EXAMEN EN COMMISSION

Mercredi 15 juillet 2015

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M. Jean-Pierre Sueur , co-rapporteur . - Cette première évaluation de la loi n° 2013-1005 du 12 novembre 2013 habilitant le Gouvernement à simplifier les relations entre l'administration et les citoyens est assortie de huit propositions que nous synthétiserons à la fin de notre intervention. Hugues Portelli interviendra sur l'application du principe selon lequel le silence de l'administration vaut acceptation ; je me limiterai aux autres dispositions, pour lesquelles le Gouvernement a pris cinq ordonnances et aucun délai d'habilitation n'a été dépassé.

Trois mesures sont d'ores et déjà entrées en vigueur. Nous saluons d'abord l'actualisation du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique, que le Gouvernement n'était pas parvenu à adopter lors des deux habilitations précédentes. L'ordonnance du 6 novembre 2014 améliore le plan de ce code et y insère des dispositions législatives comme celles de la loi du 10 juillet 1970 permettant l'expropriation des immeubles insalubres ou menaçant ruine. Elle simplifie les recours formés contre les décisions indemnitaires du juge de l'expropriation en supprimant la chambre de l'expropriation et en transférant ce contentieux aux cours d'appel, juridictions de droit commun de l'ordre judiciaire. Enfin, elle distingue clairement les enquêtes publiques préalables aux expropriations pour cause d'utilité publique des enquêtes mentionnées à l'article L. 123-2 du code de l'environnement, qui concernent principalement les projets de travaux dont la nature, les dimensions ou la localisation sont susceptibles d'avoir des incidences notables sur l'environnement ou la santé humaine.

Faute de données, nous n'avons pu évaluer la facilitation des délibérations à distance au sein des services de l'État mise en oeuvre depuis le 1 er janvier 2015.

L'ordonnance relative à la communication des avis préalables est prise. Il s'agit d'un droit nouveau pour les administrés qui rompt avec la règle traditionnelle de non-communicabilité des documents préparatoires posée par la loi du 17 juillet 1978. Les demandeurs pourront ainsi modifier leur dossier en fonction des avis des instances saisies.

Une quatrième mesure, le projet « Dites-le nous une seule fois », nécessite encore des actes d'application. Il s'agit éviter qu'une même information ne soit demandée plusieurs fois aux citoyens grâce à la mutualisation des informations détenues par les administrations.

M. Pierre-Yves Collombat . - C'est une révolution !

M. Jean-Pierre Sueur , co-rapporteur . - L'effectivité de cette mesure est subordonnée à la publication d'un décret fixant la liste des informations mutualisées et surtout au développement des outils informatiques idoines. Dix millions d'euros du programme d'investissement d'avenir (PIA) financeront le développement de ces outils. Deux sont déjà en cours d'élaboration : l'un concerne les marchés publics simplifiés et l'autre les aides publiques. Nous encourageons ces démarches et plaidons pour un renforcement des moyens qui leur sont alloués, le PIA n'étant pas un dispositif pérenne.

Il arrive qu'une entreprise doive fournir plusieurs fois le même document pour soumissionner à des marchés publics. De même, pour participer à des concours, les architectes doivent fournir de nombreux papiers, ce qui coûte cher. Dans le cadre des marchés publics simplifiés, le Gouvernement a créé une plateforme permettant aux entreprises de se porter candidates en ne fournissant que leur numéro SIRET et non les diverses attestations de conformité aux règles sociales et fiscales habituellement requises. Il estime que ce dispositif représente un gain de temps pour les entreprises de deux heures par marché et qu'il pourrait entraîner, à terme, une économie de 60 millions d'euros par an. Au 29 juin 2015, 1 903 marchés publics simplifiés (MPS) ont été attribués par 450 acheteurs. Il s'agit essentiellement de l'État et des collectivités pilotes, comme les conseils régionaux de Bretagne et de Bourgogne dont nous tenons à souligner les initiatives. Cela ne représente toutefois que 1,8 % des marchés signés sur le territoire français. L'objectif est que 50 000 marchés publics simplifiés soient conclus en 2016, soit une multiplication par 25 du nombre de ces marchés.

