E. UNE GESTION DURABLE DE LA FORÊT SOUS TENSION

Les crédits de l'action 26 du programme 149 « Gestion durable de la forêt et développement de la filière bois » s'élèvent à 278,62 millions d'euros en AE et 286,41 millions d'euros en CP, soit une augmentation respective de 0,65 % en AE et 3,7 % en CP par rapport à la LFI pour 2022 . Ils s'inscrivent dans le programme national de la forêt et du bois (PNFB) visant à permettre un développement équilibré, dynamique et durable de la filière.

Les rapporteurs spéciaux soulignaient à titre liminaire l'an dernier que la forêt est au coeur de préoccupations répondant à des objectifs divers, économiques, environnementaux, de sécurité publique, de loisirs... La politique forestière s'inscrit dans plusieurs perspectives stratégiques. Parmi celles-ci figure de plus en plus la contribution de la ressource forestière à la lutte contre le changement climatique. Elle s'additionne à des objectifs plus économiques de meilleure valorisation des bois et forêts.

Ils ont alors relevé que « la filière est confrontée à des difficultés économiques majeures tandis que l'opérateur principal de la gestion forestière traverse de grandes difficultés auxquelles le nouveau contrat d'objectif et de performances vise à répondre ».

En effet, ce dernier qui a été signé pour la période 2021-2025, a été conçu pour permettre le retour progressif à l'équilibre du compte de résultat sur la durée du contrat. Il prévoit des financements additionnels de l'État (subvention d'équilibre de 30 millions d'euros en 2021, 20 millions d'euros en 2022 et 10 millions d'euros en 2023), et des subventions supplémentaires au titre des missions d'intérêt général.

1. Une forêt menacée par les feux et le dépérissement

Les forêts françaises s'étendent aujourd'hui sur près de 17 millions d'hectares, soit un tiers de la surface nationale en métropole. Elles produisent du bois, ressource renouvelable, et protègent la biodiversité dans le cadre d'une gestion durable.

a) Une augmentation des surfaces brûlées

L'année 2022 avec son cumul exceptionnel de canicule et de sècheresse a conduit à un bilan, de plus de 70 000 ha brûlés dont 25 % seulement en zone méditerranéenne, du fait de l'extension rapide du risque sur plus de 50 départements.

Statistiques sur le nombre de feux et sur les surfaces brûlées

Source : réponse de l'ONF au questionnaire budgétaire des rapporteurs spéciaux

Les courbes, ci-après reproduisent les données calculées pour un mois donné. S'agissant du mois de mars 2022, le nombre de feux enregistrés est équivalent au maximum observé au cours des mois de mars des 10 dernières années alors que pour le mois de juillet 2022, le nombre de feux enregistrés est supérieur au maximum jusqu'alors observé au cours des mois de juillet des 10 dernières années.

Nombre de feux en France
(moyenne des dix dernières années et 2022)

Source : réponse de l'ONF au questionnaire budgétaire des rapporteurs spéciaux

On constate également que les surfaces incendiées en période hivernale (écobuage notamment) n'expliquent pas la forte augmentation de la surface incendiée totale sur 2022. En revanche, la saison dite estivale a débuté plus tôt (mai-juin) que d'habitude et le mois de juillet a été hors norme (en particulier du fait des incendies en Gironde).

Surface brûlées en France en hectares (ha)

Source : réponse de l'ONF au questionnaire budgétaire des rapporteurs spéciaux

b) Le dépérissement des bois

Les rapporteurs spéciaux souhaitent alerter non seulement sur les ravages de la forêt par les incendies, mais également sur les vagues massives de dépérissements des bois qui touchent de plus en plus d'essences (épicéas, hêtres, chênes...).

Outre les incendies, les autres aléas, notamment sanitaires, ont conduit à des dépérissements très significatifs sur 50 000 ha de forêt publique, dont 23 000 ha uniquement pour les forêts domaniales. Le quart Nord-Est a été le plus touché avec 30 000 ha concernés. Les attaques de scolytes 37 ( * ) ont touché 2 000 ha. La problématique s'étend à d'autres régions et d'autres essences.

