INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

Saisie du projet de loi d'orientation relatif à la lutte contre les exclusions, longtemps attendu, votre commission, après une quarantaine d'auditions dont la moitié en réunion plénière, a souhaité procéder à un examen approfondi du texte ; elle s'est montrée soucieuse d'y apporter les améliorations nécessaires, mais également d'en corriger les imperfections ou les excès.

Ce texte parce qu'il s'inscrit dans une philosophie courageuse qui est d'ouvrir à tous l'accès aux droits de tous, doit beaucoup à Mme Geneviève de Gaulle-Anthonioz, présidente d'ATD-Quart Monde à laquelle votre commission tient à rendre un légitime hommage.

Ce nouveau projet de loi s'inspire également largement du projet de loi de renforcement de cohésion sociale et du travail de concertation conduit par MM. Jacques Barrot et Xavier Emmanuelli.

Sans doute, le Gouvernement eût-il été bien inspiré de faire preuve de plus de modestie en mettant en avant non la rupture mais la continuité avec le travail accompli par le précédent Gouvernement sous l'impulsion du Président de la République. L'unanimité serait alors plus facile à réunir autour d'un texte qui vise à donner un cours nouveau à la lutte toujours renouvelée contre toutes les formes d'exclusion.

Afin d'améliorer le projet de loi, la commission a souhaité l'infléchir dans trois directions.

Votre commission a tout d'abord estimé nécessaire de favoriser résolument le retour à l'emploi dans le secteur marchand des titulaires de minima sociaux.

Tout en conservant le texte du projet en matière d'accès à l'emploi, notamment dans le domaine de l'insertion par l'activité économique, la commission a introduit deux dispositifs nouveaux pour inciter, dans un contexte favorable de reprise économique, à la réinsertion des exclus en entreprise:

- la faculté pour tout bénéficiaire du RMI depuis plus de deux ans de signer un contrat initiative-emploi à mi-temps avec une entreprise dans le cadre d'une convention de revenu minimum d'activité lui permettant de conserver environ la moitié du RMI pendant deux ans en plus de sa rémunération ;

- une exonération générale de charges sociales pendant cinq ans pour toute personne titulaire d'un minimum social depuis plus de deux ans lorsqu'elle est embauchée par une entreprise.

Elle a souhaité ensuite privilégier une gestion souple et décentralisée des dispositifs de prévention des exclusions.

Face à un texte dont la philosophie est empreinte d'une forme de défiance à l'égard des collectivités locales, la commission a réaffirmé que la gestion des fonds cofinancés par l'Etat et les départements en faveur de l'aide aux jeunes en difficulté ou de l'accès et du maintien dans un logement (FSL) devait être assurée au niveau local, au plus près des intéressés.

Divers aménagements ont été apportés à la procédure d'attribution des logements sociaux afin que les engagements entre le préfet, les organismes d'HLM et les communes en matière d'accès des plus démunis aux logements HLM, soient pris dans un esprit de concertation, seul garant d'une application efficace sur le terrain.

Votre commission a, en outre, préféré les mesures incitatives aux dispositifs de contrainte ou de taxation.

Ainsi, la commission a-t-elle supprimé la taxe sur les logements vacants au profit d'une déduction fiscale des primes d'assurance pour garantie d'impayés de loyers et d'une simplification des déclarations de revenus fonciers réservée aux logements mis en location après deux ans de vacance.

Enfin, elle a voulu donner un véritable contenu au volet santé du projet de loi.

La commission a tenu à inscrire dans le projet de loi l'entrée en vigueur, dès le 1er janvier 1999, de la couverture maladie universelle.

Elle a mis en place une visite médicale annuelle obligatoire pour les élèves du primaire et du secondaire dans toutes les zones où le recours aux soins est manifestement insuffisant.

Votre commission vous proposera d'adopter le projet de loi modifié par les amendements qu'elle a déposés mais également par les propositions formulées par les différentes commissions saisies pour avis, notamment par la commission des Lois et la commission des Finances à l'avis desquelles votre commission s'est référée sur de nombreux articles qui relèvent plus particulièrement du champ de leurs compétences.

I. UN JUSTE COMBAT CONTRE LA PAUVRETÉ ET L'EXCLUSION SOCIALE

Le projet de loi que nous examinons aujourd'hui porte sur une des valeurs essentielles de la République puisqu'il a pour but ultime, conformément à l'engagement pris par le Président de la République, de renforcer la cohésion de la communauté nationale autour d'un combat contre tout ce qui peut aggraver la fracture sociale.

Il correspond aussi à une situation particulière puisqu'il est assez rare, qu'à environ un an d'intervalle, deux majorités successives, dont les vues ne convergent pas toujours, loin de là, choisissent de déposer sur une question aussi essentielle, deux projets de loi qui, s'ils ne sont pas des « clones », ont du moins un « air de famille ».

A. UN COMBAT NÉCESSAIRE CONTRE UN MAL PERMANENT

A l'origine de ce rapprochement des points de vue, se trouve une prise de conscience commune, notamment grâce au travail des associations réunies sous l'égide de l'UNIOPSS dans le cadre du collectif « Alerte » : malgré la mise en oeuvre des aides aux handicapés et aux personnes âgées, à travers notamment la loi du 30 juin 1975 relative aux institutions sociales et médico-sociales, et malgré la mise en place, en 1988, de cet ultime filet de sécurité que constitue le revenu minimum d'insertion, la grande pauvreté a continué à progresser dans notre pays .

