C. UNE APPLICATION CLASSIQUE DE L'IRRECEVABILITÉ DE LA CRÉATION OU DE L'AGGRAVATION DE CHARGES

Comme on l'a vu précédemment 168 ( * ) , pour être contraire à l'article 40 de la Constitution, la charge doit être certaine et résulter directement de l'objet de l'initiative parlementaire, même si elle n'est qu'éventuelle ou facultative.

Ces règles s'appliquent de façon classique aux collectivités.

Ainsi, est irrecevable un amendement assouplissant les conditions de participation des collectivités territoriales au capital de sociétés commerciales, dans la mesure où il créerait pour elles une charge potentielle. Le fait que la concrétisation de cette charge dépende d'une décision de la collectivité n'emporte pas la recevabilité de l'amendement.

De façon tout aussi classique, l'aggravation d'une charge ne peut être gagée par une recette. Ainsi, est irrecevable l'initiative proposant de créer une nouvelle compétence pour une collectivité, « compensée » par la mise en place d'une taxe nouvelle.

1. L'augmentation des charges relatives au personnel

Premier poste de dépenses des collectivités, les frais de rémunération des personnels sont un champ d'application courant de l'irrecevabilité financière. Par exemple, un amendement prévoyant l'harmonisation à la hausse des régimes indemnitaires et des avantages acquis des fonctionnaires territoriaux a été déclaré irrecevable.

2. L'augmentation des contributions pesant sur les collectivités

L'aggravation de la charge publique pour les collectivités territoriales peut également être constituée par une augmentation des contributions, fiscales ou non, qu'elles sont contraintes d'acquitter .

Ainsi, un amendement étendant le champ de la taxe d'enlèvement des ordures ménagères (TEOM) aux propriétés des collectivités territoriales actuellement exonérées a été déclaré irrecevable.

De même, un amendement augmentant une cotisation obligatoire versée par les collectivités territoriales au Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT), afin d'améliorer le droit à la formation de leurs agents, a été déclaré irrecevable.

Le même raisonnement implique l'irrecevabilité des amendements créant un « fonds national de la formation des élus locaux » financé par une contribution des collectivités.

A l'inverse, la jurisprudence « sanctions » 169 ( * ) - qui consiste à apprécier le produit des pénalités ni comme une recette, ni comme une charge - s'applique également aux collectivités . C'est ainsi que j'ai déclaré recevables des amendements prévoyant d'augmenter les pénalités auxquelles s'exposent les collectivités territoriales au titre de la loi SRU 170 ( * ) .

3. La création de structures coûteuses

Par ailleurs, le champ des finances locales est fertile en matière d'amendements créant des structures nouvelles .

Ont été déclarés irrecevables, car créant une charge publique locale nouvelle, des amendements portant création obligatoire d'un conseil économique social et environnemental dans chaque EPCI, dont les collectivités territoriales prendraient en charge les moyens d'ingénierie et assureraient les soutiens financiers nécessaires à leur fonctionnement. De même, j'ai déclaré irrecevable la création, dans chaque région, d'un syndicat de la mobilité chargé de coordonner les services de transport public.

Cette jurisprudence s'étend également à l'ouverture de la possibilité d'adhérer à un structure coûteuse : ainsi ai-je déclaré irrecevable un amendement ouvrant la possibilité d'adhérer à un groupement européen de coopération territoriale ayant pour objet d'exécuter les missions de service public de transport transfrontalier.

La création de nouvelles catégories de collectivités est également constitutive d'une charge , en ce qu'il s'agit d'une nouvelle structure publique dépensière qui disposera d'un siège, d'élus, d'une administration, et aura des dépenses propres. Ainsi, des amendements créant des « ententes métropolitaines » sont irrecevables. Est admise en revanche la création de structures de pure coopération, qui coordonnent l'action de leurs membres sans avoir de pouvoir propre et dont on peut raisonnablement penser que les membres ne perçoivent pas d'indemnité. J'ai ainsi déclaré recevable un amendement créant des « pôles ruraux d'aménagement et de coopération ».

L'anticipation de la création d'une nouvelle structure publique est également irrecevable . C'est ainsi que j'ai dû déclarer irrecevables deux amendements mettant en place un syndicat mixte afin d'anticiper la création respectivement de la Métropole du Grand Paris et de la Métropole d'Aix-Marseille-Provence. A l'inverse, un amendement visant à abaisser le seuil de création d'une catégorie d'EPCI (communautés d'agglomération, communautés urbaines, etc.) serait recevable, car il n'implique pas la création d'une personne publique mais uniquement le changement de statut d'une personne publique existante.

Enfin, j'ai déclaré irrecevable un amendement dotant de la personnalité juridique les « conseils de territoire », sorte d'échelon intermédiaire entre une métropole et ses communes membres. Il ne créait pas de lui-même une structure, mais en lui accordant la personnalité juridique, le faisait passer d'un organe déconcentré de l'EPCI à une structure autonome et coûteuse.

4. Autorisation de dépenser, incitation à dépenser et fléchage de recette

Élargir l'autorisation de dépenser d'une collectivité territoriale est irrecevable . C'est ainsi que j'ai dû opposer l'article 40 à un amendement étendant les possibilités de versement de fonds de concours des communes vers des syndicats mixtes.

En revanche, l'accroissement des recettes d'une collectivité ne peut être considéré comme une incitation à dépenser 171 ( * ) , dans la mesure où celles-ci sont soumises au principe d'universalité budgétaire : il n'y a pas de lien entre la recette et la dépense.

