C. CONSTRUIRE LA VILLE SUR LA VILLE ? RÉNOVATION ET LUTTE CONTRE L'ARTIFICIALISATION

Les enjeux mis en avant par la politique du logement portent de moins en moins sur la construction neuve dans des sites neufs et de plus en plus sur la rénovation et la reconstruction sur place.

1. Le soutien de l'État à la rénovation des logements prend de l'ampleur

L'enjeu de la rénovation poursuit sa montée en puissance. Soutenu par des dépenses fiscales importantes et par des crédits budgétaires (MaPrimeRénov', ANAH), il constitue un poste de plus en plus important de la dépense publique en faveur du logement .

La hausse continue du coût de la dépense fiscale relative au taux de TVA réduit de 5,5 % pour les travaux de rénovation énergétique des logements en est un signe : ce coût atteindrait 1 460 millions d'euros en 2022, contre 1 310 millions d'euros en 2020 et 1 150 millions d'euros en 2018 31 ( * ) , soit 27 % d'augmentation en quatre ans.

S'agissant du programme « Habiter mieux » géré par l'Agence nationale de l'habitat, financé notamment par la dotation de 170 millions d'euros inscrite au bénéfice de cet opérateur dans le programme 135, le succès rencontré en 2021 nécessite une ouverture de crédits complémentaire de 92 millions d'euros en faveur de l'ANAH dans le projet de loi de finances rectificative déposé le 3 novembre 2021.

Le plan de relance a ouvert par ailleurs 500 millions d'euros de crédits pour la rénovation énergétique et la réhabilitation de logement sociaux , sur appels à projets. La direction de l'habitat, de l'urbanisme et des paysages (DHUP), auditionnée par le rapporteur spécial, a fait observer que c'est la première fois que l'État intervient pour financer directement la réhabilitation de logements sociaux depuis la fin du dispositif PALULOS, en 2009 32 ( * ) . Les crédits du plan de relance, qui étaient prévus pour deux ans, devraient être consommés dès 2021 pour rénover 35 000 à 40 000 logements sociaux, dans la perspective de l'interdiction de mise en location des logements de classe G en 2025, prévue par la loi « Climat et résilience » 33 ( * ) .

De même, l'ensemble des crédits de MaPrimeRénov' prévus sur la mission « Plan de relance », soit 2 milliards d'euros, devraient être engagés dès 2021 , ce qui conduit à reporter le financement du dispositif sur le programme 174 « Énergie, climat et après-mines » de la mission « Écologie, mobilité et développement durables » dès 2022, à hauteur de 1,7 milliard d'euros en autorisations d'engagement et 1,4 milliard d'euros en crédits de paiement.

L'importance des sommes dépensées doit toutefois être mise en regard de l'efficacité obtenue .

Alors que le programme « Habiter mieux » de l'ANAH se fonde sur une évaluation des gains de performance énergétique obtenus (par une mesure avant et après les travaux), comme l'avait constaté la Cour des comptes dans un rapport remis à la commission des finances du Sénat 34 ( * ) , les conditions d'accès beaucoup plus souples de MaPrimeRénov', qui ont certes permis son succès, n'imposent pas les mêmes conditions. Il est donc plus difficile d'évaluer son efficacité en termes de réduction des consommations d'énergie , comme l'ont souligné récemment le rapport du comité et d'évaluation du plan de relance, présidé par Benoît Coeuré 35 ( * ) , ainsi qu'un « audit flash » conduit par la Cour des comptes 36 ( * ) .

2. La lutte contre l'artificialisation et la question de l'accès au foncier constituent désormais un élément crucial de la politique du logement et de l'urbanisme

Si la rénovation énergétique est devenue un axe majeur de la politique du logement, qui se traduit dans les financements publics, le rapporteur spécial souligne qu'il en sera de plus de plus de même de la question foncière , qu'il s'agisse de l'évolution de son coût dans certaines agglomérations ou, sur la plus grande partie du territoire, de la contrainte posée par l'objectif « zéro artificialisation nette » (ZAN).

L'article 191 de la loi « Climat et Résilience » du 22 août 2021 a ainsi fixé un objectif de division par deux du rythme d'artificialisation des sols d'ici 2030, afin d'atteindre l'objectif d'absence de toute artificialisation nette des sols en 2050.

