II. UNE AUGMENTATION DES CRÉDITS INSUFFISANTE POUR RÉPONDRE À LA CRISE DE L'ADMINISTRATION PÉNITENTIAIRE

A. UNE HAUSSE DES CRÉDITS QUI NE SUFFIT PAS À RÉPONDRE AUX BESOINS CRIANTS DE L'ADMINISTRATION PÉNITENTIAIRE

Les difficultés structurelles de l'administration pénitentiaire ne peuvent être résolues avec la seule hausse ponctuelle des crédits.

1. Des conditions de détention qui contrarient l'objectif de réinsertion des personnes placées sous main de justice (PPSMJ)

Les conditions de détention jouent un rôle significatif dans un parcours d'exécution de peine et dans l'inscription dans une trajectoire de désistance de et de réinsertion.

Or l' absence d'adéquation du parc immobilier carcéral à la population carcérale contraint , depuis désormais plusieurs décennies, l'administration pénitentiaire à incarcérer, tant des prévenus que des condamnés dans des conditions indignes, qui contrarient l'objectif de réinsertion des personnes placées sous main de justice (PPSMJ). Non soumises au numerus clausus , les maisons d'arrêt sont sur-occupées depuis plusieurs années.

Évolution de la densité carcérale (sur trois ans)

Source : graphique réalisé à partir des statistiques mensuelles
de l'administration pénitentiaire.

Évolution du nombre de matelas au sol (sur trois ans)

Source : graphique réalisé à partir des statistiques mensuelles
de l'administration pénitentiaire.

La surpopulation carcérale soumet les chefs d'établissement à des choix qui peuvent être lourds de conséquences : la situation de sur-occupation les conduit à incarcérer dans des cellules individuelles de 9 m², deux à trois, voire quatre individus qui ne partagent ni la même tranche d'âge, ni la même confession religieuse, ni la même situation psychologique, ni la même situation pénale (prévenu ou condamné), ni la même catégorie d'infraction à l'origine de leur incarcération (des délits routiers aux crimes sexuels).

La gestion de la surpopulation carcérale, qui monopolise l'organisation des maisons d'arrêt, et l'insuffisance des moyens des établissements pour peines conduisent à prendre en charge les détenus de manière très insuffisante.

Le nombre d'heures d'activités proposées aux personnes détenues dans les établissements pénitentiaires s'élevait en moyenne à 3 heures et 46 minutes, par personne détenue et par jour, fin 2017 . Ces « activités » incluent le travail, la formation professionnelle, l'enseignement, les activités éducatives, culturelles, socioculturelles, sportives et physiques, y compris les heures de promenades. Ainsi en moyenne, un détenu est inactif plus de 20 heures par jour.

Sur les quatre premiers mois de 2018, 19 914 personnes détenues ont travaillé chaque mois (19 650 en 2017, 19 710 en 2016, 20 060 en 2015), soit seulement 28,6 % de la population carcérale.

Seulement 1 945 430 heures dites « stagiaires » de formation professionnelle ont été dispensées en 2016 alors que ce nombre était de 3 040 440 en 2015. Le nombre de personnes détenues ayant bénéficié d'une formation en 2017 n'a pu être calculé en raison des difficultés de mise en place des formations professionnelles dans les établissements depuis le transfert de compétence aux régions prévu par la loi du 5 mars 2014.

Nombre d'établissements pénitentiaires ont témoigné de la difficulté à proposer des formations professionnelles.

Lors de son déplacement à la maison d'arrêt des Hauts-de-Seine (MAHS) de Nanterre, votre rapporteur a pu apprécier l'engagement du personnel pénitentiaire à proposer des offres diversifiées de formation et de travail. Néanmoins, ces offres sont très insuffisantes au regard de la population écrouée. Ainsi, au sein de la MAHS en 2017, avec une capacité opérationnelle de 592 places et un nombre de détenus oscillant entre 1 000 et 1 100 au 1 er de chaque mois (avec près de 200 entrées et de 150 sorties de détenus chaque mois), seulement 68 personnes ont pu bénéficier d'une formation au cours de six sessions de formation (« peintre en bâtiment », « agent polyvalent en restauration », « employé commercial en magasin » et « agent de propreté et d'hygiène »).

Enfin, seulement 24 % des détenus majeurs ont pu être scolarisés en 2017.

La sur-occupation des établissements induit également une concurrence pour tous les types d'« activités » de la vie quotidienne.

