II. UN NOUVEAU DISPOSITIF METTANT EN PLACE UN COLLÈGE D'EXPERTS UNIQUE

A. LA RÉFORME DE 2019 A OPÉRÉ UNE VÉRITABLE SIMPLIFICATION DE L'ORGANISATION DU DISPOSITIF D'INDEMNISATION

Depuis la réforme de 2019, le collège d'experts unique gère l'ensemble de la phase d'instruction et de la phase d'indemnisation.

1. Phase d'instruction de la demande
a) Dépôt du dossier de demande

Toute personne qui s'estime victime d'un préjudice en raison d'une ou de plusieurs malformations ou de troubles du développement imputables à la prescription de valproate de sodium ou de l'un de ses dérivés pendant une grossesse, avant le 31 décembre 2015, peut saisir l'ONIAM afin d'obtenir la reconnaissance de l'imputabilité de ces dommages à cette prescription (article L. 1142-24-10 du code de la santé publique). La saisine de l'ONIAM suspend les délais de prescription et de recours contentieux.

L'article L. 1142-24-10 précise que « la demande précise le nom des médicaments qui ont été administrés et les éléments de nature à établir l'administration de valproate de sodium ou de l'un de ses dérivés . » L'article R. 1142-63-24 du code de la santé publique détaille ce que doit contenir le dossier :

- la qualité d'assuré social de la personne à l'origine de la demande et les prestations reçues ou à recevoir des autres tiers payeurs relativement au dommage qu'elle a subi ;

- les certificats médicaux précisant l'étendue des dommages dont le demandeur a été ou s'estime victime ;

- tous les documents de nature à appuyer la demande, et en particulier visant à établir l'existence d'une malformation ou d'un trouble du comportement.

Dans la pratique, la constitution d'un dossier de demande requiert également les éléments du parcours médical de la mère relatifs à sa prise de valproate de sodium.

b) Instruction de la demande

Une fois que le dossier a été déposé, il est transmis au collège d'experts, qui peut procéder à « toute investigation utile à l'instruction de la demande, dans le respect du principe du contradictoire » (article L. 1142-24-11 du code de la santé publique).

Composition du collège d'experts

D'après les articles L. 1142-24-11 et R. 1142-63-18 du code de la santé publique, le collège d'experts est composé des personnes suivantes :

- un conseiller d'État ou un magistrat (ordre judiciaire ou administratif) qui le préside ;

- un médecin compétent dans le domaine de la pédopsychiatrie ;

- un médecin compétent dans le domaine de la neuropédiatrie ;

- trois personnes compétentes dans les domaines de la réparation du dommage corporel et de la responsabilité médicale ;

- un médecin proposé par le président du Conseil national de l'ordre des médecins ;

- un médecin proposé par les associations d'usagers du système de santé ayant fait l'objet d'un agrément au niveau national dans les conditions prévues à l'article L. 1114-1 ;

- un médecin proposé par les entreprises pratiquant l'assurance de responsabilité civile médicale ;

- médecin proposé par les producteurs, exploitants et fournisseurs de médicaments contenant du valproate de sodium et de ses dérivés.

Chaque membre du collège possède trois suppléants.

Dans la pratique, le collège d'experts comprend bien toutes les personnes titulaires prévues par les textes. En revanche, le nombre de membres suppléants du collège, 19 au 30 mars 2022, est nettement inférieur à celui prévu par les textes (27 suppléants).

En particulier, le membre titulaire au titre de sa compétence en pédopsychiatrie, celui proposé par les associations d'usagers du système de santé, et celui proposé par les exploitants de médicaments, n'a pas de suppléant.

D'après les informations données par l'ONIAM, un expert en pédopsychiatre supplémentaire devrait ou a déjà rejoint le collège d'experts en tant que suppléant.

Un représentant de l'ONIAM peut assister aux séances du collège d'experts. Contrairement aux commissions de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux, le représentant de l'ONIAM ne dispose pas de voix délibérative.

L'article L. 142-24-11 du code de la santé publique dispose que « la composition du collège d'experts et ses règles de fonctionnement » sont « propres à garantir son indépendance, son impartialité et le respect du principe du contradictoire ».

Les experts ont l'obligation de se déporter lorsqu'ils ont eu à connaître, dans le cadre professionnel ou extra-professionnel, de la situation des victimes directes et indirectes, ou des professionnels de santé mis en cause.