L'objectif de sobriété foncière est désormais incontournable dans les dispositions législatives et réglementaires relatives à la construction. Certains dispositifs fiscaux jouent d'ores et déjà un rôle incitatif pour les particuliers, tels que le taux de TVA réduits sur la rénovation, même s'il est moins favorable (10 %) lorsqu'il ne porte pas sur une rénovation énergétique (5,5 %), ainsi que le crédit d'impôt favorisant la réhabilitation de logements anciens (dispositif Denormandie, dont les députés ont voté la prolongation jusqu'à la fin 2023 37 ( * ) ).

L'article 8 ter du projet de loi de finances, introduit par l'Assemblée nationale, abaisse également la TVA pour certaines opérations de conversion de bureaux en logements sociaux financés par un prêt locatif social (PLS).

Le recours à la dissociation entre le foncier et le bâti , mis en oeuvre par les organismes de foncier solidaire (OFS) au travers du bail réel solidaire (BRS), constitue, du point de vue des personnes auditionnées par le rapporteur spécial, un dispositif pertinent pour faciliter l'accès au logement dans un contexte de foncier cher, mais dont la portée sera limitée. La DHUP envisage par exemple un potentiel de 20 000 logements au total d'ici à 2024, ce qui ne constitue qu'une part réduite des besoins.

Surtout, le plan de relance a financé le lancement de deux dispositifs qui devraient avoir vocation à être pérennisés, mais il faut souligner le rôle que doivent jouer les établissements publics fonciers et la nécessité d'accompagner les collectivités.

3. Le succès du fonds « friches » est aussi le signe de ses limites

Le programme 362 « Écologie » de la mission « Plan de relance » a financé, pour un montant prévu initialement de 300 millions d'euros en autorisations d'engagement et 99 millions d'euros en crédits de paiement pour 2021, un fonds de recyclage des friches et du foncier artificialisé .

Ces crédits ont permis d'abonder un dispositif existant de l'Agence de la transition écologique (Ademe) pour la dépollution de sites industriels et de conduire des appels à projet régionaux, pilotés par les préfets de région, qui ont sélectionné près de 500 dossiers.

Le succès rencontré par les appels à projet a conduit le Premier ministre à annoncer, dès le 17 mai 2021, un renforcement des crédits de 350 millions d'euros supplémentaires, qui sont effectivement prévus par le projet de loi de finances rectificative déposé le 3 novembre, sous forme d'autorisations d'engagement sur le programme 362 de la mission « Plan de relance ».

Ce fonds est bienvenu dans la mesure où il apporte une aide aux collectivités qui doivent faire face à la présence de ces friches et au coût que représente leur réhabilitation.

Le succès du fonds témoigne du besoin important qu'il a révélé . Le second appel à projets lancé à l'automne a suscité un grand nombre de réponses de la part de bailleurs et de collectivités territoriales, selon ce qu'a indiqué l'administration au rapporteur spécial. Le volet « Ademe » a fait l'objet de demandes de subventions très supérieures à l'enveloppe prévue de 40 millions d'euros et le volet « appels à projets régionaux » a suscité le dépôt de dossiers représentant plus d'un milliard d'euros d'aides.

Il lui faut toutefois signaler le défi que représente l'ouverture de 650 millions d'euros d'autorisations d'engagement au cours de la seule année 2021, en termes de capacité d'instruction des dossiers. L'ouverture faite en loi de finances rectificative supposerait que 300 millions d'euros puissent être engagés dans les dernières semaines de l'année. Il est possible que, à défaut, ces crédits soient reportés à 2022.

Surtout, ce fond ne peut apporter qu'une réponse très partielle à l'atteinte de l'objectif de division par deux de l'artificialisation nette d'ici à 2030. L'Union nationale des aménageurs (UNAM), entendue par le rapporteur spécial lors de la préparation d'un rapport sur l'objectif « zéro artificialisation nette » rédigé dans le cadre de ses fonctions précédentes 38 ( * ) , estimait que le fonds « friches » permettrait la réhabilitation de 150 hectares par an, alors que le rythme d'artificialisation annuel est de l'ordre de 28 400 hectares.

Au total, si le Président de la République a également annoncé la pérennisation de ce fonds le 7 septembre, les modalités de cette pérennisation n'ont pas encore été précisées, la mission « Plan de relance » ne pouvant plus en constituer le support financier en raison de son caractère temporaire. Le rapporteur spécial demande donc que les modalités de pérennisation du fonds « friches » et notamment son imputation budgétaire soient précisées le plus rapidement possible .

