N° 731

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2015-2016

Enregistré à la Présidence du Sénat le 29 juin 2016

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des finances (1) sur la réforme de la dotation globale de fonctionnement (DGF) du bloc communal ,

Par MM. Charles GUENÉ et Claude RAYNAL,

Sénateurs.

(1) Cette commission est composée de : Mme Michèle André , présidente ; M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général ; Mme Marie-France Beaufils, MM. Yvon Collin, Vincent Delahaye, Mmes Fabienne Keller, Marie-Hélène Des Esgaulx, MM. André Gattolin, Charles Guené, Francis Delattre, Georges Patient, Richard Yung , vice-présidents ; MM. Michel Berson, Philippe Dallier, Dominique de Legge, François Marc , secrétaires ; MM. Philippe Adnot, François Baroin, Éric Bocquet, Yannick Botrel, Jean-Claude Boulard, Michel Bouvard, Michel Canevet, Vincent Capo-Canellas, Thierry Carcenac, Jacques Chiron, Serge Dassault, Bernard Delcros, Éric Doligé, Philippe Dominati, Vincent Eblé, Thierry Foucaud, Jacques Genest, Didier Guillaume, Alain Houpert, Jean-François Husson, Roger Karoutchi, Bernard Lalande, Marc Laménie, Nuihau Laurey, Antoine Lefèvre, Gérard Longuet, Hervé Marseille, François Patriat, Daniel Raoul, Claude Raynal, Jean-Claude Requier, Maurice Vincent, Jean Pierre Vogel .

AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs,

Les collectivités territoriales ont connu au cours des dernières années des bouleversements profonds.

S'agissant de leurs finances, la réforme de la taxe professionnelle de 2010 1 ( * ) a profondément modifié la structure de leurs recettes en instituant des impositions nouvelles - dont la répartition du produit, le dynamisme et la prévisibilité étaient naturellement différents - ainsi que des dotations de compensation des effets de cette réforme significatives et figées et, parallèlement, une péréquation horizontale nouvelle. De même, les concours financiers de l'État aux collectivités territoriales ont d'abord été gelés en volume (2008), puis en valeur (2011) et enfin ont diminué de façon importante à compter de 2014 (- 12,5 milliards d'euros prévus dans la loi de programmation des finances publiques pour 2014-2019 2 ( * ) ).

Parallèlement, deux réformes territoriales d'envergure ont été menées en trois ans , d'abord avec la loi « Métropoles » début 2014 3 ( * ) , puis avec la loi « NOTRe » en 2015 4 ( * ) . Ces textes ont modifié les compétences exercées par les différents échelons de collectivités territoriales et consacré la montée en puissance de l'intercommunalité, que ce soit à travers l'affirmation du « fait métropolitain » ou en prévoyant une refonte de la carte intercommunale.

Face à ces évolutions, la dotation globale de fonctionnement (DGF) n'a pour sa part que peu évolué depuis sa dernière grande réforme en 2004 5 ( * ) et 2005 6 ( * ) . Cette dotation étant construite sur une logique d'augmentation de l'enveloppe, le choix d'en faire le vecteur de la contribution au redressement des finances publiques (CRFP) a rendu indispensables des ajustements, notamment en 2015 7 ( * ) lorsque les différentes composantes de la dotation forfaitaire ont été consolidées. Plus que le résultat d'une réflexion globale sur l'objet de cette dotation et sur la pertinence de sa répartition, ces ajustements ont répondu à des situations d'urgence . Ils n'ont fait qu' accentuer l'illisibilité de cette dotation et le sentiment d'injustice qu'elle peut susciter chez les élus locaux, d'autant plus difficilement supportables lorsqu'elle diminue.

La nécessité de réformer la DGF fait consensus

La DGF , principal concours financier de l'État aux collectivités territoriales puisqu'elle représente 33 milliards d'euros en 2016, ne peut rester inchangée face à ces évolutions et à ces critiques et doit nécessairement être réformée .

