B. LA REVUE DE LA MISE EN oeUVRE DE LA POLITIQUE ENVIRONNEMENTALE EUROPÉENNE CONSTITUE UN OUTIL INÉDIT AU SERVICE DE L'APPLICATION EFFECTIVE DE LA LÉGISLATION EUROPÉENNE ENVIRONNEMENTALE

Le recentrage du travail législatif voulu par la Commission européenne sur des priorités définies appelle une plus grande vigilance des institutions européennes quant à l'application effective et correcte de la législation européenne : « il y a lieu de reconnaître la même importance aux travaux destinés à garantir la mise en oeuvre effective de la législation existante de l'UE qu'aux travaux consacrés à l'élaboration de nouvelles législations » 107 ( * ) . Cette préoccupation s'est rapidement traduite par une initiative innovante de la Commission européenne en matière environnementale.

1. L'examen de la mise en oeuvre du droit européen environnemental, exercice inédit, révèle des difficultés communes à plusieurs États membres
a) L'examen de la mise en oeuvre du droit européen environnemental mené par la Commission européenne constitue un exercice inédit

La Commission européenne a adopté, le 27 mai 2016, une communication spécifique à l'examen de la mise en oeuvre des politiques environnementales 108 ( * ) .

L'idée d'une revue régulière de la mise en oeuvre de la législation européenne environnementale découle du constat de carences qu'elle présente dans nombre d'États membres et du coût que celles-ci induisent, tant en termes économiques qu'en termes de crédibilité des autorités nationales et européennes - par exemple le coût de gestion des plaintes dans le secteur environnemental.

Évaluation des coûts de la non-application de la législation
européenne environnementale

« Une mise en oeuvre inefficace engendre des coûts environnementaux, économiques et sociaux. Il a, par exemple, été estimé que les coûts des dommages pour la santé et pour l'environnement générés par les polluants atmosphériques des installations industrielles européennes dépassent 100 milliards d'euros par an 109 ( * ) . Selon des estimations de 2011, les coûts économiques associés à l'incapacité de mettre en oeuvre l'acquis environnemental, y compris les coûts liés aux procédures juridiques engagées contre les États membres (procédures d'infraction), s'élèveraient à environ 50 milliards d'euros par an 110 ( * ) . Cela signifie que des coûts inutiles à hauteur de plus de 4 milliards d'euros par mois sont engendrés dans l'UE, tandis que l'expérience montre qu'il est bien moins onéreux de se conformer à la législation que de supporter par après les coûts économiques et environnementaux de l'inaction ou d'une action tardive. La non-application des exigences environnementales existantes engendre des coûts économiques et sociaux. Une pleine mise en oeuvre de la politique de l'UE en matière de déchets d'ici 2020 pourrait par exemple créer 400 000 emplois supplémentaires et 42 milliards d'euros de chiffre d'affaires annuel supplémentaire pour les industries de la gestion des déchets et du recyclage 111 ( * ) . De même, si la législation européenne sur l'eau était pleinement mise en oeuvre et si toutes les étendues d'eau obtenaient le statut « bon », les bénéfices annuels combinés pourraient s'élever au minimum à 2,8 milliards d'euros 112 ( * ) ».

Source : Commission européenne, COM (2016) 316 final

Aussi l'exercice vise-t-il à identifier les causes des difficultés de mise en oeuvre des politiques environnementales européennes et doit-il permettre d'élaborer des solutions, à l'issue d'un dialogue avec les parties prenantes nationales.

En pratique, cet exercice, que la Commission européenne entend renouveler tous les deux ans, offre une vision panoramique de la politique environnementale de l'Union, mais aussi une « photographie » de la situation de chaque État sur l'application de la législation européenne environnementale, de ses réussites et de ses faiblesses .

En outre, l'exercice se veut collaboratif et partenarial , dès lors que la Commission européenne envisage, sur la base du diagnostic établi à un stade précoce, de soutenir les efforts des États et de leur fournir une expertise voire une aide financière ciblée. Ce rapport doit ainsi constituer la base d'un double dialogue, d'abord, un dialogue national , entre l'État membre, les institutions européennes et avec les parties prenantes, y compris au niveau local, sur les problématiques environnementales de mise en oeuvre au sein de l'État concerné et des actions nécessaires ; ensuite, un dialogue horizontal , au niveau des institutions européennes, au sujet des principales lacunes de mise en oeuvre identifiées, communes à plusieurs États membres.

b) L'exercice a permis de dégager un certain nombre de difficultés communes aux États membres

Les résultats de l'« Environmental Implementation Review » ont été présentés via une communication dédiée, le 6 février 2017 articulée autour de trois documents - une communication de la Commission européenne présentant les conclusions générales de l'exercice 113 ( * ) , une annexe listant les propositions d'actions par État membre, et les différents rapports-pays, chacun synthétisé par une fiche résumé.