Enfin, le fléchage d'une recette est interprété comme la création d'une charge , puisqu'il peut contraindre des collectivités à effectuer ou à accroître une dépense. Ainsi, est irrecevable l'amendement contraignant les départements d'outre-mer à consacrer 5 % des droits de consommation sur le tabac qu'ils perçoivent à des actions de prévention du tabagisme. Le fléchage reviendrait à contourner l'interdiction de créer une charge en agissant sur les recettes.

5. La recevabilité des initiatives consacrant le droit existant ou créant des « charges de gestion »

Les amendements qui ont pour effet de consacrer le droit existant sont recevables . Ainsi, par exemple, un amendement prévoyant que « les collectivités territoriales concernées par le transfert des parcs de l'équipement peuvent procéder librement aux éventuels recrutements sur des postes devenus vacants dans les cadres d'emploi de la fonction publique territoriale qu'elles considèrent les mieux adaptés aux tâches et missions qui leur incombent » est recevable car il ne modifie pas l'état du droit. Le principe de libre administration des collectivités territoriales les autorise déjà à recruter leur personnel librement. Un tel amendement était en fait déjà satisfait par le droit existant.

De même, les amendements mettant à la charge d'une collectivité ce que l'on peut qualifier de « charge de gestion » sont recevables (cf. infra ). J'ai ainsi déclaré recevable un amendement proposant que les métropoles dussent se doter d'un « pacte de cohérence métropolitain », considérant que cette exigence ne nécessitait pas un accroissement des charges de la métropole.

6. La jurisprudence « démocratie » et ses limites

En application de la jurisprudence « démocratie », sont examinés avec une certaine tolérance les amendements ayant trait à la vie démocratique, dans la mesure où ils ne visent pas directement à créer une charge supplémentaire 172 ( * ) .

Cette jurisprudence s'applique aux amendements concernant l'expression de la souveraineté populaire. Ainsi, des amendements modifiant les modes de scrutin applicables aux élections locales ou augmentant la fréquence des scrutins sont recevables.

En revanche, la jurisprudence « démocratie » ne trouve pas à s'appliquer aux initiatives parlementaires qui ont pour objet et pour conséquence directe l'aggravation de la charge que constitue pour les collectivités territoriales la rémunération des élus locaux - par exemple en augmentant leur nombre. En effet, il s'agit alors du fonctionnement des institutions démocratiques, et non de l'expression de la souveraineté populaire. A ce titre, il faut rappeler que la jurisprudence du Conseil constitutionnel considère que l'augmentation du nombre d'élus constitue l'aggravation d'une charge publique : « l'augmentation du nombre de sénateurs [...] a une incidence directe et certaine sur les dépenses du Sénat, lesquelles font partie des charges de l'Etat » 173 ( * ) .

J'ai ainsi déclaré irrecevable un amendement visant à majorer les plafonds des indemnités maximales votées par les conseils municipaux pour l'exercice effectif des fonctions de maire des communes et de président de délégations spéciales, ainsi qu'un amendement prévoyant une majoration de l'indemnité du maire, lorsqu'il décide de suspendre son activité professionnelle pour se consacrer à son mandat, bien qu'il soit prévu qu'elle soit proposée et votée par le conseil municipal. De même, j'ai déclaré irrecevable un amendement instituant un plancher pour les indemnités versées aux adjoints au maire et aux membres de délégation spéciale. Au-delà des rémunérations directes, cette jurisprudence s'étend également aux avantages dont pourraient bénéficier les élus : ainsi ai-je déclaré irrecevable un amendement prévoyant la prise en charge par la commune des frais de garde des enfants mineurs des élus municipaux.

En application de cette même jurisprudence, et dans le prolongement de la décision du Conseil constitutionnel précitée, sont irrecevables des amendements augmentant le nombre d'élus locaux . J'ai ainsi déclaré irrecevable un amendement déplafonnant le nombre de délégués communautaires d'un EPCI en fonction de la population et un amendement augmentant le nombre de cantons et, consécutivement, le nombre de conseillers départementaux.

En revanche, dans certains cas, l'augmentation de la rémunération des vice-présidents d'un EPCI peut être recevable, dans la mesure où leur rémunération est appréciée au niveau d'une enveloppe fermée , en application du deuxième alinéa de l'article L. 5211-12 du code général des collectivités territoriales. Ainsi, un amendement qui prévoirait la possibilité d'augmenter le plafond de rémunération des vice-présidents serait recevable, tant que n'est pas modifiée l'enveloppe globale.

Enfin, certains amendements ont été déclarés recevables car ils n'entraînaient pas de création ou d'aggravation de charge pour les collectivités territoriales ou l'Etat. Des amendements prolongeant le mandat des conseillers généraux n'ont, par exemple, pas été déclarés irrecevables car la charge publique qu'ils impliquent, soit rémunérer les élus locaux pendant une durée supplémentaire, ne se distingue en rien de celle qui aurait consisté à rémunérer les nouveaux conseillers généraux qui auraient été élus en l'absence de prolongation des mandats en cours.


* 168 Cf. page 62 .

* 169 Cf. page 81 .

* 170 Loi n° 2000-1208 du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbains .

* 171 Cf. page 88 .

* 172 Cf. page 76 .

* 173 Cf. décision du Conseil constitutionnel n° 2003-476 DC du 24 juillet 2003 .

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