Rapport d'information n° 115 (2017-2018) de MM. Jean BIZET et Franck MENONVILLE , fait au nom de la commission des affaires européennes, déposé le 27 novembre 2017

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N° 115

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2017-2018

Enregistré à la Présidence du Sénat le 27 novembre 2017

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des affaires européennes (1) sur le filtrage des investissements directs étrangers dans l' Union européenne ,

Par MM. Jean BIZET et Franck MENONVILLE,

Sénateurs

(1) Cette commission est composée de : M. Jean Bizet, président ; MM. Philippe Bonnecarrère, André Gattolin, Mmes Véronique Guillotin, Fabienne Keller, M. Didier Marie, Mme Colette Mélot, MM. Pierre Ouzoulias, Cyril Pellevat, André Reichardt, Simon Sutour, vice-présidents ; M. Benoît Huré, Mme Gisèle Jourda, MM. Pierre Médevielle, Jean-François Rapin, secrétaires ; MM. Pascal Allizard, Jacques Bigot, Yannick Botrel, Pierre Cuypers, René Danesi, Mme Nicole Duranton, MM. Thierry Foucaud, Christophe-André Frassa, Mme Joëlle Garriaud-Maylam, M. Daniel Gremillet, Mme Pascale Gruny, Laurence Harribey, M. Claude Haut, Mmes Christine Herzog, Sophie Joissains, MM. Guy-Dominique Kennel, Claude Kern, Jean-Yves Leconte, Jean-Pierre Leleux, Mme Anne-Catherine Loisier, MM. Franck Menonville, Jean-Marie Mizzon, Georges Patient, Michel Raison, Claude Raynal, Mme Sylvie Robert.

AVANT-PROPOS

La Commission européenne a présenté le 13 septembre 2017 une proposition de règlement qui établit un cadre pour le « filtrage » des investissements directs étrangers (IDE) dans l'Union européenne susceptibles de faire peser un risque sur la sécurité ou l'ordre public dans les États membres.

Cette proposition fait suite à une demande conjointe de la France, l'Allemagne et l'Italie, qui souhaitaient que l'Europe apporte une réponse aux inquiétudes suscitées par des acquisitions d'actifs stratégiques européens par des intérêts étrangers et le développement de pratiques déloyales en matière d'investissements et de commerce, en particulier l'existence d'aides d'État voire d'investissements directs ou quasi directs par des intérêts publics ou encore l'absence de réciprocité en matière d'investissements comme de marchés publics.

Le texte proposé ne constitue aucunement une remise en cause de l'ouverture de l'Europe aux investissements étrangers qui est un principe essentiel de l'Union européenne et une source de sa croissance. Il encadre les dispositifs nationaux de filtrage de ces investissements et organise une coopération européenne d'échange d'informations en la matière.

Le contrôle des investissements directs étrangers susceptibles de faire peser un risque sur la sécurité ou l'ordre public dans les États membres, dont il conforte le cadre juridique et la lisibilité, continuerait ainsi d'être effectué, sur une base strictement volontaire, par les États membres qui le souhaitent, mais ceux-ci auraient désormais l'obligation d'en formaliser le cadre. Dans le même temps, la Commission européenne examinerait les investissements directs étrangers susceptibles de fragiliser les projets ou programmes ayant un intérêt pour l'Union européenne et adresserait son avis à l'État membre siège de l'entreprise dans laquelle l'investissement est envisagé.

Le texte entend en outre promouvoir une approche européenne coordonnée des investissements directs étrangers susceptibles de faire peser un risque sur la sécurité, l'ordre public et les projets ou programmes ayant un intérêt pour l'Union européenne, qui permettrait d'avoir une vision d'ensemble des stratégies mises en oeuvre par les investisseurs étrangers. Il organise à cet effet une coopération entre les États membres par voie d'échanges d'informations.

Après avoir rappelé les enjeux en matière de croissance économique et d'emploi que constituent les investissements directs étrangers pour l'Union européenne (I), le présent rapport évoquera les dispositifs nationaux de contrôle existants (II) et analysera le cadre proposé par la proposition de règlement pour le filtrage des investissements directs étrangers en Europe (III), avant de formuler quelques suggestions en faveur d'une approche plus stratégique de ces investissements qu'il sera proposé de reprendre dans une proposition de résolution européenne et dans un avis motivé à destination de la Commission européenne.

LES INVESTISSEMENTS DIRECTS ÉTRANGERS (IDE) : UN ATOUT CRUCIAL POUR L'ÉCONOMIE EUROPÉENNE

L'Union européenne est l'ensemble économique le plus ouvert aux investissements étrangers dans le monde (A). Ces investissements sont un élément déterminant du développement de son économie et de la création d'emplois (B).

L'UNION EUROPÉENNE PRINCIPALE SOURCE ET PRINCIPALE DESTINATION DES INVESTISSEMENTS DIRECTS ÉTRANGERS DANS LE MONDE

Sont considérés comme investissements directs, selon une méthodologie harmonisée au plan mondial, sous l'égide du Fonds monétaire international avec l'appui, notamment, de l'OCDE :

- les investissements directs : lorsqu'un étranger détient plus de 10 % du capital d'une entité , il est qualifié d'investisseur direct ;

- les investissements de portefeuille : si ses achats successifs le conduisent à détenir plus de 10 % du capital d'une entité, l'investisseur étranger est qualifié d'investisseur direct.

Sur cette base, il ressort des statistiques publiées cet été par Eurostat que l'Union européenne est incontestablement, en stock comme en flux , tout à la fois la principale source et la principale destination des investissements directs étrangers dans le monde.

Au 31 décembre 2015, le stock des investissements directs étrangers entrant dans l'Union européenne s'élevait en effet à 5 700 Mds€ (pour 5 100 Mds€ aux États-Unis et 1 100 Mds€ en Chine), tandis que les investissements directs étrangers détenus par l'Union européenne dans des pays tiers s'élevaient à la même date à 6 900 Mds€.

Quant aux flux d'investissements étrangers entrant dans l'Union européenne, ils se sont élevés en 2015 à 470 Mds€. Si les États-Unis arrivent toujours en tête (50,3 %), leur part dans le stock décline (51,3 % en 1995 contre 41,4 % en 2015), tout comme celle du Japon ou de la Suisse, tandis que les investissements brésiliens (de 0,2 % en 1995 et 2,2 % en 2015) et surtout chinois progressent considérablemen t (respectivement 0,3 % et 2 %).

Ces flux sont très évolutifs dans le temps. Après avoir augmenté au cours de la période 2009-2013, les investissements directs dans des pays tiers en provenance d'États membres de l'Union européenne ont ainsi connu un net recul en 2014 en raison du désinvestissement important dans certains pays partenaires traditionnels comme les États-Unis et la Suisse. La même année, une contraction comparable a marqué les investissements directs américains dans l'Union européenne, avant la forte reprise enregistrée en 2015, alors que les investissements chinois poursuivaient leur progression.

Flux et stock d'IDE 2009-2015 (Mds€) - source Eurostat

Investissements directs étrangers 2012-2015 - source Eurostat

La répartition sectorielle des investissements connaît également de fortes évolutions . Au cours des cinq dernières années, les investissements directs étrangers ont ainsi décliné dans les activités industrielles traditionnelles tandis que les investissements dans les hautes technologies 1 ( * ) connaissaient une forte croissance, dans le cadre de fusions-acquisitions comme de créations de nouvelles entreprises.

Évolution des investissements directs étrangers dans l'UE :
hautes technologies et industries traditionnelles

UNE POLITIQUE D'OUVERTURE À L'APPUI DE LA CROISSANCE ET DE L'EMPLOI EN EUROPE

Le Marché commun, on le sait, s'est construit autour de principes forts d'ouverture en matière économique : libre circulation, marché intérieur, concurrence notamment, afin de faciliter la reconstruction et le développement de l'Europe. Les investissements étrangers, surtout américains dans un premier temps, ont ainsi accompagné la croissance européenne.

En dépit des crises récentes et des réflexes de fermeture qu'elles ont suscités chez certains, la politique européenne n'a eu de cesse d'affirmer la nécessité que l'Union européenne reste ouverte aux investissements étrangers. Le niveau des investissements en Europe tend en effet à décliner, notamment en raison du désengagement des financements publics consécutif à la crise et du vieillissement de la population. La reprise est fragile et les politiques européennes s'efforcent de la soutenir : la politique monétaire bien sûr, le plan d'investissement Juncker, dont la durée vient d'être doublée et les objectifs d'investissement portés à 500 Mds€, tout comme les stratégies sectorielles structurelles, vont en ce sens.

Dans les lignes directrices intégrées « Europe 2020 », le Conseil de l'Union européenne a ainsi mis l'accent sur le fait que l'Union doit « rester attractive pour les investissements privés, y compris les investissements étrangers » 2 ( * ) .