La cinquième mesure de la loi du 12 novembre 2013, la saisine de l'administration par voie électronique, ne s'appliquera qu'à compter du 6 novembre 2015 pour l'État et du 6 novembre 2016 pour les collectivités territoriales et les organismes de sécurité sociale. Cette obligation est peu contraignante pour l'administration, puisqu'il lui suffira de prévoir une adresse de messagerie électronique et de traiter les demandes reçues de la même manière que les courriers « papier ». Cette relative souplesse peut être appréciée par les administrations, mais nous souhaitons une démarche beaucoup plus volontariste. Il est anormal que seulement 10 % des démarches administratives s'effectuent par voie électronique. Ce taux est beaucoup plus élevé dans d'autres pays d'Europe. Le développement des plateformes pour le dépôt des offres électroniques aux marchés publics s'est révélé positif mais la multiplication du nombre d'applications, comme achatpublic ou e.bourgogne , ainsi que leurs différences fonctionnelles et ergonomiques, ont été un facteur de complexité pour les entreprises.

M. Hugues Portelli , co-rapporteur . - La mesure selon laquelle le silence de l'administration vaut acceptation, annoncée par le Président de la République, a été présentée au cours du débat parlementaire sur la loi du 10 novembre 2013 par un amendement du Gouvernement, ce qui a un peu surpris. Elle renverse une règle qui remontait à 1864.

Ce dispositif est entré en vigueur le 12 novembre 2014 pour l'État et s'appliquera le 12 novembre 2015 pour la sécurité sociale et les collectivités territoriales.

Sur les 3 600 décisions de l'État concernées, les deux tiers environ figurent parmi les exceptions : le silence continuera à valoir rejet. L'application de la nouvelle règle aux 1 200 autres mesures constitue tout de même une brèche non négligeable.

Déjà, dans la loi, nous avions prévu une exception de principe pour les décisions n'ayant pas un caractère individuel ainsi que pour celles qui ont un caractère financier. D'autres exceptions concernent les mesures transposant des traités internationaux et celles qui touchent à l'ordre public ou aux principes constitutionnels. En résumé, 1 800 exceptions viennent de la loi elle-même, et 600 sont de nature réglementaire : il s'agit d'exceptions liées à l'objet de la décision ou justifiées par des « motifs de bonne administration ». De quoi s'agit-il ? C'est vague...

En tout, 42 décrets ont été rédigés pour dresser la liste des exceptions. Chaque usager devra-t-il les lire tous sur Legifrance ? Dans son rapport méthodologique, le Conseil d'État avait proposé l'application du principe du silence vaut acceptation par blocs de compétences. Il n'a pas été suivi. De plus, pour les 1200 cas où le silence vaut acceptation, la procédure n'est pas uniforme : le délai d'accord implicite varie de deux à douze mois. Et il ne court qu'à compter du moment où l'usager a frappé à la bonne porte...

Les décisions des organismes de sécurité sociale et des collectivités territoriales pour lesquelles ce dispositif entrera en vigueur le 12 novembre prochain sont beaucoup moins nombreuses : environ 415 pour la sécurité sociale et 275 pour les collectivités territoriales. Les services de l'État, sous l'autorité du Secrétaire général du Gouvernement, s'affairent pour en dresser la liste et préciser les exceptions pour lesquelles le silence continuera de valoir rejet. La circulaire qui sera prise après moult concertations avec les associations d'élus montrera si la séparation entre le principe et les exceptions a été effectuée selon la même méthode que pour l'État. Vos rapporteurs souhaiteraient qu'on communique plus précisément au sujet du « silence vaut acceptation » avec les communes qui sont les premières concernées mais n'ont pas toutes un personnel suffisant pour analyser les circulaires...

Mme Catherine Troendlé , présidente . - La lisibilité du dispositif semble encore loin d'être parfaite.

