C. RENOUVELER NOS ENGAGEMENTS DANS LA LUTTE CONTRE LE TRAFIC ILLICITE DE BIENS CULTURELS

Le sujet des restitutions a conduit la mission d'information à s'interroger sur le trafic illicite de biens culturels, dont les effets sur le patrimoine sont irréversibles, en plus de constituer une source de financement des activités terroristes.

La France a toujours joué un rôle moteur au niveau international sur ces questions, comme en témoigne encore la création en mars 2017, à son initiative, de l'Alliance internationale pour la protection du patrimoine dans les zones de conflit (ALIPH). Elle s'est elle-même dotée, au fil des années, d'un arsenal juridique très complet sur le sujet. Il a encore été renforcé en 2016 :

- par la loi n° 2016-731 du 3 juin 2016 renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l'efficacité et les garanties de la procédure pénale qui a créé une nouvelle infraction pénale sanctionnant le trafic de biens culturels provenant de théâtres d'opérations de groupements terroristes (article L. 322-3-2 du code pénal) 10 ( * ) ;

- par la loi n° 2016-925 du 7 juillet 2016 relative à la liberté de la création, à l'architecture et au patrimoine, qui comporte des dispositions visant à renforcer les mesures de contrôle douanier sur les biens culturels à l'importation, à interdire la circulation des biens culturels ayant quitté illicitement un État sur la base des résolutions du Conseil de sécurité de l'ONU, à créer en France des refuges pour les biens culturels menacés et à permettre l'annulation de l'entrée dans les collections publiques de biens, acquis de bonne foi après la ratification en 1997 de la convention de l'Unesco de 1970, mais dont il s'avérerait a posteriori qu'ils ont été à l'origine volés ou exportés illicitement.

Le ministère de la culture et le ministère de l'Europe et des affaires étrangères estiment tous deux que les difficultés aujourd'hui rencontrées dans la lutte contre le trafic de biens culturels tiennent moins à l'insuffisance du cadre international qu'à son application encore trop partielle . Les conventions internationales dans ce domaine n'ont pas été ratifiées par tous les États et leur mise en oeuvre dans ceux qui y sont parties se révèle encore incomplète ou incorrecte. La France plaide ainsi pour une meilleure application de la convention de l'Unesco de 1970 et juge indispensable qu'une meilleure coopération opérationnelle s'instaure entre les États parties, le manque de collaboration dont font preuve certains pays constituant un véritable obstacle aux enquêtes, dans un contexte où le développement des ventes de biens culturels sur internet a totalement aboli les frontières.

À cette fin, le ministère de l'Europe et des affaires étrangères trouverait judicieux que la France se dote de moyens pour aider les États étrangers à renforcer les capacités de leurs instances chargées de la lutte contre le trafic illicite , qu'il s'agisse des forces de police, des agents des douanes et du ministère de la justice. L'office central de lutte contre le trafic de biens culturels (OCBC) pointe également les difficultés soulevées par l'absence de base de données recensant les collections dans les pays demandeurs victimes de pillages.

De ce fait, il apparaît difficilement compréhensible que le processus de ratification par la France de la convention d'Unidroit de 1995 sur les biens culturels volés ou illicitement exportés ne soit jamais allé jusqu'à son terme , alors qu'elle en avait pourtant été l'un des tout premiers signataires. Il s'agit d'un instrument de première importance pour la protection du patrimoine culturel, dont la France a déjà transposé la plupart des dispositions sous l'effet du droit européen, mais seulement en faveur des autres États membres de l'Union européenne.

