B. DEUX PROCÉDURES CONTENTIEUSES POURRAIENT DÉBOUCHER, À TERME, SUR DES CONDAMNATIONS FINANCIÈRES

En tout état de cause, et malgré la baisse des émissions, près de deux ans après, votre rapporteur spécial ne peut que renouveler le constat établi par la commission d'enquête sénatoriale de 2015 : « la France ne respecte pas les obligations qui s'imposent à elle en matière de protection de la population contre la pollution de l'air » 63 ( * ) .

Deux procédures contentieuses européennes sont à ce jour ouvertes contre la France, pour non-respect des valeurs limites d'une part des particules fines (PM 10) et d'autre part des oxydes d'azote (NOx).

Le cadre législatif européen et national concernant la qualité de l'air

La directive « mère » 96/62/CE du 17 septembre 1996 concernant l'évaluation et la gestion de la qualité de l'air ambiant fixe un cadre pour le développement de la surveillance de la qualité de l'air dans les États membres de l'Union européenne. Elle établit des objectifs d'émission pour cinq polluants déjà réglementés et sept substances ou familles de polluants nouvellement pris en compte. De cette directive ont découlé quatre directives dites « filles » fixant des valeurs cibles ou limites pour différents polluants déjà identifiés :

- directive 1999/30/CE du 22 avril 1999 du Conseil relative à la fixation de valeurs limites pour l'anhydride sulfureux, le dioxyde d'azote et les oxydes d'azote (NO x ), les particules (PM) et le plomb (Pb) dans l'air ambiant ;

- directive 2000/69/CE du 16 novembre 2000 du Parlement Européen et du Conseil concernant des valeurs limites pour le benzène et le monoxyde de carbone (CO) (respectivement pour 2010 et 2005) dans l'air ambiant ;

- directive 2002/3/CE du 12 février 2002 du Parlement Européen et du Conseil relative à l'ozone (O 3 ) dans l'air ambiant ;

- directive 2004/107/CE du 15 décembre 2004 du Parlement Européen et du Conseil concernant l'arsenic (As), le cadmium (Cd), le mercure (Hg), le nickel (Ni) et les hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP) dans l'air ambiant.

La directive 2008/50/CE du 21 mai 2008 concernant l'air ambiant et un air pur pour l'Europe a fusionné l'ensemble des directives sur l'air (trois des directives filles 64 ( * ) et la directive « mère »). Elle concerne les microparticules (notées PM 2,5 ou PM 10 selon le diamètre maximal pris en compte, soit 2,5 ou 10 microns), les nanoparticules (PN, dont le diamètre est inférieur à un micron), le dioxyde d'azote (NO 2 ) et le benzène.

Un système de double « reporting », concernant l'évaluation de la qualité de l'air et les plans mis en oeuvre afin de respecter les valeurs limites dans les zones de dépassements est également prévu : chaque État doit ainsi délimiter son territoire en zone de surveillance, correspondant en France à des agglomérations, communautés urbaines, départements ou régions.

La traduction en droit national repose sur la loi n° 96-1236 sur l'air et l'utilisation rationnelle de l'énergie (LAURE) du 30 décembre 1996 , ainsi que sur les décrets pris entre 2002 et 2010. Ces textes sont désormais codifiés dans le code de l'environnement (livre II, titre II, chapitres 1, 2 et 3). La loi généralise les outils de planification - les plans de déplacements urbains (PDU) pour les villes de plus de 100 000 habitants, les plans de protection de l'atmosphère (PPA) pour celles de plus de 250 000 habitants, et les plans régionaux pour la qualité de l'air (PRQA).

Le décret n° 2010-1250 du 21 octobre 2010 relatif à la qualité de l'air complète les normes européennes en prévoyant des objectifs de qualité de l'air annuels pour les particules, le benzène et le dioxyde d'azote, ainsi que des seuils d'information et de recommandation 65 ( * ) , inférieurs et complémentaires aux seuils d'alerte 66 ( * ) en cas de pic de pollution.

Source : commission des finances

La plus ancienne concerne les dépassements des valeurs limites de particules (PM 10 ) prévues par la directive 1999/30/CE du 22 avril 1999.

De 2009 à 2011, la Commission européenne a formulé plusieurs avertissements à la France (mise en demeure, avis motivé, saisine de la Cour de justice de l'Union européenne). L'avis motivé du 28 octobre 2011, concernait seize zones et agglomérations françaises. Un avis motivé complémentaire a été envoyé à la France le 29 avril 2015, en raison non seulement du dépassement continu des valeurs limites prévues par l'article 13 de la directive 2008/50/CE relative à la qualité de l'air dans dix zones 67 ( * ) , mais aussi du non-respect de l'obligation résultant de l'article 23 de la directive d'établir, en cas de dépassement de ces valeurs, des plans incluant des mesures appropriées pour que la période de dépassement soit la plus courte possible. Au demeurant, si seize États membres sont concernés par cette procédure d'infraction, la Roumanie a déjà fait l'objet d'une condamnation en manquement sur ce fondement, le 5 avril 2017.

La seconde procédure porte sur le non-respect des valeurs limites de dioxyde d'azote (NO 2 ) fixées par la directive de 2008 relative à la qualité de l'air. Après une mise en demeure adressée à la France le 19 juin 2015, la Commission européenne a envoyé un avis motivé le 15 février 2017 pour manquement aux obligations de la directive précitée ainsi qu'à quatre autres États membres - l'Espagne, l'Italie, le Royaume-Uni et l'Allemagne 68 ( * ) . Si treize agglomérations et zones de qualité de l'air sont concernées 69 ( * ) , la Commission européenne cible également le défaut de planification de mesures appropriées pour que la période de dépassement soit la plus courte possible. Les autorités françaises ont répondu à la Commission européenne le 19 avril 2017. Douze États membres sont également concernés par une telle procédure.