M. Pierre-Yves Collombat . - Nous touchons aux limites de la législation à but publicitaire. Le principal problème dans la relation entre l'administration et ses administrés, c'est la clarté. Votre exposé nous montre que l'on complexifie au lieu d'améliorer : le but est manqué.

M. Philippe Kaltenbach . - Le verre est-il à moitié vide ou à moitié plein ? Pour un tiers des mesures, le silence vaudra acceptation : c'est un premier pas. Le délai ne court pas si l'on s'adresse au mauvais guichet. Il me semble pourtant que nous avions prévu qu'en ce cas, l'administration devait faire suivre le courrier au service compétent.

Mme Catherine Troendlé , présidente . - Dans les petites communes, il peut être difficile de déterminer à qui transmettre le courrier.

M. Jean-Pierre Sueur , co-rapporteur . - Aux termes de l'article 20 de la loi du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations, lorsqu'une demande est adressée à une autorité administrative incompétente, cette dernière doit la transmettre à l'autorité administrative compétente et en aviser l'intéressé. Le délai au terme duquel est susceptible d'intervenir une décision implicite de rejet court à compter de la date de réception de la demande par l'autorité initialement saisie, même si elle est incompétente. C'est protecteur.

M. Hugues Portelli , co-rapporteur . - Et optimiste ! Si la commune ne dispose pas de services administratifs capables de déterminer l'autorité compétente, le délai ne courra jamais.

M. Jean-Pierre Sueur , co-rapporteur . - En outre, le délai au terme duquel est susceptible d'intervenir une décision implicite d'acceptation ne court qu'à compter de la date de réception de la demande par l'autorité compétente.

M. Philippe Kaltenbach . - Y a-t-il une sanction au cas où l'administration ne transmet pas la demande ?

M. Jean-Pierre Sueur , co-rapporteur . - Aucune sanction n'est prévue.

Il pourrait être envisagé un dispositif identique dans les deux cas : pour le rejet comme pour l'acceptation implicite, le délai devrait courir à compter du moment où la première acceptation est saisie, fût-elle incompétente.

M. Pierre-Yves Collombat . - Bonjour les dégâts !

M. Jean-Pierre Sueur , co-rappoteur . - Enfin, je souhaiterais vous rappeler qu'un code des relations entre le public et l'administration est en préparation.

M. Pierre-Yves Collombat . - Encore une simplification !

M. Jean-Pierre Sueur , co-rappoteur . - Le Secrétaire général du Gouvernement nous a garanti que ce code serait publié en octobre prochain. Il nous a également indiqué que les parties réglementaires et législatives seraient imbriquées.

Nous souhaitons que le Gouvernement effectue un gros effort de pédagogie. La publicité donnée à la loi n° 2013-1005 dont nous avons contrôlé l'application a pu faire croire, de bonne foi, à certaines personnes, que le silence de l'administration vaut désormais acceptation pour toutes les décisions. Or, il existe encore des exceptions à ce principe et il n'est pas facile pour l'usager ordinaire de s'y retrouver. Il faudrait donc qu'un site Internet présente clairement les différents cas de figure.

M. Hugues Portelli , co-rapporteur . - Je souhaiterais désormais synthétiser nos huit propositions.

Nous proposons tout d'abord en matière d'administration électronique, d'accélérer le développement des applications informatiques du projet « Dites-le nous une fois » et de pérenniser leur mode de financement, et d'adopter une démarche plus volontariste dans le développement des télé-procédures.

Nous recommandons également de créer un outil pédagogique expliquant aux citoyens l'application du principe selon lequel le silence vaut acceptation pour les décisions de l'État et ses exceptions, de dresser une liste de ces dernières, de réaliser un audit de cette réforme auprès des ministères et de réduire le nombre d'exceptions.

Nous souhaitons enfin que soit poursuivie la consultation des collectivités territoriales et des organismes de sécurité sociale au sujet de la réforme leur appliquant le principe du silence vaut acceptation, que le nombre d'exceptions y soit limité au maximum et que les élus, les services et les usagers soient accompagnés dans la mise en oeuvre de cette réforme.

La commission autorise la publication du rapport d'information.

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