EXAMEN EN COMMISSION

La commission des affaires européennes s'est réunie, le jeudi 23 novembre 2017, pour l'examen du présent rapport. À l'issue de la présentation faite par M. René Danesi, Mmes Pascale Gruny, Gisèle Jourda et M. Pierre Médevielle, le débat suivant s'est engagé :

M. Jean Bizet, président. - Le groupe de travail n'en a pas fini, car il nous informera sur les évolutions à venir. Tout va très vite. La réactivité des acteurs européens est essentielle dans les télécommunications, le traitement des données personnelles et la robotisation. Le principe de précaution plane ici, alors que le principe d'innovation domine outre-Atlantique.

M. Jean-Yves Leconte. - Cette communication nous est faite deux jours après l'information sur le piratage de données personnelles détenues par Uber. Cette société opère dans toutes les villes du monde où je me suis rendu depuis deux ans.

Je regrette le rejet de l'amendement que j'avais présenté, tendant à interdire aux forces de l'ordre de se brancher sur les « boîtes noires », toujours plus présentes sur les véhicules actuels. Rappelez-vous : lorsque la Floride a été ravagée par l'ouragan Irma, Tesla est intervenue à distance pour accroître l'autonomie de certaines voitures !

La responsabilité civile des robots pose un problème juridique redoutable, car il serait difficile de mettre en cause l'informaticien ayant écrit l'algorithme de base.

Avec le véhicule autonome, le rapport à l'espace va changer, notamment pour les collectivités territoriales. La commodité apportée par la conduite autonome augmentera peut-être les transports, ce qui rendra encore plus impérieuse la nécessité d'une transition énergétique, au demeurant favorisée par la robotisation des voitures.

Aucun constructeur n'est obligé d'effectuer les essais sur le territoire de son État d'origine. Les États-Unis ont investi beaucoup d'argent dans la conduite autonome, ils adaptent leur cadre juridique et drainent nos cerveaux. Qui sera maître de l'intelligence artificielle ? Les constructeurs français n'ont pas la capacité d'investissement de leurs homologues allemands.

Sur le plan juridique, nous sommes déjà en retard.

M. Jean Bizet, président. - Tout va si vite !

M. André Gattolin. - L'évolution technique est inéluctable. L'interrogation porte sur les conséquences économiques et sociétales, comme toujours dès qu'on parle d'intelligence artificielle.

J'ai échangé avec le député Cédric Villani à ce sujet. Nous faisons de la société fiction. La voiture connectée fera disparaître les infractions routières, ce qui ne sera pas sans conséquences négatives pour le budget de l'État !

Mais je regrette surtout la disparition du jeu. Quel serait l'intérêt d'une compétition automobile sans conducteur ? Nous avons vu ce qu'il en était avec le jeu d'échecs et le jeu de go, autrement plus compliqué. Un de mes amis, qui fut champion de France de go a quitté la compétition lorsqu'un ordinateur est devenu champion du monde.

Le jeu n'est pas seulement une distraction, c'est aussi la maestria dont peut faire preuve l'interprétation humaine d'une composition donnée : tous les musiciens ne jouent pas de la même façon un même air de Mozart ! La société humaine tolère une part de jeu dans les comportements humains ; rien de tel ne peut être espéré de la part d'un robot. Il serait dangereux de confier notre avenir aux techniciens, car ils se focalisent sur la performance technique au point d'oublier l'insertion de la machine dans la vie sociale.

Enfin, je n'imagine pas que les constructeurs de véhicules autonomes n'aient pas préservé un accès inviolable au dispositif informatique embarqué.

M. Jean-Pierre Leleux. - Dire que l'évolution technologique bouleversait la vie humaine sur terre n'est qu'un lieu commun, certes, mais nous nous sommes fait damer le pion par les GAFA dans le domaine commercial. Allons-nous recommencer ? Nos ingénieurs ont largement contribué à l'avance technique des opérateurs américains, alors que l'Europe a la capacité intellectuelle de s'imposer sur les marchés innovants.

Je félicite les rapporteurs pour leur travail remarquable, mais ils m'ont inquiété. Allons-nous baisser les bras ? Les crédits de recherche sont insuffisamment coordonnés sur le plan européen, et leurs montants restent dérisoires en comparaison avec ce que l'on constate aux États-Unis et en Chine. Serons-nous conscients de l'importance à positionner l'Europe sur le marché mondial ? Les deux orientations stratégiques portant sur les corridors d'expérimentation et la mise sur pied de consortiums doivent s'accompagner de crédits de recherche-développement pouvant assurer à l'Europe une position de leader. Nous avons les cerveaux permettant de développer l'intelligence artificielle, mais je crains que l'on ne baisse les bras.