Par ailleurs, le plan de relance a instauré une aide à la relance de la construction durable , dite « aide aux maires densificateurs », dotée de 175 millions d'euros en autorisations d'engagement et en crédits de paiement en 2021, tendant à accorder une subvention aux communes qui autorisent des opérations de logements denses dans les zones tendues. Le versement s'effectue automatiquement en fonction du nombre de permis de construire accordés, vérifiée à l'automne 2021.

La commission sur la relance de la construction durable, présidée par François Rebsamen, a pointé certaines limites du dispositif : le ciblage sur les zones où le besoin en logements est le plus important serait insuffisant, le caractère automatique de l'attribution de l'aide en réduirait son effet incitatif et son montant pourrait être mieux adapté au coût réel que représente l'accueil de populations nouvelles pour les collectivités.

Le Gouvernement a annoncé, comme le proposait la commission, la transformation de cette aide en un dispositif contractualisé de « contrats de relance du logement », qui seraient signés dès la fin 2021 ou le début 2022 et auxquels seraient affectée les crédits de 175 millions d'euros qui devaient initialement servir au renouvellement de l'aide en 2022.

4. Les établissements publics fonciers, désormais financés directement par le programme 135, sont des outils indispensables à la politique foncière

Les établissements publics fonciers (EPF) et autres organismes d'aménagement font l'objet, depuis cette année, d'une dotation budgétaire importante sur le programme 135, qui compense à ces établissements les conséquences de la réforme de la fiscalité locale sur le produit des taxes spéciales d'équipement qui leur est affecté.

Son montant était de 181,1 millions d'euros dans le projet de loi de finances pour 2021, dont :

- 131,1 millions d'euros tendent à compenser la diminution de l'assiette des taxes spéciales d'équipement qui résulte de la disparition progressive de la taxe d'habitation sur les résidences principales. Cette dotation concerne les EPF de l'État, les établissements publics fonciers d'aménagement (EPFA) et les EPF locaux ;

- 50 millions d'euros sont attribués au titre d'une modification des règles d'évaluation de l'assiette foncière des établissements industriels, ce qui a entraîné un report de perception de la ressource pour ces mêmes établissements, ainsi que pour les agences des cinquante pas géométriques et pour la Société du Grand Paris (SGP).

En 2022, la compensation budgétaire sur le programme 135 est de 182,3 millions d'euros au total.

En outre, le produit des taxes spéciales d'équipement affecté aux établissements publics fonciers serait au total de 436,9 millions d'euros en 2022, selon les estimations données par le tome 1 de l'annexe « Voies et moyens », contre 458,2 millions d'euros en 2021 et 675,7 millions d'euros en 2020 39 ( * ) .

Le rapporteur spécial prend acte de cette rebudgétisation partielle du financement des établissements publics fonciers et souligne qu'elle devra être pérennisée afin de permettre à ces établissements de poursuivre leurs actions. Le rapport « budget vert » annexé au projet de loi de finances reconnaît le l'importance de l'action de ces établissements, classée comme « favorable » à l'environnement par leur contribution à la lutte contre l'artificialisation et à la dépollution des sols. Ils assistent notamment les collectivités pour la mobilisation du fonds « friches », sur les opérations de requalification des copropriétés dégradées ou dans la revitalisation des coeurs de villes.

Le rapport de la commission pour la relance de la construction durable signale que certains EPF locaux ont un niveau d'endettement élevé et propose de renforcer leurs moyens d'actions. S'agissant des EPF d'État, leur niveau global de trésorerie des EPF est relativement élevé, mais la situation est contrastée selon les établissements et la trésorerie sera réduite en 2022 par l'abaissement des plafonds d'affectation de TSE prévue par l'article 14 du projet de loi de finances 40 ( * ) .

5. Dans un contexte de finances locales de plus en plus contraintes, il est nécessaire de mieux accompagner les collectivités territoriales

D'une manière générale, le rapporteur spécial souligne, comme il l'a fait dans le rapport précité sur l'objectif « zéro artificialisation nette », la nécessité d'avoir une approche plus territorialisée des objectifs de réduction de l'artificialisation et de mieux évaluer l'impact financier de ces objectifs pour les collectivités territoriales.

L'objectif de sobriété foncière constitue en effet un enjeu très différent selon que les communes disposent de plus ou moins de foncier disponible déjà artificialisé et selon la pression locale du marché du logement, ce qui nécessite une approche différenciée : les contraintes imposées auront un impact différencié sur les ressources des collectivités liées à la fiscalité foncière. Par ailleurs, cet objectif rend également plus difficile l'atteinte des objectifs de construction de logement social fixées par la loi SRU 41 ( * ) pour les communes concernées, avec l'impact financier que constituent les sanctions.

