B. UN BUDGET QUI NE RÉPOND PAS AU MALAISE ET AUX INQUIÉTUDES DES PERSONNELS PÉNITENTIAIRES

Si les effectifs prévus pour 2019 sont en hausse, votre rapporteur souhaite souligner le sentiment d'épuisement professionnel de toutes les catégories de l'administration pénitentiaire : la sortie de la crise de l'administration pénitentiaire ne dépend pas seulement de moyens budgétaires mais du traitement des difficultés structurelles.

1. Des hausses d'effectifs qui restent insuffisantes pour rattraper les retards accumulés

Le plafond d'emplois du programme n° 107 « Administration pénitentiaire » pour 2019 serait fixé à 41 514 équivalents temps plein travaillé (ETPT), en augmentation de 1 288 ETPT par rapport au plafond d'emplois fixé en loi de finances initiale pour 2018, qui était de 40 226 ETPT.

Cette augmentation apparaît d'autant plus nécessaire que le taux de consommation du plafond d'emplois est de 98,9 % en 2017 (soit 435 ETPT non consommés) ; sur les 1 255 créations d'emplois prévues en 2017, 1 049 ont été effectivement créés, soit 83,6% des créations prévues.

Consommation en 2017 du plafond d'autorisation d'emploi (PAE en ETPT)
Écart entre LFI 2017 et RAP 2017

Catégories

Programme 107 - Administration pénitentiaire

Mission Justice

Plafond d'emplois voté

Plafond d'emplois réalisé

Écart

Plafond d'emplois voté

Plafond d'emplois réalisé

Écart

Magistrats

14

12

- 2

9 597

9 351

- 246

Personnel d'encadrement

1 851

1 936

85

9 029

9 282

253

B métiers du greffe, de l'insertion et de l'éducation

5 021

5 014

- 7

19 537

19 050

- 487

B administratifs et techniques

1 165

1 217

52

2 494

2 480

- 14

Personnel de surveillance

27 920

27 009

- 911

27 920

27 009

- 911

C administratifs et techniques

3 226

3 574

348

14 639

15 032

393

Total

39 197

38 762

- 435

83 216

82 204

- 1012

Créations/suppressions (ETP)

1 255

1 049

Départs en retraite (ETP)

842

692

Source : commission des lois à partir des documents budgétaires.

Votre rapporteur regrette néanmoins que les créations d'emplois prévues pour le corps des personnels de surveillance n'aient pas été intégralement réalisées. Contrairement aux prévisions, ont été recrutés davantage de personnels administratifs de catégorie C et de personnels d'encadrement que le plafond voté en loi de finances, au détriment des personnels de surveillance.

Entre décembre 2012 et décembre 2017, l'effectif théorique des personnels de surveillance a augmenté de 9 % avec l'ouverture de nouveaux établissements et le développement de nouvelles missions, particulièrement la reprise des extractions judiciaires. Parallèlement, les effectifs réels ont augmenté de seulement 4 %. Le taux de vacance des personnels de surveillance est ainsi de 7,2 % au 1 er aout 2018.

Évolution du taux de vacance des personnels de surveillance

Effectif théorique

Effectif réel

Postes vacants

Taux de vacance

Déc. 2012

25 740

25 320

420

1,6 %

Déc. 2013

25 953

25 041

912

3,5 %

Déc. 2014

25 782

24 583

1 199

4,7 %

Déc. 2015

26 548

24 984

1 564

5,9 %

Déc. 2016

26 997

25 155

1 842

6,8 %

Déc. 2017

28 099

26 245

1 854

6,6 %

Août 2018

28 676

26 609

2 067

7,2 %

Source : statistiques de l'administration pénitentiaire.

