IV. DÉBLOQUER LES LICENCES POUR NOS PÊCHEURS ET LEUR OFFRIR DE NOUVELLES PERSPECTIVES

Forte de ce constat, les deux commissions préconisent trois catégories de mesures, visant d'une part le court et le moyen terme, et d'autre part des perspectives de long terme.

A. À COURT TERME, TOUS LES PÊCHEURS QUI OPÉRAIENT DANS LES EAUX BRITANNIQUES DOIVENT OBTENIR UNE LICENCE

1. « Co-décider » des conditions d'application de l'accord pour ne pas laisser les Britanniques décider unilatéralement

Le premier impératif, c'est de ne pas accepter le fait accompli britannique, l'Union européenne étant fondée, autant que le Royaume-Uni, à décider des mesures d'application de l'accord. Pour cela, il faut :

- faire admettre qu' en attente du traitement des demandes de licence, les navires européens bénéficient par principe d'une autorisation temporaire « orange » de pêcher dans les eaux britanniques, pas seulement pour les eaux de Jersey et Guernesey, mais aussi pour les 6-12 milles de la Grande-Bretagne ;

- exiger un cahier des charges précis de la part des autorités britanniques quant à leurs critères d'octroi des licences de pêche et établir la transparence sur les algorithmes d'aide à la décision utilisés par l'administration maritime britannique ;

- obtenir des autorités britanniques une tolérance permettant aux pêcheurs européens qui auraient atteint le nombre de jours requis en moyenne sur quatre années (2012-16), mais pas année par année, d'obtenir une licence en leur faisant bénéficier d'une « présomption d'antériorité » , notamment pour les navires ayant fait face à des circonstances exceptionnelles, par exemple une période de travaux, qui les aurait empêchés de se rendre dans les eaux britanniques ;

- permettre de se référer aux antériorités des années précédentes pour établir, au profit des pêcheurs n'ayant pas atteint les 11 jours d'activité dans les eaux anglo-normandes sur 2017-2020, une même « présomption d'antériorité ».

2. Faire tout ce qui est en notre pouvoir pour démontrer nos antériorités de pêche

En contrepartie, la France et l'Union européenne doivent se montrer irréprochables dans l'établissement des preuves de l'éligibilité de leurs navires et exploiter toute donnée pertinente à l'appui de leurs dossiers. Pour cela, il faut :

- exploiter de manière plus systématique les données dont dispose l'IFREMER sur la « dépendance aux eaux britanniques », et inciter les groupements qualité (comme, par exemple, Normandie Fraîcheur Mer, France Filière Pêche ou Breizh Mer) à rendre publiques leurs données , pour établir plus facilement, grâce à des croisements avec les déclarations de pêche, les antériorités dans les eaux anglo-normandes et britanniques ;

- négocier avec les sociétés prestataires la gratuité des données de géolocalisation AIS archivées, nécessaires à la constitution des dossiers de demandes de licence ;

- lancer un audit de l'interopérabilité de l'algorithme Sacrois et de la base déclarative Valpena , et rechercher une plus grande harmonisation des déclarations de pêche au niveau européen ;

- établir la transparence sur les justifications des non-transmissions de dossiers par la DPMA et la DG MARE aux autorités britanniques, et transmettre à l'avenir, sans autocensure, l'intégralité des demandes de licences aux autorités britanniques et anglo-normandes, le doute devant profiter au demandeur ;

- tirer les leçons de la crise des licences, en rendant l'équipement en balises de géolocalisation VMS obligatoire par anticipation, avant la date envisagée de 2024, pour les navires de pêche de moins de 12 m , gage de bonne volonté et de transparence vis-à-vis des autorités britanniques, sur les captures effectuées par les navires français.