Même si certaines acquisitions s'accompagnent de réductions d'effectifs, les investissements directs étrangers en Europe s'accompagnent souvent de créations d'emplois. À cet égard, le maintien en Europe des centres décisionnels et le développement des centres de recherche développement sont cruciaux.

La théorie économique s'est bien sûr penchée sur l'impact des investissements directs étrangers sur l'emploi et sur la qualité très inégale des emplois créés. Les statistiques disponibles montrent des différences sensibles selon le pays d'accueil . La France connaît ainsi une forte progression des investissements étrangers mais ceux-ci sont assortis d'un impact moins fort qu'auparavant en matière de création d'emplois.

Les investissements étrangers en France au plus haut depuis dix ans
mais des effets moins favorables sur l'emploi

En 2016, quelque 1 117 décisions d'investissements physiques en France ont été prises par des opérateurs étrangers, d' Amazon , le géant américain de l'e-commerce au groupe électronique chinois TCL Communication , désireux d'implanter ou d'élargir des activités en France, soit 16 % de plus que l'année précédente.

L'Allemagne est devenue le premier investisseur en France, avec une progression de 35 % du nombre de projets. Pour la première fois elle a dépassé, de peu, les États-Unis. De la réparation de navires à La Ciotat ( Blohm et Voss ) à la production de croquettes pour chiens à Villeneuve-sur-Lot, ( Deuerer ), les groupes allemands ont fait de la France le premier pays d'accueil de leurs implantations dans l'Union européenne.

Ce haut niveau d'investissements étrangers n'a toutefois pas permis des créations d'emplois dans une proportion similaire à celle constatée 10 ans plus tôt. C'est ainsi qu'en 2016, il a été créé 10 000 emplois de moins qu'en 2006, pour le double de projets. In fine , ce sont 30 108 emplois qui ont été créés ou maintenus l'an dernier grâce aux capitaux étrangers, soit 11 % de moins que l'année précédente.

Si cette décrue traduit la transformation des usines, moins consommatrices de main-d'oeuvre que par le passé, elle illustre semble-t-il également le souci des groupes étrangers de limiter la création d'emplois dans un environnement social et fiscal souvent perçu comme rigide et imprévisible . À l'inverse, le crédit d'impôt recherche a permis de générer 2 612 emplois en 2016 : McCain , spécialiste américain de la frite, a ainsi créé un centre d'innovation dans les Hauts-de-France, avec 15 emplois, tandis que le semencier japonais Sakata installait sa filiale Sakata Vegetable Europe à Uchaud, dans le Gard : seize personnes ont été recrutées en 2016, le même effectif étant prévu en 2017

Les investissements dans la production, - premier contributeur avec 11 271 emplois créés -, représentent 25 % des projets mis en oeuvre en France par les industriels allemands, italiens ou japonais. Une usine de fabrication de pales d'éoliennes est ainsi en cours de construction au Havre : un investissement de 50 millions d'euros réalisé par le danois LM Wind Power , racheté par l'américain General Electric , et qui devrait générer la création de 500 emplois.

La logistique et la distribution sont également de gros pourvoyeurs d'emplois. Les plates-formes qu' Amazon , UPS et Otto ont bâties ou agrandies en 2016 ont ainsi créé 3 863 emplois en France en 2016, auxquels s'ajoutent 3 459 « jobs » dans les points de vente de l'américain Cosco ou du britannique Primark .

On relèvera enfin que les promesses de créations d'emplois ne sont pas toujours tenues . General Electric ( GE ) s'était ainsi engagé à développer l'emploi en France au moment du rachat d' Alstom mais a annoncé récemment la suppression de 350 emplois au sein de GE Hydro et une refonte de la branche GE Power qui pourrait fortement affecter l'emploi en France.

LE CONTRÔLE DES INVESTISSEMENTS ÉTRANGERS AU TITRE DE LA PROTECTION DE L'ORDRE PUBLIC ET DE LA SÉCURITÉ

La croissance des investissements étrangers ne s'est pas toujours effectuée dans le respect des règles de concurrence. Ainsi, alors même qu'elle a des capacités d'acquisition considérables, la Chine n'hésite pas à apporter des aides d'État à ses entreprises, au soutien de leurs acquisitions comme de leurs offres de services, ce qui leur permet de proposer des prix artificiellement bas, à qualité équivalente et avec des coûts de fabrication comparables.

Or s'il existe des procédures anti-dumping en matière commerciale qui peuvent prendre appui sur les règles de l'Organisation mondiale du commerce (OMC), force est de constater que l'acquisition de manière déloyale par des groupes étrangers, notamment chinois, d'une expertise et de technologies clés en rachetant des entreprises européennes n'entre pas dans leur champ. Quant aux politiques sectorielles européennes de contrôle, même si elles sont guidées par une préoccupation de sécurité et peuvent conduire à interdire une opération, elles ne constituent pas pour autant des contrôles des investissements directs étrangers en Europe (A).

Dès lors, plusieurs États européens ont mis en place un dispositif de contrôle des investissements étrangers dans des secteurs stratégiques, dispositif que certains d'entre eux ont récemment renforcé (B).

L'UNION EUROPÉENNE : UNE APPROCHE PAR LA CONCURRENCE ET DES POLITIQUES SECTORIELLES CIBLÉES GUIDÉES PAR DES ENJEUX DE SÉCURITÉ

L'Europe a toujours privilégié une approche par la concurrence, le respect des règles de concurrence lui paraissant de nature à garantir un « level playing field », autrement dit l'équité des échanges, y compris en matière d'investissements directs étrangers.

C'est à ce titre que l'Union européenne a, par exemple, mis en place un contrôle des concentrations pour prévenir les abus de position dominante 3 ( * ) , ou qu'elle réprouve les aides d'État comme l'absence de réciprocité, en matière commerciale comme en matière d'investissements.

Ces principes figurent également en bonne place dans les accords commerciaux bilatéraux ou multilatéraux auxquels l'Union européenne est partie.

L'Union européenne a par ailleurs adopté des législations sectorielles visant, par exemple, à améliorer la sécurité des approvisionnements dans le domaine de l'énergie 4 ( * ) ou en matière de sécurité des réseaux et des systèmes 5 ( * ) ou encore la sécurité aérienne 6 ( * ) . Elle s'est préoccupée d'identifier les matières premières clés 7 ( * ) ou les projets d'intérêt commun en matière d'infrastructures de télécommunications 8 ( * ) . Elle a également organisé une évaluation prudentielle des acquisitions dans le secteur financier 9 ( * ) .

Pour autant, il ne saurait être considéré que ces dispositifs constitueraient autant de contrôles des investissements étrangers dans ces secteurs. Ainsi que la Commission l'indique dans l'analyse qu'elle fait de la compatibilité de la proposition de règlement avec ces législations et des possibles synergies que le règlement pourrait créer, ces dispositifs ont vocation à s'articuler avec la proposition de règlement qui fait l'objet du présent examen.

CERTAINS ÉTATS MEMBRES ONT MIS EN PLACE DES DISPOSITIFS DE CONTRÔLE DES INVESTISSEMENTS DIRECTS ÉTRANGERS

Sur le fondement du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) qui autorise le contrôle des investissements directs étrangers au titre de l'ordre public ou de la sécurité (1), plusieurs États membres se sont dotés de dispositifs d'examen dont la portée apparaît inégale (2).

LES TRAITÉS AUTORISENT DES CONTRÔLES AU TITRE DE L'ORDRE PUBLIC ET DE LA SÉCURITÉ

L'article 65 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) permet aux États membres, par dérogation à la libre circulation des capitaux, de prendre des mesures justifiées par des motifs tenant exclusivement à l'ordre public ou à la sécurité publique , sous réserve que celles-ci ne constituent ni un moyen de discrimination arbitraire ni une restriction déguisée à la libre circulation des capitaux et des paiements . Il ne s'agit donc pas de répondre à une préoccupation extensive d'intelligence économique.

La Cour de justice de l'Union européenne a eu l'occasion de préciser que les États membres disposent d'une marge d'appréciation pour déterminer les exigences de l'ordre public et de la sécurité conformément à leurs besoins nationaux. Elle considère toutefois qu'il leur incombe de démontrer le caractère réel et suffisamment grave de la menace et de respecter les principes de proportionnalité et de sécurité juridique .

DES DISPOSITIFS NATIONAUX DE PORTÉE INÉGALE

Dans le cadre défini par le traité et précisé par la Cour, treize États membres , au nombre desquels figurent la France et l'Allemagne, ont mis en place des mécanismes de contrôle des investissements étrangers dont la portée est inégale.