Ce constat n'est pas nouveau. En octobre 2013 8 ( * ) , notre regretté collègue Jean Germain relevait déjà la difficulté à appréhender les charges de ruralité et de centralité et les différences d'effort fiscal selon les strates de communes. Il concluait que les difficultés spécifiques rencontrées par certains territoires ne devaient pas être traitées par la réforme de telle ou telle composante, mais dans le cadre d'une refonte globale de la DGF , précédée d'une véritable réflexion sur les modalités de prise en compte de la situation des territoires.

Début 2014 , la commission des finances du Sénat se saisissait du sujet et organisait une audition conjointe de Serge Morvan, alors directeur général des collectivités locales, et de deux universitaires, Yann Le Meur et Jean-Michel Uhaldeborde, sur les perspectives d'évolution de la dotation globale de fonctionnement 9 ( * ) . À l'initiative de François Marc , alors rapporteur général de la commission des finances, cette audition fut suivie d'une dizaine de réunions de travail au cours desquelles furent entendus des géographes, des économistes, des spécialistes des finances locales et des hauts-fonctionnaires. Notre collègue insistait dans ses conclusions sur l'absence de travaux scientifiques sur la décentralisation, et sur les finances locales en particulier, qui rend difficile l'appréhension des charges et la mesure des effets de la péréquation. Il évoquait également la perspective d'une DGF territoriale , en précisant que celle-ci devrait, en tout état de cause, « s'articuler avec le déploiement de la nouvelle carte intercommunale » 10 ( * ) .

Enfin, début 2015 , le Premier ministre nommait Jean Germain et notre collègue députée Christine Pires Beaune parlementaires en mission et leur confiait la tâche de « déterminer les principes et les modalités suivants lesquels la réforme des concours financiers de l'État aux collectivités territoriales pourrait atteindre les objectifs de justice et de transparence ». Dans leur rapport de juillet 2015 11 ( * ) , les parlementaires dressaient le constat d'une DGF peu lisible , constituant parfois une « " rente" justifiée par l'histoire, qui ne correspond plus à la réalité des charges de fonctionnement des collectivités » et qui n'est plus « à l'image de la réalité du fait intercommunal ». Ils préconisaient de se limiter dans un premier temps à la réforme de la DGF du bloc communal en actionnant cinq « leviers » , à savoir une nouvelle architecture de la dotation forfaitaire, une simplification et un recentrage de la péréquation, une nouvelle architecture de la DGF des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI), la constitution d'une part territoriale - ou « locale » - de la DGF et un réexamen des critères d'éligibilité et de répartition.

Parallèlement, entre avril et juin 2015, le comité des finances locales (CFL) mettait en place un groupe de travail sur la réforme de la DGF, qui concluait en juillet de la même année à la nécessité d'une loi spécifique sur cette réforme, proposait des aménagements relatifs à la péréquation verticale dès le projet de loi de finances pour 2016 et appelait à poursuivre les travaux l'année suivante 12 ( * ) .

La réforme proposée dans le projet de loi de finances pour 2016
posait certaines difficultés qui ont justifié son report

Dans le prolongement du rapport de Christine Pires Beaune et Jean Germain , mais sans reprendre l'ensemble de ses préconisations, l'article 58 du projet de loi de finances pour 2016 proposait une réforme de la dotation globale de fonctionnement du bloc communal . Plus précisément, l'architecture de la dotation forfaitaire des communes était réorganisée autour d'une dotation de base, d'une dotation de ruralité et d'une dotation de centralité, complétées par un coefficient d'ajustement et encadrées par un « tunnel ». Les dotations de péréquation des communes étaient recentrées et la DGF des EPCI était également revue, prévoyant notamment une redistribution de l'ensemble des compensations qu'ils percevaient.

Comme l'avaient alors noté vos rapporteurs Charles Guené et Claude Raynal 13 ( * ) , les simulations montraient des effets difficiles à justifier, qui interrogeaient sur la pertinence de la réforme proposée . Il s'agissait en particulier de la répartition de la dotation de centralité en fonction de son poids démographique dans l'EPCI porté à la puissance 5, du fait de « rendre » de la DGF aux communes les plus aisées, de redistribuer sans doute trop vite les compensations des EPCI et, enfin, de n'avoir pas anticipé les conséquences de la refonte de la carte intercommunale prévue pour 2017.