Des enjeux sanitaires désormais bien connus,
même si leur ampleur reste encore à déterminer

La plupart des données toxicologiques et épidémiologiques démontre d'une part, l'existence d'une corrélation forte entre l'exposition à la pollution particulaire et des impacts sur la santé sur le court et le long terme et d'autre part, l'absence de seuil d'innocuité aux polluants atmosphériques 70 ( * ) . Autrement dit, nul n'y échappe, avec des risques sanitaires et un impact sur la durée de vie de la population concernée plus ou moins important. D'ailleurs, la pollution atmosphérique figure, en 2015, au deuxième rang des principales préoccupations environnementales des français, après le réchauffement climatique 71 ( * ) .

L'Agence européenne de l'environnement (AEE) 72 ( * ) estime à près de 467 000 le nombre de décès attribuables chaque année à la pollution aux particules fines PM 2,5 en Europe (dont plus de 45 000 en France). Ces chiffres sont confirmés par la dernière évaluation quantitative d'impact sanitaire (EQIS) de Santé publique France 73 ( * ) , qui estime le « poids sanitaire de la pollution par les particules fines PM 2,5 en lien avec l'activité humaine » à 48 000 décès par an, « ce qui correspond à 9 % de la mortalité en France » .

Si les dépassements des valeurs limites européennes sont désormais moins nombreux, ils n'en demeurent pas moins particulièrement inquiétants, d'autant plus que les valeurs retenues par l'Union européenne sont moins strictes que les valeurs guides de qualité de l'air ambiant recommandées par l'Organisation mondiale de la santé (OMS) 74 ( * ) .

Santé publique France estime le bénéfice associé au respect de la valeur guide OMS en ce qui concerne les particules fines (PM2,5) en moyenne annuelle en France à 17 700 décès évités chaque année, et à un gain moyen de 7 mois d'espérance de vie à 30 ans dans les villes de plus de 100 000 habitants .

Ainsi, l'Anses recommande notamment d'envisager l'adoption de valeurs « plus protectrices pour les particules » dès lors qu'il ne semble pas « exister de seuil en dessous duquel aucun effet sur la santé n'est attendu ».

Enfin, la pollution de l'air extérieur engendre un coût financier aberrant, au-delà du risque de sanctions financières découlant des contentieux européens . La commission d'enquête du Sénat sur le coût économique et financier de la pollution de l'air a estimé que :

- le coût annuel total de la pollution atmosphérique s'établit entre 68 et 97 milliards d'euros pour la France ;

- son coût sanitaire est a minima de 3 milliards d'euros ;

- le bénéfice net de la lutte contre la pollution de l'air serait de 11 milliards d'euros par an.

Source : commission des finances, d'après la directive du 21 mai 2008 concernant la qualité de l'air ambiant et un air pur en Europe et valeurs guides de qualité de l'air ambiant recommandées par l'OMS


* 63 « Pollution de l'air, le coût de l'inaction », tome I (n° 610) du rapport de la commission d'enquête sur le coût économique et financier de la pollution de l'air, (2014-2015), p. 14.

* 64 Il s'agit des directives 1999/30/CE, 2000/69/CE et 2002/3/CE. La directive 2004/107/CE reste quant à elle en vigueur.

* 65 Le seuil d'information et de recommandation désigne « un niveau au-delà duquel une exposition de courte durée présente un risque pour la santé humaine de groupes particulièrement sensibles au sein de la population et qui rend nécessaires l'émission d'informations immédiates et adéquates à destination de ces groupes et des recommandations pour réduire certaines émissions ».

* 66 Le seuil d'alerte désigne « un niveau au-delà duquel une exposition de courte durée présente un risque pour la santé de l'ensemble de la population ou de dégradation de l'environnement, justifiant l'intervention de mesures d'urgence ».

* 67 Paris, Lyon, Grenoble, Marseille, Martinique, Rhône-Alpes ZUR (vallée de l'Arve), Paca ZUR, Nice, Toulon et Douai-Béthune-Valenciennes.

* 68 Pour l'Allemagne, une trentaine de zones sont concernées, dont Berlin et Munich. 16 zones sont concernées au Royaume-Uni, parmi lesquelles Londres, Birmingham, Leeds et Glasgow.

* 69 Paris, Lyon, Grenoble, Vallée de l'Arve, Saint-Etienne, Clermont-Ferrand, Marseille, Toulon, Nice, Strasbourg, Toulouse, Montpellier, Reims.

* 70 L'Anses relève que l'exposition aux polluants atmosphériques, même à des concentrations inférieures aux valeurs limites actuellement établies pour l'Union européenne provoque des hospitalisations pour causes cardiovasculaires et respiratoires et des décès prématurés à court terme, et des augmentations du risque de développer un cancer du poumon ou des maladies cardiovasculaires ou respiratoires.

* 71 Chiffres & statistiques, Opinions et pratiques environnementales des Français en 2015, Commissariat général au développement durable, n° 750, avril 2016.

* 72 Air quality in Europe, 2016 report, European Environment Agency, November 2016.

* 73 Impacts de l'exposition chronique aux particules fines sur la mortalité en France continentale et analyse des gains en santé de plusieurs scénarios de réduction de la pollution atmosphérique, étude de Santé publique France, juin 2016.

* 74 Les lignes directrices sur la pollution atmosphérique de l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS) ont été publiées dès 1987 et révisées en 1997 et en 2005. Au regard des nouvelles études sur les effets sur la santé, l'OMS a engagé en 2016 un processus de révision de ses valeurs guides, dont les résultats sont attendus pour 2020.

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