N° 115

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2017-2018

Enregistré à la Présidence du Sénat le 27 novembre 2017

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des affaires européennes (1) sur le filtrage des investissements directs étrangers dans l' Union européenne ,

Par MM. Jean BIZET et Franck MENONVILLE,

Sénateurs

(1) Cette commission est composée de : M. Jean Bizet, président ; MM. Philippe Bonnecarrère, André Gattolin, Mmes Véronique Guillotin, Fabienne Keller, M. Didier Marie, Mme Colette Mélot, MM. Pierre Ouzoulias, Cyril Pellevat, André Reichardt, Simon Sutour, vice-présidents ; M. Benoît Huré, Mme Gisèle Jourda, MM. Pierre Médevielle, Jean-François Rapin, secrétaires ; MM. Pascal Allizard, Jacques Bigot, Yannick Botrel, Pierre Cuypers, René Danesi, Mme Nicole Duranton, MM. Thierry Foucaud, Christophe-André Frassa, Mme Joëlle Garriaud-Maylam, M. Daniel Gremillet, Mme Pascale Gruny, Laurence Harribey, M. Claude Haut, Mmes Christine Herzog, Sophie Joissains, MM. Guy-Dominique Kennel, Claude Kern, Jean-Yves Leconte, Jean-Pierre Leleux, Mme Anne-Catherine Loisier, MM. Franck Menonville, Jean-Marie Mizzon, Georges Patient, Michel Raison, Claude Raynal, Mme Sylvie Robert.

AVANT-PROPOS

La Commission européenne a présenté le 13 septembre 2017 une proposition de règlement qui établit un cadre pour le « filtrage » des investissements directs étrangers (IDE) dans l'Union européenne susceptibles de faire peser un risque sur la sécurité ou l'ordre public dans les États membres.

Cette proposition fait suite à une demande conjointe de la France, l'Allemagne et l'Italie, qui souhaitaient que l'Europe apporte une réponse aux inquiétudes suscitées par des acquisitions d'actifs stratégiques européens par des intérêts étrangers et le développement de pratiques déloyales en matière d'investissements et de commerce, en particulier l'existence d'aides d'État voire d'investissements directs ou quasi directs par des intérêts publics ou encore l'absence de réciprocité en matière d'investissements comme de marchés publics.

Le texte proposé ne constitue aucunement une remise en cause de l'ouverture de l'Europe aux investissements étrangers qui est un principe essentiel de l'Union européenne et une source de sa croissance. Il encadre les dispositifs nationaux de filtrage de ces investissements et organise une coopération européenne d'échange d'informations en la matière.

Le contrôle des investissements directs étrangers susceptibles de faire peser un risque sur la sécurité ou l'ordre public dans les États membres, dont il conforte le cadre juridique et la lisibilité, continuerait ainsi d'être effectué, sur une base strictement volontaire, par les États membres qui le souhaitent, mais ceux-ci auraient désormais l'obligation d'en formaliser le cadre. Dans le même temps, la Commission européenne examinerait les investissements directs étrangers susceptibles de fragiliser les projets ou programmes ayant un intérêt pour l'Union européenne et adresserait son avis à l'État membre siège de l'entreprise dans laquelle l'investissement est envisagé.

Le texte entend en outre promouvoir une approche européenne coordonnée des investissements directs étrangers susceptibles de faire peser un risque sur la sécurité, l'ordre public et les projets ou programmes ayant un intérêt pour l'Union européenne, qui permettrait d'avoir une vision d'ensemble des stratégies mises en oeuvre par les investisseurs étrangers. Il organise à cet effet une coopération entre les États membres par voie d'échanges d'informations.

Après avoir rappelé les enjeux en matière de croissance économique et d'emploi que constituent les investissements directs étrangers pour l'Union européenne (I), le présent rapport évoquera les dispositifs nationaux de contrôle existants (II) et analysera le cadre proposé par la proposition de règlement pour le filtrage des investissements directs étrangers en Europe (III), avant de formuler quelques suggestions en faveur d'une approche plus stratégique de ces investissements qu'il sera proposé de reprendre dans une proposition de résolution européenne et dans un avis motivé à destination de la Commission européenne.

LES INVESTISSEMENTS DIRECTS ÉTRANGERS (IDE) : UN ATOUT CRUCIAL POUR L'ÉCONOMIE EUROPÉENNE

L'Union européenne est l'ensemble économique le plus ouvert aux investissements étrangers dans le monde (A). Ces investissements sont un élément déterminant du développement de son économie et de la création d'emplois (B).

L'UNION EUROPÉENNE PRINCIPALE SOURCE ET PRINCIPALE DESTINATION DES INVESTISSEMENTS DIRECTS ÉTRANGERS DANS LE MONDE

Sont considérés comme investissements directs, selon une méthodologie harmonisée au plan mondial, sous l'égide du Fonds monétaire international avec l'appui, notamment, de l'OCDE :

- les investissements directs : lorsqu'un étranger détient plus de 10 % du capital d'une entité , il est qualifié d'investisseur direct ;

- les investissements de portefeuille : si ses achats successifs le conduisent à détenir plus de 10 % du capital d'une entité, l'investisseur étranger est qualifié d'investisseur direct.

Sur cette base, il ressort des statistiques publiées cet été par Eurostat que l'Union européenne est incontestablement, en stock comme en flux , tout à la fois la principale source et la principale destination des investissements directs étrangers dans le monde.

Au 31 décembre 2015, le stock des investissements directs étrangers entrant dans l'Union européenne s'élevait en effet à 5 700 Mds€ (pour 5 100 Mds€ aux États-Unis et 1 100 Mds€ en Chine), tandis que les investissements directs étrangers détenus par l'Union européenne dans des pays tiers s'élevaient à la même date à 6 900 Mds€.

Quant aux flux d'investissements étrangers entrant dans l'Union européenne, ils se sont élevés en 2015 à 470 Mds€. Si les États-Unis arrivent toujours en tête (50,3 %), leur part dans le stock décline (51,3 % en 1995 contre 41,4 % en 2015), tout comme celle du Japon ou de la Suisse, tandis que les investissements brésiliens (de 0,2 % en 1995 et 2,2 % en 2015) et surtout chinois progressent considérablemen t (respectivement 0,3 % et 2 %).

Ces flux sont très évolutifs dans le temps. Après avoir augmenté au cours de la période 2009-2013, les investissements directs dans des pays tiers en provenance d'États membres de l'Union européenne ont ainsi connu un net recul en 2014 en raison du désinvestissement important dans certains pays partenaires traditionnels comme les États-Unis et la Suisse. La même année, une contraction comparable a marqué les investissements directs américains dans l'Union européenne, avant la forte reprise enregistrée en 2015, alors que les investissements chinois poursuivaient leur progression.

Flux et stock d'IDE 2009-2015 (Mds€) - source Eurostat

Investissements directs étrangers 2012-2015 - source Eurostat

La répartition sectorielle des investissements connaît également de fortes évolutions . Au cours des cinq dernières années, les investissements directs étrangers ont ainsi décliné dans les activités industrielles traditionnelles tandis que les investissements dans les hautes technologies 1 ( * ) connaissaient une forte croissance, dans le cadre de fusions-acquisitions comme de créations de nouvelles entreprises.

Évolution des investissements directs étrangers dans l'UE :
hautes technologies et industries traditionnelles


* 1 Aérospatial, renouvelables, biotechnologies, consommables et composants électroniques, moteurs, turbines, équipement médical, industrie pharmaceutique, semi-conducteurs, services informatiques, industries de défense.

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