D. MANIFESTER LA SINCÉRITÉ DE NOTRE DÉMARCHE EN ADOPTANT, SANS PLUS TARDER, UNE DISPOSITION LÉGISLATIVE FACILITANT LA RESTITUTION DES RESTES HUMAINS IDENTIFIÉS

La réflexion sur les voies possibles de restitution des restes humains patrimonialisés a beaucoup progressé depuis la loi du 18 mai 2010 de restitution des têtes maories, grâce au travail amorcé dans le cadre de la CSNC et poursuivi par le groupe de travail pluridisciplinaire mis en place conjointement par le ministère de la culture et le ministère de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation et animé par Michel Van Praët. Une unanimité semble aujourd'hui se dessiner pour estimer que les restes humains, même patrimonialisés, présentent des spécificités qui justifient qu'un traitement particulier soit réservé aux demandes de restitution les concernant, dès lors qu'ils sont identifiés avec certitude.

Les collections de restes humains provenant de peuples étrangers , susceptibles d'être l'objet d'éventuelles demandes de restitutions, représentent une part minoritaire des restes humains conservés dans l'ensemble des collections. Une enquête réalisée entre 2015 et 2017 auprès des musées de France et des universités en a évalué le nombre de pièces à 7 000, réparties dans plus de 60 établissements publics , sur un total de 150 000 restes humains conservés dans l'ensemble des collections.

Une partie d'entre eux proviennent de dépôts effectués dans des musées par des personnes privées : leur restitution est possible avec l'accord du propriétaire privé, puisqu'ils ne sont pas concernés par l'inaliénabilité des collections.

Mais, une part significative des restes humains patrimonialisés est entrée dans les collections publiques par dons ou legs , dans la mesure où la dignité attachée au corps humain reste protégée par-delà la mort, ce qui signifie que ces collections ne peuvent être ni achetées, ni vendues, mais seulement acquises par libéralité. Ces pièces sont alors protégées par le principe d'inaliénabilité des collections et ne peuvent pas, de surcroît, être déclassées. Aujourd'hui, seule une intervention spécifique du législateur peut autoriser leur sortie des collections.

D'où l'enjeu de dégager des critères pertinents pour permettre des restitutions ponctuelles et légitimes de restes humains revendiqués par un pays tiers sans alourdir le travail parlementaire avec l'adoption de lois spécifiques . C'est à cette tâche que s'est attelée le groupe de travail interministériel et pluridisciplinaire, estimant nécessaires le fait :

- qu'il s'agisse de restes humains identifiés : il peut s'agir de restes d'individus précisément nommés ou de restes d'individus non nommés, mais dont l'appartenance à un pays ou à une communauté est identifiable ;

- que la demande émane d'un État démocratiquement élu relayant le souhait d'une famille ou d'une communauté existante : la demande doit être portée par un peuple vivant dont les traditions perdurent, ce qui peut s'apparenter à une sorte de condition d'ancienneté ;

- que la demande de restitution soit justifiée à la fois au regard du principe de dignité humaine , ce qui fait référence aux conditions dans lesquelles les restes ont été collectés, et dans la perspective du respect des cultures et croyances des autres peuples , ce qui renvoie à la finalité de la restitution ;

- que cette restitution permette d'initier une réflexion commune sur ce qu'elle représente.

Il n'a, en revanche, pas forcément jugé pertinent d'imposer comme critère la perte d'intérêt scientifique, dans la mesure où la communauté scientifique considère que l'intérêt scientifique des restes humains peut être renouvelé à tout moment à la faveur de découvertes et des développements techniques et conceptuels. Il a donc estimé que ce critère pourrait faire obstacle à des restitutions légitimes qui porteraient sur des restes humains identifiés. Pourrait néanmoins être discutée avec le pays demandeur, selon les circonstances, l'intérêt d'une prolongation de la conservation du reste humain considéré pour le développement et le partage de nouvelles connaissances dans l'intérêt de l'ensemble de l'humanité.

Le groupe de travail a émis l'hypothèse de faire appel au juge pour faire sortir ces restes humains des collections publiques, dans le cadre d'un recours visant à annuler leur acquisition, sous réserve qu'un examen préalable soit effectué pour déterminer l'origine de chaque pièce, son parcours et sa compatibilité avec les différents critères. Le groupe de travail jugerait opportun que ce travail préalable de vérification soit effectué en commun par une équipe composée de scientifiques français et de scientifiques de l'État demandeur .

Il avait été un temps envisagé d'intégrer cette disposition au projet de loi relatif à la liberté de la création, à l'architecture et au patrimoine, avant qu'il n'y soit renoncé dans un souci de ne pas alourdir davantage le texte. On peut s'interroger, dans ces conditions, sur la possibilité qu'elle soit intégrée prochainement par le Gouvernement à un autre véhicule législatif. Le fait que le ministère de la culture n'ait pas donné de suite à la publication, en 2018, du vade-mecum consacré à la gestion des collections de restes humains patrimonialisés dans les établissements publics français, n'est guère encourageant.

Cette solution permettrait pourtant de régler de manière plus rapide et encadrée les demandes de restitution des restes humains identifiés . Elle aurait notamment pu être utilisée, il y a quelques mois, pour la restitution des crânes algériens, évitant ainsi aux deux parties de conclure une convention de dépôt dont elles savaient pertinemment que les termes ne pourraient pas être respectés, au regard de leur inhumation le surlendemain de leur remise, et épargnant au Parlement français la peine d'examiner un projet de loi pour autoriser a posteriori leur sortie des collections, ce qui ne devrait pas manquer d'arriver d'ici quelques mois, sauf à laisser perdurer cette situation hors la loi.

C'est la raison pour laquelle la commission de la culture devrait être à l'initiative d'une proposition de loi sur le sujet dans les prochaines semaines.

Proposition n° 15 : Adopter une disposition législative facilitant la restitution des restes humains identifiés revendiqués par des pays tiers.

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