J'achèverai par une observation sur le système Galileo. Une fois les difficultés actuelles surmontées, sa précision sera supérieure à celle de son concurrent américain GPS.

M. Michel Raison. - Je félicite les quatre copilotes, dont l'intelligence n'a rien d'artificiel.

M. André Gattolin. - Elle est collective !

M. Michel Raison. - La responsabilité juridique. Qui sera responsable lorsqu'un véhicule sans volant écrasera un piéton ?

M. André Gattolin. -Le droit californien nous le dira !

M. Michel Raison. - Un homme d'affaires efficace peut éliminer son concurrent, mais la régulation reste nécessaire. Il en va de même pour la science, sinon le clonage humain serait une réalité.

L'intelligence artificielle aussi a besoin de régulation. Il faudra mettre en place des comités de suivi, car, sur le très long terme, la déshumanisation menacera. Nos descendants auront-ils encore besoin d'un cerveau ? À l'ère des ordinateurs, qui maîtrise le calcul mental ? J'avoue éprouver aujourd'hui quelques difficultés à lire une carte routière...

Sans le suivi que je préconise, nous courons à la catastrophe !

M. René Danesi. - Ces interventions bienvenues sont pertinentes. Le sujet évolue en permanence ; il est trop vaste pour que nous puissions tout aborder. À elle seule, l'éthique pourrait justifier un rapport. Inévitablement, le véhicule autonome provoquera des accidents. Il ne semble pas réellement envisageable d'appliquer une responsabilité pénale à un ordinateur, mais la responsabilité civile et inévitable. Doté d'une intelligence artificielle auto-apprenante, un véhicule autonome pourra être confronté à une alternative : écraser une personne qui se trouve à tort sur la chaussée ou se déporter en compromettant la sécurité des passagers. Qui achètera une voiture susceptible de sacrifier ses passagers pour sauver un piéton ?

M. André Gattolin. - L'intérêt des SUV tient à la protection qu'ils apportent en cas d'accident, au détriment éventuel des véhicules percutés !

M. René Danesi. - Monsieur Leconte, la conduite autonome en ville fera disparaître la propriété individuelle des véhicules, ce qui ne sera pas sans conséquences sur les parkings.

Carlos Ghosn refuse de transformer Renault et Nissan en simples assembleurs de carrosserie, mais tel est déjà le sort de Fiat depuis son partenariat avec Google. M. Raison a dit fort justement la nécessité de réguler la science et l'intelligence artificielle, mais c'est difficile à faire !

Mme Pascale Gruny. - Le débat sur l'intelligence artificielle, qui s'est déroulé dans l'hémicycle il y a trois semaines, m'a donné le vertige pour mes enfants et mes petits-enfants. L'éducation nationale est un vrai sujet, car l'intelligence artificielle va de pair avec l'intelligence humaine. Que demandera-t-on aux adultes de demain ?

Face à un risque d'accident, que fera la voiture du futur ? Elle freinera !

Mme Gisèle Jourda. - Les corridors transnationaux et les consortiums apportent une lueur d'espoir à l'Europe. En deux ans, l'Union européenne a considérablement accéléré le processus d'harmonisation. Il y a deux jours, le Premier ministre a cité la voiture autonome parmi les priorités de la France en matière d'innovation. C'est positif.

La voiture autonome a une forte dimension urbaine, avec la ville intelligente. Le groupe Huawei veut nous vendre sa production. Comme on dit à Limoux, « si on ne veille pas, on regardera passer les masques ». Il nous faut dépoussiérer les textes juridiques pour les rendre efficients.

Nous devons y réfléchir, ensemble et vite, pour ne pas devoir acheter ultérieurement des dispositifs conçus ailleurs. Ne nous laissons pas doubler, comme nous l'avons fait pour les panneaux photovoltaïques fabriqués en Chine !

M. Pierre Médevielle. - Il y a fort longtemps déjà, les moines copistes refusaient l'imprimerie : le refus du progrès n'a rien de nouveau. L'intelligence artificielle ouvre des perspectives formidables, bien sûr pour les transports urbains, mais aussi pour les transports routiers. Tout arrivera très vite.

Il faut accepter l'évolution, et surtout s'en réjouir !

M. Jean Bizet, président. - Nous chargeons le groupe de travail de suivre le sujet.

À l'issue du débat, la commission des affaires européennes a autorisé, à l'unanimité, la publication du rapport d'information.

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