Source : commission des finances du Sénat, à partir des réponses au questionnaire du rapporteur spécial

L'ONIAM prend en charge le coût des expertises ordonnées par le collège d'experts. L'office demande ensuite le remboursement de ces expertises aux personnes désignées comme responsables, dans la limite de leur part de responsabilité (article R. 1142-63-29 du code de la santé publique).

Un projet d'avis est transmis à la personne qui a déposé la demande et à toutes les personnes intéressées par le litige, ce qui inclut les organismes de sécurité sociale auxquels la victime est affiliée. Les destinataires de ce projet d'avis disposent ensuite d'un mois pour faire parvenir leurs observations, et le collège d'experts peut rendre son avis.

c) Avis rendu par le collège d'experts

Dans son avis, le collège d'experts se prononce sur l'imputabilité des dommages à la prescription de valproate de sodium (avant le 31 décembre 2015), et le cas échéant, il précise pour chaque préjudice les circonstances, les causes, la nature et l'étendue des dommages imputables . Il précise également les responsabilités afférentes .

L'avis est transmis à l'ensemble des personnes intéressées par le litige. L'ONIAM est lié par cet avis. En théorie, l'avis doit être rendu dans un délai de six mois après la saisine de l'ONIAM (Article L1142-24-12 du code de la santé publique).

Si le collège d'experts a rendu un avis de non-imputabilité, cet avis peut faire l'objet d'un réexamen par le collège, si l'une des conditions prévues par l'article L. 1142-24-12 du code de la santé publique est présente :

« 1° Si des éléments nouveaux sont susceptibles de justifier une modification du précédent avis ;

2° Si les dommages constatés sont susceptibles, au regard de l'évolution des connaissances scientifiques, d'être imputés au valproate de sodium ou à l'un de ses dérivés . »

Si l'avis a été rendu par l'ancien comité d'indemnisation, l'article 266 de la loi de finances initiale pour 2020 dispose que : « Les dossiers en cours de rapport ou d'avis à la date de l'installation du nouveau collège d'experts sont repris par ce dernier, qui peut également être saisi d'une demande de réexamen d'un dossier ayant fait l'objet d'un avis du comité d'indemnisation, sous réserve que cet avis n'ait pas donné lieu au paiement transactionnel d'une indemnité . » La victime a également la possibilité de contester cet avis devant le juge administratif.

L'ensemble des procédures sont valables autant pour les victimes directes que les victimes indirectes.

Victime directe et indirecte

Une victime directe est une personne née d'une mère ayant pris du valproate de sodium au cours de sa grossesse, et qui présente un préjudice lié à la prise de ce médicament.

Une victime indirecte est une personne, distincte de la victime directe, qui estime avoir subi un préjudice en raison de la prise de valproate de sodium par une autre personne. Il s'agit en général des parents de la victime directe, mais cette catégorie inclut également les frères et soeurs, ainsi que les grands-parents.

La victime indirecte peut prétendre à l'indemnisation des préjudices suivants :

- préjudice d'affection ;

- préjudice exceptionnel ;

- frais d'obsèques ;

- préjudice lié à la perte de revenus ;

- frais de dossier et d'avocat.

Il est possible pour une personne d'être à la fois une victime directe et une victime indirecte. C'est le cas en particulier dans les fratries où différents enfants connaissent un préjudice causé par la prise de valproate de sodium par la mère.

2. Phase d'indemnisation de la demande

Les personnes désignées comme responsables doivent présenter dans le mois qui suit la réception de l'avis une offre d'indemnisation. Si le responsable est l'État, ou s'il n'y a pas de personne responsable désignée, l'ONIAM se charge directement d'adresser l'offre à la victime.

Si dans ce délai, l'une des personnes désignées comme responsable ne présente pas d'offre ou présente une offre manifestement insuffisante, l'ONIAM présente une offre en substitution . Cette offre peut être partielle ou complète, et provisionnelle ou définitive.

Les différents types d'offres d'indemnisation

Offre provisionnelle/ offre définitive

Une offre provisionnelle est proposée lorsque l'état de la victime n'est pas consolidé, c'est-à-dire lorsque les dommages que connaît la victime en raison de l'exposition in utero au valproate de sodium sont encore en train d'évoluer. Une offre définitive, qui vient compléter l'offre provisionnelle, est proposée une fois que l'état de la victime est consolidé.

Des préjudices ne peuvent être indemnisés qu'à compter du moment où l'état de la victime est consolidé 13 ( * ) . C'est le cas notamment du déficit fonctionnel permanent, du préjudice esthétique permanent, du préjudice sexuel et des frais d'assistance par tierce-personne. Les préjudices cités sont parmi ceux qui offrent l'indemnité la plus importante, ce qui explique que la différence entre l'offre provisionnelle et l'offre définitive peut être importante.

