Article 4
(articles 18-2 et 18-4 de la loi n° 84-610 du 16 juillet 1984)

Limitation du droit de citation et du droit d'accès des journalistes
aux enceintes sportives

I. Commentaire du texte adopté par l'Assemblée nationale

Les dispositions " audiovisuelles " introduite en 1992, à l'initiative partagée du gouvernement et du Parlement, dans la loi du 16 juillet 1984, réalisent un équilibre entre le droit de propriété des droits d'exploitation des manifestations sportives reconnu aux fédérations sportives (article 18-1) et le droit à l'information du public, dont la cession exclusive de ces droits ne saurait empêcher l'exercice (articles 18-2 à 18-4).

L'article 4 de la proposition de loi, qui résulte d'un amendement du gouvernement, modifie cet équilibre au profit des détenteurs de droits d'exploitation.

Il comporte deux paragraphes, modifiant respectivement l'article 18-2, relatif au droit de citation, et l'article 18-4 relatif au libre accès des journalistes aux enceintes sportives, de la loi de 1984.

· Le paragraphe I de l'article 4 a pour objet de limiter la portée du droit de citation

Dans sa rédaction actuelle, l'article 18-2 inscrit dans la loi le principe du " droit de citation " des événements sportifs dont un service de communication a acquis l'exclusivité des droits d'exploitation.

Ce droit est ouvert aux services de communication audiovisuelle autres que le cessionnaire des droits. Il leur permet de diffuser dans les émissions d'information de brefs extraits -dont la durée est limitée à 90 secondes- qu'ils choisissent librement.

Ces extraits peuvent être choisis par le service diffuseur parmi les images filmées par le service cessionnaire des droits. Mais ils peuvent aussi être filmés directement par le service bénéficiant du droit de citation.

Dans les deux cas, la diffusion doit être gratuite : le service cessionnaire des droits n'a pas le droit de faire payer le droit de diffusion des extraits de ses images et, si le service non cessionnaire diffuse ses propres images, ni l'organisateur ni le service cessionnaire ne peuvent exiger de lui le paiement d'un droit.

Le paragraphe I de l'article 4 du texte adopté par l'Assemblée nationale, qui propose une nouvelle rédaction du deuxième alinéa de l'article 18-2, limite considérablement la portée du droit de citation en interdisant que le service qui en bénéficie puisse tourner lui-même les images correspondantes.

Il n'aura désormais d'autre possibilité que de les choisir parmi les images tournées par le ou les services cessionnaires des droits.

Cette restriction supprimera en fait le droit du public à recevoir -ne fût-ce que dans le cadre de la diffusion de brefs extraits dans un journal télévisé- d'autres images de la manifestation que celles tournées par la télévision cessionnaire des droits. Elle constitue donc à cet égard une atteinte au principe du pluralisme de l'information .

Elle mettra aussi les services non cessionnaires dans une situation de totale dépendance à l'égard du service cessionnaire des droits, qui aura en fait le pouvoir -par exemple en ne fournissant pas à temps les extraits choisis- de s'opposer à l'exercice du droit de citation dont il convient de rappeler qu'il a pour objet de garantir le droit à l'information du public.

· Le paragraphe II de l'article 4 restreint considérablement la portée du droit d'accès des journalistes aux enceintes sportives.

Dans sa rédaction adoptée en 1992, l'article 18-4 de la loi de 1984 dispose que la cession exclusive des droits d'exploitation d'une manifestation ou d'une compétition n'autorise ni son organisateur, ni le cessionnaire des droits à s'opposer au libre accès de la presse écrite et audiovisuelle aux enceintes sportives. L'article prévoit " en tant que de besoin " l'intervention d'un décret d'application. Cette formulation signifie que l'application de l'article n'était pas suspendue à la parution du décret, les travaux préparatoires indiquant par ailleurs que l'objet de ce décret devait être limité à l'organisation de ce droit d'accès, compte tenu, notamment, des impératifs de sécurité : une " surcharge " des tribunes de presse ne serait, par exemple, pas davantage admissible que celle des tribunes du public.

Le paragraphe II de l'article 4 se place dans une toute autre logique en donnant aux fédérations sportives délégataires le pouvoir de réglementer l'accès des journalistes aux manifestations sportives et le " droit de filmer " des télévisions non cessionnaires du droit d'exploitation.

Le texte adopté par l'Assemblée nationale propose une nouvelle rédaction de l'article 18-4 comportant trois alinéas :

* le premier alinéa pose le principe du libre accès de la presse écrite et audiovisuelle aux enceintes sportives, " sous réserve des contraintes directement liées à la sécurité du public et des sportifs, et aux capacités d'accueil " . Ces contraintes ne seraient toutefois plus définies, comme le prévoit le texte actuel, par un décret en Conseil d'Etat mais, aux termes du troisième aliéna du texte proposé, par les fédérations sportives.

* le deuxième alinéa prévoit que " sauf autorisation de l'organisateur ", les services de communication audiovisuelle ne pourront capter que des images " distinctes de celles de la manifestation ou de la compétition sportive proprement dites ". Cet alinéa confirme donc la nouvelle rédaction proposée pour l'article 18-2, en déniant tout droit des services non cessionnaires à filmer la manifestation.

