B. LES TAXES AFFECTÉES

A la différence des prélèvements sur recettes au profit des collectivités territoriales et de l'Union européenne, les autres affectations de recettes ne sont pas « couvertes » par la LOLF et ne peuvent donc relever du raisonnement précédent. Au contraire, pour reprendre les termes de la décision du 29 décembre 1982 précitée du Conseil constitutionnel, les amendements d'affectation tendent souvent à établir « une corrélation entre une recette de l'Etat et une dépense incombant à celui-ci », quand bien même l'Etat aurait confié cette dépense à un organisme particulier.

C'est pourquoi de telles affectations font l'objet, au Sénat, d'une jurisprudence distincte. Celle-ci s'est mise en place progressivement au cours de ces dernières années sous l'effet d'initiatives de plus en plus fréquentes, en particulier depuis l'établissement d'un système de plafonnement de nombreuses affectations de recettes à des opérateurs de l'Etat et à d'autres organismes chargées d'une mission de service public par l'article 46 de la loi de finances pour 2012 104 ( * ) . J'ai eu l'occasion d'en exposer les principes en séance publique, lors de l'examen d'un amendement au projet de loi de finances pour 2014 qui avait pour objet de créer une nouvelle affectation partielle de taxe d'Etat à un opérateur 105 ( * ) .

1. La recevabilité des taxes affectées aux collectivités territoriales

Tout d'abord, la recevabilité des amendements tendant à créer de nouvelles taxes locales ou à affecter un impôt vers les collectivités territoriales a toujours été admise . L'article 72-2 de la Constitution énonce en effet que les collectivités territoriales « peuvent recevoir tout ou partie du produit des impositions de toutes natures. La loi peut les autoriser à en fixer l'assiette et le taux dans les limites qu'elle détermine ».

De plus, tout comme celui de l'Etat, le budget des collectivités répond au principe d'universalité budgétaire . Dès lors, on ne saurait établir de lien entre l'augmentation de recettes envisagée et l'augmentation d'une charge déterminée.

De ce fait, d'un point de vue juridique et budgétaire, une initiative parlementaire qui aurait pour objet d'accroître les recettes des collectivités territoriales ne ferait qu'augmenter les ressources publiques, ce que l'article 40 autorise bien évidemment.

2. Les taxes affectées aux opérateurs de l'Etat et aux autres organismes

Ce raisonnement ne vaut pas lorsque les dépenses de l'organisme bénéficiaire sont circonscrites au champ des compétences qui lui sont attribuées. Un lien direct peut alors être établi entre la ressource affectée et la charge publique résultant des dépenses de cet organisme, ce qui justifie une nouvelle approche.

a) La règle générale de l'irrecevabilité d'une affectation ayant pour objet d'augmenter la capacité de dépense d'un opérateur

Le fait d'augmenter une recette affectée à un organisme particulier est généralement considéré comme une charge et n'est donc pas recevable .

En effet, à l'inverse des impositions ordinaires qui alimentent le budget général et peuvent ainsi améliorer les comptes publics, ces augmentations ont généralement pour but de renforcer la capacité de dépense de l'organisme bénéficiaire 106 ( * ) .

C'est pourquoi la mesure proposée est alors considérée comme le gage irrégulier d'une aggravation de charge publique , interdite par l'article 40 de la Constitution. Par exemple, j'ai déclaré l'irrecevabilité d'un amendement qui visait à augmenter le montant de la taxe spéciale d'équipement perçue au profit d'un établissement public foncier, l'objet de cette initiative étant d'accroître la capacité d'acquisition foncière ou immobilière de cet établissement - qui est une charge publique.

Il en est de même pour ce qui concerne l'augmentation du plafonnement de l'affectation d'une recette à un tel organisme - dont le surplus va alors généralement à l'Etat. De fait, l'effet de cette mesure est strictement équivalent à celui d'une augmentation de la subvention étatique 107 ( * ) , ce qui, là aussi, contrevient à l'article 40. La Constitution n'autorise en effet qu'une seule forme d'augmentation de dotation à des opérateurs : celle prévue à l'article 47 de la LOLF, aux termes duquel dans le cadre de la loi de finances, « la charge s'entend, s'agissant des amendements s'appliquant aux crédits, de la mission », ce qui permet d'augmenter les crédits d'un programme dans un but bien précisé à condition de « gager » la dépense par une diminution au moins équivalente des crédits d'un autre programme de la même mission.

b) Les cas d'affectation où l'initiative parlementaire est néanmoins recevable

Le principe général exposé ci-dessus n'empêche toutefois pas toute création de taxe affectée ou toute augmentation d'une telle taxe. Plusieurs exceptions sont ainsi admises en vue de favoriser l'initiative parlementaire tout en respectant l'esprit du constituant .