C'est notamment pour cette dernière raison que le 3 novembre 2015, le Premier ministre annonçait le report d'un an de cette réforme , afin de « prendre le temps nécessaire » et après avoir « entendu les arguments des parlementaires de la majorité comme de l'opposition, ainsi que des grandes associations d'élus ». À l'initiative du Gouvernement, l'Assemblée nationale a donc conservé l'article relatif à la réforme mais en décalant son application à 2017 au lieu de 2016. Pour sa part, le Sénat avait préféré supprimer l'article et poser les principes sur lesquels devrait reposer la réforme.

La décision du Parlement de se saisir du sujet
en adoptant une méthode inédite

Si la réforme de la DGF était décalée d'un an, la volonté des parlementaires était bien de ne pas l'enterrer . Vos rapporteurs Charles Guené et Claude Raynal écrivaient ainsi dans leur rapport précité que « la nécessité de réformer la DGF demeure » et que « le report de la réforme ne doit pas empêcher de continuer à travailler sur ce sujet ». De même, Christine Pires Beaune déclarait souhaiter « qu'un groupe transpartisan de députés et de sénateurs soit mis en place pour collaborer [sur la réforme de la DGF] » 14 ( * ) .

Ainsi, le 27 janvier dernier, le bureau de la commission des finances du Sénat décidait de constituer un groupe de travail sur la réforme de la DGF 15 ( * ) , piloté par les deux rapporteurs spéciaux du Sénat sur la mission « Relations avec les collectivités territoriales ». Afin de lancer ses travaux, Marylise Lebranchu, alors ministre de la décentralisation et de la fonction publique, était entendue par la commission des finances du Sénat le 2 février 2016 et confiait la poursuite de la réforme aux parlementaires : « la bonne méthode consiste à faire confiance au Parlement, et d'abord au Sénat ».

Afin de disposer des analyses les plus précises possibles des effets de la réforme proposée par ce qui était devenu l'article 150 de la loi de finances pour 2016 16 ( * ) et dans la perspective de pouvoir tester ses hypothèses, le groupe de travail du Sénat a souhaité - de façon inédite - être accompagné par un cabinet de conseil spécialisé en finances locales . La procédure de consultation a abouti le 7 mars dernier à sélectionner le cabinet « Ressources consultants finances ».

Parallèlement, le bureau de la commission des finances de l'Assemblée nationale décidait le 10 février dernier de mettre également en place un groupe de travail équivalent 17 ( * ) .

Afin de coordonner les travaux des deux groupes de travail, de préparer en amont leurs réunions et de partager l'expertise du cabinet de conseil, un comité de pilotage commun aux deux chambres était mis en place , réunissant les présidents et les rapporteurs généraux des deux commissions des finances, ainsi que les quatre rapporteurs. Ainsi, de façon inédite, ce groupe de parlementaires a pu travailler sur la DGF de façon bicamérale, transpartisane et paritaire et en disposant de ses propres outils de simulation .

En complément des réunions du comité de pilotage et de chacun des groupes de travail, deux réunions conjointes ont été organisées au Sénat afin d'entendre Jean-Michel Baylet, ministre de l'aménagement du territoire, de la ruralité et des collectivités territoriales, et Estelle Grelier, secrétaire d'État chargée des collectivités territoriales, ainsi que l'ensemble des associations d'élus du bloc communal, réunies dans le cadre d'une table ronde. De même, plusieurs réunions techniques ont été organisées avec la direction générale des collectivités locales (DGCL) et la direction du budget.

Au cours de leurs travaux, qui partaient de l'article 150, les groupes de travail ont pu disposer de simulations précises des effets de leurs propositions, afin de déterminer précisément la valeur des curseurs qu'ils avaient choisis. La décision du Président de la République de reporter la réforme a interrompu cette phase de leurs travaux.

