II. JUSTICE JUDICIAIRE : UNE HAUSSE CONSÉQUENTE DU BUDGET QUI APPELLE UNE RÉFLEXION SUR L'ORGANISATION DES RESSOURCES HUMAINES

A. UNE HAUSSE IMPORTANTE DES CRÉDITS ALLOUÉS AUX JURIDICTIONS QUI CONCERNE TOUS LES POSTES DE DÉPENSE

La hausse des crédits destinés aux juridictions , inscrits au programme 166 « Justice judiciaire » du projet de loi de finances pour 2023, est plus importante qu'en 2022 : les crédits augmenteraient de près de 300 millions d'euros , pour atteindre 4,14 milliards d'euros (+ 7,8 % contre + 3,4 % en 2022). Hors charges de pensions, cette hausse équivaut à 9 %.

Source : commission des lois du Sénat à partir des documents budgétaires

Il s'agit, pour la majeure partie, de financer la hausse des dépenses de personnel liée aux créations de postes et mesures catégorielles.

Les dépenses de fonctionnement augmenteraient également, qu'il s'agisse des frais de justice (+ 12 millions d'euros soit un montant total de 660 millions d'euros) ou du fonctionnement courant des juridictions avec 44,7 millions d'euros supplémentaires (+15 %).

La dynamique des frais de justice - + 33 % entre 2017 et 2023 - reste constante , s'expliquant notamment par une augmentation de la dépense moyenne par affaire pénale : 501 euros prévus en 2023 contre 368 euros en 2018. Les rapporteures saluent une plus grande sincérité dans la prévision des dépenses dont témoigne l'exécution quasi-totale des crédits en 2021 : pour la première fois depuis presque dix ans, ce poste n'aura pas été
sous-doté en loi de finances initiale. Elles regrettent toutefois que la mise en oeuvre de la plateforme nationale des interceptions judiciaires (PNIJ) n'ait pas permis de faire toutes les économies escomptées . Alors que les prévisions d'économie s'élevaient à 70 millions d'euros annuels 5 ( * ) , le ministère estime en avoir réalisé seulement 54 millions entre 2018 et 2022.

L' investissement dans l'immobilier judiciaire , dont les juridictions ont cruellement besoin, bénéficierait également d'une augmentation de 12,5 % pour atteindre plus de 269 millions d'euros. La programmation retenue cible les situations les plus critiques parmi lesquelles le tribunal judiciaire de Bobigny (30 millions en 2023 et 142 millions au total) ou celui de Mamoudzou (étude préalable de restructuration du tribunal finalisée).

B. UN RENFORCEMENT BIENVENU DES MOYENS HUMAINS QUI DOIT ALLER DE PAIR AVEC UNE RÉORGANISATION DES RESSOURCES HUMAINES

1. Un effort notable de renforcement des effectifs en juridiction et de l'attractivité des fonctions de justice

Le projet de budget pour 2023 met davantage l'accent cette année sur le renforcement des effectifs des juridictions : il prévoit la création de 1 220 postes nets contre seulement 40 en 2022. Il s'agit de 546 postes de titulaires dont 200 de magistrats, 191 de greffiers et 155 de directeurs de greffe. À titre de comparaison, seulement 50 emplois de magistrats, 47 de greffiers et 50 de directeurs de greffe avaient été créés en 2022 - compensés par la suppression d'emplois de catégories C.

Création de postes de titulaires (en ETP)

Magistrats

200

Greffiers

191

Directeurs des services de greffe judiciaires

155

Création de postes de contractuels (en ETP)

Juristes assistants

300

Assistants spécialisés

20

Attachés et contractuels A « justice de proximité »

100

Contractuels B administratifs et techniques

210

Contractuels C administratifs et techniques

44

Sous-total titulaires

546

Sous-total contractuels

674

Total

1 220

Source : réponse des services de la Chancellerie au questionnaire des rapporteures

Le ministère de la justice poursuit, en 2023, sa politique de recrutement de contractuels et propose de créer 674 postes dont 300 de juristes assistants, 100 de contractuels de catégorie A, 110 de catégorie B et 100 de techniciens de proximité.