(1) La saturation du plafond d'affectation défini par la loi de finances

En premier lieu, une taxe affectée en partie à un opérateur peut être alourdie afin de permettre d'atteindre le plafond d'affectation fixé par la loi de finances - en particulier l'article 46 de la loi de finances pour 2012 précité.

Les plafonds n'étant pas bornés dans le temps, ils peuvent servir de base de référence à l'initiative parlementaire en tant que « droit existant ». Et, par rapport à ce droit existant, l'initiative parlementaire ne vise pas à octroyer davantage de moyens à l'opérateur mais simplement à assurer la réalité de la ressource, l'éventuel surplus venant alimenter le budget général, ce qui est évidemment autorisé.

(2) Le financement de dépenses obligatoires

En second lieu, la création (ou l'alourdissement) d'une taxe affectée vers des organismes qui assument essentiellement des dépenses obligatoires du type « dépenses de guichet » (et non des dépenses à caractère discrétionnaire) , à l'instar des organismes de sécurité sociale, est admise .

L'initiative parlementaire s'interprète alors comme une modalité de financement de charges déjà existantes et non comme destinée à permettre d'accroître la dépense publique.

J'ai également admis ce raisonnement face à des amendements visant à financer de cette manière une charge nouvelle et spécifique que le Gouvernement a expressément confiée à un organisme dans une enveloppe précise (cf . encadré ci-dessous).

L'exemple du Centre national pour le développement du sport (CNDS)

Le CNDS, opérateur principal du programme « Sport » financé par plusieurs taxes affectées dans la limite d'un plafonnement, illustre bien les différents principes évoqués précédemment.

J'ai ainsi admis la recevabilité d'amendements visant à augmenter le prélèvement sur les droits télévisuels de manifestations sportives (« taxe Buffet ») qui alimente le CNDS, dont l'objet était notamment de s'assurer que le produit de cette taxe atteindrait le plafond fixé en loi de finances.

Mon prédécesseur Jean Arthuis et moi-même avons également admis la recevabilité d'amendements visant à créer puis à prolonger un prélèvement sur les mises de la Française des jeux en faveur du CNDS spécifiquement destiné à assurer le financement d'une charge nouvelle que le Gouvernement a confiée à cet opérateur, à savoir une aide à la construction ou à la rénovation des stades de l'Euro 2016 à hauteur de 160 millions d'euros 108 ( * ) . Dès lors, toute taxe affectée au CNDS à cet usage précis et qui demeure dans la limite de cette enveloppe est admissible, puisqu'il ne s'agit que de définir une modalité de financement d'une charge créée à l'initiative du Gouvernement.

A l'inverse, la création d'une nouvelle taxe destinée au financement général du CNDS ne saurait être admise, non plus que l'augmentation du plafond des taxes qui alimentent son budget ordinaire. Ces amendements auraient en effet pour objet d'augmenter la capacité du CNDS à accorder des subventions de manière discrétionnaire, ce qui constitue le coeur de son activité. Les parlementaires qui souhaiteraient octroyer à cet établissement public une telle augmentation de moyens devraient le faire au travers d'amendements de déplacements de crédits dans le cadre de l'examen de la mission « Sport, jeunesse et vie associative », comme l'article 47 de la LOLF les y autorise.


* 104 Loi n° 2011-1977 du 28 décembre 2011 de finances pour 2012 .

* 105 Cf. compte rendu intégral de la séance du Sénat du lundi 25 novembre 2013, pages 11993 et 11994 .

* 106 Jean Arthuis avait ainsi déjà relevé, dans son rapport précité sur l'application de l'article 40 au Sénat, qu'« une affectation de recettes à un organisme constitue, très souvent, même si cela n'est pas explicite, une incitation à dépenser, qui entre mécaniquement dans le champ de l'article 40 de la Constitution ».

* 107 Les plafonds d'affectation établis par l'article 46 de la loi de finances pour 2012 ont d'ailleurs été intégrés dans la norme de dépense de l'Etat par l'article 6 de la loi n° 2012-1558 du 31 décembre 2012 de programmation des finances publiques pour les années 2012 à 2017.

* 108 Cf., en dernier lieu, annexe « Sport, jeunesse et vie associative » au projet de loi de finances pour 2014, page 69 .

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