III. RENFORCER LE SOUTIEN AUX AGRICULTEURS EN DÉTRESSE ET EN PARTICULIER AU MONDE DE L'ÉLEVAGE EN DIFFICULTÉ

A. L'ACCOMPAGNEMENT DES AGRICULTEURS EN DÉTRESSE NE PEUT SOUFFRIR AUCUN RELÂCHEMENT DES POUVOIRS PUBLICS

Dans la suite du rapport de Mme Férat et de M. Cabanel relatif à la prévention, à l'identification et à l'accompagnement des agriculteurs en détresse, le Gouvernement a publié une feuille de route, en novembre 2021, associant tous les acteurs du monde agricole à sa mise en oeuvre.

Un an après, en raison du caractère transversal des mesures, la transparence sur les implications budgétaires de cette feuille de route, passées l'an dernier de 30 à 42 millions d'euros, mais éclatés en diverses actions, programmes et même missions n'est toujours pas faite. Les rapporteurs regrettent que le financement des diverses actions de ce plan ne soit pas retracé de façon exhaustive dans un document unique, ce qui serait un facteur d'amélioration de sa lisibilité. Cet effort de clarté serait en tant que tel un motif d'espoir pour les agriculteurs en difficulté, prenant conscience que de telles aides existent. Ce serait en outre un signe de l'ambition maintenue de ce plan, aidant à clarifier les responsabilités de chacun et permettant la mobilisation générale des services de l'État.

Recommandation : présenter dans un document spécifique les crédits consacrés à la feuille de route pour prévenir le mal-être des agriculteurs, aujourd'hui éparpillés, pour en faciliter le suivi, et proposer des indicateurs de performance compréhensibles du plus grand nombre.

Du reste, les rapporteurs regrettent qu'un des dispositifs centraux de cette feuille de route, l'aide à la relance des exploitations agricoles ( AREA ), dont l'enveloppe budgétaire avait été doublée l'an dernier, soit en perte de vitesse cette année (5,2 M€ cette année contre 7,1 M€ l'an dernier en crédits de paiement). Mise sur le compte d'une sous-consommation des crédits, cette baisse renvoie en réalité au phénomène du non-recours , alimenté par l'instabilité normative et la surcharge psychologique des agriculteurs.

C'est l'un des enseignements du rapport sur la compétitivité de la « ferme France » : si l'étau normatif n'est pas un tant soit peu desserré, les enveloppes budgétaires, même élevées, resteront lestées par des lourdeurs réglementaires et des procédures limitant leur effet de levier sur l'initiative privée.

B. UN MONDE DE L'ÉLEVAGE EN PROIE AUX CRISES

Les rapporteurs souhaitent attirer la lumière sur le monde de l'élevage, durement éprouvé cette année par les aléas climatiques ( sécheresse pour les prairies, canicule pour les élevages), économiques (chute de la demande d' oeufs bio et de porc bio ) et sanitaires ( influenza aviaire hautement pathogène), ce qui accentue l'accélération de la décapitalisation observée dans plusieurs filières ces dernières années.

TVA alimentation animale

En 2021, M. Laurent Duplomb avait été le seul à alerter sur le péril que faisait courir à l'élevage le refus par le Gouvernement d'appliquer un taux de TVA réduit à l'alimentation animale. Cette mesure est importante pour la trésorerie des opérateurs, mais est sans aucune conséquence budgétaire. L'article 5 quinquies du projet de loi de finances 2023 6 ( * ) , introduit par amendement à l'Assemblée nationale, revient sur cette erreur qui a bien failli mettre en péril la pérennité de la filière porcine, en grande difficulté cet hiver. Les rapporteurs du Sénat se félicitent que leur connaissance de la réalité des entreprises ait permis d'alerter sur cette difficulté.

Le focus thématique de la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale consacré au service de remplacement , reprend certaines des recommandations du rapport de Mme Férat et de M. Cabanel sur l'accompagnement des agriculteurs en détresse , dans le but d'accorder un répit pour les agriculteurs devant travailler chaque jour de l'année sur leur exploitation. Le PLF transmis au Sénat n'a toutefois pas été modifié en ce sens.