Les seuils de prise de participation à partir desquels un contrôle est exercé vont ainsi de 5 à 50 %. Les secteurs concernés sont plus ou moins étendus mais comprennent généralement le secteur de la défense. Quant aux critères ils sont variés : impact sur des infrastructures, des approvisionnements ou des technologies critiques, contrôle de l'investisseur par un État étranger, accès à des informations sensibles. Enfin, selon les pays, le contrôle intervient soit a priori , soit a posteriori .

En Allemagne, les premières dispositions en matière de contrôle des investissements étrangers ont été introduites en 2004 pour protéger les industries nationales de défense à la suite du rachat des chantiers navals HDW et du motoriste MTU par des fonds d'investissements américains . Le dispositif a été étendu en 2009 et renforcé en juillet 2017 face à la multiplication des initiatives chinoises en vue de prendre le contrôle de savoir-faire technologiques allemands. Le délai d'examen des offres d'achat en provenance d'entreprises situées hors de l'Union européenne a été allongé et le champ des investissements examinés étendu, notamment aux prestataires de services ou fabricants de logiciels utilisés par des sociétés appartenant à des secteurs stratégiques tels que les réseaux d'électricité, les centrales nucléaires, l'approvisionnement en eau, les réseaux de télécommunications, les hôpitaux ou encore les aéroports. L'Allemagne a ainsi récemment empêché, au nom de la sécurité nationale, le rachat d' Aixtron, un producteur d'éclairage LED produisant des puces susceptibles d'être utilisées dans le cadre du programme nucléaire chinois.

En Italie , un décret-loi publié en 2012 a conféré des pouvoirs de contrôle spécifiques au gouvernement en cas de prise de contrôle d'entreprises détenant ou contrôlant des actifs stratégiques dans des secteurs identifiés : la défense et la sécurité nationales, l'énergie, les transports et les télécommunications. Ces investissements peuvent être bloqués ou assortis de conditions.

De son côté, le Royaume-Uni envisage actuellement une extension de son dispositif de contrôle des investissements directs étrangers dans les secteurs technologiques et militaires ainsi que l'abaissement du seuil de chiffre d'affaires de la société cible de 70 millions à 1 million de livres.

La France , quant à elle, est dotée d'un dispositif ancien de contrôle préalable des investissements étrangers 10 ( * ) , et de règlementations sectorielles comme en matière de presse et d'audiovisuel . Dans la suite du rachat du pôle énergie d' Alstom par le groupe américain General Electric ( GE ), elle a étendu en 2014 11 ( * ) , la portée du contrôle à six nouveaux secteurs considérés comme essentiels à la préservation des intérêts nationaux : l'approvisionnement en eau et en énergie, les réseaux et services de transport et de communications électroniques, les établissements, installations et ouvrages d'importance vitale au sens du code de la défense, et le secteur de la santé. Il convient toutefois de souligner que, conformément au droit européen, seule la protection de la sécurité ou de l'ordre public peut justifier un refus ou une conditionnalité de l'investissement .

Le dispositif français de contrôle des investissements directs étrangers
( Titre V du code monétaire et financier - Les relations financières avec l'étranger,
art. L. 151-1 et R. 151-1 et ss
)

Sont soumis à l' autorisation préalable du ministre chargé de l'économie les investissements directs étrangers dans une activité en France qui, même à titre occasionnel, participe à l'exercice de l'autorité publique ou est de nature à porter atteinte à l'ordre public, à la sécurité publique ou aux intérêts de la défense nationale .

Le code monétaire et financier fixe la liste des activités concernées :

- activités dans les secteurs des jeux d'argent à l'exception des casinos ;

- activités réglementées de sécurité privée ;

- activités de recherche, de développement ou de production relatives aux moyens de faire face à l'utilisation illicite, dans le cadre d'activités terroristes, d'agents pathogènes ou toxiques ;

- activités portant sur les matériels conçus pour l'interception des correspondances et la détection à distance des conversations ;

- activités de services dans le cadre de centres d'évaluation et de certification de la sécurité offerte par les produits et les systèmes des technologies de l'information ;

- activités de production de biens ou de prestation de services de sécurité dans le secteur de la sécurité des systèmes d'information d'une entreprise liée par contrat à un opérateur public ou privé gérant des installations ;

- activités relatives aux biens et technologies à double usage ;

- activités relatives aux moyens de cryptologie et aux prestations de cryptologie ;

- activités exercées par les entreprises dépositaires de secrets de la défense nationale, notamment au titre des marchés classés de défense nationale ou à clauses de sécurité ;

- activités de recherche, de production ou de commerce d'armes, de munitions, de poudres et substances explosives destinées à des fins militaires ou de matériels de guerre et assimilés ;

- activités exercées par les entreprises ayant conclu un contrat d'étude ou de fourniture d'équipements au profit du ministère de la défense, soit directement, soit par sous-traitance, pour la réalisation d'un bien ou d'un service relevant d'un secteur mentionné ci-dessus ;

- activités portant sur des matériels, des produits ou des prestations de services essentielles à la garantie des intérêts du pays en matière d'ordre public, de sécurité publique ou de défense nationale en lien avec :

- l'intégrité, la sécurité et la continuité de l'approvisionnement en électricité, gaz, hydrocarbures ou autre source énergétique, ainsi qu'en eau, dans le respect des normes édictées dans l'intérêt de la santé publique,

- l'intégrité, la sécurité et la continuité d'exploitation des réseaux et des services de transport, des réseaux et des services de communications électroniques, d'un établissement, d'une installation ou d'un ouvrage d'importance vitale,

- la protection de la santé publique.

En cas de prise de contrôle , en droit ou en fait, directe ou indirecte (l'actionnaire final est donc identifié), d'une entreprise française ou d'une branche d'activité d'une entreprise française (par exemple un vaccin dans l'industrie pharmaceutique) exerçant l'une de ces activités, il est procédé à un examen préalable . Faute d'autorisation, l'investisseur fait l'objet d'une injonction de ne pas procéder à l'opération ou de rétablir la situation antérieure, éventuellement assortie d'une sanction pécuniaire.

La demande d'autorisation est instruite par le bureau du contrôle des investissements étrangers de la direction générale du Trésor , en lien avec les administrations concernées, notamment le ministère de la défense, via les hauts fonctionnaires de défense des ministères techniques concernés et le commissaire général à l'information stratégique et à la sécurité, qui est notamment l'interface entre les services de renseignement et ceux du ministère de l'économie.

L'autorisation peut être assortie de conditions visant à s'assurer que l'investissement ne portera pas atteinte aux intérêts nationaux . Ces conditions concernent principalement la préservation par l'investisseur de la pérennité des activités, des capacités industrielles, des capacités de recherche et de développement ou des savoir-faire associés, l'intégrité, la sécurité et la continuité de l'approvisionnement, l'intégrité, la sécurité et la continuité de l'exploitation d'un établissement, d'une installation ou d'un ouvrage d'importance vitale ou des réseaux et services de transport ou de communications électroniques, la protection de la santé publique ou l'exécution des obligations contractuelles de l'entreprise dont le siège social est établi en France, dans le cadre de marchés publics ou de contrats intéressant l'ordre public, la sécurité publique, les intérêts de la défense nationale ou la recherche, la production ou le commerce en matière d'armes, de munitions, de poudres ou de substances explosives.

Lorsque l'accord est subordonné à des conditions, l'entreprise rend compte du respect de celles-ci dans un rapport annuel . Il peut en outre être procédé à des vérifications .

Les décisions de refus ou conditionnelles sont susceptibles d'un recours de plein contentieux. Le juge en contrôle alors la base légale et la motivation, et s'assure du respect du principe de proportionnalité.

À titre comparatif, on signalera qu'aux États-Unis , le Comité pour l'investissement étranger (CFIUS), présidé par le secrétaire au Trésor, a une approche très extensive de la sécurité nationale et formule des réserves, qui conduisent généralement au retrait du projet, lorsque des investissements étrangers sont susceptibles d'interférer avec les exigences de la défense nationale. De manière plus visible, le Président Trump a récemment opposé son veto à l'acquisition de Lattice, une société de semi-conducteurs à application militaire, par Canyon Bridge , un fonds d'investissement contrôlé par des intérêts chinois.

LA PROPOSITION DE RÈGLEMENT : UN CADRE POUR LES FILTRAGES NATIONAUX DES IDE, LA PRISE EN COMPTE DES PROJETS OU PROGRAMMES PRÉSENTANT UN INTÉRÊT POUR L'UNION ET LE PRINCIPE D'UNE COOPÉRATION INTRAEUROPÉENNE

À la suite de certaines prises de contrôle qui ont fait craindre une perte d'indépendance nationale ou sont apparues comme susceptibles d'emporter des conséquences négatives sur l'emploi local, les opinions publiques européennes se sont fortement mobilisées sur le besoin d'une vision claire de la stratégie mise en oeuvre par certains acteurs internationaux et la nécessité d'une lutte active contre les prédateurs déloyaux.

