DEUXIÈME PARTIE
UN BUDGET POUR ACCOMPAGNER LA SORTIE DE CRISE

I. LE PROGRAMME 131 « CRÉATION » : DES MOYENS RENFORCÉS POUR AFFRONTER UN CONTEXTE TOUJOURS INCERTAIN

Le programme 131 « Création » est structuré autour de trois actions :

- l'action 01 dédiée au spectacle vivant, qui regroupe, au sein du projet de loi de finances pour 2022, 782,39 millions d'euros en autorisation d'engagement (AE) et 758,14 millions d'euros de crédits de paiement (CP) ;

- l'action 02 qui vise à soutenir les arts visuels, dotée de 89,36 millions d'euros en AE et 106,71 millions d'euros en CP au sein du présent projet de loi de finances ;

- l'action 06, créée en loi de finances pour 2020 et appelée à financer le soutien à l'emploi et la structuration des professions. 50,02 millions d'euros (AE = CP) sont prévus au sein du présent projet de loi de finances.

Répartition des crédits de paiement prévus par le projet de loi de finances pour 2022 au sein du programme 131 « Création »

Source : commission des finances du Sénat

Le présent projet de loi de finances se traduit par une majoration des crédits de 4,22 % en AE et 6,30 % en CP par rapport à la loi de finances pour 2021 . Comme l'an dernier, c ette majoration profite pour l'essentiel aux actions dédiées au soutien aux arts visuels (+ 18,6 % en CP) et au soutien à l'emploi (+ 11,11 % en CP).

Le montant des crédits de paiement devrait ainsi atteindre 914,87 millions d'euros, soit une progression de 54,19 millions d'euros par rapport à la loi de finances pour 2021.

Il convient de rappeler à ce stade que les marges de manoeuvre du programme restent étroites au regard des charges fixes qui structurent son budget. Celles-ci représentent 80,3 % du montant des crédits de paiement dédiés au programme 131 :

- les crédits de paiement prévus pour les dépenses d'intervention déconcentrées représentent 434,81 millions d'euros, soit 47,5 % des crédits de paiement prévus ;

- les versements aux opérateurs (subventions pour charges de service public et dotations en fonds propres) devraient atteindre 275,72 millions d'euros, soit 30,1 % des crédits du programme ;

- les dépenses dédiées à l'entretien et aux travaux devraient représenter, quant à elles, 23,65 millions d'euros, soit 2,6 % des crédits.

A. UNE AIDE AUX FILIÈRES QUI DÉPASSE LE PROGRAMME 131

L'action 05 « Culture » du programme 363 « Compétitivité » de la mission « Plan de relance » prévoit deux enveloppes appelées à compléter le programme 131. 259 millions d'euros (AE=CP) sont ainsi prévus en 2021 et 2022 Cette dotation complémentaire est particulièrement bienvenue au regard de l'absence de grandes marges de manoeuvres budgétaires du programme 131.

Fonds prévus pour la création par le plan de relance

(en millions d'euros)

LFI 2021

PLF 2022

AE

CP

AE

CP

Renouveau et reconquête de notre modèle de création et de diffusion artistique

216

144,9

71,1

Soutien aux opérateurs nationaux

126

81,9

44,1

Relance de la programmation des institutions de spectacle vivant en région (musique)

30

23

7

Relance de la programmation des institutions de spectacle vivant en région (théâtre, arts de la rue, danse, cirque)

30

20

10

Fonds de transition écologique pour les institutions de la création en région sur deux ans

20

10

10

Soutien au théâtre privé

10

10

Effort spécifique pour soutenir l'emploi artistique, redynamiser la jeune création et la modernisation des réseaux d'enseignement supérieur de la culture

43

33

10

Programme de commande publique dans les domaines de la littérature, des arts visuels et du spectacle vivant

30

20

10

Soutien aux artistes fragilisés par la crise et non pris en charge par les dispositifs transversaux

13

13

Total

259

177,9

81,1

Source : commission des finances du Sénat

Le présent projet de loi de finances prévoit ainsi 81,1 millions d'euros en CP, soit 9 % du montant des crédits dédiés au programme 131, en vue de compléter la dotation accordée en loi de finances pour 2021.

1. Un soutien réaffirmé aux opérateurs dans le Plan de relance et le collectif de fin de gestion 2021

44,1 millions d'euros, soit 54,7 % des CP prévus dans le cadre du Plan de relance sont fléchés vers le soutien aux opérateurs du programme 131, ce qui permet de majorer les crédits qui leurs sont dédiés de 16 %. À cette somme, il convient d'ajouter les crédits prévus par le collectif budgétaire de fin d'année 2021 qui prévoit de dégager 41,9 millions d'euros en vue de compenser les pertes de billetterie. Ces crédits sont appelés à être reportés en 2022. Au total, la dotation prévue dans le projet de loi de finances 2022 pour les opérateurs au titre du programme 131 devrait être majorée de 85 millions d'euros (AE = CP).

