B. DONNER DAVANTAGE DE CORPS À LA CONCEPTION UNIVERSALISTE DES MUSÉES

1. Une vision universaliste toujours pertinente

Le débat actuel autour des restitutions déborde très largement la simple demande de retour des oeuvres mal acquises. Il véhicule l'idée que l'oeuvre, en tant que produit d'une culture, ne pourrait être comprise que par les personnes issues de cette même culture.

Même si elle est aujourd'hui battue en brèche, la vision universaliste des musées, dont la démarche repose sur l'idée d'un art universel et le dialogue interculturel, reste fondamentale. L'idée que les oeuvres d'art n'auraient de sens que dans le milieu culturel qui les a produites nie, pour ainsi dire, toute l'influence que peuvent avoir certains arts sur d'autres, à l'image de l'art africain sur l'art moderne.

La disparition progressive des musées universels au profit de musées à vocation strictement nationale ferait perdre toute capacité à confronter, mais aussi à rapprocher les points de vue. Si les cultures étaient réduites à des nations, le musée ne pourrait plus apporter à ses visiteurs une distance par rapport à leur propre culture leur permettant de s'interroger sur leurs propres convictions et leurs propres savoirs .

C'est parce que les musées donnent aujourd'hui à voir des oeuvres originaires de différentes époques, cultures et civilisations qu'ils peuvent contribuer à améliorer la connaissance et la compréhension du monde. Ils ont un rôle primordial dans le contexte actuel, marqué par des replis identitaires porteurs de tensions.

D'où l'intérêt, face à la montée des discours identitaires, de réaffirmer le caractère républicain de la mission portée par les musées français . Héritage de l'esprit des Lumières, le musée répond à l'objectif de conserver les objets, au nom de l'histoire et de l'instruction des générations futures, et de les exposer au public dans un objectif de connaissance, d'éducation et de plaisir. Il est donc situé en dehors des dogmes et son discours repose exclusivement sur la raison et sur les sciences.

Proposition n° 8 : Réaffirmer la mission républicaine du musée comme un lieu de connaissance et de réflexion ouvert et accessible à tous et situé en dehors des dogmes.

2. Le partage des collections, au centre de la vision universaliste de la culture

Le seul moyen pour les musées de défendre la vision universaliste de la culture, c'est de véritablement faire vivre cette dimension, pour en démontrer le bien-fondé , et non de s'abriter derrière elle pour conserver jalousement leurs collections.

L'enjeu est donc d'améliorer le partage des collections .

La numérisation des collections est importante, dans la mesure où elle peut permettre de faciliter la recherche scientifique partout dans le monde et d'offrir une visibilité et une accessibilité accrue des collections. Si elle est indispensable, elle ne saurait constituer la seule réponse de nos musées pour permettre aux populations des pays d'origine de leurs collections d'accéder à leur patrimoine, dans la mesure où rien ne remplace l'accès physique aux oeuvres.

Proposition 9 : Accélérer la numérisation des collections extra-occidentales.

Il est donc nécessaire parallèlement de développer davantage les collaborations entre musées dans une perspective de co-production d'expositions, ainsi que les prêts et les dépôts d'oeuvres d'art , sans se limiter d'ailleurs aux seules oeuvres originaires des pays auxquels elles sont prêtées, mais en prêtant également des oeuvres d'art françaises ou étrangères pour des expositions. Il s'agit d'opportunités pour développer les échanges et débattre entre scientifiques de la légitimité de biens originaires d'autres pays dans les collections françaises.

Il faut néanmoins noter que l'accroissement de la circulation des biens culturels bute aujourd'hui très largement sur une problématique financière , en raison du coût, notamment, des assurances des oeuvres et objets d'art, au point d'avoir conduit certains pays demandeurs à renoncer à des demandes qu'ils avaient formulées. La question d'une prise en charge partielle par notre pays de ces frais se pose, dans la mesure où elle pourrait contribuer à asseoir la légitimité de nos musées et pourrait s'inscrire dans le cadre du développement d'une coopération culturelle avec le pays demandeur. Il pourrait être intéressant à ce titre de réfléchir à la manière dont pourraient être mobilisés, soit des crédits destinés à la diplomatie culturelle et d'influence (programme 185 du budget), soit des fonds européens (par exemple, au titre du programme ACP-UE culture ou de la Fondation euro-méditerranéenne Anna Lindh pour le dialogue entre les cultures), moyennant des ajustements éventuels de leurs conditions d'octroi.

Proposition n° 10 : Favoriser la circulation des collections publiques, y compris des oeuvres d'art françaises, et réfléchir aux modalités pour en réduire les obstacles financiers.

Il reste important que ces questions ne soient pas exclusivement envisagées sur un mode unilatéral : l'exemple des statuettes nok montre qu'il est tout à fait possible de restituer un objet d'art illicitement exporté, tout en négociant un prêt à long terme pour qu'il reste exposé dans les collections françaises ou que d'autres objets soient prêtés.

Il s'agit un peu du concept de l'« objet ambassadeur » développé par le centre culturel Tjibaou en ce qui concerne le patrimoine kanak. Au lieu de demander le rapatriement en Nouvelle-Calédonie du patrimoine dispersé, il considère que les objets kanaks présents dans les grands musées nationaux, européens ou américains, sont des ambassadeurs de la culture kanak dans le monde entier, permettant d'en évoquer les aspects immatériels (les relations, les traditions et les coutumes), et que leur vocation est de circuler, revenant épisodiquement en Nouvelle-Calédonie et en repartant vers les musées étrangers. Ce centre culturel est moins attaché à la propriété de l'objet qu'à sa circulation .

3. Promouvoir l'expertise muséale française à l'international

Se pose, en premier lieu, la question de l'aide que notre pays peut apporter en termes de formation aux pratiques de la conservation et de la restauration aux professionnels des musées des pays étrangers, sur la base de leur demande.

Il pourrait d'ailleurs être profitable de ne pas concevoir ces partenariats en matière de formation à sens unique. Des échanges entre scientifiques français et étrangers, sur la base de déplacements réciproques, pourraient être tout à fait utiles pour permettre aux conservateurs français de s'ouvrir à d'autres pratiques et d'autres manières d'appréhender les métiers de la conservation-restauration.

Proposition n° 11 : Contribuer à la formation des professionnels des musées dans les pays demandeurs et soutenir les déplacements réciproques des professionnels de la conservation-restauration français et étrangers.

L'autre enjeu serait de mettre davantage l'expertise culturelle et muséale française au service des pays étrangers dans le cadre de l'aide au développement , en les accompagnant dans leurs projets de création d'institutions muséales, dans la définition du projet scientifique et culturel ou dans la politique d'acquisition de celles-ci.

Le succès rencontré par le Louvre Abu Dhabi depuis son ouverture il y a trois ans montre que le concept de musée universel n'est pas nécessairement occidental et qu'il existe une appétence, dans d'autres régions, en faveur de lieux présentant une vision de l'art dans sa diversité.

Il serait opportun de s'appuyer sur France-Muséums, qui pourrait ainsi devenir véritablement l'agence de l'ingénierie culturelle et muséale française à l'étranger, en l'encourageant à développer ses missions auprès des pays demandeurs, en particulier en Afrique.

Proposition n° 12 : Faire en sorte que France-Muséums puisse développer ses missions dans les pays étrangers demandeurs pour en faire la véritable agence de l'ingénierie culturelle et muséale française à l'étranger.

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