C'est dans ce contexte et face en particulier à la croissance spectaculaire des investissements chinois que la question de l'opportunité d'un contrôle européen des investissements étrangers en Europe a été réactivée, à la demande de la France, de l'Allemagne et de l'Italie (A) et a conduit la Commission européenne à déposer une proposition de règlement sur le « filtrage » des investissements directs étrangers en Europe (B).

UNE PRÉOCCUPATION MISE EN AVANT PAR LA FRANCE, L'ALLEMAGNE ET L'ITALIE ET RAPIDEMENT PRISE EN COMPTE PAR LA COMMISSION EUROPÉENNE

La Commission européenne a répondu, avec une réactivité notable (2), à une demande franco-germano-italienne (1), relayée pour partie par le Conseil européen (3).

UNE DEMANDE FRANCO-GERMANO-ITALIENNE

Le gouvernement fédéral allemand s'est efforcé, sans succès, d'empêcher le rachat, en 2016, des robots Kuka par l'entreprise chinoise Midea .

En France, la croissance spectaculaire des investissements chinois, les incertitudes sur les stratégies d'investissement mises en oeuvre et les distorsions de concurrence récurrentes ont dans le même temps suscité des réactions.

Quelques exemples d'investissements chinois en France

Dans l' industrie : Donfeng devient le premier actionnaire (13 % du capital) du groupe PSA en 2014 et contrôle 83 % du capital du groupe de prêt à porter SMC P qui détient les marques Maje, Sandro et Claudie Pierlot .

Dans l' hôtellerie e t le tourisme : le groupe Jun-jiang détient 15 % du capital d' Accor , Louvre Hotels group ( Campanile, golden tulip ...) depuis 2014 et Club Med est détenu par Fosun depuis 2015.

En matière d' infrastructures : un consortium chinois a racheté en 2014 près de la moitié du capital de l'aéroport de Toulouse-Blagnac, 14 hectares d'entrepôts du port du Havre sont passés sous le contrôle d'investisseurs chinois, tout comme les 600 hectares de l'ancienne base américaine de Châteauroux qui entourent notamment un aéroport utilisé par Air France et Airbus .

Dans le secteur agricole : deux entreprises et des investisseurs individuels chinois ont acquis 1 700 hectares de terres agricoles dans l'Indre via le rachat de la quasi-totalité des parts de trois SCA. Des intérêts chinois sont également propriétaires de quelques 120 propriétés viticoles dans le Bordelais (soit 3 000 hectares de vignes). Enfin l'agro-alimentaire, en particulier les produits laitiers, font l'objet d'un intérêt attentif : Fosun et Sanyuan se sont ainsi associés pour acquérir les laiteries Saint-Hubert et Biostine s'est associé à la coopérative d'Isigny pour financer la création d'une usine de lait infantile.

Des investisseurs chinois ont également créé des entreprises en France. Ainsi Huawei , qui y a implanté quatre sites de recherche développement et accompagne des entreprises et des collectivités locales dans leur transformation numérique.

Le 13 février 2017, les deux ministres de l'économie allemand et français, auxquels s'est joint le ministre italien, ont adressé un courrier commun à la commissaire chargée du commerce . Ils y proposaient que soit attribué à la Commission, sur saisine d'un État membre, un pouvoir d'analyse pour examiner, sur le fondement de critères économiques (accès réciproque aux marchés et existence de subventions d'État introduisant une distorsion de concurrence), les conditions économiques de la réalisation d'une opération d'investissement envisagée par un investisseur étranger.

La commissaire a indiqué approuver le principe de cette suggestion dans une lettre en date du 1 er mars, précisant que les services de la Commission étaient disposés à explorer toutes les options, en particulier un cadre européen autorisant des décisions nationales d'interdiction ou un mécanisme incluant une décision communautaire de contrôle, voire d'interdiction.

LA POSITION ÉVOLUTIVE DE LA COMMISSION : DU RÉTABLISSEMENT DES CONDITIONS DE CONCURRENCE ÉQUITABLE À UN CADRE POUR LE FILTRAGE DES INVESTISSEMENTS DIRECTS ÉTRANGERS

Le président de la Commission européenne a fait travailler ses services sur le sujet en mettant prioritairement l'accent sur l'absence de réciprocité comme possible critère de refus, et l'existence de financements publics ou l'intervention d'entreprises d'État qui introduisent des distorsions de concurrence.

Le 10 mai, la Commission a publié un document de réflexion sur la maîtrise de la mondialisation mettant l'accent sur le fait qu'il fallait résister aux tentations de l'isolationnisme comme du laisser-faire, avant de préconiser que l'Europe se positionne comme une force contribuant à la mise en place d'un ordre mondial plus équitable et continue de promouvoir une politique équilibrée, fondée sur des règles équilibrées et progressiste en matière de commerce et d'investissement, qui ouvre les marchés sur la base d'une réciprocité.

Faisant valoir que « l'Union européenne ne doit pas être naïve dans son approche de la mondialisation », la Commission estime que des mesures doivent être prises pour rétablir des conditions de concurrence équitables en faisant mieux respecter les accords et règles existants, en mettant en place un tribunal multilatéral des investissements 12 ( * ) , en prenant en compte « des préoccupations exprimées concernant les investisseurs étrangers, notamment les entreprises publiques, qui rachètent des entreprises européennes dotées de technologies clés pour des raisons stratégiques ». Elle invite à davantage de coordination en la matière, entre l'Union européenne et les États membres.

Dans le même temps, le Parlement européen invitait la Commission, par une résolution du 5 juillet 2017 sur l'élaboration d'une stratégie industrielle ambitieuse de l'Union européenne 13 ( * ) , « à procéder à une vérification, conjointement aux États membres, [des investissements directs étrangers] effectués par des pays tiers dans les industries stratégiques, les infrastructures et les futures technologies clés de l'Union, ou dans d'autres actifs importants pour la sécurité et la protection de l'accès à celle-ci ».

UNE DEMANDE RELAYÉE PAR LE CONSEIL EUROPÉEN

À l'initiative de la France, la question du contrôle des investissements étrangers dans les secteurs stratégiques a été évoquée lors du Conseil européen des 22 et 23 juin 2017 .

Dans ses conclusions, le Conseil se déclare  « convaincu que le commerce et les investissements ne peuvent être libres que s'ils sont équitables et mutuellement bénéfiques ». Il demande en conséquence à la Commission d'améliorer la réciprocité en matière d'investissements et salue son initiative visant à maîtriser la mondialisation et, « entre autres, à analyser les investissements réalisés par des pays tiers dans des secteurs stratégiques, dans le plein respect de la compétence des États membres » 14 ( * ) .

Contrairement à ce qu'aurait souhaité la France, ne figure pas dans ces conclusions la demande que la Commission « se penche sur des moyens de déceler et de vérifier les investissements des pays tiers dans les secteurs stratégiques ». La majorité des États membres s'est en effet opposée au renforcement du contrôle des investissements étrangers au niveau européen préconisé par la France, l'Allemagne et l'Italie.

LA PROPOSITION DE RÈGLEMENT : UN CADRE POUR LE « FILTRAGE » DES INVESTISSEMENTS DIRECTS ÉTRANGERS PAR LES ÉTATS MEMBRES ET LA COMMISSION EUROPÉENNE

Le 13 septembre 2017, dans son discours annuel sur l'état de l'Union, le président de la Commission européenne a déclaré que « nous ne sommes pas des partisans naïfs du libre-échange. L'Europe doit toujours défendre ses intérêts stratégiques ». Il a ainsi estimé que « l'acquisition, par une entreprise publique étrangère, d'un port européen stratégique, d'une partie de l'infrastructure énergétique ou de sociétés dans le domaine des technologies de défense, (...) ne peut se faire que dans la transparence, à travers un examen approfondi et un débat (...) afin d'être en mesure, si besoin en était, de protéger notre sécurité collective », avant de proposer « un nouveau cadre de l'UE sur l'examen des investissements ».

Le même jour, avec une réactivité qu'il convient de saluer, la Commission a déposé la proposition de règlement sur le filtrage des investissements directs étrangers que nous examinons.

Ce texte établit un cadre pour l'examen, pour des motifs tenant à la sécurité ou à l'ordre public, par les États membres ou la Commission européenne, selon le cas, des investissements directs étrangers dans l'Union européenne. Il conforte à cet effet les mécanismes nationaux de filtrage (1), met en place un dispositif de coopération systématique entre les États membres et la Commission via des points de contact nationaux (2) et organise un contrôle pour avis de la Commission sur les investissements susceptibles de porter atteinte à des projets ou des programmes présentant un intérêt pour l'Union.