On notera à cet égard qu'un récent arrêt de la Cour de Cassation, rendu dans une affaire antérieure à l'entrée en vigueur de la loi de 1992, avait affirmé, à propos de l'interdiction faite à une équipe de FR3 de filmer le Grand prix de Magny-Cours 1( * ) , que : " la concession à un diffuseur du droit de retransmettre en direct et intégralement une compétition sportive ne peut, en vertu du droit du public à l'information, faire obstacle à la communication de l'événement au public sous la forme de brefs extraits ne portant pas atteinte au droit d'exclusivité du diffuseur ", et qu'en conséquence le refus d'accès opposé à l'équipe de tournage de FR3 constituait un " trouble manifestement illicite ".

On peut donc s'interroger sur la conformité au principe de la liberté de communication du pouvoir d'autorisation donné aux organisateurs des manifestations sportives.

De plus, le texte proposé pour l'article 18-4 ne prévoyant aucun texte d'application autre que des règlements des fédérations, ce seront aussi " les organisateurs " qui définiront ce qui entre ou n'entre pas dans la définition de la manifestation ou de la compétition " proprement dites ". Les télévisions " non cessionnaires " ne pourront donc en fait rien filmer sans l'autorisation des organisateurs.

* Quant au troisième alinéa du texte proposé, il confie aux fédérations sportives le soin de définir les conditions d'application du nouvel article 18-4.

Il prévoit en effet que les contraintes de sécurité et les capacités d'accueil qui pourront, aux termes du premier alinéa, limiter le libre accès des journalistes, seront définies, pour chaque discipline et pour chaque " type de manifestation ou de compétition ", par un règlement de la fédération délégataire. Elles devront l'être " dans le respect du droit à l'information ", et les règlements seront " approuvés par le ministre chargé des sports après avis du CSA ".

Ces dispositions appellent quelques observations :

- En premier lieu, il convient de rappeler que, selon la Constitution, le pouvoir réglementaire appartient au Premier ministre , et non aux fédérations sportives ni même au ministre chargé des sports, conseillé ou non par le CSA.

La substitution au décret du Conseil d'Etat prévu par le texte actuel de règlements pris par des fédérations sportives est donc surprenante. On peut de surcroît s'interroger sur les conditions et la portée de l'approbation des règlements par le ministre. Cette approbation interviendra-t-elle a priori ou a posteriori ? Que se passera-t-il si le ministre " désapprouve " un règlement ?

- En deuxième lieu, et en dehors même du fait qu'il paraît difficile que les fédérations sportives soient chargées de fixer des normes permettant de mettre en oeuvre une loi, il faut rappeler aussi que leurs compétences réglementaires sont circonscrites, comme il est logique, à leur mission de service public (organisation de la sélection des équipes, des compétitions sportives, règles techniques applicables aux disciplines sportives). On voit mal ce qui justifierait qu'elles soient étendues à des sujets, l'organisation de l'exercice de la liberté de communication et sa conciliation avec les impératifs de la sécurité publique, qui sont tout à fait étrangers à cette mission.

- Il est enfin très contestable que soit confié aux fédérations sportives, propriétaires des droits d'exploitation des manifestations et qui tirent des recettes considérables de leur cession exclusive, le soin de définir les conditions d'accès à l'information sportive des entreprises de communication non cessionnaires de ces droits : c'est à l'évidence leur donner la tentation de faire prévaloir les intérêts du cessionnaire des droits, et donc indirectement les leurs, sur " le respect du droit à l'information ".

II. Position de la commission


Les " dispositions audiovisuelles " de la loi de 1992 ne sont pas nées de la volonté du Parlement de limiter arbitrairement la liberté contractuelle ni le droit -que personne n'a songé à contester- du détenteur d'un droit d'exploitation à en céder l'exclusivité.

Elles sont intervenues pour mettre un terme à des pratiques détestables, nées de la concurrence effrénée entre les chaînes de télévision et des exigences souvent exorbitantes des cessionnaires de droits, et qui portaient atteinte au droit à l'information du public.

Elles sont le résultat, il faut aussi le rappeler, d'un travail commun de l'Assemblée nationale et du Sénat qui ont uni leurs efforts pour parvenir, en plein accord, à des solutions équilibrées.

La volonté abusive de la Fédération internationale de l'automobile (FIA) -dont le vice-président est aussi le seul détenteur des droits d'exploitation de toutes les compétitions du sport automobile- de supprimer toute limitation à l'exercice du monopole qu'elle s'est assurée, et les pressions indécentes qu'elle exerce en ce sens ne sont pas des raisons suffisantes pour revenir sur les dispositions adoptées en 1992.

Elles montrent assez, au contraire, que la révision proposée des articles 18-2 et 18-4 de la loi de 1984 donnerait le signal d'un retour aux excès antérieurs, ou à des excès pires encore.

Pour ces raisons, et compte tenu des considérations qui précèdent, votre commission a adopté un amendement de suppression de l'article 4 de la proposition de loi.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page