II. LE PROGRAMME 175 « PATRIMOINES » : UNE RELANCE COMPLIQUÉE

Le programme 175 « Patrimoines » est dédié au financement des politiques publiques destinées à la constitution, à la préservation, à l'enrichissement et à la mise en valeur du patrimoine muséal, monumental, archéologique, archivistique et architectural. Il vise à en assurer la diffusion auprès du public le plus large .

Trois priorités sont assignées au programme :

- contribuer au projet national d'éducation artistique et culturelle et à l'accueil du public ;

- assurer la transmission du patrimoine aux générations futures ;

- oeuvrer pour la cohésion et le développement des territoires à travers leur mise en valeur patrimoniale et architecturale.

Afin d'assurer cette mission, le programme 175 devrait être doté en 2022 de 1,035 milliard d'euros en AE et 1,023 milliard d'euros en CP, soit une progression de 27,4 millions d'euros en AE (+2,78 %) et 10,3 millions d'euros en CP (+1,02 %) par rapport à la loi de finances pour 2021 .

Le programme 175 agrège 6 actions :

- l'action 01, dédiée aux monuments historiques et au patrimoine monumental, qui devrait bénéficier de 433,2 millions d'euros de crédits de paiement en 2022 ;

- l'action 02, centrée sur l'architecture et les espaces protégés, qui mobiliserait 35,1 millions d'euros en crédits de paiement en 2022 ;

- l'action 03, dédiée au patrimoine des musées de France et dont le montant des crédits de paiement dédiés devrait atteindre 364,5 millions d'euros en 2022 ;

- l'action 04, qui vise le patrimoine archivistique et les célébrations nationales et qui serait dotée de 34,6 millions d'euros de crédits de paiement en 2022 ;

- l'action 08, qui agrège les sommes dédiées à l'acquisition et l'enrichissement des collections publiques, 9,77 millions d'euros de crédits de paiement devant lui être affectés en 2022 ;

- l'action 09, centrée sur le patrimoine archéologique, qui devrait être dotée de 145,6 millions d'euros de crédits de paiement en 2022.

L'action 08 n'est pas concernée par la majoration des crédits enregistrée entre la loi de finances pour 2021 et le présent projet de loi de finances.

Répartition des crédits au sein du programme 175 « Patrimoines »

Source : commission des finances du Sénat d'après les documents budgétaires

A. DES CRÉDITS EN LÉGÈRE HAUSSE MAIS LARGEMENT COMPLÉTÉS PAR LE PLAN DE RELANCE ET LE COLLECTIF DE FIN DE GESTION 2021

1. Une progression limitée des crédits axée sur quatre priorités

Le présent projet de loi de finances prévoit 10,1 millions d'euros en CP de mesures nouvelles. À cette somme s'ajoutent 16 millions d'euros supplémentaires en AE destinés au financement de schémas directeurs de travaux (Versailles, Archives nationales, Fontainebleau...). Cette priorité accordée aux travaux, louable dans un contexte de réduction des ressources propres des principaux opérateurs, s'inscrit cependant dans un contexte d'incertitude quant à leur bonne exécution (cf infra ).

a) Le financement de mesures de personnels

4,2 millions d'euros (AE = CP) sont ainsi destinés à financer des mesures de personnels au sein des opérateurs :

- 1,7 million d'euros devrait être consacré à la participation de certains opérateurs à la protection sociale complémentaire de certains employeurs ;

- 1,5 million d'euros doit concourir à la réforme du régime indemnitaire des agents contractuels de l'Institut national de recherches archéologiques et préventives (INRAP) ;

- 1 million d'euros sont fléchés vers le Centre des monuments nationaux (CMN) aux fins de recrutement d'agents en vue de la prochaine ouverture au public de la Cité internationale de la langue française, située dans le château de Villers-Cotterêts.

b) De nouveaux crédits en faveur de la promotion de l'architecture

2,9 millions d'euros devraient être fléchés vers la promotion de l'architecture via les réseaux régionaux : conseil d'architecture, d'urbanisme et de l'environnement - CAUE, maisons de l'architecture et actions menées avec les collectivités territoriales à l'image du réseau Villes et Pays d'art et d'histoire. La dotation accordée à ces réseaux devrait ainsi atteindre 6,5 millions d'euros (AE = CP).

