IX. MÉDIAS AUDIOVISUELS

Le groupe de travail « médias audiovisuels » de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication animé par Jean-Pierre Leleux (Alpes-Maritimes, LR) est composé de Catherine Morin-Desailly (Seine-Maritine, UC), David Assouline (Paris, socialiste et républicain), André Gattolin (Hauts-de-Seine, LREM), Jean Raymond Hugonet (Essonne, LR) et Claude Malhuret (Allier, Les Indépendants).

Les médias audiovisuels ont été au rendez-vous de la crise sanitaire, il importe maintenant de faire qu'ils soient accompagnés afin de traverser la difficile période qui s'ouvre et qui les impacte gravement dans leur modèle économique.

Si les Français ont pu - depuis la mi-mars - continuer à accéder à une information de qualité et à des programmes attractifs, c'est grâce à l'existence d'un écosystème puissant qui associe les chaînes, les producteurs, les distributeurs et les professionnels (acteurs, techniciens, journalistes...). Cet écosystème est aujourd'hui gravement menacé et attend un vaste soutien public qui tarde encore à se concrétiser .

La crise sanitaire a eu des effets paradoxaux sur les entreprises du secteur audiovisuel. Les audiences des chaînes de la TNT ont très sensiblement augmenté ce qui leur a permis de renouer avec des performances qu'elles pensaient révolues. Les journaux télévisés (JT) ont ainsi retrouvé des audiences inconnues depuis une décennie, y compris auprès des jeunes, une catégorie qui semblait « perdue » pour la télévision linéaire gratuite. Ce retour de la fonction « fédérative » des médias « broadcast » s'explique par les particularités de la crise qui a incité les familles à partager des programmes familiaux et à se tenir informées.

Pour autant, ce retour en grâce de la télévision linéaire gratuite pourrait n'être que temporaire, il devra être confirmé à mesure que les jeunes reprendront le chemin des études et les plus âgés celui du travail. Les autres conséquences de la crise pourraient quant à elles être plus durables, qu'il s'agisse de l'augmentation des abonnements aux plateformes anglo-saxonnes - qui menace l'audience des chaînes historiques et Canal+ - et de l'évolution du marché publicitaire qui pourrait mettre du temps à se relever de l'« effondrement » intervenu au printemps 2020.

Si la mobilisation des médias audiovisuels pendant la phase critique de la crise sanitaire doit donc être saluée, il convient maintenant de ne pas sous-estimer les fragilités de ces acteurs qui font face à une concurrence sortie également renforcée de la crise sanitaire. Dans ce contexte, le groupe de travail considère que l'évolution du contexte intervenue depuis trois mois remet en cause les hypothèses mêmes sur lesquelles repose la politique en faveur des médias et qui ont permis de construire le projet de loi de réforme de l'audiovisuel ainsi que la trajectoire budgétaire 2022 concernant les sociétés de l'audiovisuel public.

Une « mise à jour » de la politique publique en faveur de l'audiovisuel est donc devenue nécessaire . Cette « mise à jour » doit être tout à la fois à la hauteur des enjeux que connaissent les différents médias et respectueuse des principes qui ont permis à ces mêmes acteurs de jouer leur rôle pendant cette crise.

A. UNE MOBILISATION DES MÉDIAS AUDIOVISUELS PENDANT LA CRISE SANITAIRE À SALUER

1. La très forte réactivité des médias tout au long de la crise sanitaire

Comme l'a indiqué Roch-Olivier Maistre lors de son audition par le groupe de travail 33 ( * ) : « les médias ont fait preuve d'une forte capacité d'adaptation et d'une forte résilience » pendant la crise sanitaire. La hausse de la durée de consommation de la télévision (jusque 4 h 49 par jour y compris pour les jeunes) témoigne du retour en grâce du média télévision qui a mieux résisté qu'on ne pouvait le craindre. Les audiences de la radio ont également progressé.

Dès les premiers jours de la crise, les médias ont adapté leurs grilles de programmes dans le cadre d'un dialogue conduit avec le CSA afin de « préserver les équilibres » . Le régulateur a été attentif à donner de la souplesse aux acteurs - notamment par rapport à leurs obligations conventionnelles - en fixant néanmoins des limites concernant par exemple les mutualisations entre chaînes généralistes et chaînes d'information en continu. Par ailleurs, plusieurs décisions importantes qui étaient en préparation ont été reportées 34 ( * ) par le CSA au mois de juillet 35 ( * ) afin de laisser aux acteurs concernés le temps de préparer leurs projets et aux membres du collège de les examiner.