CONFORTER LES DISPOSITIFS NATIONAUX DE CONTRÔLE DES INVESTISSEMENTS DIRECTS ÉTRANGERS

Le « filtrage » est défini à l'article 1 er de la proposition de règlement comme une procédure de contrôle, mise en oeuvre a priori ou a posteriori , pouvant conduire, pour des motifs tenant à la sécurité ou à l'ordre public, à interdire l'investissement ou à l'annuler s'il y a déjà été procédé, ou encore à le subordonner à des conditions.

Les investissements concernés sont les investissements directs de toute nature , réalisés par une personne physique ou une entreprise d'un pays tiers, c'est-à-dire constituée ou « autrement organisée conformément à la législation d'un pays tiers ».

Ce filtrage constitue pour les États membres une simple faculté mais il serait désormais encadré par les exigences cumulatives énumérées à l'article 6 de la proposition de règlement :

- la prévisibilité des conditions et des motifs ainsi que la précision des règles de procédure ;

- des délais suffisants pour permettre aux États membres de formuler des observations et à la Commission européenne d'émettre un avis ;

- la protection des informations confidentielles et commercialement sensibles fournies dans la cadre de la procédure ;

- un traitement égal entre les pays tiers ;

- des voies de recours juridictionnel.

Aux termes de l'article 4 de la proposition de règlement, les facteurs susceptibles d'être pris en considération sont :

- les effets potentiels sur les infrastructures critiques, les technologies critiques ou la sécurité de l'approvisionnement en « intrants » essentiel ;,

- l'accès à des informations sensibles ou la capacité de contrôler des informations sensibles ;

- enfin « le fait que l'investisseur soit sous le contrôle d'un pays tiers, notamment au moyen d'un important appui financier ».

Ces mécanismes nationaux devront être notifiés à la Commission européenne, le cadre initial tout comme les modifications ultérieures, dans les 30 jours de leur entrée en vigueur.

Les États membres qui ont mis en place un mécanisme de filtrage devront dorénavant établir un rapport annuel sur sa mise en oeuvre récapitulant les investissements filtrés, les décisions d'interdiction et les autorisations conditionnelles, en précisant le secteur, l'origine et la valeur des investissements concernés. Les États membres non dotés de mécanismes de filtrage produiront un rapport statistique annuel sur les investissements étrangers.

UN MÉCANISME DE COOPÉRATION SYSTÉMATIQUE ENTRE LES ÉTATS MEMBRES ET LA COMMISSION VIA LES POINTS DE CONTACT NATIONAUX

L'article 8 de la proposition de règlement organise par ailleurs un dispositif de coopération qui prévoit que la Commission et les autres États membres seront informés de toute ouverture d'une procédure de contrôle dans le délai de 5 jours ouvrables.

Les autres États membres disposeront ensuite d'un délai de 25 jours pour formuler éventuellement des observations en cas d'atteinte à la sécurité ou à l'ordre public. Ils peuvent en outre demander des informations à l'État membre dans lequel l'investissement est projeté.

L'État membre concerné « tient dument compte de ces observations et avis », qui ne présentent donc pas un caractère contraignant .

Il est enfin précisé à que les informations qui peuvent être demandées à l'État membre par la Commission ou un autre État portent notamment sur la structure de propriété de l'investisseur et de l'entreprise cible, y compris les actionnaires majoritaires ultimes, la valeur de l'investissement, les produits, services et opérations de l'investisseur et de l'entreprise cible ou encore les États membres dans lesquels l'investisseur et la cible prévoient ou réalisent des activités.

L'EXAMEN PAR LA COMMISSION DES INVESTISSEMENTS SUSCEPTIBLES DE PORTER ATTEINTE À DES PROJETS OU DES PROGRAMMES PRÉSENTANT UN INTÉRÊT POUR L'UNION

La proposition de règlement introduit en outre un mécanisme de filtrage, par la Commission européenne, des investissements directs étrangers susceptibles de porter atteinte, pour des motifs de sécurité ou d'ordre public, à des projets ou des programmes présentant un intérêt pour l'Union.

Si elle estime que tel pourrait être le cas, la Commission peut demander des informations à l'État membre dans lequel les investissements sont envisagés et lui adresse son avis dans les 25 jours de la réception de celles-ci. L'avis est communiqué à l'ensemble des États membres. Si l'État concerné ne le suit pas, il doit fournir une explication à la Commission .

Les facteurs susceptibles d'être pris en considération dans le cadre de l'analyse sont les mêmes que ceux retenus pour les contrôles nationaux.

Les projets ou programmes présentant un intérêt pour l'Union européenne pour des motifs de sécurité ou d'ordre public sont définis non limitativement à l'article 9 de la proposition de règlement comme étant ceux pour lesquels le financement de l'Union est d'un montant considérable ou en constitue une part significative, ainsi que ceux qui sont couverts par une législation européenne comme les infrastructures critiques, les technologies critiques ou les intrants essentiels.

En l'état, sept projets ou programmes présentant un intérêt pour l'Union sont listés en annexe de la proposition de règlement :

- Galileo et EGNOS en matière de radionavigation par satellite,

- le programme Copernicus d'observation de la terre depuis l'espace,

- le programme cadre de recherche et d'innovation « Horizon 2020 »,

- le réseau transeuropéen de transport (RTE-T),

- les réseaux transeuropéens d'énergie (RTE-E),

- les réseaux transeuropéens de télécommunications.

UN COMMENCEMENT D'APPROCHE STRATÉGIQUE GLOBALE : L'IDENTIFICATION DES SECTEURS SENSIBLES ET L'ANALYSE DES FLUX D'INVESTISSEMENT

En coopération avec les États membres, la Commission collectera des données détaillées, analysera les tendances et évaluera l'impact des investissements, y compris au moyen d'études de cas. Elle entend poser ce faisant les bases d'une analyse des intérêts stratégiques européens.

La Commission a ainsi indiqué qu'elle mettrait rapidement en place un groupe de coordination sur les investissements directs étrangers entrants , composé de représentants de tous les États membres. Ce groupe examinera tous les aspects couverts par la proposition de règlement, en particulier l' identification des secteurs et des actifs ayant des retombées stratégiques en matière de sécurité, d'ordre public et/ou de contrôle des actifs critiques au niveau national, transfrontalier ou européen. Il échangera des informations et des bonnes pratiques ainsi que des analyses d'investissements directs étrangers. Enfin, il discutera de questions d'intérêt commun , telles que les subventions et les autres pratiques des pays tiers qui facilitent les acquisitions stratégiques et s'efforcera de les identifier.

La Commission a par ailleurs annoncé que d'ici à fin 2018 , elle procédera à une analyse approfondie des flux d'investissements directs étrangers dans l'Union européenne , en mettant l'accent sur les secteurs stratégiques (tels que l'énergie, l'espace, les transports) et les actifs (technologies clés, infrastructures critiques, données sensibles) dont le contrôle pourrait susciter des inquiétudes pour des raisons de sécurité ou d'ordre public, notamment lorsque l'investisseur est détenu ou contrôlé par un pays tiers ou bénéficie d'importantes subventions de l'État.

UNE PROPOSITION À APPUYER ET QUI DOIT ÊTRE INSCRITE DANS UNE APPROCHE STRATÉGIQUE PLUS LARGE SANS METTRE EN CAUSE L'OUVERTURE EUROPÉENNE

La proposition de règlement ne pourra aboutir que si elle bénéficie d'une forte impulsion politique (A). Il conviendrait en outre que sa dimension stratégique soit pleinement mise en oeuvre sans, bien sûr, mettre en cause l'ouverture du marché européen (B)

LA NÉCESSITÉ D'UNE FORTE IMPULSION POLITIQUE

Pour que le sujet ne s'enlise pas et que la proposition de règlement soit adoptée avant les élections européennes (1), il faut une forte impulsion politique. Le président de la Commission européenne apparaît motivé, le Conseil a commencé à travailler sur le texte et la présidence bulgare pourrait s'y intéresser, mais l'affichage d'un contrôle sur certains investissements étrangers et la question des moyens d'accompagnement de la coopération intra-européenne font l'objet de discussions entre les États membres (2).

L'OBJECTIF D'UNE ADOPTION AVANT LES ÉLECTIONS EUROPÉENNES

La réactivité de la Commission dénote une réelle prise de conscience de l'impact qu'aurait tout attentisme en la matière . Son président a indiqué à cet égard qu'il souhaitait que la proposition de règlement puisse être adoptée avant les prochaines élections européennes qui devraient se tenir en mai 2019.