Comme le relève le projet annuel de performance, les crédits dédiés à l'architecture et aux sites patrimoniaux (action 04) sont complétés par le dispositif dit Malraux de réduction d'impôt sur le revenu au titre des dépenses de restauration d'immeubles situés au sein des sites patrimoniaux remarquables (SPR), des quartiers anciens dégradés et des quartiers du nouveau programme national de renouvellement urbain (NPNRU) 14 ( * ) . Le taux de réduction est établi à 22 % mais peut être porté à 30 % selon la situation de l'immeuble. La dépense fiscale est estimée à 29 millions d'euros en 2022. Celle-ci n'est plus dynamique : elle s'élevait en effet à 34 millions d'euros en 2017, 8 093 foyers fiscaux ayant eu recours à ce dispositif. Le montant des dépenses éligibles fait pourtant de celui-ci un auxiliaire indispensable de l'action du ministère de la culture en vue de la préservation des monuments historiques et de la restauration des centres villes. L'Inspection générale des finances (IGF), l'inspection générale des affaires culturelles (IGAC) et le Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD) ont remis, en décembre 2018, un rapport évaluant le dispositif, qui concluait à une perte d'efficacité et de lisibilité du mécanisme, dans un contexte marqué par une multiplicité de crédits d'impôts destinés à soutenir l'investissement locatif (Pinel réhabilitation et classique, Cosse, Denormandie ancien). Ils avaient dans la foulée préconisé un certain nombre de pistes d'amélioration (unification du taux de réduction d'impôt à 30 %, possibilité de diversification des usages du bâti notamment) en vue de renforcer l'attractivité du dispositif et contribuer en premier lieu à l'arrêt de son déclin. Les rapporteurs spéciaux regrettent qu'aucune suite n'ait été donnée à ces propositions de réforme.

c) La poursuite du déploiement du plan de mise en sécurité des cathédrales

Lancé fin 2019, le plan de mise en sécurité des cathédrales voit sa dotation progresser au fil des exercices budgétaires. Doté initialement de 2 millions d'euros (AE = CP), son montant a été porté à 12 millions d'euros en AE et 7 millions d'euros en CP en 2021. Le présent projet de loi de finances prévoit un montant identique en AE mais une progression de 2 millions d'euros en CP .

Ces crédits viennent compléter la dotation de 40 millions d'euros allouée annuellement, selon le ministère de la culture, à la conservation des cathédrales au sein de l'enveloppe « Monuments historiques hors grands projets » de l'action 01 (329,14 millions en AE et 312,08 millions d'euros en CP prévus en 2022).

Ces sommes ne couvrent aucune opération liée à la mise en sécurité et à la restauration de la cathédrale Notre-Dame de Paris (cf infra).

d) Le renforcement des moyens accordés au Fonds incitatif et partenarial (FIP)

Le fonds incitatif et partenarial (FIP), créé en loi de finances pour 2018, accompagne les collectivités à faibles ressources en vue de financer des opérations de restauration de monuments historiques. Doté dès l'origine de 15 millions d'euros en AE, il a vu son enveloppe de CP progresser chaque année pour atteindre 15 millions d'euros en 2021. Le présent projet de loi de finances propose de majorer de 1 million d'euros (AE=CP) ses crédits.

Depuis sa création, plus de 500 opérations ont été lancées en région , visant principalement des édifices religieux (86 % des projets financés), appartenant à des communes (89 % des collectivités concernées). 76 % des financements sont fléchés vers les communes de moins de 2 000 habitants. Le financement de l'État d'élève en moyenne à 47 %, le reste étant réparti entre les départements (13 %), les régions (18 %) et les propriétaires accompagnés par des associations (22 %).

Les rapporteurs spéciaux approuvent cette progression des crédits, qui témoigne d'une réelle ambition pour le petit patrimoine, notamment rural. Ils seront cependant vigilants sur la bonne exécution des crédits. Le taux de consommation des CP relevé en 2020 s'établit en effet à 67 %, après deux exercices marqués par une surconsommation.

2. Des crédits complétés par le plan de relance
a) Une dotation de 227,3 millions d'euros à laquelle va s'ajouter le collectif budgétaire de fin de gestion 2021

L'action 05 Culture du programme 363 « Compétitivité » de la mission Plan de relance vient largement compléter les crédits prévus au titre du programme 175. Elle comprend en effet un plan d'investissement culturel en faveur des patrimoines et pour l'emploi, doté de 614 millions d'euros en AE sur la période 2021-2022.

Fonds prévus pour le patrimoine par la mission « Plan de relance »

(en millions d'euros)

LFI 2021

PLF 2022

AE

CP

AE

CP

Plan d'investissement culturel en faveur des patrimoines dans les territoires et pour l'emploi

614

344,7

227,3

Soutien aux opérateurs patrimoniaux

334

231,7

102,3

Accélération du chantier de restauration de Villers-Cotterêts

100

43

40

Réinvestissement dans les monuments nationaux relevant du Centre des monuments nationaux

40

20

20

Plan « cathédrales »

80

30

40

Soutien aux investissements réalisés par les propriétaires de monuments historiques n'appartenant pas à l'État

40

10

15

Réinvestissement dans les autres équipements patrimoniaux appartenant aux collectivités territoriales

20

10

10

Le présent projet de loi de finances prévoit une enveloppe de 227,3 millions d'euros en CP. Cette somme représente 22,2% de crédits supplémentaires pour le programme 175.