La crise a également constitué un défi en termes d'organisation. Dès le 16 mars, le groupe France Télévisions et Radio France ont ainsi généralisé le télétravail. La présence des salariés sur les sites n'a pas dépassé 10 à 11 % des effectifs et a concerné les fonctions techniques ne pouvant être exercées à distance comme les régies. Le stock de masques des entreprises ayant été réquisitionné, il a fallu - comme dans toutes les autres entreprises françaises - plusieurs semaines pour pouvoir appliquer les mesures de distanciation et de protection adaptées.

a) La priorité donnée à l'information

Les grandes chaînes ont donné la priorité à l'information en allongeant la durée des journaux télévisés et en multipliant les sujets relatifs aux infox. Pour le président de TF1, Gilles Pélisson 36 ( * ) , le passage à des JT d'une heure a représenté l'équivalent de la réalisation d'un troisième JT chaque jour.

France Télévisions a, par ailleurs, multiplié les soirées « en direct » consacrées à la crise sanitaire et aux soignants. France 2 a, par ailleurs, mis en valeur la presse quotidienne régionale dans ses éditions de 13 heures et 20 heures, ce partenariat a constitué une initiative utile qu'il conviendrait sans doute de prolonger.

France Médias Monde (FMM) a également donné la priorité à l'information en insistant sur l'expertise et l'interactivité. La durée d'écoute de RFI a fortement augmenté en Ile-de-France a indiqué la présidente de FMM, Marie-Christine Saragosse, lors de son audition par le groupe de travail. Les visites sur les sites Internet du groupe ont été multipliées par trois tandis que France 24 a réalisé en 4 mois son audience de 2019.

b) Une programmation marquée par des contenus pédagogiques et patrimoniaux

Le groupe France Télévisions a été particulièrement réactif en changeant la programmation de la chaîne France 4. Lors de son audition par le groupe de travail, la présidente de France Télévisions a indiqué qu'il n'avait fallu que 48 heures pour développer avec l'éducation nationale des programmes éducatifs destinés aux enfants confinés à leur domicile.

Le groupe public a également programmé tous les après-midi des films du patrimoine français, le plus souvent issus du catalogue de Studio Canal comme l'a précisé au groupe de travail le président du directoire du groupe privé, Maxime Saada. France Télévisions a également élargi son partenariat avec la Comédie française afin de diffuser davantage de pièces de théâtre en soirée.

Radio France n'a pas été en reste pendant cette période. Lors de son audition par le groupe de travail, Sibyle Veil, a indiqué que son action avait visé tout à la fois à protéger les salariés et à assurer la continuité du service public. Chacune des antennes du groupe a joué son rôle, France Culture proposant chaque jour une soirée théâtre, France Bleu s'attachant à accompagner les personnes isolées... La présidente de Radio France s'est félicitée de la priorité donnée au numérique depuis plusieurs années qui a permis de rendre immédiatement accessibles de nombreux programmes sur Internet. Pour Sibyle Veil : « si la crise avait eu lieu il y a quelques années nous n'aurions pas pu mettre à disposition autant d'émissions conçues à distance ainsi que de grandes émissions « culte » patrimoniales » .

La présidente de Radio France s'est félicitée de la progression « phénoménale » des audiences du groupe en particulier sur Internet, celles de France Info ayant progressé de + 70 % en mars-avril. Elle voit dans ce succès le fait que « les Français se sont tournés vers des marques de confiance » dans cette période d'incertitude. Plus généralement, la crise sanitaire a mis en évidence le fait que les usages devenaient de plus en plus numériques y compris pour les publics les plus jeunes, les podcasts destinés à la jeunesse ayant obtenu d'excellentes audiences.

2. Les difficultés rencontrées par les médias au cours de la crise sanitaire
a) Les deux déceptions du service public en matière d'information

Le service public de l'audiovisuel a connu des réussites inégales sur le chapitre de l'information pendant la crise sanitaire. Si les audiences des JT de France Télévisions 37 ( * ) et celles des antennes proposant de l'information de Radio France ont connu la même croissance que celle des chaînes privées, il n'en a pas été de même de la chaîne d'information du service public Franceinfo.

Pour la semaine du 13 au 19 avril par exemple, on constate que les audiences cumulées de BFM TV, CNews et LCI ont augmenté respectivement de + 62,5 %, + 64,4 % et + 68,3 % par rapport à la moyenne de janvier-février 38 ( * ) . Alors que les deux plus petites chaînes d'information ont « surperformé » le leader BFM de plusieurs points en termes de progression d'audience (sans toutefois rattraper leur retard), force est de constater que Franceinfo a très significativement sous-performé les trois autres chaînes d'information privées avec une hausse limitée à + 47 %.