Au-delà de ces sinistres, on estime qu'à horizon de 2050 environ 30 % des forêts basculeraient en situation « d'inconfort climatique marqué », chiffre qui pourrait passer à 50 % à la fin du siècle, et nécessiteront un renouvellement.

2. Une politique forestière complexe à mener à long terme
a) Une réussite, le dispositif de défense de la forêt contre les incendies

L'historique des surfaces incendiées depuis 50 ans montre une rupture entre la période précédant les années 1990. La moyenne de surface brûlée sur la période 1976-1990 était de 45 000 ha dont 78 % en zone méditerranéenne, contre 17 000 ha dont 65 % en zone méditerranéenne sur la période suivante 1991-2021.

Évolution des surfaces annuelles incendiées en France
de 1976 au 30 septembre 2022

Source : ONF - Réponse au questionnaire budgétaire des rapporteurs spéciaux

En effet, à la suite des terribles incendies de 1989 et 1990, l'État a élaboré une politique de défense contre l'incendie dans les territoires considérés alors comme les plus exposés . Dans ce cadre, l'Office national des forêts (ONF) a mis en place dans les années 1990, un dispositif complet de surveillance et d'actions d'appui à la lutte contre les incendies dans le Sud-Est de la France.

Selon les données de l'ONF, c'est dans la zone méditerranéenne que l'écart à la moyenne interannuelle des surfaces incendiées en 2022 est le plus faible. Le dispositif de défense de la forêt contre les incendies (DFCI) est entré en vigueur dans quinze départements du Sud-Est depuis plus de vingt ans (« zone historique ») 38 ( * ) .

Description du dispositif de défense de la forêt contre les incendies

- Actions de prévention , qui consistent dans la récolte de données nécessaires à Météo-France pour cartographier le risque incendie (prélèvements de végétaux pour mesurer le stress hydrique), le contrôle du respect des obligations légales de débroussaillement en appui aux préfets, la réalisation de pistes DFCI dans les massifs forestiers pour permettre l'accès des pompiers, l'information et la surveillance des massifs en période à risque par des techniciens commissionnés et assermentés afin de constater les infractions ;

- Actions d'appui à la lutte consistant en un pré-positionnement les jours à risque incendie, dans les massifs forestiers, de véhicules équipés de citernes d'eau pour intervenir sur les feux naissants. Des ouvriers forestiers assurent cette mission durant la période estivale en lien avec les autres intervenants (sapeurs-pompiers, sécurité civile...). Hors période estivale, ils entretiennent les équipements DFCI (débroussaillement des abords des pistes ...). L'efficacité de leur action repose sur leur connaissance parfaite du terrain ;

- Missions d'études et d'expertise , en appui aux préfets, par des experts de niveau régional ou départemental qui assurent la coordination de l'ensemble du dispositif de prévention et d'appui à la lutte, réalisent des études sur le risque incendie en coopération avec de nombreux partenaires tels que Méteo-France.

Source : extrait des réponses de l'ONF au questionnaire budgétaire des rapporteurs spéciaux

b) Une difficulté de concilier l'adaptation au changement climatique à long terme

L'ONF a tenu à souligner lors de son audition au Sénat toute la difficulté technique, en termes de moyens et de savoirs, de procéder au renouvellement des espèces, en tenant compte des effets à venir du changement climatique. En effet, ce dernier progresse plus vite que l'adaptation naturelle.

Dans le contexte actuel, l'ONF devrait procéder au renouvellement des espèces sur 1,2 million d'hectares vulnérables, sur 30 ans et sur 3 millions d'hectares (les 70 % restants) sur 100 ans, soit un rythme annuel de l'ordre de 70 000 hectares par an. Cet objectif est à considérer à l'aune du rythme de renouvellement de 40 000 hectares, en l'absence de changement climatique. Les rapporteurs spéciaux s'interrogent sur la capacité de l'ONF à faire face à ce défi.