La présidence bulgare , pour sa part, semble intéressée par le sujet et l'on peut donc espérer qu'elle en fera l'une de ses priorités .

Le « temps économique » va aujourd'hui beaucoup plus rapidement que le « temps politique » ; il est donc indispensable que le nouveau dispositif puisse être rapidement mis en oeuvre, et ce dans toutes ses dimensions .

DES SUJETS DE DISCUSSION ENTRE LES ÉTATS MEMBRES

Le texte a d'ores et déjà fait l'objet d'un premier examen par le groupe « questions commerciales » et par le Coreper lors de sa réunion du 8 novembre, au cours de laquelle a notamment été discutée l'opportunité d'une étude d'impact, avant qu'il soit conclu que les travaux d'évaluation devaient être poursuivis mais sans qu'une étude d'impact stricto sensu soit nécessaire.

Plusieurs sujets de fond font l'objet de débats, en particulier l'existence d'un risque d'image et la question des moyens de mise en oeuvre du mécanisme de coopération intra-européen.

Sur le premier point, certains États membres, les plus libéraux, craignent que le dispositif soit perçu comme un signal protectionniste alors même que les investissements étrangers sont très généralement considérés comme positifs pour l'Europe. Dans le même temps, certains pays bénéficiaires d'investissements chinois sont dans une position quelque peu inconfortable.

Il convient d' insister à cet égard sur le fait que le dispositif ne comporte pas d'intention protectionniste et qu'il ne fait que prendre appui sur les dispositions du traité concernant les questions de sécurité nationale et d'ordre public .

Quant à la question de la charge administrative induite par le mécanisme d'information et de coopération, elle est soulevée par les États membres qui ne contrôlent actuellement pas les investissements étrangers et demandent des éclaircissements sur ce qui est attendu en la matière.

UNE APPROCHE STRATÉGIQUE À CONFORTER

La proposition de règlement n'est en rien une mesure ou une réaction protectionniste . Elle s'inscrit dans un équilibre satisfaisant entre l'affirmation d'une Europe ouverte et la prise de conscience que cette ouverture ne doit pas avoir pour corollaire une naïveté préjudiciable aux intérêts stratégiques européens .

La proposition de résolution européenne élaborée par vos rapporteurs rappelle à cet égard que l'Union européenne est l'un des marchés les plus ouverts aux investissements étrangers et met l'accent sur l'intérêt que ces investissements présentent pour elle.

Dans le même temps, elle souligne qu'une concurrence loyale doit présider aux échanges internationaux, y compris en matière d'investissements et que l'Union européenne doit y veiller (1).

Elle réaffirme également que les États membres sont fondés à s'assurer que les investissements directs étrangers dans leurs entreprises ne sont pas de nature à mettre en cause la sécurité et l'ordre public et formule quelques observations sur l'encadrement des dispositifs de filtrage (2).

Enfin, la proposition de résolution européenne préconise une forte coopération européenne en matière de suivi des investissements directs étrangers dans l'Union européenne (3).

LUTTER EFFICACEMENT CONTRE LES PRATIQUES ANTICONCURRENTIELLES Y COMPRIS EN MATIÈRE D'INVESTISSEMENT

Il est proposé de souligner la nécessité de lutter contre les pratiques anticoncurrentielles y compris en matière d'investissements, en amont, dans le cadre des négociations commerciales , comme en aval, y compris en matière de marchés publics .

On relèvera à cet égard que la proposition de règlement permet aux mécanismes nationaux de filtrage de prendre en compte des situations dans lesquelles l'investisseur bénéficie d'aides d'État ou est une émanation d'un État étranger .

ASSURER UNE MEILLEURE PRÉVISIBILITÉ DES DISPOSITIFS NATIONAUX DE FILTRAGE POUR LES INVESTISSEURS ÉTRANGERS

La proposition de règlement garantit aux investisseurs étrangers une meilleure prévisibilité des dispositifs nationaux de contrôle dont le cadre procédural devra respecter certains principes en matière de délais et de voies de recours notamment.

Il serait utile de préciser à cet égard que le traitement des recours contentieux contre les décisions nationales de refus d'investissements ou les subordonnant à des conditions, doit être rapide et efficace .

Par ailleurs, la prévisibilité n'excluant pas la capacité d'appréhender des risques nouveaux ou d'identifier des éléments clés en cours de constitution dans les chaînes de valeur, il convient de relever que la liste des facteurs susceptibles d'être pris en considération dans le filtrage figurant dans la proposition de règlement n'est pas limitative. Il est en effet indispensable de laisser toute latitude à une extension du filtrage à des secteurs aujourd'hui inconnus ou non encore matures.

METTRE EN PLACE DES MOYENS COORDONNÉS DE SURVEILLANCE ET DE SUIVI DES INVESTISSEMENTS DIRECTS ÉTRANGERS EN EUROPE

Le dispositif d'échange d'informations entre les États membres et la Commission prévu par la proposition de règlement constitue une avancée. Il doit être organisé et sécurisé, et permettre une convergence d'analyse et un véritable suivi des investissements étrangers en Europe.

Veiller à ce que les échanges d'informations soient réactifs et sécurisés

La moitié des États membres ne prévoient pas de se doter d'un mécanisme de filtrage et en font même un argument d'attractivité. Or une approche efficace des enjeux stratégiques européens en matière de sécurité et d'ordre public appelle une coopération entre les États membres dont la proposition de règlement pose les principes.

Il conviendrait toutefois que soit précisé le délai de mise à disposition des États membres et de la Commission des informations demandées par l'État cible lorsque la Commission ou un État membre estime qu'un investissement est susceptible de porter atteinte à sa sécurité, à l'ordre public ou à un programme intéressant l'Union européenne. L'article 10 ne fixe en effet pas de délai contraignant en la matière mais mentionne simplement l'absence de « retard indu ».

Il est par ailleurs nécessaire de veiller à la sécurité des informations confidentielles échangées entre les États membres et la Commission, y compris relevant du secret des affaires.

Mettre en place un cadre de surveillance, d'analyse et de suivi des stratégies d'investissement dirigées vers l'Europe

Le mécanisme de coopération organisé par la proposition de règlement doit non seulement permettre l'échange ponctuel d'informations mais également servir de cadre à une analyse commune des stratégies d'investissement dirigées vers l'Europe et à un suivi de leurs évolutions.

Il apparaît indispensable qu'à partir des informations échangées entre les États membres et la Commission, le groupe de coordination dont la Commission a annoncé la création soit rapidement constitué pour procéder à une analyse, régulièrement actualisée, des intérêts stratégiques européens et des flux d'investissements directs étrangers entrant dans l'Union européenne.

Ce groupe, qui doit être pérenne, devrait également être chargé du suivi de la coopération entre les États membres et s'assurer notamment que ceux-ci ont mis en place un dispositif de déclaration des investissements directs étrangers sur leur territoire. Il constituerait en outre un cadre pour la définition d'une méthodologie commune et pourrait utilement favoriser une convergence des mécanismes nationaux de filtrage des investissements directs étrangers.

*

La proposition de règlement soumise à l'examen de notre commission s'inscrit dans une démarche européenne plus vaste dont il convient de soutenir les avancées et de pousser les orientations. Ainsi en est-il par exemple de la sécurisation de l'approvisionnement en métaux rares ou de la politique de l'Union européenne, qui nécessiterait un autre rapport, consistant à faire naître des champions européens, dans des secteurs à mieux identifier, quand il est nécessaire d'atteindre une taille critique pour affronter la compétition mondiale

EXAMEN PAR LA COMMISSION

La commission des affaires européennes s'est réunie, le jeudi 23 novembre 2017, pour l'examen du présent rapport. À l'issue de la présentation faite par MM. Jean Bizet, président, et Franck Menonville, le débat suivant s'est engagé :

M. André Gattolin. - La question des investissements directs étrangers dans l'Union européenne est un sujet essentiel. La Commission européenne a fait montre d'une bonne réactivité, à la hauteur des enjeux mais la réponse n'est pas encore tout à fait calibrée à cette hauteur. La Commission va émettre des avis mais le pays concerné ne sera pas tenu de les suivre ! On peut s'inquiéter quand on voit que l'Irlande ne réclame pas aux GAFA les impôts qu'ils lui doivent.

Que définit-on comme des États étrangers ? Les États membres de l'Espace économique européen, qui investissement des sommes considérables dans l'Union européenne - 875 milliards d'euros, soit plus de 5 % du CAC 40 français - sont plutôt des partenaires que des États étrangers. Par ailleurs, quelle sera la situation des investissements réalisés par le Royaume-Uni après le Brexit ?