L'exercice a permis de mettre en exergue les défis communs à plusieurs États membres : la majorité des carences dans la mise en oeuvre de la politique environnementale européenne concerne la gestion des déchets, la nature et la biodiversité, la qualité de l'air, le bruit, la qualité et la gestion de l'eau.

Surtout, la « revue » a participé à l'identification de causes communes aux problèmes de mise en oeuvre de la législation européenne environnementale, parmi lesquelles figurent :

- un manque de coordination et d'intégration entre autorités (nationale, locale et régionale), et un défaut d'intégration et de cohérence des politiques : par exemple, les politiques relatives à la qualité de l'air et aux transports ne font pas l'objet d'une intégration suffisamment poussée, en raison d'un manque de coordination des autorités à qui incombe leur mise en oeuvre - des responsables de la planification en matière d'urbanisme, de transports, et des autorités environnementales ;

- un manque de capacités administratives et financières , particulièrement sensible dans le domaine de la protection de la nature, où le suivi des mesures de gestion et de conservation n'est pas toujours assuré ;

- un manque de données et de connaissances , par exemple sur les espèces et les habitats, complexifiant une protection efficace de ces derniers ;

2. Un exercice vertueux et partenarial, dont la France a tout intérêt à tirer parti pour améliorer la mise en oeuvre de la politique environnementale
a) Le rapport relatif à la France relève des défis déjà bien identifiés au niveau national et partagés par de nombreux autres États membres

Le rapport relatif à la mise en oeuvre des politiques environnementales européennes en France identifie trois principaux défis pour le pays, dont les actions qui y répondent sont partagées par de nombreux autres États membres :

- l'amélioration de la qualité de l'air, par un respect des valeurs limites européennes . Si la concentration de plusieurs polluants atmosphériques a diminué entre 1990 et 2014, la qualité de l'air continue d'être inquiétante. La poursuite des efforts est ainsi recommandée, ainsi que la réduction des émissions de dioxydes d'azote et de PM 10 ; seuls quatre États membres ne dépassent aucune des normes européennes ;

Dépassements des normes de qualité de l'air pour la protection de la santé
dans l'UE en 2014

Source : Airbase, AEE, août 2016

- l'amélioration de la qualité de l'eau, notamment en diminuant la pollution par les nitrates , en vertu de la directive « nitrates » et de la directive cadre sur l'eau. La Commission européenne relève en particulier les problèmes liés à la pollution diffuse par l'agriculture ;

- la protection de la biodiversité , qui nécessite l'application de la législation sur la protection des habitats et des espèces. Dans les actions suggérées en matière de biodiversité figure l'application des interdictions de chasse pour les espèces protégées d'oiseaux. La Commission européenne recommande également une meilleure prise en compte et l'intégration de la biodiversité dans les autres politiques (urbanisme, agriculture, forêts, tourisme).

Au demeurant, l'exercice met en lumière le caractère structurel et transversal de plusieurs défis environnementaux, partagés par de nombreux États membres. La France est ainsi ciblée par 25 des 81 actions recommandées par la Commission, soit 30 % des actions. 20 % des actions visant la France sont partagées par neuf États membres ou moins.

La France ne se distingue ainsi que par quelques actions qui la visent de façon plus spécifique, notamment :

- veiller au bon respect des interdictions de chasse pour les espèces d'oiseaux protégées (action partagée avec Chypre et Malte) ;

- assurer la protection de la biodiversité outre-mer (action partagée avec le Royaume-Uni).

Enfin, l'exercice met en exergue plusieurs « pôles d'excellence » français , tels la bonne capacité administrative des autorités françaises, le réseau Trame verte et bleue ainsi que les outils de gouvernance participant à la protection de la biodiversité, tels les structures dédiées à Natura 2000 et la politique des parcs naturels régionaux (PNR). Le rapport souligne enfin que la France fait partie des États membres les plus avancés en matière de gestion des déchets.

En tout état de cause, les défis français identifiés dans le rapport-pays France font l'objet d'une préoccupation importante au niveau national.

b) Une initiative ambitieuse, que la France doit soutenir et dont elle a tout intérêt à profiter pour étudier les bonnes pratiques environnementales européennes

L'initiative de la Commission européenne a pour ambition légitime d'inscrire cet exercice dans un cycle législatif vertueux. L'application effective de la politique et de la législation de l'Union en matière d'environnement par les États membres rendrait en effet inutiles à la fois une nouvelle intervention législative au niveau européen et une révision de la législation existante lorsqu'elle atteint ses objectifs.

L'examen de la mise en oeuvre de la politique environnementale de l'Union européenne vise en outre à impulser une dynamique : l'instauration d'un dialogue précoce entre les institutions européennes et les autorités nationales sur des difficultés pré-identifiées par la « revue », et en marge ou parallèlement, pour les États concernés, des procédures d'infraction prévues par les traités européens place la Commission européenne comme « partenaire » de la mise en oeuvre du droit européen environnemental.