Ainsi, l'accès aux téléphones, souvent situés dans les cours de promenades, est difficile : d'une part, il existe nécessairement une concurrence entre personnes détenues et, d'autre part, aucune intimité, vis-à-vis des autres détenus, n'est possible. Outre que les prix pratiqués sont assez élevés, il est difficile pour les détenus de joindre leurs familles pendant les horaires de promenade (généralement en milieu de matinée ou d'après-midi). L'installation de téléphones fixes dans les cellules, comme à la maison d'arrêt de
Paris - La Santé, est susceptible de réduire les tensions liées à l'accès au téléphone, d'assurer le maintien des liens familiaux et in fine de préparer la réinsertion du détenu qui peut s'appuyer utilement sur son entourage en cas de difficultés. De plus, ces installations sont susceptibles de réduire le phénomène d'introduction massive des téléphones portables, illégaux en détention, qui apparaissent être davantage utilisés à des fins de loisirs qu'à des fins délinquantes.

Le droit de téléphoner des détenus à l'épreuve des tarifs téléphoniques

L'article 39 de la loi du 24 novembre 2009 pénitentiaire dispose que : « Les personnes détenues ont le droit de téléphoner aux membres de leur famille. Elles peuvent être autorisées à téléphoner à d'autres personnes pour préparer leur réinsertion. Dans tous les cas, les prévenus doivent obtenir l'autorisation de l'autorité judiciaire. L'accès au téléphone peut être refusé, suspendu ou retiré, pour des motifs liés au maintien du bon ordre et de la sécurité ou à la prévention des infractions et, en ce qui concerne les prévenus, aux nécessités de l'information. Le contrôle des communications téléphoniques est effectué conformément à l'article 727-1 du code de procédure pénale ».

Ce droit au maintien des lieux familiaux s'exerce néanmoins dans un cadre contraint, et notamment sans libre choix de l'opérateur de téléphonie : les prestations sont négociées selon des marchés qui prévoient notamment une infrastructure permettant d'assurer l'écoute, l'enregistrement et l'archivage des communications électroniques.

En conséquence, les tarifs pratiqués en détention apparaissent sensiblement plus élevés que les tarifs pratiqués par les opérateurs et accessibles aux particuliers en dehors de la détention.

Ainsi, dans certains établissements, votre rapporteur a pu observer qu'une communication vers un numéro fixe en France métropolitaine est facturée une unité (0,125 euro) pour les 20 premiers secondes puis une unité toutes les 56 secondes. Une conversation de 10 minutes au téléphone revient ainsi à 1,50 euros. Une communication vers un numéro mobile en France métropolitaine est facturée trois unités pour les 20 premières secondes, puis une unité toutes les 33 secondes. Ainsi, une conversation de 10 minutes coûte plus de 2,60 euros. Une communication avec un numéro situé dans les DOM est facturée une unité pour les 20 premières secondes, puis une unité toutes les 23 secondes. Ainsi, une conversation de 10 minutes coûte près de 3,25 euros. Enfin, une communication avec un numéro situé à Wallis et Futuna, en Polynésie française ou en Nouvelle-Calédonie est facturée une unité toutes les 6 secondes. Ainsi, une conversation de 5 minutes et 30 secondes coûte près de 12,5 euros.

Dans une décision du 14 novembre 2018 16 ( * ) , le Conseil d'État a considéré que le fait que le tarif pour la téléphonie soit établi à un niveau plus élevé que celui dont bénéficient, en moyenne, les autres usagers du téléphone ne caractérise pas une rupture du principe d'égalité. En revanche, il a précisé que les prestations qui permettent d'assurer le contrôle des communications téléphoniques conformément aux dispositions de l'article 727-1 du code de procédure pénale (écoute, enregistrement, archivage) « se rattachent aux missions générales de police qui, par nature, incombent à l'État. Les dépenses auxquelles elles donnent lieu, qui ne sont pas exposées dans l' intérêt direct des détenus, ne sauraient dès lors être financées par le tarif des communications téléphoniques perçu auprès des usagers en contrepartie du service qui leur est rendu . »

Autre exemple, la sur-occupation des établissements induit une concurrence dans l'accès aux douches collectives. Seulement 30 % des cellules du parc pénitentiaire hexagonal sont équipées d'une douche. Ainsi, la majorité des détenus sont soumis à une organisation restreignant nécessairement l'accès aux douches collectives : généralement deux à trois fois par semaine. Chaque accès aux douches collectives est particulièrement consommateur de temps de personnel de surveillance pour un mouvement 17 ( * ) sans grande valeur ajoutée sur le plan de la réinsertion, contrairement aux activités éducatives ou sportives. De plus, ces mouvements multiples sont générateurs de tensions et autant d'occasions de violences physiques. Votre rapporteur estime prioritaire d'établir une programmation immobilière quant à l'installation de douches individuelles visant à garantir à court terme à chaque détenu des conditions dignes d'incarcération.

