II. LA DIFFICILE MISE EN oeUVRE DE LA DIRECTIVE SUR LA QUALITÉ DE L'AIR RÉSULTE D'UNE ACTION NATIONALE PEU AMBITIEUSE, D'UNE GOUVERNANCE COMPLEXE ET DE FINANCEMENTS ÉCLATÉS ET INSUFFISANTS

La lutte contre la pollution de l'air illustre les lacunes rencontrées dans la mise en oeuvre d'une directive environnementale. La qualité de l'air fait ainsi indéniablement l'objet d'une réelle ambition politique. Toutefois, l'absence de vision stratégique au service de cette ambition entraîne une succession de dispositifs instables, tandis qu'une gouvernance complexe, résultant d'une multiplicité d'outils de planification, s'ajoute à des financements insuffisants, freinant une mise en oeuvre effective de la directive sur le terrain.

A. UNE ACTION NATIONALE PÉNALISÉE PAR UNE ABSENCE DE VISION STRATÉGIQUE EN MATIÈRE DE LUTTE CONTRE LA POLLUTION DE L'AIR

1. Si la pollution atmosphérique se caractérise par des sources multiples, le chauffage et le trafic routier demeurent les sources les plus problématiques

Les politiques de lutte contre la pollution atmosphérique se caractérisent par la nécessité de mener des actions de long terme dans plusieurs secteurs et sur des sources d'émissions diffuses. Leur succès suppose donc la mise en oeuvre d'actions de réduction des émissions dans tous les secteurs d'activité contributeurs.

Toutefois, comme l'illustrent les graphiques ci-dessous, les émissions de PM 2,5 découlent majoritairement du secteur résidentiel et tertiaire - au premier rang duquel figure le chauffage au bois -, tandis que le transport est le principal responsable des émissions de NO X en France .

À ce titre, la loi n° 2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte privilégie les mesures dans le domaine des transports : l'incitation financière à la conversion des véhicules les plus polluants, la création de zones à circulation restreinte, le déploiement d'infrastructures énergétiques dédiées aux véhicules électriques et hybrides rechargeables renforcent l'arsenal législatif en vue d'une diminution des émissions de polluants atmosphériques causées par ce secteur.

En outre, de nombreuses mesures sectorielles, telles le crédit d'impôt transition énergétique (CITE) ou le fonds « air-bois » visent à aider les particuliers à limiter les émissions de polluants atmosphériques issues du chauffage. Celles-ci restent néanmoins difficiles à maîtriser car le chauffage relève de choix individuels et concernent principalement des foyers modestes, habitant des logements mal isolés. Dans la région Hauts-de-France, « l'engagement pour le renouveau du bassin minier » du Nord et du Pas-de-Calais prévoit par exemple, pour remédier à cette problématique, de doubler le rythme de rénovation thermique des logements du bassin, en le portant à 23 000 logements .

Répartition par secteur des émissions des principaux polluants en 2015 75 ( * )

PM 2,5 PM 10

NO X

Quatre secteurs se répartissent les émissions de polluants en France : l'agriculture (épandages, stockages d'effluents, remise en suspension lors des labours) ; l'industrie ; le secteur résidentiel et tertiaire (chauffage au bois, brûlage à l'air libre) ; le transport routier.

Source : Citepa, format Secten, avril 2016

2. L'absence de vision stratégique et de cohérence dans la lutte contre la pollution de l'air fragilise une ambition politique réelle

En premier lieu, s'agissant des mesures de planification, il faut regretter le retard d'un an pour l'adoption du plan national de réduction des émissions de polluants atmosphériques (PREPA) 76 ( * ) . Ce délai n'est d'ailleurs pas sans rappeler l'urgence dans laquelle ont été élaborés le plan « particules » en 2010, abandonné en 2012, et le plan d'urgence pour la qualité de l'air en 2013.

Le MEEM justifie ainsi ce retard, en réponse au questionnaire envoyé par votre rapporteur spécial : « S'agissant du retard relevé, il tient pour l'essentiel aux contraintes de la démarche scientifique suivie, l'étude « aide à la décision pour l'élaboration du PREPA » réalisée entre 2015 et 2016 (par le groupement CITEPA/INERIS/AJBD et Énergies Demain) visant à sélectionner les mesures sectorielles (industrie, résidentiel tertiaire, transports et agriculture) les plus pertinentes sur la base d'une analyse multicritères : pour chaque mesure, l'évaluation a porté sur le potentiel de réduction d'émissions au niveau national, le potentiel d'amélioration de la qualité de l'air, la faisabilité juridique, le niveau de controverse, le ratio coût-efficacité, le ratio coût-bénéfices et les co-bénéfices. Par ailleurs, ont été consultées les parties prenantes et les membres du Conseil national de l'air à partir de l'automne 2015 sur les travaux d'aide à l'élaboration du PREPA, puis, en juin 2016, sur les projets de décret et d'arrêté ».