Cette question des investissements directs étrangers ne relève pas d'une démarche protectionniste mais d'une régulation fondée sur la réciprocité. Je rappelle que je m'étais élevé contre la reconnaissance du statut d'économie de marché à la Chine, position qui a d'abord été fortement critiquée avant d'être finalement retenue. Je me réjouis qu'on ne l'ait pas accordée quand je vois la crise de l'acier. J'attire également l'attention sur le détournement par la Chine du programme européen « Tout sauf les armes » qui a éliminé les contingents et droits de douane pour la totalité des produits importés des pays les plus pauvres et dont bénéficie par exemple le Cambodge. Les entreprises chinoises en profitent, avec une main-d'oeuvre moins chère, pour exporter vers l'Europe des quantités considérables de produits textiles - ceux-ci représentent 74 % des exportations du Cambodge - à travers des investissements massifs dans ce pays dont on peut douter que celui-ci tire un véritable bénéfice. Il est devenu impératif de se préoccuper de toutes ces pratiques qui sont très dommageables pour l'économie européenne.

Mme Colette Mélot. - Il faut mieux défendre nos intérêts. La marge de manoeuvre est étroite et il ne faut pas que ce soit au détriment de la croissance. Il faut également éviter que certains États européens - les plus libéraux - soient moins regardants, au détriment des autres qui ne bénéficieraient alors plus de ces investissements. La Commission européenne sera-t-elle en mesure de réguler les choses en la matière ?

M. Yannick Botrel. - L'Europe doit se protéger dans le domaine économique. Lors d'élections récentes, les opinions publiques ont manifesté leur défiance à l'égard d'une Europe passoire. Il est donc important de répondre à ce besoin de sécurité et d'avancer dans cette direction. D'autres pays, comme les États-Unis, sont infiniment moins naïfs : il suffit de voir le montant des amendes infligées. La situation actuelle est caractérisée par un déséquilibre résultant notamment de l'absence de réciprocité. Vous avez évoqué des domaines stratégiques, cela me paraît vital. Certaines entreprises ne présentent pas un caractère stratégique évident alors même que leur rachat emporte des délocalisations, voire leur disparition. L'Europe devrait aller au-delà pour répondre aux préoccupations des opinions publiques.

M. Jean-Yves Leconte. - La protection de la sécurité et de l'ordre public justifie les inquiétudes que soulèvent certains investissements. Le marché européen est très ouvert et doit le rester. Il faut que l'Union européenne puisse continuer à investir hors d'Europe pour assurer sa croissance.

La protection des innovations européennes est insuffisante. À cet égard, l'évolution de la pratique de l'Office européen des brevets (OEB) apparaît inquiétante : parce qu'elles assurent des rentrées financières plus élevées, les demandes d'enregistrement de brevets introduites par les grandes entreprises étrangères sont traitées par priorité par rapport à celles des entreprises européennes dont les inventions sont donc protégées avec retard. L'office privilégie ainsi son chiffre d'affaires à court terme plutôt que la protection de l'innovation européenne qui devrait être prioritaire.

Mme Laurence Harribey. - Les enjeux sont importants. Ce projet de règlement est révélateur de l'absence de stratégie européenne et d'une politique de concurrence qui s'est enfermée sur elle-même alors que priorité aurait dû être donnée à la création de champions européens. L'Union européenne fonctionne en la matière comme une maison dont les chambres ne communiquent pas entre elles mais qui laisse entrer comme elles veulent les souris venues de l'extérieur ! Le projet de règlement reste sur une vision très défensive et pas offensive. Il est dès lors d'autant plus urgent et pertinent de travailler sur la stratégie industrielle européenne.

M. René Danesi. - La proposition de résolution européenne rappelle dans son point 9 que l'Union européenne ne prend pas suffisamment en compte ses intérêts stratégiques en s'opposant à la création de géants européens en raison du risque de monopole sur le marché européen qui en résulterait, position qui a facilité la prise de contrôle d'entreprises européennes par des investisseurs étrangers.

M. Didier Marie. - La question est très sensible. Il faut favoriser une Union européenne ouverte mais pas à tous vents. Il est en outre crucial de lutter contre le protectionnisme des autres marchés et de multiplier les partenariats amicaux. Enfin il faut veiller aux intérêts stratégiques, voire au-delà. La définition de ces intérêts est trop limitative. Elle ne comprend par exemple pas l'acquisition de terres agricoles comme nous en connaissons en France : 9 000 hectares ont ainsi été achetés cette semaine par des investisseurs chinois dans l'Allier. Il en est de même en matière de nanotechnologies : il faut regarder les conséquences de l'acquisition de bases de données par des investisseurs étrangers. La proposition de règlement va permettre d'avancer mais il est urgent de définir une stratégie globale. L'Union européenne doit être ouverte mais prudente.

M. André Reichardt. - La définition des intérêts stratégique est délicate à réaliser. Je préside une agence de promotion des investissements étrangers en Alsace. Le métier de chasseur d'investissements étrangers a bien changé. Je prendrai l'exemple de l'Alsace qui est bien placée et qui apparaît très attractive mais sans que l'on sache toujours les raisons personnelles pour lesquelles un investisseur est intéressé par une entreprise. Certains cherchent parfois à s'approprier une innovation que nous n'avions pas identifiée et ont effectué à cet effet des recherches préalables sur l'ensemble du territoire, en particulier auprès de start-up que je découvre grâce à eux. Il faut donc à la fois être les meilleurs pour attirer les investissements étrangers dont nous avons besoin et savoir protéger l'innovation. Cette démarche exige une bonne définition des intérêts stratégiques. C'est ainsi que la parapharmacie concentre actuellement beaucoup d'intérêts.

M. Daniel Gremillet. - La politique court derrière la finance. Le texte proposé est a minima alors que le Brexit a déclenché une alarme : nos opinions publiques s'inquiètent de l'absence de politique industrielle européenne et de la timidité de l'Union européenne à l'égard du non-respect du principe de libre concurrence. Nous avons eu l'occasion de l'évoquer la semaine dernière lors de l'audition de Michel Barnier : quelle Europe, quelle économie voulons-nous, telle est la vraie question. J'ai le sentiment profond d'une vraie faiblesse politique dans l'approche européenne.

M. Jean Bizet, président. - Je vous remercie pour la qualité de vos réactions. Ce rapport d'information arrive à point nommé. C'est l'image de l'Europe qui est en jeu. Il est essentiel que l'Union européenne ait une vision offensive face à la mondialisation et adopte une posture stratégique. Lors d'un entretien avec le président du Sénat auquel j'ai participé, Michel Barnier a insisté sur la position du secrétaire d'État américain au commerce qui invite le Royaume-Uni à se ranger aux normes américaines plutôt qu'à celles de l'Union européenne. C'est directement attaquer nos préférences collectives.

Construire une vision plus politique de l'Europe doit être la ligne de conduite de la refondation de l'Union européenne. Il faut promouvoir une Europe puissance plutôt qu'une Europe espace.

Quelques éléments de précision. L'évolution de la pratique de l'Office européen des brevets est préoccupante : il conviendrait que notre groupe de travail sur la propriété intellectuelle entende rapidement son président. Les États de l'Espace économique européen sont des pays tiers au regard des investissements directs étrangers. Ils ne doivent pas devenir des chevaux de Troie. La proposition de règlement apporte une réponse calibrée. Celui-ci s'appliquera directement à tous les États membres, sans qu'il soit besoin d'une transposition. La négociation préalable à son adoption va être difficile et je vais insister la semaine prochaine auprès de mon homologue bulgare de la COSAC pour que la Bulgarie en fasse une priorité de sa présidence. Quant à la définition des intérêts stratégiques, elle doit être précise et évolutive car il y a des domaines encore inconnus ou qui ne sont pour le moment pas matures.

M. Franck Menonville. - La proposition de règlement constitue une première étape et marque une prise de conscience de la part des pays européens. Il faut faire évoluer les contours de la définition des intérêts stratégiques.

Sur la situation particulière des investissements agricoles et fonciers, ce sont des questions essentielles qui sont en jeu, en particulier l'indépendance alimentaire et agroalimentaire qui doit être intégrée dans les intérêts stratégiques.

M. Jean Bizet, président. - Sur le foncier agricole, il faut savoir que la Chine a besoin de superficies considérables pour assurer la couverture de ses besoins alimentaires. Elle n'hésite d'ailleurs pas à acheter des terres en Afrique dont elle prélève la couche supérieure.

M. Didier Marie. - La proposition de résolution européenne pourrait évoquer la question de la définition des intérêts stratégiques.

M. Jean Bizet, président. - Je vous propose de compléter à cette fin le point 17 par les mots suivants : « souligne la nécessité d'une définition évolutive des intérêts stratégiques européens ».

À l'issue du débat, la commission des affaires européennes a autorisé, à l'unanimité, la publication du rapport d'information et adopté la proposition de résolution européenne, ainsi que l'avis politique qui en reprend les termes et qui sera adressé à la Commission européenne .