Votre rapporteur considère également que le seul renouvellement du parc immobilier par la construction de nouveaux établissements comportant des cellules équipées de douches ne peut suffire. Des travaux de réhabilitation, comme ceux conduits à la maison d'arrêt de Paris - La Santé (MAPLS) doivent être conduits dans les établissements anciens. Ainsi, au sein de la MAPLS que votre rapporteur a visitée en novembre 2018, avant que l'établissement n'accueille ses premiers détenus au mois de janvier 2019, trois cellules ont été réhabilitées en 2 cellules individuelles de 9 m² équipées chacune d'une douche individuelle.

2. Des conditions de détention qui accroissent la violence

Outre des conditions d'hygiène insuffisante, la promiscuité est génératrice de violence, qui peut être exercée par les détenus contre eux-mêmes (automutilation, suicide) ou contre les autres. Le nombre d'incidents dont sont victimes les personnes détenues de la part de leurs codétenus a augmenté de 8,85 % entre 2017 et 2018.

Évolution du nombre d'incidents (2012-2018) dont les détenus sont victimes de la part de leurs codétenus au sein des établissements

Homicides

Agressions sexuelles

Prises d'otage / séquestrations

Actes de tortures ou de barbarie

Violences avec arme ou objet

Humiliations

Coups isolés

Rixes

Racket

Total

2012

2

66

5

17

424

144

4 463

3 670

70

8861

2013

1

59

4

15

448

121

3 982

3 840

90

8560

2014

1

57

6

16

417

135

3956

3400

73

8061

2015

3

40

6

7

445

145

4186

3517

76

8425

2016

6

42

9

9

429

151

4189

3271

55

8161

2017

3

48

4

14

438

214

4738

3374

50

8883

Source : statistiques de l'administration pénitentiaire.

Nombre d'incidents dont sont victimes les personnels

(au 31 décembre)

Nombre d'agressions

Dont violences verbales

2009

15 028

12 203

2010

17 579

14 349

2011

19 912

15 829

2012

21 281

16 878

2013

20 072

15 880

2014

19 681

15 559

2015

20 110

16 040

2016

20 679

16 602

2017

21 546

17 232

Source : statistiques de l'administration pénitentiaire.

Enfin, 103 suicides sont à déplorer en détention en 2017 et 109 entre le 1 er janvier et le 1 er octobre 2018. Votre rapporteur relève que certains établissements sont davantage concernés par cette hausse : en 2018, 13 personnes écrouées à Fleury-Mérogis se sont suicidées (contre 3 en 2017). Selon le syndicat SLP-FO, plus de 80 tentatives de suicides auraient été empêchées par les personnels.

Selon l'Observatoire international des prisons (OIP), la « sur-suicidité » en prison - six fois plus qu'à l'extérieur - s'explique par l'existence de vulnérabilités individuelles, notamment de troubles psychologiques, même si ce sont les détenus les plus insérés socialement qui sont les plus exposés au suicide en milieu carcéral, et par les conditions de vie en détention qui sont stressantes et altèrent l'image de soi. Certains lieux apparaissent particulièrement « suicidogènes » comme le quartier disciplinaire ou le quartier arrivant. Le décalage entre la dureté de la sanction et les faits à l'origine de l'incarcération peut également entraîner un sentiment d'injustice puis de démoralisation : le 17 mars 2018, un détenu de 25 ans s'est ainsi suicidé à Fleury-Mérogis quelques semaines après son incarcération pour trois mois d'emprisonnement pour délit de « voyage habituel sans titre de transport » ; peu de temps auparavant, un détenu condamné à deux mois d'emprisonnement pour « conduite sans assurance » avait lui aussi mis fin à ses jours.


* 16 Conseil d'État, 10e - 9e ch. réunies, 14 nov. 2018, n° 418788, Lebon.

* 17 Un mouvement est une translation de détenus encadrée par plusieurs surveillants : il nécessite un temps de préparation (l'ensemble des détenus devant être prêts à sortir de leur cellule pour aller en cour de promenade, dans l'unité sanitaire ou encore aux parloirs), un temps pour l'ouverture de chaque cellule, avant un temps de déplacement. En retour d'un mouvement, une fouille ou un passage sous un portique de sécurité peuvent également être réalisés.

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