Répartition des créations d'emplois prévues pour 2019

Combler les vacances de postes des personnels de surveillance

+ 400

Renforcer les services pénitentiaires d'insertion et de probation

+ 400

Déployer les équipes locales de sécurité pénitentiaire

+ 70

Continuer de mettre en place les extractions judiciaires de proximité

+ 50

Consolider les moyens humains du renseignement pénitentiaire

+ 39

Total

+ 959

En 2018, les recrutements de surveillants ont été plus importants que les années précédentes. Deux promotions de respectivement 922 et 911 lauréats sont ainsi attendues à l'ENAP en septembre et octobre 2018. Le recrutement reste néanmoins difficile : alors que le taux de sélection apparaît excessivement bas, la durée de formation à l'ENAP a été réduite de huit à six mois en octobre 2018 18 ( * ) . À l'issue de ces six mois, les stagiaires sont envoyés, non pas en surnombre, mais en tant qu'effectifs principaux dans les établissements les plus soumis aux vacances de postes, généralement en Île-de-France.

2. Un contexte d'amélioration catégorielle des personnels qui ne dispense pas d'une réflexion sur l'attractivité des métiers pénitentiaires

Les personnels de l'administration pénitentiaire bénéficieront en 2019 de plusieurs mesures catégorielles initialement prévues pour 2018 et reportées d'une à plusieurs années.

La mise en oeuvre du PPCR aux corps propres à l'administration pénitentiaire

La direction générale de l'administration et de la fonction publique (DGAFP) a élaboré, dans le cadre d'un protocole relatif aux parcours professionnels, aux carrières et rémunérations (PPCR), un plan de réformes visant les deux objectifs suivants :

- améliorer la politique de rémunération de la fonction publique ;

- renforcer les perspectives de carrière au sein de la fonction publique.

La mise en oeuvre de ce plan pour les corps propres à l'administration pénitentiaire s'effectue à compter du 1 er janvier 2017 et s'échelonne sur plusieurs années, sur la base des trois décrets suivants :

- le décret n° 2016-588 du 11 mai 2016 portant mise en oeuvre de la mesure dite du « transfert primes/points » ;

- le décret n° 2017-1014 du 10 mai 2017 portant modification du décret n° 2010-1641 du 23 décembre 2010 portant classement hiérarchique des grades et emplois des personnels placés sous statut spécial des services déconcentrés de l'administration pénitentiaire ;

- le décret n° 2017-1009 du 10 mai 2017 modifiant les statuts particuliers de divers corps de l'administration pénitentiaire.

Le processus de modification de l'échelonnement indiciaire commence par une phase de « transfert primes-points », avec un abattement appliqué sur tout ou partie des indemnités perçues par les fonctionnaires des corps précités en contrepartie d'une revalorisation indiciaire :

- pour les corps assimilés à la catégorie A, et les statuts d'emploi concerné, la première année (2017) est caractérisée par un premier transfert de primes en points d'indice (+ 4 points d'IM), s'accompagnant, la seconde année (2019), d'un deuxième transfert de primes en points d'indice (+ 5 points d'IM) ;

- pour les corps assimilés à la catégorie B, la première année (2017) est caractérisée par un transfert de primes en points d'indice (+ 6 points d'IM) ;

- pour les corps assimilés à la catégorie C, la première année (2017) est caractérisée par un transfert de primes en points d'indice (+ 4 points d'IM).

La seconde phase de rénovation de l'ensemble des grilles de rémunération correspond à la transposition, pour les corps à statuts spéciaux, des revalorisations sans contrepartie accordées aux fonctionnaires des CIGEM et corps communs. Il en résulte que la rénovation des grilles indiciaires des corps propres à l'administration pénitentiaire tient compte de la soumission au statut spécial des personnels exerçant leurs fonctions dans les services de l'administration pénitentiaire, ce qui justifie le maintien de la surindiciarisation des grilles indiciaires pour les corps qui en bénéficiaient, et donc, le cas échéant, des gains moyens qui puissent être supérieurs à ceux des corps et cadres d'emplois « types ».