S'y ajoute la pérennisation de 695 postes en 2022. Les juridictions comptent, au 1 er septembre 2022, 2 218 contractuels qui occupent une place de plus en plus importante 6 ( * ) . D'après le ministère de la justice, ils représentent 12,1 % des effectifs de magistrats (s'agissant des 1 041 juristes assistants et assistants spécialisés) et 5,1 % des effectifs de fonctionnaires de greffe (s'agissant des 1 177 autres contractuels).

Cette dynamique devrait se poursuivre dans les prochaines années puisque le garde des Sceaux a annoncé la création sur cinq ans de 1 500 postes de magistrats, 1 500 de greffiers et 2 000 de juristes assistants. Pour atteindre ces objectifs particulièrement ambitieux, les services du ministère de la justice visent la formation de 500 auditeurs de justice et 1 000 greffiers par an , ce qui implique d'importants aménagements - concours, locaux, enseignants - à l'École nationale de la magistrature et à l'École nationale des greffes , où les formations durent respectivement trente-et-un et dix-huit mois.

Outre ce renfort en moyens humains, le projet de loi de finances pour 2023 propose une revalorisation indemnitaire des magistrats judiciaires de 1 000 euros bruts en moyenne par mois , dans un but de convergence avec les magistrats administratifs et financiers avec lesquels l'écart de rémunération s'établit selon la Chancellerie à hauteur de 1 300 euros par mois en début de carrière. Le coût de cette mesure qui entrerait en vigueur au 1 er octobre 2023 serait de 29,2 millions d'euros pour la première année, puis 111,65 millions d'euros en année pleine . Si les rapporteures saluent la volonté de renforcer l'attractivité financière des fonctions de magistrat, elles relèvent que les primes sont attribuées proportionnellement à l'ancienneté, ce qui tendrait à nuancer cet apport pour les magistrats en début de carrière.

Pour les fonctionnaires de greffe , le ministère de la justice fait valoir un effort de 37 millions d'euros entre 2021 et 2023 de revalorisation indiciaire ou indemnitaire, équivalant à 165 euros bruts mensuels en moyenne pour les greffiers et 250 pour les directeurs de services de greffe judiciaires.

2. Une nouvelle évaluation des besoins en juridiction qui doit maintenant aboutir, tout comme la réflexion sur « l'équipe du magistrat »

Cette augmentation massive des effectifs doit impérativement s'accompagner d'une politique solide en matière de ressources humaines , voire d'un changement total de paradigme avec une déconcentration, au plus près du terrain, des décisions, tout en établissant une doctrine nationale permettant aux acteurs de ne pas se sentir isolés.

Les besoins des juridictions doivent tout d'abord être mieux évalués et mis à jour en fonction des évolutions législatives ou des flux de contentieux. Les effectifs théoriques retracés dans la circulaire annuelle de localisation des emplois restent aujourd'hui fondés sur une évaluation très imparfaite des besoins . De surcroît, les vacances de postes des magistrats 7 ( * ) , qui étaient devenues résiduelles en 2021, atteignent 3,52 % en 2022, ce qui n'est pas bon signe. La situation reste encore plus préoccupante dans les greffes, où l'on observait encore un taux de vacance de 7 % .

Le garde des Sceaux a indiqué que les travaux sur l'évaluation de la charge de travail des magistrats , que la commission des lois du Sénat appelle de ses voeux depuis son rapport d'information « Cinq ans pour sauver la Justice ! » d'avril 2017, devraient aboutir en fin d'année. Pour les greffiers, OUTILGREF permet d'évaluer la charge de travail des greffiers mais comporte de nombreuses lacunes : il ne prend par exemple pas en compte le stock d'affaires ni le travail administratif. Cet outil de pilotage devrait donc être amélioré.