Il est vrai que cette convention impose au propriétaire d'un bien meuble de prouver qu'il a fait preuve de diligence lors de l'acquisition de l'oeuvre, contrairement au droit français qui présume la bonne foi du propriétaire, avec le principe selon lequel « possession vaut titre ». Mais, comme l'avait souligné Pierre Lequiller, rapporteur, pour l'Assemblée nationale, du projet de loi de ratification de cette convention en 2001, « face au trafic d'oeuvres d'art et d'objets issus de fouilles illicites, l'application de ce principe conduit à favoriser le vol et le pillage ». Il avait précisé que « la présomption en faveur du possesseur dépossédé est une présomption simple qui pourra être combattue par tous moyens de preuve ». La convention d'Unidroit indique d'ailleurs un certain nombre de principes qui permettront de juger de la « diligence » de l'acheteur, parmi lesquels la consultation de « tout registre relatif aux biens culturels volés raisonnablement accessible » qui aurait pour vertu de contraindre les États à tenir des listes les plus complètes possibles de biens volés sur le plan national comme sur le plan international.

Le rapporteur pour l'Assemblée nationale avait alors suggéré que la ratification de cette convention s'accompagne de dispositions législatives et réglementaires précisant son application au droit français, de manière à correctement défendre le possesseur de bonne foi , le protéger contre le risque d'une application rétroactive de cette convention, et lui garantir le paiement d'une indemnité s'élevant au montant de son entier préjudice. Il avait insisté pour que le juge veille, dans son interprétation, à ce qu'il n'y ait pas d'utilisation abusive de la notion « d'importance culturelle significative » du bien culturel par l'État requérant.

Assortie d'une loi d'application permettant de contenir les risques liés aux dispositions de cette convention, sa ratification pourrait donner davantage de poids à la France pour peser dans les discussions internationales en matière de lutte contre le trafic illicite de biens culturels.

Proposition n° 13 : Ratifier la convention d'Unidroit de 1995 sur les biens culturels volés ou illicitement exportés accompagnée d'éventuelles réserves d'interprétation et d'une loi d'application.

Se pose également la question de la responsabilité éthique des professionnels du marché de l'art pour garantir que leurs actions ne contribuent pas au trafic illicite de biens culturels, dans un contexte où les trafiquants montent des opérations de plus en plus sophistiquées et difficiles à détecter. Lors d'une table ronde consacrée à l'attractivité et la compétitivité juridiques du marché de l'art français, organisée conjointement par la commission de la culture et la commission des lois le 7 mars 2018, Marie-Christine Labourdette, ancienne directrice des musées de France, avait souligné la réglementation contraignante à laquelle les professionnels étaient assujettis : tenue obligatoire du livre de police, règles strictes en matière de transparence et de protection des consommateurs sous l'égide du Conseil des ventes volontaires permettant d'éviter le plus souvent la vente de biens contrefaits. Les marchands de gré à gré, les opérateurs de ventes volontaires et les commissaires-priseurs judiciaires sont par ailleurs soumis au dispositif de lutte anti-blanchiment et financement du terrorisme, dit « LAB/FT ».

Le marché de l'art paraît conscient que la transparence et le contrôle diligent de la provenance des objets proposés à la vente constituent aujourd'hui pour lui un enjeu également commercial. D'où l'importance, au-delà de la simple régulation, de développer des règles de bonnes pratiques et de renforcer les règles déontologiques, afin d'éviter que les scandales, qui sont le fait d'une minorité infime de praticiens, ne puissent continuer à venir entacher à tort le marché de l'art dans son ensemble.

L'OCBC évoque ainsi l'intérêt qu'il pourrait y avoir à adopter un statut de l'expert pour garantir l'indépendance de son travail par rapport aux autres acteurs, en particulier les marchands. L'une des seules règles actuellement en vigueur dans ce domaine concerne les conservateurs du patrimoine et les conservateurs territoriaux du patrimoine, dont le statut leur interdit de « se livrer directement ou indirectement au commerce ou à l'expertise d'oeuvres d'art et d'objets de collection ». Il s'agit d'une règle essentielle, au respect de laquelle il apparaît important de veiller.

Proposition n° 14 : Renforcer les obligations déontologiques des professionnels du marché de l'art dans l'objectif de la lutte contre le trafic illicite d'oeuvres d'art.


* 10 Loi n° 2016-731 du 3 juin 2016 renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l'efficacité et les garanties de la procédure pénale.

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