La décision du Président de la République
de reporter la réforme

Le 2 juin 2016, le Président de la République a annoncé, au congrès des maires, « qu'une loi spécifique relative à la réforme de la dotation globale de fonctionnement [serait] présentée ». Jean-Michel Baylet précisait le 7 juin « que, désormais, aux côtés du projet de loi de finances et du projet de loi de financement de la sécurité sociale, il y aurait un projet de loi de finances destiné aux collectivités, à partir de 2018, [...] et que c'est dans le cadre de ce PLFC que se ferait la réforme de la DGF » 18 ( * ) .

À la suite à ces annonces, les rapporteurs ont décidé de présenter, à ce stade, à un rapport d'étape :

- proposant, dans un premier temps, de remédier dès le projet de loi de finances pour 2017 à certains problèmes posés par les modalités de répartition actuelles de la DGF et qui doivent être réglés le plus tôt possible ;

- étudiant, dans un second temps, les principes pouvant constituer le socle d'une future réforme de la DGF à partir de 2018, étant entendu que tout scénario de réforme devra être accompagné de simulations pluriannuelles exhaustives.

*

La suite du présent rapport ainsi que les propositions des rapporteurs sont identiques au rapport établi par Christine Pires Beaune et Véronique Louwagie, rapporteures au nom du groupe de travail de l'Assemblée nationale.


* 1 Loi n° 2009-1673 du 30 décembre 2009 de finances pour 2010.

* 2 Loi n° 2014-1653 du 29 décembre 2014 de programmation des finances publiques pour 2014-2019.

* 3 Loi n° 2014-58 du 27 janvier 2014 de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles.

* 4 Loi n° 2015-991 du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République.

* 5 Loi n° 2003-1311 du 30 décembre 2003 de finances pour 2004.

* 6 Loi n° 2004-1484 du 30 décembre 2004 de finances pour 2005.

* 7 Loi n° 2014-1654 du 29 décembre 2014 de finances pour 2015.

* 8 Jean Germain, rapport n° 3 (2013-2014) sur la proposition de loi tendant au traitement équilibré des territoires par une réforme de la dotation globale de fonctionnement au nom de la commission des finances du Sénat, 1 er octobre 2013.

* 9 Réunion de la commission des finances du Sénat du 29 janvier 2014.

* 10 Communication de François Marc sur les perspectives d'évolution de la dotation globale de fonctionnement (DGF), commission des finances du Sénat, 22 octobre 2014.

* 11 Christine Pires Beaune et Jean Germain, Pour une dotation globale de fonctionnement équitable et transparente : osons la réforme , 15 juillet 2015.

* 12 Résolution commune des associations d'élus du bloc communal sur la réforme de la DGF du 17 juillet 2015.

* 13 Charles Guené et Claude Raynal, rapport spécial sur la mission « Relations avec les collectivités territoriales », projet de loi de finances pour 2016, annexe XXVI, 19 novembre 2015.

* 14 Réunion de la commission des finances de l'Assemblée nationale du 9 novembre 2015.

* 15 Sont membres du groupe de travail du Sénat : Michèle André, présidente de la commission des finances, Albéric de Montgolfier, rapporteur général, Charles Guené, rapporteur spécial, Claude Raynal, rapporteur spécial, Marie-France Beaufils, Jean-Claude Boulard, Michel Bouvard, Philippe Dallier, Vincent Delahaye, Francis Delattre, Bernard Delcros, Jacques Genest, François Marc, Georges Patient et Jean-Claude Requier.

* 16 Loi n° 2015-1785 du 29 décembre 2015 de finances pour 2016.

* 17 Sont membres du groupe de travail de l'Assemblée nationale : Gilles Carrez, président de la commission des finances, Valérie Rabault, rapporteure générale, Christine Pires Beaune, co-rapporteure, Véronique Louwagie, co-rapporteure, Éric Alauzet, Dominique Baert, Charles de Courson, Marie-Christine Dalloz, Olivier Dussopt, Hugues Fourage, Joël Giraud, Marc Goua, Jacques Lamblin, Hervé Mariton, François de Mazières, François Pupponi et Nicolas Sansu.

* 18 Assemblée nationale, première séance du mardi 7 juin 2016.

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