Cette dotation complémentaire, qui représente 31 % de la subvention accordée en 2022 dans le cadre du programme 131, illustre les difficultés traversées par les opérateurs en 2021 - 65,68 millions d'euros de pertes annoncées contre 48,34 millions d'euros en 2020 - et les doutes qui entourent un retour à la normale de l'activité en 2022.

Le lancement de la saison 2021-2022 est ainsi marqué par un infléchissement des ventes (entre -10 % et -40 %) qui pourrait tout à la fois relever d'un bouleversement des habitudes culturelles que d'un changement de comportement d'achat des spectateurs, privilégiant des achats plus tardifs pour se prémunir d'une évolution de la situation sanitaire. Le remplissage est notamment faible sur les places de catégories supérieures : l'afflux limité de touristes ou une limitation de la prise de risque par les spectateurs habituels peut justifier une telle évolution.

Les rapporteurs spéciaux estiment, comme l'an dernier, que cet appui budgétaire doit être appuyé tant il peut éloigner le spectre d'une cessation de paiement pour ces établissements et favoriser leur renflouement. Ils relèvent que la crise frappe logiquement plus nettement les opérateurs les plus dépendants de leurs ressources propres. L'hypothèse d'un changement des habitudes culturelles doit de fait inciter à une réévaluation du prix des billets pour accéder à certaines salles publiques, à l'image de l'Opéra de Paris.

Impact de la crise sur la trésorerie des opérateurs

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat d'après les réponses au questionnaire budgétaire

La question de la billetterie est d'autant plus cruciale que les recettes liées au mécénat tendent à s'amoindrir (cf supra ). Il convient de rappeler à ce stade que le mécénat représentait par exemple 16,5 % des ressources propres de l'Opéra de Paris en 2019 ou 22,6 % des ressources propres du théâtre national de Chaillot 6 ( * ) . Le cas du théâtre national de l'Odéon est assez éloquent. 3 entreprises mécènes ont été perdues entre 2019 et 2020, pour un total de 90 000 euros (soit 9 % du montant de la subvention accordée par le ministère). Un recul du mécénat des entreprises de 50 000 euros supplémentaires est attendu en 2021. Les pertes de recettes de mécénat des entreprises avaient été compensées exceptionnellement en 2020 par les dons de billets (180 000 euros). Les recettes de mécénat de l'Opéra de Paris devraient, quant à elles, atteindre, comme en 2020, 13 millions d'euros, contre 18 millions d'euros en 2019.

Aux pertes de recettes de mécénat s'ajoute également la chute des recettes de privatisation , arrêtées avec la pandémie. Le théâtre national de l'Odéon enregistre ainsi un recul de 75 % entre 2019 et 2020. Le recul s'est confirmé avec un niveau de recettes bas en 2021 : 40 000 euros, là où le budget initial tablait sur un montant cinq fois supérieur. Le changement de pratique observé par ailleurs pourrait affecter durablement ce type de recettes.

Dans ces conditions, il y a également lieu de s'interroger sur une réévaluation à la hausse des subventions pour charges de service public à compter de 2023. Les rapporteurs spéciaux relèvent à ce titre que le présent projet de loi de finances prévoit, dès 2022, 2,5 millions d'euros (AE = CP) pour le rebasage des opérateurs de la création en fonctionnement et en investissement : en ciblant principalement les moyens d'intervention du Centre national des arts plastiques à l'égard des artistes et les capacités d'investissement courant de l'établissement public de La Villette et de la Philharmonie - Cité de la musique.

2. Une exécution du Plan de relance pour l'heure inégale

La direction générale de la création artistique a indiqué aux rapporteurs spéciaux que les crédits du Plan de relance fléchés vers les objectifs du programme 131 faisant l'objet d'une exécution satisfaisante. 133,5 millions d'euros en AE et 124 millions d'euros en CP auraient ainsi été consommés au 28 septembre 2021, soit des taux d'exécution de respectivement 78 % et 73 %.

Cette consommation reste cependant dopée par le versement direct des crédits prévus pour compensation des pertes de billetterie aux opérateurs (soit 74,9 millions d'euros). Ces sommes représentaient 81,4 % des CP prévus en loi de finances pour 2021.

