CONCLUSION

Avec un DMA précisé, renforcé et complété, la régulation des marchés numériques pourra franchir une première étape, inédite au niveau mondial, au moment où d'autres grands marchés réfléchissent à la mise en place d'une régulation des grandes plateformes numériques.

Une adoption rapide, en début d'année 2022, est donc hautement souhaitable et paraît envisageable en l'état des discussions en cours, tant au Parlement européen qu'au Conseil .

I. UNE DÉMARCHE TRÈS ATTENDUE D'ENCADREMENT DES PRATIQUES ABUSIVES DES PLATEFORMES STRUCTURANTES SUR LE MARCHÉ INTÉRIEUR

Le marché intérieur numérique est dominé par de très grands acteurs privés non européens 4 ( * ) , qui ont imposé leur pouvoir de marché sans que le droit européen de la concurrence ait été en mesure d'apporter une réponse suffisamment efficace et réactive aux conséquences de leurs comportements abusifs.

A. LE POUVOIR DE MARCHÉ DES GRANDES PLATEFORMES EST DEVENU INCONTRÔLABLE

1. Une dynamique de verrouillage du marché...

Le marché numérique est un espace transfrontière, dominé par quelques grands acteurs privés dont le modèle économique repose sur une accumulation de données , massivement exploitées par des algorithmes aussi puissants qu'opaques.

L' opacité de leurs pratiques, en particulier en ce qui concerne les conditions de recueil et d'utilisation des données , dont les données à caractère personnel 5 ( * ) , ou encore les modalités de classement des offres, permet à ces contrôleurs d'accès de tirer le plus profit des externalités de réseau et de renforcer toujours plus leur pouvoir de marché . Toutes ces caractéristiques rendent difficile l'émergence de nouveaux acteurs .

Ces grands acteurs, qui sont particulièrement actifs sur le marché européen, ont ainsi été en mesure d'y imposer leur pouvoir de marché en développant des stratégies de verrouillage .

Ces contrôleurs d'accès se sont constitués à partir de services différents : un moteur de recherche (Google), la vente de livres en ligne (Amazon), des terminaux (i-phone, i-pod - Apple) ou des réseaux sociaux (Facebook), qui leur ont permis de développer des économies d'échelle et de bénéficier d'effets de réseaux en agrégeant de plus en plus d'activités , de services propres ou greffés grâce à de multiples acquisitions 6 ( * ) .

Ces mondes s'articulent différemment (place de marché - market place - , publicité notamment) et ne se concurrencent qu'à la marge . Leur objectif est toujours de pousser l'utilisateur à rester dans l'écosystème , en nourrissant des addictions, en proposant un nombre croissant de services pour pouvoir tout y acheter (Amazon), en développant des stratégies multidimensionnelles avec des utilisations différenciées pour verrouiller le marché, grâce aux algorithmes (dans plus de 50 % des cas, les réponses de Google se trouvent dans le monde de Google) ou en étant juge et partie (Amazon évalue et concurrence les prestations des concurrents de ses filiales).

Ces acteurs agissent comme des régulateurs privés de tous les actes économiques offerts sur leur plateforme : ils recadrent les contenus à partir des données personnelles et de la publicité ciblée, un potentiel de désinformation dont l'utilisateur ne connaît ni les codes ni les lois 7 ( * ) .

Les contrôleurs d'accès concentrent les flux et soumettent à des conditions - notamment financières - inéquitables les entreprises qui recourent à leurs services pour vendre leurs produits ou services . Ce faisant, ils génèrent des distorsions de concurrence qui brident le développement de ces entreprises et portent atteinte à la bonne information et à la liberté de choix des utilisateurs finaux, qu'il s'agisse des entreprises ou des consommateurs.

Alors que la vente en ligne s'est considérablement développée, ces plateformes, comme l'indique la proposition de règlement présentée par la Commission, « ont une forte incidence sur le marché intérieur , constituent un point d'accès important des entreprises utilisatrices pour toucher leur clientèle et occupent ou occuperont dans un avenir prévisible une position solide et durable » 8 ( * ) .

2. ... à laquelle le droit de la concurrence n'est pas en mesure d'apporter une réponse efficace

Le droit de la concurrence et l'autorégulation ne fonctionnent pas vis-à-vis de plateformes irresponsables, qui justifient paradoxalement leur opacité au nom de la vie privée.

En effet, les standards de preuve très exigeants et les outils d'analyse du droit de la concurrence ne sont pas adaptés à une économie du gratuit, dominée par une forte asymétrie d'information.

En outre, ils ne permettent pas d'apporter des réponses suffisamment rapides et efficaces aux comportements anticoncurentiels 9 ( * ) , en dépit de condamnations récentes à des amendes qui se comptent désormais en milliards d'euros 10 ( * ) .

Au surplus, il apparaît que les remèdes proposés par les grands acteurs numériques échouent largement à corriger les effets des pratiques identifiées et sanctionnées au titre du droit de la concurrence.


* 4 La commission des affaires européennes du Sénat alerte depuis plusieurs années sur les conséquences de cette situation. Voir en particulier le rapport d'information n° 443 (2012-2013) de Mme Catherine Morin-Desailly fait au nom de la commission des affaires européennes - L'Union européenne, colonie du monde numérique ?

* 5 La présentation des informations, particulièrement détaillées et rédigées en caractères difficilement lisibles ne permettent pas à l'utilisateur final d'identifier aisément les modalités de refus qui doivent pourtant lui être proposées, conformément au RGPD, ni leurs conséquences.

* 6 Comme l'a exposé l'économiste Mme Joëlle Toledano lors de son audition et dans GAFA, Reprenons le pouvoir, publié en 2020 (éditions Odile Jacob).

* 7 Quand « le code fait la loi » (« Code is law »), selon la formule du professeur de droit américain Lawrence Lessig.

* 8 Article 3§1 de la proposition de DMA. Voir infra .

* 9 Comme l'a notamment constaté le rapport d'information du Sénat n° 603 (2019-2020) du 8 juillet 2020 sur la modernisation de la politique européenne de concurrence, fait par MM. Alain Chatillon et Olivier Henno, au nom de la commission des affaires économiques et de la commission des affaires européennes.

* 10 8 milliards d'euros pour Google sur trois ans.

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