CONCLUSION

La relance des relations entre l'Union européenne et l'Algérie est devenue une réalité avec l'élaboration de nouvelles priorités de partenariat. La relation euro-méditerranéenne ne peut que sortir renforcée de la reprise effective du dialogue avec un pays dont le rôle est déterminant pour la stabilité de la zone. La révision de la politique de voisinage a incontestablement facilité ce rapprochement nécessaire en permettant de développer une approche moins incantatoire et plus pragmatique.

Cette réévaluation des relations entre l'Union européenne et l'Algérie n'exonère pas cependant celle-ci des réformes à mener tant au plan politique qu'au niveau économique. Le rééquilibrage de l'accord d'association, souhaité par les autorités algériennes, peut apparaître légitime à condition qu'il soit accompagné d'un plus grand respect des principes qu'il contient. Si l'Algérie entend consolider au plan économique son statut de grande puissance régionale, il convient qu'elle renonce à une stratégie qui conduit à dissuader les entreprises européennes d'investir sur son territoire. La relance de la relation euro-algérienne doit également être accompagnée d'une véritable reprise en main du dialogue régional, au sein de l'Union du Maghreb arabe, afin de faire de celui-ci un véritable partenaire de l'Union européenne.

Le succès de la transition économique appelée de ses voeux par le gouvernement algérien face à la chute des prix des hydrocarbures tient principalement à cette capacité à s'ouvrir et à devenir attractif. Il s'agit donc pour le pays de lever rapidement toutes les incertitudes qui entourent son avenir. Il pourra compter dans cette démarche sur le plein appui de l'Union européenne et notamment de la France.

EXAMEN PAR LA COMMISSION

La commission des affaires européennes s'est réunie le jeudi 27 juillet 2017 pour l'examen du présent rapport. À l'issue de la présentation faite par M. Simon Sutour, le débat suivant s'est engagé :

M. Jean Bizet , président . - Merci pour cette photographie d'un pays proche mais qui nous reste insuffisamment connu. Alors que la problématique des migrants nous fait vivre une période mouvementée, il est bon d'améliorer nos relations et l'investissement de l'Union européenne ne peut être que bénéfique, à plus d'un titre.

M. André Gattolin . - Merci de ce regard sur l'Algérie. Je connaissais le poids de la manne pétrolière dans un pays qui fonctionne, comme d'autres pays en développement, selon une logique extractive. Plusieurs travaux, émanant notamment d'économistes américains, se sont interrogés sur le caractère durable de la prospérité des nations. Je pense à l'ouvrage de Daron Acemoglu et James Robinson, Pourquoi les nations échouent . Il est aventureux de fonder toute son économie sur l'extraction de la richesse naturelle du sous-sol. Car comment se fait, à ce compte, le lien avec la société civile ? Les institutions algériennes sont ce qu'elles sont, et la population est très jeune. Aux dernières élections, le taux de participation n'a pas dépassé 38 %.

M. Simon Sutour . - Et 23 % ou 24 % de bulletins blancs ou nuls.

M. André Gattolin . - Venant notamment de la jeunesse, qui ne se reconnaît sans doute plus dans des dirigeants âgés, liés à l'histoire du FLN. La société civile existe cependant, à travers la religion, et la fin du FIS a été marquée par la recherche d'un partage du pouvoir, dans les wilayas, entre le pouvoir central et le pouvoir religieux. Mais il reste qu'il n'y a pas de contre-pouvoirs dans la société civile. Or, une économie ne devient prospère que lorsque s'y rencontrent des acteurs qui animent non seulement le marché économique mais l'espace démocratique. Voit-on émerger des organisations, des personnalités qui pourraient devenir des acteurs crédibles ?