*

PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE

Le Sénat,

Vu l'article 88-4 de la Constitution,

Vu le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne et en particulier ses articles 63, 64 et 207,

Vu le document de réflexion de la Commission européenne sur la maîtrise de la mondialisation publié le 10 mai 2017,

Vu la résolution du Parlement européen du 5 juillet 2017 sur l'élaboration d'une stratégie industrielle ambitieuse de l'Union européenne en tant que priorité stratégique pour la croissance, l'emploi et l'innovation en Europe et en particulier les points 16 à 20,

Vu les conclusions du Conseil européen du 23 juin 2017 (EUCO 8/17),

Vu la proposition de règlement COM(2017) 487 du Parlement européen et du Conseil du 13 septembre 2017 établissant un cadre pour le filtrage des investissements directs étrangers dans l'Union européenne,

Vu la communication COM(2017) 494 de la Commission au Parlement européen, au Conseil européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au comité des régions du 13 septembre 2017 « Accueillir les investissements directs étrangers tout en protégeant les intérêts essentiels »,

Soulignant que l'Union européenne est l'un des marchés les plus ouverts du monde, en matière commerciale comme en matière d'investissements ;

Rappelant que l'Union européenne est la principale source et la principale destination des investissements directs étrangers dans le monde ;

Considérant que les investissements directs étrangers ont un impact positif sur la croissance et l'emploi dans l'Union européenne, qu'ils stimulent la productivité et l'innovation, qu'ils rendent les entreprises européennes plus compétitives et ouvrent de nouveaux marchés aux exportations de l'Union européenne ;

Considérant toutefois que certains investisseurs étrangers, en particulier certaines entreprises publiques et des États, ne respectent pas pleinement les principes d'une concurrence équitable et réciproque, y compris en matière d'investissements ;

Considérant au surplus que les investisseurs étrangers recherchent de plus en plus des actifs stratégiques et que la prise de contrôle de tels actifs peut être préjudiciable aux intérêts essentiels de l'Union européenne ou des États membres et porter atteinte à la sécurité ou à l'ordre public ;

Estime essentiel de maintenir l'ouverture la plus large de l'Union européenne aux investissements directs étrangers et souligne que le filtrage des investissements directs étrangers dans l'Union européenne n'est pas une marque de défiance à l'égard de ces investissements ;

Souligne la nécessité d'empêcher les pratiques anti-concurrentielles et de définir et de mettre en oeuvre une stratégie européenne anti-dumping et antisubventions cohérente et efficace ;

Juge nécessaire d'introduire des règles contraignantes et des engagements concernant les investissements directs étrangers dans les accords commerciaux bilatéraux ou régionaux ainsi que de renforcer la coopération multilatérale en la matière ;

Salue l'initiative de la Commission européenne qui définit les éléments essentiels du cadre procédural des mécanismes nationaux de filtrage et conforte ce faisant les mécanismes de contrôle nationaux des investissements directs étrangers en cas de risque d'atteinte à la sécurité ou à l'ordre public ; souligne la nécessité d'une définition évolutive des intérêts stratégiques de l'Union européenne ;

Recommande que la sécurité juridique des mécanismes de contrôle nationaux soit complétée par l'exigence que le traitement des recours contre les décisions des autorités nationales de filtrage soit rapide et efficace ;

Observe que la liste des facteurs susceptibles d'être pris en compte pour des motifs de sécurité et d'ordre public permet d'éclairer les investisseurs mais qu'elle n'est pas limitative, ce qui laisse utilement place à des situations non encore identifiées ;

Salue l'organisation de la protection des actifs essentiels pour des projets ou programmes européens sous l'égide de la Commission européenne ;

Estime indispensable que ce contrôle puisse prendre en compte, le cas échéant, le caractère public de l'investisseur étranger ou des aides publiques dont il bénéficie ;

Relève que la proposition de règlement s'articule avec le contrôle des concentrations et les législations européennes sectorielles qui traitent les effets de prises de participation étrangères ;

Souligne que pour que la transparence sur les investissements étrangers dans l'Union européenne soit effective, l'identification de l'investisseur final est indispensable ;

Souligne le besoin d'une coopération intra-européenne forte en matière d'identification et de suivi des investissements directs étrangers susceptibles de porter atteinte aux intérêts essentiels de l'Union européenne ou de ses États membres, à la sécurité ou à l'ordre public ;

Relève que la coopération intra-européenne devrait permettre de prévenir le contournement des mécanismes nationaux d'examen des investissements directs étrangers dès lors que les États membres sollicités répondent rapidement aux demandes d'information ;

Fait valoir à cet égard que les États membres auxquels des éléments d'information sont demandés par la Commission et d'autres États membres dans le mécanisme de coopération proposé par la Commission devraient être tenus de répondre dans un délai préfixé, la notion d'absence de retard indu ne paraissant pas de nature à permettre leur prise en compte effective dans les procédures de contrôle ;

Souligne que la confidentialité des informations ainsi échangées doit être strictement protégée ;

Estime indispensable qu'à partir des informations échangées dans le cadre de la coopération entre les États membres et la Commission prévue par la proposition de règlement, le groupe de coordination dont la Commission a annoncé la création soit rapidement constitué pour procéder à une analyse, régulièrement actualisée, des intérêts stratégiques européens et des flux d'investissements directs étrangers dans l'Union européenne ;

Préconise que ce groupe, qui doit être pérenne, soit également chargé du suivi de la coopération entre les États membres, qu'il s'assure que ceux-ci ont mis en place un dispositif de déclaration des investissements directs étrangers sur leur territoire, qu'il définisse une méthodologie commune et favorise une convergence des mécanismes nationaux de filtrage des investissements directs étrangers ;

Invite le gouvernement à soutenir ces orientations et à les faire valoir dans les négociations en cours.

LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES

- M. Jean-Baptiste Carpentier, commissaire à l'information stratégique et à la sécurité économique ;

- M. Thierry Francq, commissaire adjoint à l'investissement ;

- Mme Valérie Liang-Champrenault, chef du bureau du contrôle des investissements étrangers à la direction générale du Trésor du ministère de l'économie et des finances, accompagnée de son adjoint, M. Mathieu Raux, en charge notamment du suivi des négociations sur la proposition de règlement ;

- M. Aurélien Billot, chef du secteur des politiques commerciales et des politiques de développement au Secrétariat général du Gouvernement pour les affaires européennes (SGAE).

L'Association française des entreprises privées (AFEP) a fait parvenir une contribution détaillée sur la proposition de règlement.


* 1 Aérospatial, renouvelables, biotechnologies, consommables et composants électroniques, moteurs, turbines, équipement médical, industrie pharmaceutique, semi-conducteurs, services informatiques, industries de défense.

* 2 Recommandation (UE) 2015/1184 du Conseil du 14 juillet 2015 relative aux grandes orientations des politiques économiques des États membres et de l'Union européenne.

* 3 Règlement (CE) 2004/139 relatif au contrôle des concentrations entre entreprises.

* 4 Directive 2008/114/CE sur les infrastructures critiques, directives 2009/72/CE et 2009/73/CE sur l'électricité et le gaz.

* 5 Directive 2016/1148 concernant des mesures destinées à assurer un niveau élevé commun de sécurité des réseaux et des systèmes d'information dans l'Union.

* 6 Règlement (CE) 2008/1008 fixant une condition de nationalité pour l'octroi de licences d'exploitation pour le transport aérien de passagers.

* 7 Dans le cadre de l'initiative « matières premières » lancée en 2008.

* 8 Règlement (UE) 2014/283 concernant des orientations pour les réseaux transeuropéens dans le domaine des infrastructures de télécommunications.

* 9 Directive 2007/44/CE sur les établissements financiers, 2013/36/UE sur les activités d'assurance et de réassurance et 2014/65/UE sur les marchés d'instruments financiers.

* 10 Introduit par la loi n° 66-1008 du 28 décembre 1966 relative aux relations financières avec l'étranger. Une liste a été introduite en 2005, qui distingue selon que l'investisseur est ou non membre de la Communauté économique européenne ou de l'Espace économique européen.

* 11 Décret n° 2014-479 du 14 mai 2014 relatif aux investissements étrangers soumis à autorisation préalable.

* 12 Consultation publique lancée en décembre 2016.

* 13 Résolution du Parlement européen du 5 juillet 2017 sur l'élaboration d'une stratégie industrielle ambitieuse de l'Union européenne en tant que priorité stratégique pour la croissance, l'emploi et l'innovation en Europe.

* 14 Voir à cet égard le document d'accompagnement SWD(2017) 297 de la proposition de règlement établi par les services de la Commission publié le 13 septembre 2017.

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