C. LA « DURABILITÉ DANS UN SEUL PAYS » OU LA PERSPECTIVE D'UN DÉFICIT COMMERCIAL À VIE EN MATIÈRE DE PRODUITS DE LA MER

L'annonce par le Gouvernement d'un plan de sortie de flotte (PSF) s'inscrit dans la continuité de la réduction de l'effort de pêche entreprise en Europe, et en particulier en France, depuis les années 1990 . Entendu par le rapporteur, le député européen François-Xavier Bellamy, membre de la commission Pêche du Parlement européen, rappelle qu'« en trente ans, la France a déjà perdu plus de la moitié de ses bateaux de pêche ». Ainsi, en mars 1991, le premier de ces plans, le « plan Mellick », du nom du ministre de la mer de l'époque, avait entraîné la réduction de 10 % des capacités de pêche, soit la destruction de 1 000 bateaux et la reconversion de 1 800 marins-pêcheurs. De plus de 6 500 navires en 1995, la flotte française est passée à 4 300 navires en 2019.

Source : FranceAgriMer, d'après IFREMER 30 ( * ) .

Encouragés par la Commission européenne, ces plans successifs se sont traduits par le déclin de plusieurs ports de pêche, à l'instar de Dunkerque ou de Lesconil. Dans ce dernier cas, le déclin des activités de pêche s'est accompagné du déclin de l'activité touristique. Ces plans de sortie de flotte bouleversent à coup sûr l'aménagement du territoire et peuvent plonger les « communautés côtières » dans une crise de sens, en particulier quand elles impliquent la reconversion de certaines familles qui pêchent depuis plusieurs générations . Il est à craindre en outre que les suppressions d'emplois directs et indirects soient très concentrées dans certains ports et leurs arrière-pays.

Les pertes économiques ne doivent pas être sous-estimées, puisque pour un emploi en mer, on estime qu'il y aurait en moyenne quatre emplois à terre. Il y a en France 13 270 marins-pêcheurs embarqués, dont 4 700 en mer Celtique, Manche et mer du Nord.

Par principe, le rapporteur ne se résout pas à ce que des capacités de production créatrices de richesses et pourvoyeuses d'emplois soient détruites. Le soutien à la filière pêche est d'autant plus justifié qu'il ne s'agit pas de porter à bout de bras des activités non rentables, mais d'éviter que des chocs purement conjoncturels n'entraînent l'attrition d'un marché tendanciellement porteur . Les préoccupations accrues des consommateurs pour la valeur nutritionnelle de leur alimentation et, vraisemblablement, un effet de substitution de la consommation de poisson à celle de la viande engendrent une hausse de la demande de poisson, notamment sous la forme de produits transformés par l'industrie agroalimentaire.

À titre d'exemple, les mareyeurs normands indiquent faire face à des difficultés d'approvisionnement en bulots, qui pourraient se répercuter dans les assiettes des Français dès Noël 2021 . À moyen terme, les mareyeurs se disent réduits à faire de la prospective en démarchant les pêcheurs pour certaines espèces, ce qui pourrait se traduire à tout le moins par la poursuite de la hausse des prix des produits de la mer dans les prochaines années, si ce n'est par des épisodes de pénuries de produits européens.

Le rapporteur comprend encore moins la logique d'une destruction des activités de pêche. Après des années de surpêche, 60 % de la ressource est maintenant gérée durablement dans les eaux européennes, contre 15 % il y a vingt ans. L'espace maritime de l'Union européenne est parmi les plus surveillés au monde.

Source : IFREMER, février 2021.

Les premières années de la politique commune de la pêche avaient conduit à une surexploitation des ressources halieutiques. Cependant, la plupart des stocks se sont désormais stabilisés à des niveaux jugés durables par le CIEM, c'est-à-dire que les rendements maximaux durables ne sont pas dépassés et permettent ainsi le renouvellement des générations à moyen et long terme. C'est par exemple le cas de la morue de la mer du Nord , qui était en danger de disparition et dont les populations se sont redressées de façon spectaculaire grâce à des mesures de gestion responsables et aux efforts impulsés par la Commission dans le cadre de la politique commune de la pêche.