Un mot sur la manne pétrolière. Très tôt, dans les années 1981-1982, des accords privilégiés ont été passés pour aider le marché pétrolier algérien. Puis on s'est rendu compte que cela servait surtout à l'Algérie à exporter à des prix record vers d'autres pays que la France, ce qui a quelque peu refroidi les enthousiasmes. Aujourd'hui encore, 13 % seulement du pétrole importé en France vient d'Algérie, l'essentiel vient de Norvège, un peu de Russie. Je ne pense pas que cela s'explique par les tarifs. Faut-il y voir un problème d'infrastructures ? Faut-il y voir une crainte de l'instabilité, ou une défiance persistante de la France après l'épisode des années 1980 ?

Troisième remarque, je suis frappé par la place considérable que prend la Chine, non seulement dans l'Union européenne mais tout autour, chez ses voisins. C'est un pays qui a une énorme capacité d'investissement au long cours. On le voit par exemple en Serbie. On n'est pas très loin, en somme, du tracé de la route de la soie... Au regard de cette force de frappe, les quelque 35 millions annuels que consacre l'Union européenne ne représentent pas de quoi peser durablement.

M. Philippe Bonnecarrère . - Merci de ce rapport subtil et approfondi. Mes interrogations portent sur l'équilibre à venir de l'Algérie. Vu de France, c'est la question stratégique. Et j'ai trouvé votre rapport relativement optimiste sur ce plan. Vous décrivez un système désormais moins centré sur la présidence de M. Bouteflika, plus collégial qu'on ne le croit, avec une société civile plus présente qu'on ne l'imagine. On peut penser, à vous lire, que la disparition de M. Bouteflika pourrait être surmontée sans trop de drames. Est-ce bien le fond de votre pensée et pouvez-vous l'étayer, pour lever nos inquiétudes ?

M. Jean-Yves Leconte . - Merci de ce rapport équilibré - peut être trop. Le poids de la jeunesse dans ce pays peut laisser penser non seulement que la référence au FLN n'est plus essentielle pour une grande partie de la population, mais aussi que la décennie noire commence à s'éloigner des esprits. Du coup, les références actuelles du pouvoir algérien peuvent-elles encore jouer sur les prochaines années ? M. Bouteflika reste certes un symbole essentiel, mais est-il plus qu'un symbole ? Autrement dit, est-il décisionnaire, ou bien n'est-il que le symbole autour duquel s'agglutinent les autres forces, qui pourraient s'entredéchirer s'il n'était plus là ?

Vous dites que les Algériens sont demandeurs d'investissements. Réfléchissent-ils à l'idée d'investissements étrangers sans partenaire algérien ?

M. Simon Sutour . - Je me trouvais trop critique, vous me trouvez trop optimiste... Je dois dire que mon sentiment a changé en me rendant en Algérie. Nous avons tous des images de ce pays, et d'autant plus dans le Sud de la France, qui a accueilli beaucoup de pieds-noirs, que j'ai vus débarquer, au moment de l'indépendance, dans le port de Sète, et que l'on retrouve au pèlerinage de la vierge de Santa Cruz, rapatriée d'Oran. C'est un pays très présent dans notre quotidien. Mais je pense que l'image que l'on en a, vue d'ici, gagnerait à une approche plus modeste, et moins donneuse de leçons.

J'ai rencontré, sur place, des cadres de grande qualité - je pense notamment au directeur de la coopération avec l'Union européenne - qui travaillent dans le bon sens. La génération qui est au pouvoir est, il est vrai, encore issue de l'indépendance. C'est le cas du président du Conseil de la nation - l'équivalent de notre Sénat - et de celui de l'Assemblée nationale populaire, que j'ai rencontrés, et qui m'ont surpris par leur solidité, leur compétence. Le système est plus solide qu'il n'y paraît. Le président n'est pas seul. Il est à la tête d'une structure institutionnelle qui fonctionne. Les élections ne sont sans doute pas parfaites, mais il faut sortir de la caricature, tout n'est pas figé. Parmi les conseillers de la nation, qui représentent, comme nous, les collectivités et sont élus par les wilayas, de jeunes figures apparaissent. Il existe des organisations non gouvernementales, même si leur situation n'est pas comparable à ce que l'on trouve dans d'autres pays. Une population importante, travaillant en Europe, fait des allers-retours. L'ambassadeur d'Algérie en France m'a indiqué que ses consulats enregistraient deux millions d'immatriculés. Tout cela n'est pas sans effets. Certes, le système a encore besoin de s'ouvrir, de s'oxygéner. Mais après tout, ce n'est pas là une situation inédite. Je suis assez optimiste pour l'avenir. Il existe des contre-pouvoirs, une appétence pour la France et pour l'Europe. Tout cela est très positif.