L'article 25 de la Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948 qui dispose « que toute personne a droit à un niveau de vie suffisant pour assurer sa santé, son bien-être et ceux de sa famille » s'avère, cinquante ans après, toujours aussi difficile à appliquer.

Même au cours de la période d'expansion économique que l'on a coutume d'appeler les « Trente Glorieuses », la prise de conscience du problème de la grande pauvreté a toujours existé : au cours de l'hiver 1954, particulièrement rigoureux, l'Abbé Pierre, fondateur de la communauté baptisée Emmaüs, lance un appel radiophonique qui déclenche un véritable élan de générosité ; en 1957, à Noisy-le-Grand, le Père Joseph Wresinski lance le mouvement ATD-Quart Monde qui entend mobiliser des volontaires pour les mettre au service des populations démunies et aider celles-ci à s'organiser pour mieux faire reconnaître leur dignité et leurs droits.

En 1974, M. René Lenoir publie un livre prémonitoire intitulé « Les exclus » qui montre que la société de consommation laisse sur le bord du chemin trois catégories de personnes : 2,4 millions de personnes âgées qui n'ont que le minimum vieillesse, alors d'un montant très bas, pour vivre ; les handicapés ; les personnes marginalisées par une pauvreté transmise de génération en génération.

Les deux lois du 30 juin 1975 relative aux institutions sociales et médico-sociales et aux handicapés, vont permettre de mieux organiser sur le plan institutionnel l'aide sociale à l'enfance, aux personnes âgées, aux handicapés ainsi que l'aide accordée aux personnes en situation d'errance à travers les centres d'hébergement et de réadaptation sociale (CHRS).

De fait, il apparaît déjà à la fin des années 70 que les situations héritées de grande pauvreté persistent : en 1978, la section des affaires sociales du Conseil économique et social adoptait un rapport du Professeur Henri Pequignot sur la lutte contre la pauvreté qui préconisait un renforcement des politiques sociales et sectorielles en ce domaine.

Lors de son audition devant le groupe sénatorial d'étude sur la lutte contre l'exclusion, M. René Lenoir a souligné que si, au cours des dernières années, la situation des personnes âgées et handicapées s'était améliorée, en revanche, la montée du chômage avait abouti à une forte augmentation de la proportion des personnes en situation d'exclusion par la pauvreté.

Au cours des années 80, avec la montée du chômage, surgit la prise de conscience du phénomène de la « nouvelle pauvreté », marquée notamment par la création des Restaurants du Coeur en 1984 et 1985. Les 10 et 11 février 1987, le Conseil économique et social adopte le rapport du Père Joseph Wresinski sur « la grande pauvreté et la précarité économique et sociale » qui souhaite apporter de véritables solutions cohérentes, globales et prospectives au problème de la pauvreté .

Dans son rapport, le père Joseph Wresinski définit la précarité comme « l'absence d'une ou plusieurs des sécurités, notamment celle de l'emploi, permettant aux personnes et familles d'assumer leurs obligations professionnelles, familiales et sociales, et de jouir de leurs droits fondamentaux ». Il constate que « l'insécurité qui en résulte peut être plus ou moins étendue et avoir des conséquences plus ou moins graves et définitives et qu'elle conduit à la grande pauvreté, quand elle affecte plusieurs domaines de l'existence, qu'elle devient persistante, qu'elle compromet les chances de réassumer ses responsabilités et de reconquérir ses droits, dans un avenir prévisible ».

Le rapport estime déjà que des mesures nouvelles d'ordre législatif (loi d'orientation ou lois de programmation) ou réglementaire selon les cas, devraient être prises « pour permettre un traitement global et permanent de la pauvreté et de la précarité économique et sociale ».

Il s'agissait alors pour le Père Joseph Wresinski de réunir les conditions propres à permettre à ceux qui sont dans la grande pauvreté d'en sortir véritablement, à ceux qui sont en voie de paupérisation de ne pas y tomber et aux uns et aux autres d'en être durablement préservés grâce à une conception plus exigeante de la solidarité de la part d'un nombre croissant de citoyens.

Ce rapport ainsi que les nombreuses initiatives prises par les collectivités locales sur le terrain , aboutiront à la mise en place de la loi du 31 décembre 1988 sur le revenu minimum d'insertion et de la loi du 31 mai 1990 relative à la mise en oeuvre du droit au logement.

A compter de 1988, la situation continuera de se dégrader dans plusieurs domaines : l'exclusion de l'emploi persiste en raison de la montée d'un chômage de très longue durée ; la précarité financière de nombreux ménages se lit à travers l'augmentation des titulaires de minima sociaux ; l'exclusion du logement se maintient avec une demande de logements sociaux difficile à satisfaire.

Il apparaît alors de plus en plus clairement que la montée de l'exclusion remet en cause notre modèle de cohésion sociale .

C'est pourquoi en janvier 1992, le bureau du Conseil économique et social demande à Mme Geneviève de Gaulle-Anthonioz de préparer un avis sur l'évaluation des politiques publiques de lutte contre la grande pauvreté.

Dans son rapport, Mme Geneviève de Gaulle-Anthonioz, souligne que « plutôt que d'envisager un traitement particulier des populations pauvres, il convient de prendre en compte leur situation dans les politiques générales et de veiller à rendre cette situation compatible avec l'accès aux droits ouverts à tous ».

Elle demande « l'adoption d'une loi d'orientation qui donnerait leur pleine efficacité aux actions conduites pour éradiquer la grande pauvreté et prévenir l'exclusion ».

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