3. Fluidifier les échanges avec les Britanniques en mobilisant l'Europe et les régions

Outre les concessions demandées aux Britanniques et les efforts auxquels il faut s'astreindre en contrepartie, la résolution des différends ne sera possible qu'au moyen d'un dialogue amplifié à tous les échelons. En outre, les pêcheurs ne sortiront pas gagnants du conflit s'il prend un tour uniquement national. En conséquence, il faut :

- clarifier la répartition des rôles entre États membres et Union européenne en réaffirmant d'abord le mandat clair de la Commission dans l'obtention des licences de pêche , pour afficher un front uni dans les négociations ;

- en cas de dénonciation de la rubrique pêche avec Jersey et Guernesey, demander à titre exceptionnel une habilitation à l'Union européenne (article 2(1) du TFUE) pour négocier de façon bilatérale avec le Royaume-Uni des « accords de Granville II » et ainsi régler le problème local des îles anglo-normandes par une solution locale, dans une logique de bon voisinage ;

- instituer un dialogue régulier de nos régions avec les îles anglo-normandes et les nations anglaises en matière de pêche , au sein d'instances dédiées, pour prévenir les différends en amont .

4. Ne pas exclure par principe des mesures de rétorsion, dans le respect de la légalité internationale

L'Union européenne étant partie à l'accord de commerce euro-britannique, mais pas la France, c'est à la Commission et non à la France que revient en droit la prérogative de prendre d'éventuelles « mesures correctives ». La France doit donc peser de tout son poids au sein de l'UE pour qu'elle prenne de telles mesures, mais ne peut en aucun cas s'y substituer.

Quelles sont les rétorsions envisageables ?

L'article 506 (FISH.14) de l'accord dresse une liste de trois « mesures correctives » envisageables graduellement , si elles sont « proportionnées au manquement présumé et à son incidence économique et sociétale » :

- la suspension de l'accès aux eaux de la partie plaignante et au traitement tarifaire préférentiel pour les navires et les produits de la pêche de l'autre partie ==> cette option a le mérite d'appuyer sur la dépendance britannique aux consommateurs européens, puisque 70 % du poisson débarqué par les Britanniques est destiné à ce marché . Toutefois, dans une optique de solidarité de la filière, elle implique en parallèle un soutien sans faille au secteur de la transformation, qui ne doit pas être la victime collatérale des rétorsions. Dans une logique de solidarité européenne, il faudrait en outre que les autres États membres s'engagent à ne pas appliquer de contrôles sanitaires moins stricts dans l'optique de récupérer les parts de marché de la France dans ce secteur où elle est leader ;

- la suspension de l'exonération de droits de douane accordée à d'autres marchandises que les produits de pêche ==> cette option des rétorsions « croisées » devrait être recherchée en priorité, car elle a pour intérêt de ne pas désolidariser l'amont et l'aval de la filière pêche et produits de la mer, mais elle nécessite de convaincre les autres États membres de la proportionnalité de ces mesures par rapport à l'incidence du manquement britannique ;

- une remise en cause plus globale de l'application de l'accord de commerce et de coopération ==> en raison de ses répercussions économiques, cette option est difficilement envisageable politiquement.

Un mécanisme de « snapback » - activation automatique des sanctions en cas de manquement - permettrait de reprendre la main sur le calendrier des négociations pour échapper aux ultimatums britanniques.

Le litige peut faire l'objet d'une procédure contentieuse impliquant le Comité spécialisé de la pêche, comme l'a envisagé la ministre de la mer lors de son audition du 9 décembre 2021 au Sénat. Cette procédure a toutefois pour désavantage, de l'aveu même de la ministre, d'être très longue et donc de ne pas apporter de solution à moyen terme aux petites pêcheries dépendantes des eaux britanniques.

En ultime recours, l'article 509 (FISH.17) de l'accord prévoit la possibilité de dénoncer la rubrique pêche , décision lourde de conséquences puisqu'elle implique que les autres dispositions de l'accord, notamment sur les droits de douane, cessent de s'appliquer 9 mois après la notification de la dénonciation.

En parallèle des mesures de rétorsion, le renforcement des exigences en matière de transparence fiscale de Jersey et Guernesey, dont un quart des emplois dépendent de la finance, peut être envisagé en proposant notamment de les ajouter sur la liste de pays et territoires non coopératifs à des fins fiscales établie par l'Union européenne le 5 décembre 2017.

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