3. L'ONF, un périmètre d'action élargi pour des effectifs en réduction constante
a) Une amélioration de la situation financière de l'ONF en 2021

Force est de constater que la situation financière de l'Office tend à s'assainir depuis 2021 , dans un contexte marqué d'une part, par une amélioration de la conjoncture économique du marché du bois et, d'autre part, par les effets du contrat État-ONF (2021-2025).

Les contributions de l'État 39 ( * ) ainsi que l'effort de transformation engagé par l'Office 40 ( * ) ont également permis de redonner des marges de manoeuvre financières à l'Office.

Toutefois, selon l'Office auditionné par les rapporteurs spéciaux « la situation de l'établissement reste fragile et fortement exposée aux aléas de la conjoncture économique du marché du bois . »

Le résultat net positif constaté en 2021 était de 31,8 millions d'euros, après retraitements comptables, c'est pourquoi un résultat déficitaire de 131,1 millions d'euros pour 2021 apparaît dans le tableau.

Un résultat positif est également attendu sur l'exercice 2022.

Le besoin de financement diminue d'un peu plus de 7 millions d'euros.

Résultat et endettement de l'ONF sur la période 2017- 2021

(en millions d'euros)

CF 2017

CF 2018

CF 2019

CF 2020

CF 2021

Subvention d'équilibre

0,0

12,5

6,5

6,5

36,5

Résultat net de l'exercice

-8,2

-4,8

-0,4

-67,8

-131,1*

Besoin de financement au 31/12 hors subvention d'équilibre

320,0

359,6

358,2

403,9

426,3

Besoin de financement au 31/12

320,0

347,1

351,7

397,4

389,8

* Résultat artificiellement négatif en raison d'ajustements comptables (résultat de + 31,8 millions d'euros une fois retraité de ces éléments).

Source : ONF - Réponse au questionnaire budgétaire des rapporteurs spéciaux

La dette de l'Office a diminué en 2021. Son encours au 31 décembre 2021 s'établit à 390 millions d'euros, pour un encours moyen annuel de 333 millions d'euros. Cette baisse se poursuit sur l'année 2022

b) Un redressement fragile

Le modèle économique de l'Office permet d'assurer le financement de l'entretien, de la surveillance et des travaux sylvicoles récurrents, nécessaires à un rythme normal de régénération de la forêt.

Toutefois, les rapporteurs spéciaux réitèrent leurs craintes en raison de deux facteurs majeurs.

En premier lieu, l'adaptation de la forêt au changement climatique nécessite de nouveaux investissements afin de renouveler les peuplements, ce qui requiert également des investissements en termes d'amélioration des connaissances, de développement de la production de matériels forestiers de reproduction adaptés, de refonte des modes de sylviculture et d'entretien des reconstitutions.

En second lieu, s'agissant du chiffre d'affaires bois, celui-ci est volatile . Les tensions inflationnistes qui s'exercent notamment sur le coût des prestations d'exploitation des bois et des travaux sylvicoles, entraînent une augmentation des charges de l'Office pour 2022 et 2023.

4. Une réponse budgétaire partielle aux défis de la gestion forestière

Les crédits de l'action 26 « Gestion durable de la forêt et développement de la filière bois » progressent de 3,11 % en AE et en CP par rapport à la LFI pour 2022.

Ceux destinés à l'ONF augmentent de 9,2 millions d'euros en AE et 8,8 millions d'euros en CP afin de répondre aux exigences du contrat État-ONF 2021-2025. Le fait marquant est l'augmentation de la ligne « versement compensateur et contribution exceptionnelle » à hauteur de 6,3 millions d'euros, couvrant à la fois une augmentation du versement compensateur pour compenser la non-application de la hausse des contributions des communes, une réduction de la subvention d'équilibre et une prise en compte de la revalorisation du point d'indice 41 ( * ) .