Cette avancée traduit l'évolution du rôle que la Commission européenne entend jouer dans l'application du droit européen environnemental. Si sa mise en oeuvre effective incombe aux États, la Commission européenne souhaite renforcer son accompagnement, en livrant de nombreuses recommandations « clé en main », applicables de façon transversale à un ou plusieurs États membres, tout en restant ouverte à l'organisation d'un dialogue avec chaque État, afin de répondre aux besoins spécifiques.

Ainsi, la réunion « paquet » qui s'est tenue en France en mars 2017 a permis d'évoquer, outre le suivi des précontentieux et contentieux environnementaux, les suites de l'exercice, notamment l'établissement du dialogue bilatéral.

Sollicité sur ce sujet par votre rapporteur spécial, le MEEM souligne qu'un renforcement de la méthodologie employée par la Commission européenne sera nécessaire pour le prochain exercice, afin que les données utilisées soient les plus actualisées possibles.

La France se doit d'apporter tout son soutien à cet exercice, qui offre une occasion inédite « d'étalonnage » entre États membres et de diffusion des bonnes pratiques. Cet exercice pourrait permettre aux autorités nationales d'échanger avec d'autres États membres confrontés aux mêmes défis environnementaux.

C'est d'ailleurs l'orientation que les autorités nationales semblent suivre : les premiers retours des autorités françaises sur l'exercice, lors de la réunion bilatérale de mars 2017, ont ainsi consisté à proposer une approche de résolution des difficultés sur une analyse comparative de la mise en oeuvre du droit européen dans les États membres et sur des échanges entre États membres confrontés aux mêmes défis environnementaux, par exemple, sur la qualité de l'air.

Exemple de recommandations sur le thème de la nature, de la biodiversité et de l'estimation du capital naturel concernant la France

Nature et biodiversité et estimation du capital naturel

Achever le processus de désignation des sites Natura 2000, y compris dans les zones marines; fixer des objectifs de conservation clairement définis, mettre en place les mesures de conservation qui s'imposent pour ces sites et fournir les ressources nécessaires à leur mise en oeuvre, dans le but de maintenir ou de rétablir les espèces et les habitats d'intérêt communautaire dans un état de conservation favorable dans l'ensemble de leur aire de répartition naturelle. Compléter et actualiser les cadres d'action prioritaire (CAP). Améliorer les connaissances et la disponibilité des données pour être plus à même de mettre en oeuvre des mesures de conservation adaptées.

Poursuivre l'action en faveur de la cartographie et de l'évaluation des écosystèmes et des services écosystémiques ainsi que l'évaluation et le développement des systèmes de comptabilité du capital naturel.

Veiller au bon respect des interdictions de chasse pour les espèces d'oiseaux protégées.

Maintenir le soutien apporté aux travaux en cours visant à établir un partenariat durable, pour que des mesures soient mises en place dans les régions ultrapériphériques et dans les pays et territoires d'outre-mer concernant la protection de la biodiversité, le développement durable, l'adaptation au changement climatique et l'atténuation de celui-ci.

Source : annexe de la communication de la Commission européenne 114 ( * )

Ainsi, la France a tout intérêt à tirer parti de l'évolution des méthodes de la Commission européenne précédemment développées pour renforcer son rôle moteur dans l'application de la politique environnementale européenne. L'engagement de la Commission à « mieux légiférer » et à « mieux mettre en oeuvre » doit en effet inciter à poursuivre les efforts pour mieux prendre en compte l'effet de la législation européenne et davantage l'anticiper.


* 107 « Le droit de l'UE : une meilleure application pour de meilleurs résultats », communication de la Commission européenne, 2017/C 18/02.

* 108 « Procurer les avantages des politiques environnementales de l'UE à travers un examen régulier de leur mise en oeuvre », communication de la Commission européenne, COM (2016) 316 final.

* 109 L'environnement en Europe : État et perspectives 2015, Synthèse, Agence européenne pour l'environnement, 2015.

* 110 The costs of non implementing the environment acquis, COM(2012) 95 final.

* 111 Implementing EU legislation for Green Growth, Etude réalisée par Bio Intelligence Serivce, DG ENV de la Commission européenne, 2011.

* 112 Service de recherche du Parlement européen, Water Legislation : cost of non-Europe report, 2015.

* 113 « L'examen de la mise en oeuvre de la politique environnementale de l'UE : défis communs et comment conjuguer nos efforts pour produire de meilleurs résultats », communication de la Commission européenne, COM (2017) 63 final.

* 114 « L'examen de la mise en oeuvre de la politique environnementale de l'UE : défis communs et comment conjuguer nos efforts pour produire de meilleurs résultats », communication de la Commission européenne, COM (2017) 63 final.

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