II. UN DÉSÉQUILIBRE APPELÉ À S'AGGRAVER

A. UNE PROGRESSION DES DÉPENSES INÉLUCTABLE ?

1. Un poids croissant au sein du budget de l'État

La progression des crédits dédiés aux pensions civiles et militaires de retraite en 2023 devrait conduire à renforcer le poids de ces dépenses au sein du budget de l'État . Depuis la création du CAS en 2006, la croissance moyenne des dépenses de pensions (+ 2,8 % entre 2006 et 2019) est en effet largement supérieure à celle du budget général dans son intégralité (+ 1,6 % entre 2006 et 2019). La part du budget de l'État consacrée à la charge des pensions civiles et militaires de retraite atteignait ainsi 12,8 % en 2019 contre 8,4 % en 1990. Si la tendance a pu s'inverser en 2020 et en 2021 en raison de la croissance du budget général lui-même, appelé à répondre aux incidences de la crise sanitaire, cette inversion n'est pas appelée à durer. La part du budget de l'État consacrée aux pensions de retraites s'élevait ainsi à 10,3 % en 2021 (11,2 % en 2020).

Par ailleurs, entre 2006 et 2021, 12 % de la progression des dépenses du budget général de l'État est imputable à l'accroissement du besoin de financement des pensions des fonctionnaires civils et militaires, soit 18,2 milliards d'euros sur 153,8 milliards d'euros. En écartant les exercices 2020 et 2021, la part de la progression atteint 27 %.

Part du budget de l'État consacrée aux pensions civiles et militaires de retraites

(en pourcentage)

Source : commission des finances du Sénat d'après les données de la direction du budget

Si la revalorisation des pensions au 1 er juillet 2022 était destinée à rattraper pour partie la hausse rapide des prix, force est de constater que les dépenses de pensions des fonctionnaires civils et militaires de l'État comme celles des ouvriers d'État avaient, auparavant progressé plus rapidement que les prix à la consommation.

Évolution annuelle des dépenses de pensions des trois versants de la fonction publique et de l'indice des prix à la consommation depuis 1990

Source : commission des finances du Sénat d'après les documents budgétaires

Il convient de relever à ce stade que les prestations en tant que telles ont progressé à un rythme équivalent à celui des régimes obligatoires de base de sécurité sociale : + 1,9 % pour les prestations perçues par les agents publics contre + 1,8 % pour les retraités du régime général en 2021. La dynamique de la dépense publique tient, dans ces conditions, plus à la pension moyenne servie et au nombre de retraités. Ainsi, le rythme de progression de la pension moyenne servie aux fonctionnaires civils et militaires (+ 2,1 % par an depuis 1990) comme celui des effectifs de pensionnés (+ 1,6 % par an depuis 1990) est supérieur à celui de l'inflation depuis cette date.

Montants de la pension brute mensuelle moyenne
(stock et nouveaux pensionnés)

(en euros)

Source : commission des finances du Sénat d'après les documents budgétaires

2. Des leviers d'action limités

69 448 fonctionnaires civils et militaires de l'État et 3 350 ouvriers de l'État ont pris leur retraite en 2021. Près de 60 % des 57 087 nouveaux pensionnés civils appartiennent à la catégorie sédentaire, dont l'âge d'ouverture des droits est fixé à 62 ans.

Répartition des départs en retraite en 2021 au sein
de la fonction publique d'Etat (civils)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

Comme l'avait relevé la rapporteure spéciale lors de l'examen des crédits du CAS Pensions en projet de loi de finances pour 2022, les leviers pour tempérer la progression des dépenses de pension sont limités, le rattrapage avec le régime en termes de droits ayant été opéré :

- l'âge conjoncturel de départ à la retraite des fonctionnaires civils progresse ainsi tendanciellement pour s'élever en 2021 à 63 ans et 8 mois pour les sédentaires et 60 ans mois pour les actifs. L'âge conjoncturel progresse également en 2020 pour les militaires pour atteindre 49 ans et 1 mois ;

- l'augmentation de la durée minimale d'assurance et la mise en place de la décote et de la surcote, incitent, en outre, de plus en plus au maintien en activité. Ainsi, seuls 18,4 % des départs pour ancienneté des fonctionnaires civils sédentaires ont donné lieu à une décôte ;

- le décret n° 2012-847 du 2 juillet 2012 relatif à l'âge d'ouverture du droit à pension de vieillesse a prévu l'extension du dispositif de retraite anticipée pour carrière longue et a eu, dans un premier temps, pour conséquence une forte augmentation du nombre de départs anticipés pour carrière longue, avec une augmentation de plus de 50 % sur quatre ans et un pic à 9 563 départs en 2017. La tendance s'est depuis inversée : on dénombrait ainsi 5 451 départs en 2021. L'augmentation de l'âge de début de carrière constatée ces dernières années devrait contribuer à accélérer cette décrue ;

- le dispositif permettant aux parents de trois enfants ayant effectué quinze ans de services de partir à la retraite sans condition d'âge a été fermé pour les parents qui ne réunissaient pas les conditions au 1 er janvier 2012. Dès 2012, les départs au titre de la législation des parents de trois enfants étaient inférieurs à 4 000. Ils se sont élevés à 1 555 en 2021. La quasi-intégralité des bénéficiaires sont des femmes.