Source : MEEM

Ce plan est composé d'un décret 77 ( * ) fixant des objectifs chiffrés de réduction des émissions des principaux polluants 78 ( * ) à horizon 2020, 2025 et 2030, et d'un arrêté 79 ( * ) établissant le PREPA et, pour la période de 2017 à 2021, les actions de réduction des émissions dans les quatre secteurs d'activité principalement émetteurs de polluants.

En ce qui concerne les objectifs fixés pour les émissions de polluants atmosphériques, le décret se borne à une reprise des objectifs fixés par la directive du 14 décembre 2016 pour 2020 et 2030 sur une base 2005, tout en ajoutant une étape intermédiaire, pour les années 2025 à 2029. Il y a toutefois lieu de préciser que les objectifs fixés pour les années 2020 à 2024 par le décret sont déjà atteints pour le dioxyde de soufre, les COVNM et les PM 2,5 . Le MEEM estime que ces objectifs devraient permettre d'une part, une diminution de 20 % de la concentration moyenne en particules fines dans l'air d'ici 2030, et d'autre part, une réduction des dépassements des valeurs limites européennes d'ici 2020, et leur quasi-suppression d'ici 2030.

Les mesures sectorielles proposées témoignent d'un manque d'ambition particulièrement regrettable, reflétant l'absence de vision stratégique du précédent Gouvernement . En effet, la plupart de ces mesures renvoie à des dispositifs existants, voire à des mesures figurant dans les plans de protection de l'atmosphère (PPA).

Par exemple, en ce qui concerne les transports, nulle mesure innovante ne saurait être relevée, dès lors que les mesures retenues reposent sur celles engagées récemment (notamment la mise en place de zones à circulation restreinte, l'encouragement à la conversion des véhicules les plus polluants et à l'achat de véhicules plus propres, l'incitation à l'utilisation du vélo, le renouvellement des flottes de véhicules publiques, ou encore en matière fiscale, la convergence de la fiscalité entre l'essence et le gazole ainsi que l'alignement du régime de déductibilité de la TVA entre les véhicules essence et gazole) 80 ( * ) .

De surcroît, les mesures prévues ne sont accompagnées d'aucun calendrier de mise en oeuvre ni d'indicateurs permettant de suivre leur avancée. Tout au plus un bilan de la mise en oeuvre du PREPA est-il prévu par le décret, dont une présentation doit être réalisée annuellement devant le Conseil national de l'air.

En deuxième lieu, s'agissant des mesures de fiscalité énergétique, la politique du précédent gouvernement se caractérisait par un manque de clarté et de vision stratégique, déjà souligné dans le rapport sur les crédits proposés dans le projet de loi de finances pour 2017 81 ( * ) . Le rapprochement de la fiscalité du gazole et de l'essence, décidé dans la précipitation, à la suite du « dieselgate », a ainsi été décidé sans qu'un calendrier de rapprochement ne soit défini afin de donner de la visibilité aux constructeurs.

En dernier lieu, l'anticipation des éventuels « effets antagonistes » des mesures visant la qualité de l'air est nécessaire afin d'assurer la cohérence de la lutte contre la pollution atmosphérique et la lutte contre le changement climatique. Ces « effets » illustrent la nécessité de développer des politiques intégrées, et rappellent la nécessité d'agir, de façon cohérente, sur les deux fronts.


* 75 http://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/lessentiel/ar/227/0/pollution-lair-particules.html pour la pollution particulaire, http://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/lessentiel/ar/227/0/pollution-lair-oxydes-dazote.html pour les oxydes d'azote.

* 76 L'article 64 de la loi n° 2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte (LTECV) prévoyait son adoption au plus tard le 30 juin 2016.

* 77 Décret n° 2017-949 du 10 mai 2017 fixant les objectifs nationaux de réduction des émissions de certains polluants atmosphériques en application de l'article L. 222-9 du code de l'environnement.

* 78 SO 2 , NO x , NH 3 , COVNM, PM 2,5.

* 79 Arrêté du 10 mai 2017 établissant le plan national de réduction des émissions de polluants atmosphériques.

* 80 La création d'une zone de réduction des émissions d'oxyde de soufre et d'azote en Méditerranée ainsi que le remplacement de la circulation alternée par la circulation différenciée avec obligation d'utilisation des certificats qualité de l'air méritent néanmoins d'être soulignés.

* 81 Rapport général sur le projet de loi de finances pour 2017, Tome III, « Les moyens des politiques publiques et les dispositions spéciales », annexe n° 10, « Écologie, développement et mobilité durables » (https://www.senat.fr/rap/l16-140-310-1/l16-140-310-11.pdf).

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page