Répartition des mesures catégorielles (en euros)

Intitulé de la mesure

Mesures indemnitaires/Statutaires

Catégories et corps concernés

Date de la mise en oeuvre

2018

2019

Coût 2018

Coût en année pleine

Coût 2019

Coût en année pleine

Réforme statutaire
du corps des DSP

Statutaire

A - DSP

01/02/2017

23 250

279 000

Réforme statutaire
de la filière technique

Statutaire

A,B, C - DT, T, AT

01/01/2019

275 354

275 354

Réforme du corps
de commandant
et du CEA

Statutaire

B, C - corps de commandement et CEA

01/01/2019

1 619 289

1 619 289

Revalorisation PSS des DSP

Indemnitaire

DSP

01/04/2017

46 890

187 560

Revalorisation PSS autres corps

Indemnitaire

corps d'encadrement
et d'application, corps de commandement

01/04/2017

1 803 394

7 213 576

Revalorisation IFPIP

Indemnitaire

01/04/2017

932 971

3 731 884

Revalorisation IFO

Indemnitaire

01/04/2017

275 740

1 102 960

Protocole DAP : revalorisation
du taux de la prime de sujétions spéciales (PSS)

Indemnitaire

CEA, officiers, PT, PA

01/03/2018

2 502 755

3 003 306

3 503 857

6 006 612

Protocole DAP : revalorisation
de l'indemnité « dimanche, jours fériés »

Indemnitaire

01/03/2018

3 777 356

4 532 827

755 471

4 532 826

Protocole DAP : prime de fidélisation

Indemnitaire

CEA, officiers, PT, PA

01/01/2018

2 718 749

2 718 749

-2 027 000

-2 027 000

Protocole DAP : revalorisation de l'indemnité pour charges pénitentiaires (ICP)

Indemnitaire

01/01/2018

9 622 497

11 546 996

1 924 499

11 546 994

Augmentation taux de promus-promouvables de la filière PIP)

Statutaire

A et B

01/01/2018

235 332

235 332

235 332

235 332

Total des mesures catégorielles hors PPCR

21 938 934

34 552 190

6 286 802

22 189 407

PPCR refonte statutaire de la filière PIP et sociale

Statutaire

01/01/2019

0

6 493 021

6 493 021

PPCR passage des CPIP en catégorie A

Statutaire

01/01/2019

0

6 273 460

6 273 460

TOTAL y compris PPCR

21 938 934

34 552 190

19 053 283

34 955 888

Source : documents budgétaires.

4,15 millions d'euros (sur les 19,5 millions d'euros) correspondent à des mesures issues du protocole de sortie de crise de février 2018, notamment le passage progressif de la prime de sujétions spéciales de 26 à 28 %, soit un alignement sur la prime des policiers.

Votre rapporteur observe que le projet de création d'une prime de fidélisation ne s'est pas encore concrétisé en 2018 en l'absence de publication des textes réglementaires.

Les mesures de fidélisation

- Les mesures statutaires de fidélisation

Un projet de décret modifiant le décret n° 2006-441 du 14 avril 2006 portant statut particulier des corps du personnel de surveillance de l'administration pénitentiaire, dont la publication est prévue pour fin 2018, devrait permettre :

- l'extension, par arrêté, des concours nationaux à affectation locale de surveillants et d'officiers à d'autres ressorts que les collectivités d'outre-mer déjà inscrites, afin d'identifier plus finement les candidats ancrés dans les bassins d'emploi concernés et de pouvoir asseoir leur fidélisation aux établissements pénitentiaires concernés particulièrement peu attractifs ;

- la création d'une durée d'affectation minimale des surveillants dans l'établissement de leur première affectation en tant que stagiaire, de deux ans pour les agents issus des concours classiques et de six ans en cas de recrutement par le biais d'un concours national à affectation locale ;

- une promotion plus rapide au grade de brigadier des surveillants fidélisés dans les établissements difficiles.