Interrogée sur les raisons de ce moindre succès de la chaîne publique d'information alors même que les performances de la radio et du site Internet étaient quant à elles satisfaisantes, Sibyle Veil a estimé lors de son audition 39 ( * ) par le groupe de travail que la chaîne publique restait mal positionnée dans la numérotation de la TNT et qu'elle connaissait un déficit de capacité de projection pour réaliser des reportages par rapport à BFM, ce qui la rendait moins attractive. Pour la présidente de Radio France, une nouvelle étape devra être conduite dans le développement de la chaîne d'information Franceinfo afin de développer ses capacités de reportage, notamment grâce à une mutualisation des équipes du service public.

Une seconde difficulté rencontrée par le service public pendant la crise sanitaire concerne les matinales communes à France 3 et France Bleu. La petite dizaine de matinales communes déjà lancées ont été arrêtées dès la mi-mars au moment où la grille de programmes de France 4 a été réorganisée pour proposer des programmes éducatifs et que les programmes d'animation ont été basculés sur France 3. Ces matinales ne reprendront pas avant la rentrée de septembre a expliqué la présidente de France Télévisions lors de son audition 40 ( * ) par le groupe de travail.

Le groupe de travail ne peut que regretter que les matinales communes à France 3 et France Bleu n'aient pas été mises au coeur de la stratégie éditoriale de France Télévisions pendant la période d'urgence sanitaire alors même qu'elles pouvaient constituer des outils précieux pour informer les Français au plus près , en particulier dans le Nord, le Sud-Est et l'Ile-de-France qui ont été durement touchés par la pandémie. Une réflexion pourrait être menée afin de faire de ces matinales communes un outil à part entière de l'information du public en cas de situation d'urgence comme c'est déjà le cas pour le réseau France Bleu.

b) La difficulté à garantir le pluralisme dans les médias

Concernant le respect du pluralisme dans l'information, les premiers jours de la crise ont donné lieu à une expression très importante - sinon souvent exclusive - de l'exécutif et de la majorité au détriment de l'opposition.

Pendant plusieurs semaines entre la mi-mars et la mi-avril, la règle édictée par le CSA d'une répartition du temps de parole entre 1/3 pour l'exécutif et 2/3 pour les autres formations politiques n'a, à l'évidence, pas été respectée. Saisis notamment par les parlementaires, le CSA est intervenu auprès des rédactions des chaînes à la mi-avril afin de leur demander de rétablir une plus grande équité. La situation est progressivement revenue « à la normale » au mois de mai.

Le groupe de travail estime qu'une réflexion pourrait être conduite afin de garantir un meilleur respect du pluralisme en temps de crise . L'état d'urgence ne constitue en effet pas une raison suffisante pour mettre entre parenthèses le fonctionnement de la démocratie. On peut estimer que c'est davantage l'absence de protocole à appliquer en ces circonstances qu'une volonté délibérée des médias de favoriser l'expression du Gouvernement qui peut expliquer les déséquilibres constatés. Un retour d'expérience pourrait être utile à réaliser.


* 33 Le président du CSA, M. Roch-Olivier Maistre, a été auditionné le 28 avril 2020.

* 34 Le CSA a estimé qu'il était obligé de reporter les délais relatifs à ses décisions en préparation compte tenu des dispositions prévues par l'ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d'urgence sanitaire et à l'adaptation des procédures pendant cette même période.

* 35 Ces décisions concernent la nomination à la présidence de France Télévisions, le renouvellement de l'autorisation d'émettre de Canal + ainsi que le développement du DAB+.

* 36 Le président de TF1, Gilles Pélisson, a été auditionné par le groupe de travail le 7 mai 2020.

* 37 Lors de la semaine du 13 au 19 avril, le JT de TF1 a atteint une moyenne de 8,5 millions de téléspectateurs à 20 heures (+32 % par rapport à la moyenne de janvier et février) contre 6,9 millions de téléspectateurs (+38 %) pour le JT de France 2 de 20 heures. Sans rattraper son retard, le JT de France 2 a néanmoins surperformé celui de la première chaîne.

* 38 Source : « Hebdo de l'info » - les audiences de l'info semaine 16 du 13 au 19 avril 2020.

* 39 La présidente de Radio France, Sibyle Veil, a été auditionnée par le groupe de travail le 14 mai 2020.

* 40 La présidente de France Télévisions, Delphine Ernotte, a été auditionnée par le groupe de travail le 30 avril 2020.

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