Quant aux P3A, aux jumelages, les initiatives ne manquent pas - il y a, là encore, matière à optimisme.

Pour les entreprises, j'ai rencontré le président du Forum des chefs d'entreprises ; nos interlocuteurs nous font remarquer le rôle de leur pays dans le « filtrage » des migrants et le fait que leur pays est devenu un pays d'accueil pour les ressortissants des pays subsahariens.

Mme Patricia Schillinger . - J'ai été saisie par une personne, qui, demandant un visa, s'est vue proposer un rendez-vous six mois plus tard : un tel délai n'est pas raisonnable, que peut-on faire ?

Mme Gisèle Jourda . - Où en est l'implication en Algérie des autres pays européens ? Quelle comparaison feriez-vous avec nos positions - et quelle est notre présence, en nombre d'expatriés, d'entreprises, d'équipements culturels comme les lycées français ?

Mme Fabienne Keller . - La coopération franco-algérienne est peu développée, du fait que l'Algérie a décidé de ne pas recourir à l'endettement, par contraste avec ses deux voisins du Maghreb ; en avez-vous parlé avec vos interlocuteurs ? Où en sont, ensuite, les relations de l'Algérie avec la Tunisie et le Maroc ? Je rêve de voir un jour la ligne ferroviaire côtière être rétablie entre les trois pays...

M. Simon Sutour . - Il est dommage, effectivement, que le Maghreb ne soit pas intégré et que la frontière entre le Maroc et l'Algérie soit fermée. L'Algérie n'a pas de problème avec la Tunisie, les relations sont nombreuses, quelque 1,5 million de touristes algériens se rendent en Tunisie chaque année. Avec le Maroc, la rivalité est ancienne et bute, vous le savez, sur le conflit du Sahara occidental.

La présence française, en quelques chiffres : 6 569 entreprises françaises ont exporté en Algérie, 156 y sont implantées, représentant 26 700 emplois et un chiffre d'affaires de 4,276 milliards d'euros. 40 717 Français vivent actuellement en Algérie. L'aide au développement s'élevait l'an passé à 217 millions d'euros.

J'ai interrogé le consul général de France la question des visas, un ambassadeur y consacre une mission, il était présent à Alger. Le nombre de visas a doublé, à 400 000, entre 2012 et 2016. Le président du groupe d'amitié Algérie-France du Conseil de la Nation, issu de la société civile, qui m'accompagnait tout au long de mon séjour, m'a fait remarquer le coût du visa français : 60 euros de timbre et 30 à 40 euros de service, sous-traité, c'est beaucoup pour nombre d'Algériens et la délivrance des visas mobilise énormément nos services consulaires - alors qu'on sait bien que les visas ne sont pas une véritable barrière à l'entrée. Quant au délai, il n'est pas raisonnable, le Quai d'Orsay y travaille.

La France continue de jouer un rôle majeur, même si l'Espagne et l'Italie, pays proches, renforcent leurs positions. Vue de France, la coopération paraît faible, mais elle est très importante sur place. En Algérie, on attend beaucoup de la France, nous devons répondre à cette attente !

M. Jean Bizet , président . - Je vous félicite pour ce rapport sur ce pays à la fois proche et méconnu.

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À l'issue du débat, la commission autorise, à l'unanimité, la publication du rapport d'information.

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