Quant au schéma d'emplois de l'ONF, il est en réduction constante depuis les trois dernières années. Pour 2023, cette contraction porte au total sur 80 ETP (une réduction de 95 ETP au titre du contrat État-ONF et une création de 15 ETP au titre de la contractualisation).

Le rapporteur spécial, Patrice Joly, s'interroge sur la réduction d'ETP eu égard à l'élargissement des missions auxquelles l'ONF doit et devra faire face, en raison d'une augmentation de l'intensité et du nombre des aléas climatiques.

Il a été souligné lors de l'audition que les dotations prévues dans le cadre du PLF pour 2023 étaient conformes aux engagements pris par l'État dans le cadre du contrat et devaient permettre d'assurer les missions de l'ONF, à périmètre constant. En revanche, toute augmentation de ce dernier dû à la nécessité d'étendre à de nouveaux territoires la mission défense des forêts contre les incendies ou de faire face au dépérissement des surfaces de forêts liées aux incendies, aux crises sanitaires, ou à la sécheresse, ne pourrait être réalisé avec des effectifs en baisse.

À cet égard, le président de la République a évoqué certaines pistes de réflexion, le 18 octobre dernier visant notamment à mieux prévenir les incendies, en déclarant 42 ( * ) « Une carte nationale à la maille la plus fine recensera les zones particulièrement vulnérables. Nous mettrons en place des outils. La météo de la forêt pour faciliter la prévention des incendies et la météo des feux de forêt à l'échelle nationale, là aussi pour prévenir, anticiper et informer sur les risques et les départs de feu, à l'image d'ailleurs de ce qu'on fait dans le bassin méditerranéen, depuis maintenant plusieurs années.

Ce sera ce travail de cartographie, de suivi météorologique, je dirais, très en amont. Nous mobiliserons l'ensemble des acteurs de terrain autour des préfets, des élus, maires et présidentes, présidents de départements, des associations, avec l'ONF qui jouera son rôle de vigie des forêts, si je puis dire, de présence sur le terrain et qui permettra aussi de venir en appui là où on voit des insuffisances ou il y a des besoins justement qui d'ingénierie, qui de soutien. Mais avec cette responsabilité, si je puis dire, faîtière.

Voilà pour moi le premier axe du travail que nous devons mener : améliorer la prévention des risques, par un travail de clarification des responsabilités et de simplification, d'adaptation de nos modèles en préservant nos traditions et nos différences, et le travail national de cartographie et d'organisation ». Le deuxième axe de la stratégie consisterait à renforcer les moyens de lutte contre l'incendie tandis que le dernier axe consisterait à reboiser avec la plantation d'un milliard d'arbres d'ici 10 ans ».


* 37 Les scolytes sont des insectes, le plus souvent spécifiques d'une essence en particulier. Pour l'épicéa, on parle du typographe et du chalcographe, pour le pin sylvestre du sténographe, pour le sapin du curvidenté... Le typographe représente le scolyte le plus dangereux pour les forêts d'épicéas, notamment dans le Grand-Est. En creusant des galeries dans le cambium (une fine couche sous l'écorce) pour y déposer leurs oeufs, les femelles condamnent des arbres par milliers.

* 38 Il s'agit des départements : 04, 05, 06, 07, 11, 13, 26, 30, 34, 48, 66, 83, 84, 2A, 2B.

* 39 Ces contributions consistent en un financement des missions d'intérêt général et un versement de subventions exceptionnelles.

* 40 L'ONF a procédé à l'élargissement du recrutement aux salariés de droit privé et pas uniquement aux fonctionnaires, à la réduction du nombre des ouvriers forestiers et au recours accru à la sous-traitance.

* 41 Le solde de la hausse de crédits attribués à l'ONF (soit 2,8 millions d'euros en AE et 2,5 millions d'euros en CP) est destiné au financement des missions d'intérêt général confiées à l'établissement (les Services de restauration des terrains en montagne (RTM), la défense de la forêt contre les incendies (DFCI)...) en coûts complets.

* 42 https://www.elysee.fr/front/pdf/elysee-module-20408-fr.pdf

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