaboration du budget au milieu de l'année 2021 et son vote en fin d'année, il y a déjà eu une perte de change de 30 millions et le ministère des affaires étrangères a préféré - pour des raisons qu'il assume et défend - ne rien faire pour le moment.

Je ne sais pas s'ils espèrent que la situation sur les marchés lui sera plus favorable au début de 2022, mais cela rentre plus probablement dans une forme de rapport de force avec Bercy. Il n'est pas logique que cela ne soit pas pris en compte. J'imagine que, pour le budget de l'État dans son ensemble, ces montants sont faibles, mais ils sont importants pour le ministère des affaires étrangères. Même si le risque en lui-même n'est pas énorme pour le ministère des affaires étrangères, cela change beaucoup de choses car la perte peut s'accroître - c'est même ce qui est en train de se passer aujourd'hui. C'est pour cette raison que nous pensons qu'il faut rendre systématique le principe de la couverture de change. En outre, en tant que parlementaires, nous ne votons pas un budget en espérant des gains sur le change, de même que nous voulons éviter les pertes.

Enfin, l'UNESCO est l'une des organisations internationales où la France a le plus exercé son volontarisme financier ces dernières années, justement pour compenser le retrait américain en augmentant les contributions volontaires de la France. Je crois que leur montant total en 2020 a atteint 8,5 millions d'euros, soit une multiplication par cinq depuis 2011. La France a donc bien réagi aux décisions de l'administration Trump, mais je ne sais pas quelles sont les décisions qu'a prises l'administration Biden sur le retour des États-Unis à l'UNESCO et leur participation financière.

M. Claude Raynal , président . - Merci, Messieurs les rapporteurs, pour cette communication.

La commission autorise la publication de la communication des rapporteurs spéciaux sous la forme d'un rapport d'information.

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