Hors versement aux opérateurs, le taux d'exécution des CP atteint 51,3 %. Le prolongement de la crise sanitaire, la méconnaissance des dispositifs de la part des acteurs de la filière 7 ( * ) ou l'absence de ressources humaines adaptées au sein des DRAC contribuent à donner l'impression d'un mauvais calibrage des décaissements prévus en 2021.

Le Gouvernement avait ainsi souhaité consacrer 30 millions d'euros sur 2021 et 2022 à un programme de soutien à la conception et à la réalisation de projets artistiques, visant, en particulier les jeunes créateurs . Ce programme de commande publique a pris la forme d'un appel à manifestation d'intérêt (AMI). La phase de candidature et de sélection des artistes a pris fin le 22 août 2021. La notification des projets était en cours de finalisation début octobre 2021. Il n'est pas étonnant, dans ces conditions, que le taux d'exécution de cette enveloppe soit pour l'instant proche de 0 % en AE et CP. Les phases de réalisation des oeuvres et de leur présentation au public devraient intervenir d'ici décembre 2022.

La mise en place d'un fonds de transition écologique visant les bâtiments des structures de spectacle vivant subventionnées en région (institutions labellisées et réseaux de théâtre, danse, arts de la rue et cirque, ensembles, opéras, orchestres et festivals) témoigne également d'un décalage entre les annonces et leur réalisation. Cette enveloppe (20 millions d'euros en AE et 10 millions d'euros en CP en 2021) a été répartie entre les directions régionales des affaires culturelles, après examen des projets d'investissements proposés. Cette phase de sélection a débouché sur un retard en matière de consommation de CP. Ainsi, au 28 septembre dernier, le taux d'exécution atteignait 16 % en CP. 104 opérations d'investissement ont d'ores et déjà été retenues.

Le volet musical du plan de relance de la programmation des institutions de spectacle vivant en région a, quant à lui, été affecté par le prolongement de la crise sanitaire. Si 691 subventions avaient été versées au 28 septembre 2021, les taux d'exécution atteignaient 52 % en AE (11,9 millions d'euros) et 50 % en CP (11,4 millions d'euros).

Les taux d'exécution du volet non-musical du plan de relance de la programmation sont, en revanche, plus élevés : 73 % en AE (14,6 millions d'euros) et 70 % en CP (14 millions d'euros en CP). Les dispositifs de soutien au théâtre privé (via la subvention à l'association de soutien au théâtre privé - ASTP, 100 % des crédits consommés) et aux artistes les plus fragilisés par la crise (93 % des CP consommés) permettent également de majorer le taux d'exécution global.

3. Des décaissements plus importants que prévus en 2022

Compte-tenu du faible taux d'exécution hors opérateurs en 2021, les décaissements prévus au titre du plan de relance devraient être supérieurs aux 37 millions d'euros prévus par le présent projet de loi de finances.

Ceux-ci visent quatre dispositifs :

- la relance de la programmation des institutions musicales classiques installées en région. Ces crédits sont destinés, sous l'égide des DRAC, à accompagner la reprise d'activité des artistes, ensembles et orchestres. Ce plan doit permettre de relancer la mise en oeuvre de programmations ambitieuses, de financer de nouvelles créations, de relancer l'emploi artistique, notamment par le recrutement des équipes artistiques fragilisées par la crise sanitaire ;

- le programme dédié aux institutions de spectacle vivant (théâtre, arts de la rue, danse, cirque) installées en région. Celui-ci est un soutien en faveur des festivals et prend ainsi le relais du fonds mis en place en 2020 ;

- le fonds de transition écologique pour les institutions de la création installées en région, qui vise à favoriser la remise aux normes et la transition écologique des bâtiments, dans une logique de cofinancement avec les collectivités territoriales propriétaires de ces équipements. Ces crédits doivent permettre la mise en oeuvre de travaux de remise aux normes et de performance énergétiques, de rénovations thermiques ou de favoriser des investissements dans la transition numérique des salles de spectacle et des lieux d'exposition d'arts visuels ;

- le programme de commande publique dans les domaines de la littérature, des arts visuels et du spectacle vivant.

Reste à déterminer si un complément ne devrait pas être mis en oeuvre s'agissant du théâtre privé, dont les crédits ont été consommés sur une année et non sur deux comme prévus initialement. Plus largement les montants dédiés à la relance des institutions culturelles en région peuvent apparaître obsolètes, au regard de l'effet décalé de la reprise et d'un possible changement des habitudes culturelles.


* 6 Réponse au questionnaire adressé par les rapporteurs spéciaux en mai 2020.

* 7 Cour des comptes, Les outien du ministère de la culture au spectacle vivant pendant la crise de la Covid 19, audit flash, septembre 2021.

Page mise à jour le

Partager cette page