Une des options pourrait consister en une modification des règles de liquidation de la pension, en ciblant principalement son mode de calcul sur le salaire des six derniers mois d'activité . Cet axe de travail a cependant été écarté par le Gouvernement dans le cadre de la concertation menée sur le projet de réforme à venir.

3. La revalorisation des carrières au sein de la fonction publique devrait contribuer à renforcer la progression des dépenses à moyen terme

La progression des dépenses devraient en outre être renforcée par celle de la masse salariale des fonctionnaires de la fonction publique d'État.

La masse salariale des seuls fonctionnaires civils s'est élevée en 2021 à 53,8 milliards d'euros. Les traitements indiciaires, qui donnent lieu à cotisation retraite, représentent 80% de cette somme, soit environ 43,2 milliards d'euros. Les 20 % restants sont constitués de primes et d'indemnités, qui ne donnent pas lieu à cotisation. La masse salariale indemnitaire représente environ 10,65 milliards d'euros 27 ( * ) .

Le précédent débat sur la réforme des retraites a conduit le Gouvernement à réévaluer les rémunérations de certains emplois, à l'image des enseignants. 400 millions d'euros en 2021 puis 500 millions d'euros en année pleine ont ainsi été dégagés afin de renforcer l'attractivité du métier et valoriser, notamment, le début de carrière. Un dispositif équivalent est prévu dans le présent projet de loi de finances en faveur des magistrats. Ces dispositifs viennent compléter le protocole « Parcours professionnels, carrières et rémunérations » (protocole PPCR), mis en place en loi de finances pour 2016, afin d'améliorer la situation des agents et de moderniser la fonction publique de carrière. Le protocole prévoit notamment la rénovation des carrières et la revalorisation des grilles de rémunérations des agents de toutes les catégories, dans les trois versants de la fonction publique. Sont ainsi mis en place :

- un rééquilibrage de la rémunération des fonctionnaires en faveur du traitement indiciaire, par la mise en oeuvre d'un dispositif de transformation d'une partie du régime indemnitaire en points d'indice ;

- la mise en place d'un cadencement unique d'avancement d'échelon à compter de la date de publication des décrets de revalorisation indiciaire.

Ces mesures de revalorisation indiciaire, couplées aux revalorisations du point d'indice de + 0,6 % en 2016 et 2017, ont un double effet sur la trajectoire financière des régimes de retraite de la fonction publique :

- elles induisent une augmentation rapide des recettes perçues, due à l'accroissement des assiettes de rémunération soumises à cotisation (employeur et salarié) ;

- elles ont un impact immédiat sur le niveau des pensions entrées en paiement à partir de 2016-2017 compte tenu de l'évolution des indices moyens à la liquidation, soutenant progressivement et durablement la croissance de la pension moyenne servie par les régimes de retraite.

De fait, le coût budgétaire de la réforme sur les dépenses de pensions des régimes publics s'élèverait ainsi à 216 millions d'euros en 2020.

L'ensemble de ces mesures catégorielles reste insuffisamment documenté s'agissant de leurs conséquences sur le CAS Pensions. La rapporteure spéciale regrette ainsi qu'aucune étude d'impact du protocole «PPCR » sur les dépenses de pensions n'ait pas pu être conduite au-delà de l'année 2020. Le Service des retraites de l'Etat a ainsi confirmé qu'il ne disposait pas d'élément en ce sens et qu'il n'avait mené, pour l'heure, aucune évaluation de l'impact du coût des mesures visant les enseignants ou les magistrats.


* 27 Le régime additionnel de la fonction publique (RAFP) permet, quant à lui de cotiser sur une partie de ces primes, dans la limite de 20 % du traitement indiciaire brut perçu. Certaines primes ne sont, par ailleurs, pas intégrées dans le calcul, à l'image de l'indemnité sujétion spéciale police (ISSP) ou de l'indemnité mensuelle de technicité (IMT). Dans ces conditions, seule 60,2 % de la masse salariale indemnitaire entre dans l'assiette de cotisation du RAFP, soit 6,4 milliards d'euros. 642 millions d'euros ont ainsi été prélevés en 2021.

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