Parmi les outils qui pourraient être mis à la disposition des collectivités, la taxe d'aménagement pourrait être modulée sur les opérations de réhabilitation de friches ou de renaturation de terrains artificialisés, en amplifiant les évolutions introduites par la loi de finances pour 2021. L'impact d'une telle mesure sur les budgets communaux nécessiterait toutefois de prévoir une compensation.

La réforme de la taxe d'aménagement dans la loi de finances pour 2021

L'article 141 de la loi de finances pour 2021 a prévu deux aménagements de la taxe d'aménagement dans un sens favorable à la sobriété foncière et à la lutte contre l'artificialisation des sols.

D'une part, la part départementale de la taxe d'aménagement peut désormais être affectée aux espaces naturels sensibles et aux opérations de renaturation, ce qui tend à faciliter la transformation des friches en espaces naturels.

D'autre part, une nouvelle exonération de la taxe d'aménagement a été introduite pour les surfaces de stationnement créées au-dessus ou en - dessous des immeubles, afin de favoriser les stationnements verticaux moins consommateurs d'espace.

Le même article a assoupli les conditions d'application des taux majorés de la part communale et intercommunale de la taxe d'aménagement, ce qui facilitera la réalisation d'opérations d'aménagement par les communes mais avec sans doute moins d'effets en termes de sobriété foncière que les deux dispositions précédentes.

Source : commission des finances

En outre, les mesures de la loi « Climat et résilience » devraient entraîner la révision de nombreux documents d'urbanisme , ce qui a un coût pour les collectivités, alors même que l'État limite son soutien financier à l'élaboration de ces documents. L'article 251 de la loi de finances pour 2021 a en effet exclu de l'éligibilité au fonds de compensation de la TVA (FCTVA) des frais liés à la réalisation des documents d'urbanisme et à la numérisation du cadastre. En outre la dotation générale de décentralisation (DGD), accordée notamment au titre de l'élaboration des documents d'urbanisme, est stabilisée en valeur depuis 2009 42 ( * ) .


* 31 Annexe « Voies et moyens » aux projets de loi de finances pour 2020 et pour 2022, tome 2 « Dépenses fiscales ».

* 32 Prime à l'amélioration des logements à usage locatif et à occupation sociale, qui ne dispose plus de crédits budgétaires depuis la loi de finances pour 2009, sauf pour certaines catégories de logements, par exemple dans le cadre de la mise aux normes des foyers de travailleurs migrants.

* 33 Loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets.

* 34 Le programme « Habiter mieux » , rapport de la Cour des comptes annexé au rapport d'information n° 399 (2017-2018) de Philippe Dallier, fait au nom de la commission des finances, 4 avril 2018.

* 35 Premier rapport du comité d'évaluation du plan France Relance , octobre 2021.

* 36 Cour des comptes, Premiers enseignements du déploiement du dispositif « MaPrimeRénov' » , septembre 2021.

* 37 Projet de loi de finances pour 2022, amendement n° II-3102 de la commission des finances, adopté le 10 novembre 2021.

* 38 Voir le rapport d'information n° 584 (2020-2021) sur l'objectif de zéro artificialisation nette à l'épreuve des territoires, de Jean-Baptiste Blanc, Anne-Catherine Loisier et Christian Redon-Sarrazy, fait au nom de la commission des affaires économiques du Sénat, déposé le 12 mai 2021.

* 39 Calculs commission des finances, à partir du montant exécuté des taxes spéciales d'équipement (y compris la taxe spéciale d'équipement au profit de la Société du Grand Paris) et, le cas échéant, du plafond d'affectation pour chaque établissement (EPF, EPFL, EPFA, agences pour la mise en valeur de la zone des 50 pas géométriques et Société du Grand Paris).

* 40 La trésorerie des EPF d'État était, selon les réponses au questionnaire budgétaire, de 553,1 millions d'euros à la fin 2020, contre 470,6 millions d'euros à la fin 2019, ce qui s'explique notamment par une baisse des acquisitions.

* 41 Loi n° 2000-1208 du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbains, codifiée aux articles L. 302-5 et suivants du code de la construction et de l'habitation.

* 42 Projet annuel de performances de la mission « Relations avec les collectivités territoriales », annexé au projet de loi de finances pour 2022.

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