III. LES OPÉRATIONS SE SITUANT À LA FRONTIÈRE DES RECETTES ET DES DÉPENSES PUBLIQUES

Certaines opérations présentent un caractère ambigu car elles se situent à la frontière entre recettes et dépenses et donc, pour reprendre les termes de l'article 40, de la diminution de recettes (gageable) et de la charge (proscrite dans tous les cas).

Bien que les effets de plusieurs de ces mécanismes soient proches, la jurisprudence opère certaines distinctions entre ces opérations, qu'il convient de détailler et d'expliquer.

A. LES PRÉLÈVEMENTS DIRECTS SUR RECETTES EN FAVEUR DE L'UNION EUROPÉENNE OU DES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES

1. Le principe du prélèvement sur recettes

Le prélèvement sur recettes ( PSR ) est un outil budgétaire qui se situe à la frontière entre recettes et dépenses dans la mesure où il permet à des opérations a priori assimilables à des dépenses, car donnant lieu à des décaissements, d'être traitées comme des opérations sur recettes. Plus précisément, d'un point de vue budgétaire, les montants des prélèvements sur recettes sont déduits de l'ensemble des recettes de l'Etat et n'apparaissent pas dans la partie dépenses.

Ce mécanisme a été créé en 1969 pour compenser le produit de la suppression d'impôts locaux. En 1971, la même procédure a été mise en oeuvre s'agissant de la contribution de la France aux Communautés européennes. Cet outil permet d'éviter de prendre en compte dans les charges de l'Etat des sommes qui constituent en fait des charges des collectivités locales et de l'Union européenne.

Il a pu être analysé comme permettant de contrevenir aux règles de non contraction des dépenses et des recettes et de non affectation des recettes. Ainsi, la Cour des comptes 99 ( * ) notait en 1999 que « tous les concours de l'Etat aux collectivités territoriales qui, à l'évidence, ne peuvent s'analyser comme la rétrocession d'une recette que l'Etat aurait, en quelque sorte, encaissée indûment [devraient être] inscrits dans la loi de finances, en subvention », tandis que le Conseil d'Etat 100 ( * ) estimait dans un avis du 21 décembre 2000 que « les concours apportés par l'Etat aux collectivités territoriales [...] ne sont pas différents des autres dotations ».

Il n'en reste pas moins que cette technique budgétaire a été validée par le Conseil constitutionnel dès sa décision du 29 décembre 1982 101 ( * ) .

Tout d'abord, il a considéré qu'elle ne contrevenait pas aux règles de non contraction des recettes et des dépenses, car « l'état A énumère et évalue la totalité, avant prélèvement, des recettes de l'Etat, puis désigne et évalue chacun des prélèvements opérés, dont le total est, ensuite, déduit du montant brut de l'ensemble des recettes ; [dès lors] cette présentation ne conduit pas à dissimuler une recette ou une fraction de recette de l'Etat non plus qu'à occulter une charge ».

De même, le prélèvement sur recettes respecte le principe de non affectation des recettes : « le mécanisme de ces prélèvements ne [comportant] pas, comme l'impliquerait un système d'affectation, l'établissement d'une corrélation entre une recette de l'Etat et une dépense incombant à celui-ci. [Ce système s'analyse donc] en une rétrocession directe d'un montant déterminé de recettes de l'Etat au profit des collectivités locales ou des communautés européennes en vue de couvrir des charges qui incombent à ces bénéficiaires et non à l'Etat et qu'il ne saurait, dans ces conditions, donner lieu à une ouverture de crédits dans les comptes des dépenses du budget de l'Etat ».

Lors de l'examen de la LOLF, le législateur organique a souhaité 102 ( * ) s'inscrire dans la continuité de cette jurisprudence : le dernier alinéa de l'article 6 de la LOLF prévoit ainsi une dérogation spécifique pour ces prélèvements au principe général (rappelé dans ce même article) selon lequel les ressources de l'Etat sont retracées dans le budget sous forme de recettes.

La définition organique des prélèvements sur recettes
(dernier alinéa de l'article 6 de la LOLF)

« Un montant déterminé de recettes de l'Etat peut être rétrocédé directement au profit des collectivités territoriales ou des Communautés européennes en vue de couvrir des charges incombant à ces bénéficiaires ou de compenser des exonérations, des réductions ou des plafonnements d'impôts établis au profit des collectivités territoriales. Ces prélèvements sur les recettes de l'Etat sont, dans leur destination et leur montant, définis et évalués de façon précise et distincte. »

Les prélèvements sur les recettes de l'Etat sont retracés dans l'annexe « Evaluation des voies et moyens » à chaque projet de loi de finances initiale.