Ce plan vient pour partie financer des dispositifs existants. 125 millions d'euros en CP viendront ainsi renforcer plusieurs actions déjà lancées.

Le tiers restant des crédits de paiement du plan d'investissement (102,3 millions d'euros) est fléché vers le réarmement budgétaire des établissements patrimoniaux, afin de relancer leur activité, fragilisée par la crise. Cette aide répond à une double logique : renflouer les opérateurs en effaçant leurs pertes et permettre un rebond de leurs investissements, générant ainsi de l'activité chez leurs prestataires. Ces crédits viennent compléter ceux ouverts en collectif budgétaire de fin de gestion 2021. 169,1 millions d'euros (AE=CP) devraient ainsi être versés aux opérateurs afin de compenser les pertes de billetterie.

b) Une exécution 2021 lestée par les chantiers

La direction générale des patrimoines met en avant une bonne consommation en 2021 de la plupart des crédits dédiés à ses missions au sein du Plan de relance. Au 1 er octobre 2021, le taux d'exécution des AE atteignait ainsi 72 % et celui des CP 82 %.

Cette exécution reste dopée par le reversement, en début d'exercice, des dotations dédiées aux opérateurs. Au-delà de ces mesures de réarmement budgétaire, le soutien est exclusivement concentré sur des chantiers, dont la réalisation peut s'avérer longue. Ainsi si, au 1 er octobre 2021, 93 des 136 opérations prévues (hors château de Villers-Cotterêts) ont pu être lancées, le taux d'exécution des crédits de paiement relatifs à celles-ci s'avère relativement faible : 29,86 %.

Exécution des crédits dédiés aux chantiers patrimoniaux (hors château de Villers-Cotterêts) au sein de la mission Plan de relance au 1 er octobre 2021

Nombre d'opérations

AE exécutées (en millions d'euros)

Taux d'exécution

CP consommés

(en millions d'euros)

Taux d'exécution

Plan cathédrales

39

24,2

30,3 %

2,6

8,6 %

Monuments historiques n'appartenant pas à l'État

35

23,3

58,1 %

5,5

54,9 %

Monuments nationaux

12

40

100 %

12

60 %

Autres équipements patrimoniaux

7

8,6

43,0 %

0,9

8,7 %

Total

96

96,1

53,4 %

20,9

29,86 %

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

Il n'est pas étonnant dans ces conditions que la totalité des crédits de paiement initialement prévus ne soit pas ouverts au sein du projet de loi de finances pour 2022. Les crédits de paiement restants devraient ainsi être ouverts en 2023 à hauteur de 42 millions d'euros :

- 10 millions d'euros aux fins de financement du Plan Cathédrales ;

- 17 millions d'euros aux fins de financement des travaux du château de Villers-Cotterêts ;

- 15 millions d'euros à destination des monuments historiques n'appartenant pas à l'État.

La bonne exécution des crédits en 2022 pourrait également être remise en cause par un contexte peu propice à une maitrise des coûts (cf infra ). Interrogé par les rapporteurs spéciaux, le Centre des monuments nationaux, largement concerné par ces travaux (140 millions d'euros au total) a ainsi pointé le risque de tension sur la main d'oeuvre et les difficultés d'approvisionnement. Il conviendra d'ailleurs d'évaluer l'impact de ces aides massives à la restauration sur un éventuel renchérissement des coûts. La Cour des comptes observe de son côté, dans un audit publié en septembre 2021, un risque de surchauffe pour les services du ministère en charge du patrimoine confrontés à un afflux de demandes d'autorisation et d'avis. Les unités départementales de l'architecture et du patrimoine (UDAP) comme les architectes en chef des monuments historiques sont particulièrement concernés 15 ( * ) .

Les rapporteurs spéciaux rappellent enfin la tendance constatée ces dernières années à la progression des restes à payer, soit le solde des engagements n'ayant pas donné lieu à consommation de crédits de paiement au 31 décembre, au sein des programmes de la mission Culture, et particulièrement ceux du programme 175. En 2020, ceux-ci représentaient 732,57 millions d'euros, soit 74,8 % de l'ensemble des restes à payer de la mission.

Évolution du montant des restes à payer de la mission « Culture »,
par programme, de 2016 à 2020

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires


* 14 article 199 tercivies du code général des impôts.

* 15 Le soutien spécifique de l'État au patrimoine pendant la crise sanitaire - septembre 2021.

Page mise à jour le

Partager cette page