Pour traduire concrètement cette communion parlementaire , les co-rapporteurs pour avis ont fait adopter un amendement ( n° I-1597 ) portant de 50 à 66 % le crédit d'impôt au titre des dépenses de remplacement , et de 60 à 66 % en cas de maladie ou d'accident du travail 7 ( * ) , afin d'accroître l'attractivité des métiers de l'agriculture et ainsi aider au renouvellement des générations. Cette hausse est aussi destinée à faire pièce aux explications culturalistes parfois faciles, selon lesquelles ce sont les agriculteurs qui refuseraient de s'arrêter.

La pression psychologique subie par les agriculteurs vaut en particulier pour les éleveurs, qui ont besoin d'un répit durant l'année

Cette incitation fiscale (article 200 undecies du code général des impôts), à l'effet d'aubaine limité puisque plafonnée à 14 jours par an, bénéficie aujourd'hui à 31 647 ménages au total, dont plus d'un tiers pour maladie ou accident du travail, en moyenne à hauteur de 700 € par ménage et par an. L'évolution proposée par les rapporteurs aurait un coût inférieur à 5 M€.

Amendement : pérenniser le crédit d'impôt au titre des dépenses de remplacement pour certains agriculteurs, et porter son taux à 66 %, quel qu'en soit le motif, dans la limite de 14 j/an.

L'activation de ce levier n'exonère pas d'une réflexion sur la mise à niveau, tant quantitative que qualitative, de l'offre de remplacement. Plus généralement, c'est tout l'écosystème de l'activité en milieu rural qui doit s'améliorer.

Face à la désertification vétérinaire, qui témoigne des fragilités de l'élevage, les rapporteurs s'interrogent sur le niveau de l'enveloppe consacrée aux stages tutorés vétérinaires en zones rurales. Celle-ci passe en effet de 700 000 € en AE (630 000 € en CP) en 2022, à 550 000 € (480 000 €) en 2023, soit une diminution de près de 25 % en crédits de paiement . Le ministère de l'agriculture l'explique par une diminution des indemnités versées aux cliniques d'accueil des stagiaires, qui profitaient d'un effet d'aubaine. Les rapporteurs considèrent que ces 150 000 € récupérés à juste titre, tout à fait modiques, auraient dû être mobilisés pour financer de nouveaux stages tutorés . En effet, la croissance continue des effectifs des promotions des écoles vétérinaires qui permet quantitativement de faire face à la hausse des besoins en « canine », n'épuise pas la problématique des crises de vocation en « rurale ».

S'agissant enfin des moyens affectés à la biosécurité, les rapporteurs se félicitent de la hausse des crédits sur le programme 206 pour mettre en place un système d'information de l'alimentation et se conformer à la « loi de santé animale », règlement européen entré en vigueur en avril 2021, renforçant et harmonisant la surveillance des épizooties. En complément de ce volet préventif, ils notent avec satisfaction que l'équarrissage bénéficie d'une enveloppe supplémentaire, les travaux du groupe d'études Élevage du Sénat ayant bien montré la nécessité de maintenir des surcapacités face au risque notamment de peste porcine africaine (PPA). Ils regrettent néanmoins que la modernisation des bases d'identification animale, pourtant indispensables face aux maladies animales, soit sous-financée à hauteur de 6 M€, la plupart des appels à projet étant à cause de ce manque non pourvus .

Amendement : financer le déploiement de la numérisation et de l'adaptation des différentes bases d'identification animale à la loi de santé animale (LSA).

S'agissant de l'influenza aviaire , les rapporteurs regrettent que le Gouvernement n'ait pas eu plus tôt le courage d'imposer la recherche sur la vaccination comme la priorité, face à la frilosité de filières qui en redoutaient l'impact réglementaire pour leurs exportations dans les pays tiers. Les rapporteurs font remarquer que la production française de volaille étant essentiellement destinée au marché domestique, ces craintes étaient largement infondées.

Si pour l'influenza aviaire, les verrous ne sont plus budgétaires, mais réglementaires au niveau européen, et diplomatiques avec nos partenaires commerciaux et au sein de l'Organisation mondiale de la santé animale, il convient d'anticiper dès à présent les prochaines crises en faisant augmenter le ratio « dépenses préventives/dépenses curatives » par un effort supplémentaire dans la recherche sur la vaccination.

Amendement : multiplier par dix le million d'euros dédiés à la recherche de vaccins contre les épizooties, afin d'anticiper d'éventuelles crises similaires à l'influenza aviaire.


* 6 Articles 278-0 bis et 278 bis du code général des impôts.

* 7 Le taux unique se justifie par l'effet préventif des congés, avant qu'une maladie avant qu'une maladie ou un accident du travail ne surviennent.

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