Dans le projet de loi de finances pour 2014, le total des PSR au profit des collectivités territoriales s'élève à 54,3 milliards d'euros et celui destiné à l'Union européenne à 20,1 milliards d'euros.

Avec 40,1 milliards d'euros en 2014, la dotation globale de fonctionnement (DGF) est le principal PSR , puisqu'elle représente à elle-seule 54 % des PSR et 74 % des PSR relatifs aux collectivités territoriales. On peut également citer le fonds de compensation pour la TVA (5,8 milliards d'euros).

Tableau n° 2 : Prélèvements sur les recettes de l'Etat au profit des collectivités territoriales dans le projet de loi de finances pour 2014

(en milliers d'euros)

Dotation globale de fonctionnement

40 123 544

Dotation spéciale pour le logement des instituteurs

20 597

Dotation de compensation des pertes de bases de la taxe professionnelle et de redevance des mines des communes et de leurs groupements

25 000

Prélèvement sur les recettes de l'Etat au profit du Fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée (FCTVA)

5 757 681

Prélèvement sur les recettes de l'Etat au titre de la compensation d'exonérations relatives à la fiscalité locale

1 772 557

Dotation élu local

65 006

Prélèvement sur les recettes de l'Etat au profit de la collectivité territoriale de Corse et des départements de Corse

40 976

Fonds de mobilisation départementale pour l'insertion (FMDI)

500 000

Dotation départementale d'équipement des collèges

326 317

Dotation régionale d'équipement scolaire

661 186

Fonds de solidarité des collectivités territoriales touchées par des catastrophes naturelles

10 000

Dotation globale de construction et d'équipement scolaire

2 686

Dotation de compensation de la réforme de la taxe professionnelle (DCRTP)

3 428 688

Dotation pour transferts de compensations d'exonérations de fiscalité directe locale

787 843

Dotation de garantie des reversements des fonds départementaux de taxe professionnelle

430 114

Prélèvement sur les recettes de l'Etat au titre de la dotation unique des compensations spécifiques à la taxe professionnelle (DUCSTP)

316 135

Dotation de compensation des produits syndicaux fiscalisés

1 374

Dotation de compensation de la réforme de la taxe sur les logements vacants (TLV) pour les communes et les établissements publics de coopération intercommunale percevant la taxe d'habitation sur les logements vacants (THLV)

4 000

Dotation de compensation liée au processus de départementalisation de Mayotte

55 000

Total

54 328 704

Source : article 30 du projet de loi de finances pour 2014

2. Les conséquences en termes de recevabilité financière

Comme le président Jean Arthuis l'avait indiqué dans son rapport précité, d'un point de vue juridique, les prélèvements sur recettes (PSR) sont considérés comme des recettes et non comme des dépenses : ainsi, le Conseil constitutionnel a expressément affirmé que la DGF n'avait pas le caractère d'une dépense de l'Etat 103 ( * ) . Ceci emporte des conséquences importantes en matière de recevabilité financière .

Dès lors que les PSR sont considérés comme des pertes de recettes, leur augmentation peut être compensée - « gagée » - par l'augmentation d'une autre recette, pour un montant identique, au profit de l'Etat. Symétriquement, la diminution des PSR au profit des collectivités doit être gagée à leur profit.

La création par amendement d'un prélèvement sur recettes au profit des personnes visées au dernier alinéa de l'article 6 précité est recevable, à condition d'être gagée au profit de l'Etat . Ainsi, par exemple, a été déclaré recevable un amendement créant un prélèvement sur les recettes de l'Etat intitulé « dotation de compensation de la réforme de la taxe professionnelle résultant des contributions fiscalisées aux syndicats de communes », compensé par un gage « tabac » classique.

A l'inverse, on peut noter que la création d'un PSR au profit d'une nouvelle catégorie de bénéficiaires ne serait pas recevable , car contraire au dernier alinéa de l'article 6 de la LOLF. Tel serait le cas notamment d'un amendement créant un PSR au profit des organismes de sécurité sociale.


* 99 Cf. rapport de la Cour des comptes sur l'exécution du budget 1998.

* 100 Cf. avis de la Section des finances du Conseil d'Etat du 21 décembre 2000 sur la réforme de la loi organique relative aux lois de finances (n° 365546).

* 101 Cf. décision du Conseil constitutionnel n° 82-154 DC du 29 décembre 1982 .

* 102 Cf. rapport n° 343 (2000-2001) sur la proposition de loi organique relative aux lois de finances fait par  Alain Lambert au nom de la commission des finances du Sénat (commentaire de l'article 17) et rapport n° 2908 (XI e législature) sur la même proposition de loi organique fait par Didier Migaud au nom de la commission spéciale de l'Assemblée nationale (commentaire de l'article 5).

* 103 Cf. décision du Conseil constitutionnel n° 89-268 DC du 29 décembre 1989 .

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