La faible mobilisation du commissaire européen à la Pêche, par ailleurs commissaire à l'Environnement, pourrait s'expliquer par une certaine satisfaction liée à la diminution de la flotte européenne et des quantités pêchées, pour laquelle l'Union plaide depuis plusieurs années . En poursuivant la réduction du potentiel productif dans le domaine de la pêche maritime et de l'aquaculture, l'Union européenne et la France oublient le double objectif d'une pêche durable et compétitive . Elles reproduisent en fait la même erreur que celle commise il y a quarante ans en n'ajustant pas l'effort de pêche à l'état de la ressource. Si celle-ci était surestimée des années 1980 aux années 2000, ce n'est plus le cas de nos jours. Il semble que la Commission européenne soit plus prudente que les scientifiques, ce qui a pour conséquence des TAC et quotas conservateurs. Les données du CIEM, qui portent en outre sur des données décalées de deux ans, ne permettent pas d'ajuster l'effort de pêche avec suffisamment de réactivité.

La posture de la Commission en matière de produits de la mer est en cela cohérente avec celle qui a présidé plus globalement à l'établissement de sa stratégie « De la ferme à l'assiette » dans le domaine agricole. Or, il est à craindre que cette stratégie ne permette pas l'autosuffisance alimentaire, mais freine au contraire la production agricole en Europe et favorise de facto les importations de denrées produites selon des standards écologiques et sociaux moins élevés et moins contrôlés .

Alors que des navires industriels battant pavillon chinois (39 % de la pêche mondiale contre 3 % pour l'UE 31 ( * ) ) ou russe, moins respectueux de standards sociaux et environnementaux, surexploitent nos mers et nos océans , par exemple au large des côtes africaines ou des outre-mer, renoncer à capturer des produits de la mer revient à augmenter notre dépendance à l'importation . C'est d'autant plus regrettable que le contexte géopolitique a changé, et impose d'ériger la recherche de souveraineté alimentaire en priorité.

La France, qui est pourtant un grand pays de pêche, importe 65 % du poisson qu'elle consomme. Poursuivre la réduction de son potentiel productif ne peut qu'aggraver son déficit commercial dans le domaine de la pêche et de l'aquaculture .

Au contraire, comme l'indique l'adage « les poissons sont au Royaume-Uni, le marché est en Europe », les Britanniques ne consomment pas le poisson qu'ils pêchent mais l'exportent majoritairement pour qu'il soit transformé et consommé sur le continent , tout en important d'autres espèces de poisson pour leur consommation. Les données douanières font en effet apparaître que 50 à 60 % du poisson pêché par les Britanniques (hormis le saumon d'élevage) est destiné à l'exportation vers le marché européen.

Les commissions des affaires économiques et des affaires européennes souhaitent enfin rappeler une évidence : l a destruction de bateaux, qui peut être souhaitée par un pêcheur proche de la retraite, induit aussi la destruction des droits de pêche qui y sont associés, et dont les jeunes ne pourraient plus bénéficier. En procédant à un PSF, les autorités font une hypothèque sur l'avenir, notamment dans le cas, plausible, où la ressource continuerait de se reconstituer . À cet égard, il est particulièrement déconcertant que le Gouvernement déploie d'un côté des campagnes de communication coûtant plusieurs millions d'euros pour encourager les jeunes à s'orienter vers les lycées professionnels maritimes, tout en annonçant de l'autre une destruction de nos capacités de pêche à travers un PSF .


* 30 https://www.franceagrimer.fr/content/download/67037/document/STA_MER_chiffres_cles.pdf

* 31 Source : FranceAgriMer, d'après FAO

https://www.franceagrimer.fr/content/download/67037/document/STA_MER_chiffres_cles.pdf

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