Les offres provisionnelles représentent environ un cinquième de l'ensemble des offres proposées par l'ONIAM.

Offre partielle/ offre complète

Une offre partielle est présentée lorsqu'il est impossible de présenter une offre sur la totalité des préjudices retenus par le collège d'experts. L'impossibilité de présenter une offre sur certains préjudices découle en général du manque de documents médicaux, et plus rarement, du caractère inédit du préjudice. L'ONIAM adresse une demande de pièces complémentaires pour les autres préjudices, et une offre complète est formulée par la suite.

Un peu moins de la moitié des offres proposées par l'ONIAM sont des offres partielles.

La distinction entre offre provisionnelle et offre définitive, et celle entre offre partielle et offre complète, ne sont pas propres au dispositif d'indemnisation pour les victimes de la Dépakine, mais sont appliquées pour les autres dispositifs de l'ONIAM.

La victime a ensuite le choix entre accepter l'offre ou la refuser. Si la victime accepte l'offre, elle constitue une transaction au sens de l'article 2044 du code civil, et par conséquent elle n'est pas susceptible de recours ultérieur devant un juge . Le paiement doit intervenir dans un délai d'un mois à compter de la réception par l'ONIAM de l'acceptation de l'offre.

Si la victime refuse l'offre, elle a la possibilité de saisir le juge . L'article L. 1142-20 du code de la santé publique s'applique : « La victime, ou ses ayants droit, dispose du droit d'action en justice contre l'office si aucune offre ne lui a été présentée ou si elle n'a pas accepté l'offre qui lui a été faite . »

Si l'ONIAM a présenté une offre en substitution, l'office entame des démarches de recouvrement auprès des personnes désignées responsables (diligences de l'agent comptable, etc.). L'établissement émet un titre de recettes auprès des personnes concernées, qui ont la possibilité de contester le titre devant le juge dans un délai de 2 mois après son émission. Jusqu'à présent, les personnes désignées responsables ont contesté tous les titres émis par l'ONIAM. Un même dossier peut faire l'objet de plusieurs ordres de recouvrement, et donc d'autant de procédures contentieuses.

3. Possibilité de réexamen des dossiers

Du point de vue de l'ONIAM, sont considérés comme clos les dossiers qui ont fait l'objet d'une demande de retrait, ceux qui ont fait l'objet d'un rapport définitif de rejet, et ceux qui ont l'objet d'un avis définitif de l'ancien comité d'indemnisation ou du nouveau collège d'experts . Un dossier clos n'empêche pas la victime de faire un recours contentieux. Seule l'acceptation d'une offre d'indemnisation, en ce qu'elle constitue une transaction au sens du code civil, éteint les possibilités de recours.

Les dossiers qui ont fait l'objet d'une offre partielle ou une offre provisionnelle ne sont pas considérés comme clos : le collège d'experts devrait se réunir une nouvelle fois pour compléter l'offre et/ou formuler une offre définitive d'indemnisation. L'acceptation d'une offre partielle ou provisionnelle par la victime n'empêche pas celle-ci de former un recours contentieux par la suite, contrairement à l'acceptation d'une offre définitive.

Il est possible que l'ONIAM réexamine des dossiers qu'elle considère comme clos dans des cas restreints :

- dans le cas où le dossier a fait l'objet d'une demande de désistement, il peut faire l'objet d'une réouverture sans condition ;

- lorsque le dossier a fait l'objet d'un rejet définitif de la part de l'ancien collège d'experts, le nouveau collège d'experts peut réexaminer le dossier si « des éléments nouveaux sont susceptibles de justifier une modification du précédent avis » ou « les dommages constatés sont susceptibles, au regard de l'évolution des connaissances scientifiques, d'être imputés au valproate de sodium ou à l'un de ses dérivés » (article L. 1142-24-12 du code de la santé publique). Il ne doit pas y avoir eu de décision de justice définitive entre temps ;

- lorsque le dossier a fait l'objet d'un avis définitif de l'ancien comité d'indemnisation, il peut être réexaminé si l'offre n'a pas été acceptée (article 266 de la loi n° 2019-1479 du 28 décembre 2019 de finances pour 2020).


* 13 Une exception existe lorsque la période avant consolidation est particulièrement brève : l'indemnisation peut être alors calculée au prorata temporis .

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