- Les mesures indemnitaires de fidélisation

Une prime de fidélisation, proche du dispositif mis en place par le ministère de l'intérieur pour la police nationale, devrait prochainement être mise en place pour les agents de catégorie B et C de la filière de surveillance qui accepteraient de rester au moins trois ans dans l'un des 23 établissements et services considérés comme les plus en difficulté.

Les procédures d'attribution et les montants de cette indemnité se déclineraient :

- pour l'ensemble des agents de catégorie B et C des établissements identifiés, attribution d'une prime de fidélisation au bout de 3 années d'exercice effectif de fonctions au sein de l'établissement ou service concerné ;

- pour les lauréats d'un concours de surveillants à affectation locale, lesquels seraient soumis, par leur statut, à une durée minimale d'affectation de six ans, attribution d'un complément d'indemnité de fidélisation.

Votre rapporteur se félicite du montant conséquent (plus de 19 millions d'euros en 2019 pour près de 35 millions d'euros en année pleine) consacré aux mesures catégorielles des personnels, même s'il regrette que les grilles des directeurs des services pénitentiaires (DSP) et des directeurs des services pénitentiaires d'insertion et de probation (DPIP) n'aient pas été davantage revalorisées.

Il relève néanmoins que ces mesures n'apportent aucune solution pérenne ni à la crise des vocations du personnel pénitentiaire ni au malaise des surveillants mis en exergue lors du mouvement de janvier 2018 : l'isolement géographique de certaines structures, notamment celles du programme 13 000, la mauvaise image de certains établissements, la difficulté de se loger en Île-de-France qui concentre la majorité des stagiaires...

3. L'absence de solutions pour la prise en charge des maladies mentales en détention

Nombre de directeurs et de surveillants pénitentiaires ont témoigné d'une part importante de détenus présentant des troubles mentaux : cette proportion est estimée à 40 % de la population carcérale, soit qu'il s'agisse de pathologies préexistantes à l'incarcération, soit qu'il s'agisse de maladies développées en détention en raison de l'enfermement et des fragilités psychologiques du détenu.

Or ces détenus perturbent fortement la détention : un directeur a évoqué des « établissements gangrénés par la maladie mentale ». Les surveillants témoignent de leur désarroi face à cette population : malheureusement habitués à « gérer » la violence, ils se sentent démunis face à des publics aux comportements erratiques qui, par exemple, hurlent, se déshabillent constamment, leur lancent leurs matières fécales et contre lesquels aucune sanction disciplinaire ne semble avoir d'effet en raison de leur absence de compréhension de leur situation. L'ensemble des personnels rencontrés s'interrogent sur la place de ces personnes en détention et l'utilité de la peine qu'elles subissent.

La difficulté, voire l'impossibilité, à « gérer » des individus présentant des troubles mentaux graves ne doit pas être négligée alors qu'aucune solution crédible n'est apportée, ni avec la réforme pénale, ni avec le plan pénitentiaire. Une réflexion commune entre le ministère de la justice et le ministère de la santé s'impose.

Il a été indiqué à votre rapporteur qu'un projet de recherche intitulé « Prisons et santé mentale : étude des facteurs associés à l'évolution des troubles mentaux en milieu carcéral pour une réduction des inégalités sociales de prise en charge » (PRISME) devrait, prochainement, étudier l'évolution de la santé mentale, de la sévérité des symptômes et du risque suicidaire au cours de la détention et d'identifier ses facteurs associés, en particulier le recours aux soins psychiatriques, les conditions de détention et les événements de la vie carcérale, afin d'émettre des recommandations pour la promotion de la santé mentale des détenus. Une cohorte prospective de 1000 détenus, hommes et femmes (dont certaines personnes détenues suivies au titre de la radicalisation) serait constituée dans les trois principaux types de quartier de détention (maisons d'arrêt, centres de détention et maisons centrales). Votre rapporteur ne peut qu'approuver cette initiative.


* 18 Arrêté du 26 octobre 2018 portant organisation de la formation statutaire des surveillants relevant du corps d'encadrement et d'application du personnel de surveillance de l'administration pénitentiaire.

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