Il importe également de moderniser les méthodes de travail du magistrat en créant des équipes pour lui permettre de se concentrer sur son office, revaloriser le rôle des greffiers et donner un avenir aux contractuels. Encore faut-il que les missions de chacun soient clarifiées au sein de cette « équipe », tant il devient difficile de s'y retrouver entre les assistants de justice, les juristes assistants, les contractuels A « justice de proximité », les assistants spécialisés...

Le rapport rendu au garde des Sceaux en septembre dernier par Dominique Lottin sur « La structuration des équipes juridictionnelles pluridisciplinaires » 8 ( * ) pourrait permettre d'engager enfin ce changement sur des bases plus concrètes .

Les principaux éléments du rapport de Dominique Lottin
sur « La structuration des équipes juridictionnelles pluridisciplinaires
»

Dans un contexte de massification des contentieux et de complexification des procédures, le rapport fait le constat d'un besoin de travail en équipe reconnu mais d'une mise en oeuvre qui percute les statuts et les organisations, notamment du fait d'une organisation administrative chaotique qui nuit à l'efficacité.

Le rapport propose de définir une doctrine nationale d'emploi pour chacun des membres de la communauté de travail ainsi qu'une modélisation concrète des équipes, dont les grandes lignes sont les suivantes :

- une répartition plus « affirmée » entre les fonctions confiées aux greffiers et celles dévolues aux assistants juridictionnels (nouveau nom de l'assistant de justice, qui pourrait aussi être « juriste judiciaire ») ;

- un statut de contractuel de longue durée pour les assistants de magistrats, ouvert aux étudiants mais aussi à de jeunes professionnels ou des fonctionnaires en détachement, notamment les greffiers ;

- une professionnalisation de la gestion administrative des contractuels leur assurant la reconnaissance des acquis professionnels et une perspective d'avenir ;

- la création d'un service régionalisé de documentation et d'étude au service des juridictions et en lien avec la Cour de cassation, notamment dans la perspective de l' open data des décisions de justice ;

- enfin, une organisation mixte inspirée des juridictions européennes qui combine une mutualisation du travail des assistants de magistrats répartis dans des « pools juridiques » pour le traitement de contentieux de basse intensité et une affectation par pôle et service de la juridiction pour les contentieux plus complexes ou techniques.

En tout état de cause, selon le rapport, « il faut trouver les moyens que le juge ne délègue par purement et simplement son office et qu'il reste maître tout à la fois de la ou des décisions à prendre et de sa motivation » 9 ( * ) .

Source : rapport et audition de Dominique Lottin

Toutefois, ce sujet n'est pas consensuel car la coexistence de fonctionnaires de greffe recrutés par concours, souvent hautement qualifiés et garants de l'authentification de la procédure, et d'agents contractuels qui, pour certains d'entre eux, aspirent à une intégration directe dans la magistrature au terme de leur contrat, créé des tensions importantes en juridiction . Les greffiers sont, d'ailleurs, soumis à l'autorité hiérarchique du directeur du greffe et non des magistrats auxquels ils apportent, le cas échéant, leur concours, contrairement aux contractuels de catégorie A récemment recrutés.


* 5 Avis n° 146 (2019-2020) d'Yves Détraigne fait au nom de la commission des lois du Sénat sur le projet de loi finances pour 2020 ( http://www.senat.fr/rap/a19-146-8/a19-146-8.html ).

* 6 Ce chiffre ne comprend pas les assistants de justice qui sont en général étudiants mais peuvent représenter un nombre conséquent de personnes, plutôt en diminution (1 323 en 2021 contre 1 643 en 2017).

* 7 Différence entre l'effectif théorique fixé dans la circulaire de localisation des emplois et l'effectif réel de la juridiction.

* 8 Rapport de Dominique Lottin sur :

« La structuration des équipes juridictionnelles pluridisciplinaires »

https://cgt-justice.fr/wp-content/uploads/2022/10/dsj_rapport_lottin_structuration_des_equipes.pdf

* 9 Page 42 du rapport.

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