C. LES GAGES

Conséquence de la différence de traitement, par le texte constitutionnel lui-même, entre les charges et les ressources publiques, la possibilité de compenser une diminution de ressources par une augmentation à due concurrence se traduit par la pratique des « gages » de recettes .

Bien que certains gages soient très fréquents, sinon systématiques - à l'instar des gages dits « tabac » -, toute compensation est a priori recevable dès lors qu'elle remplit trois principaux critères de fond qui ont été posés par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 2 juin 1976 97 ( * ) : la suffisance , la conséquence et l' immédiateté .

1. Le gage doit être suffisant et immédiat

Le gage proposé doit être réel par rapport à la perte de ressources induite par le dispositif de l'amendement : le juge de la recevabilité apprécie, au cas par cas, les assiettes et les rendements respectifs des ressources concernées pour évaluer le caractère suffisant ou non du gage proposé.

Par exemple, un amendement qui gagerait une diminution de plusieurs points du taux de la taxe sur la valeur ajoutée, dont le rendement net en 2013 s'établit à environ 135,6 milliards d'euros, par une augmentation, même « à due concurrence », de la taxe sur les transactions financières, dont le rendement est de 0,7 milliard d'euros en 2013, ne pourrait être recevable : en effet, au regard de l'assiette de la taxe sur les transactions financières, aucune augmentation de son taux ne permettrait de compenser réellement la perte de recettes proposée.

La suffisance du gage s'apprécie également dans le temps, au sens où la compensation introduite par le gage doit être immédiate ou, à tout le moins, concomitante de la perte de recettes induite par le dispositif de l'amendement.

2. Le gage doit être conséquent

Dans la décision du 2 juin 1976 précitée, le Conseil constitutionnel souligne que la ressource destinée à compenser la diminution d'une ressource publique doit, en particulier, « bénéficie[r] aux mêmes collectivités ou organismes que ceux au profit desquels est perçue la ressource qui fait l'objet d'une diminution ».

Pour être budgétairement neutre, la recette que le gage propose d'augmenter doit donc être affectée à la personne ou au compte affectataire de la recette que l'amendement diminue . Par exemple, il n'est pas possible de gager la diminution d'un impôt perçu par l'Etat par l'augmentation d'une cotisation sociale, perçue par les caisses de sécurité sociale.

Il arrive qu'un amendement ait pour conséquence une diminution de recettes pour plusieurs personnes publiques : il convient, dans ce cas, de prévoir un gage pour chacune des catégories de personnes concernées. Ainsi, je n'ai déclaré recevable que gagé pour l'Etat et pour la sécurité sociale un amendement au projet de loi de finances pour 2014 visant à rétablir le dispositif de la loi du 21 août 2007 en faveur du travail, de l'emploi et du pouvoir d'achat dite « TEPA » relative aux heures supplémentaires ; en effet, un tel dispositif a un impact non seulement sur les recettes de l'Etat via l'impôt sur le revenu, mais également sur les caisses de sécurité sociale à travers les allègements de charges sociales des entreprises.

De la même manière, au sein de la même personne publique qu'est l'Etat, la diminution d'une recette qui vient abonder un compte spécifique, compte d'affectation spéciale ou budget annexe, doit être gagée par une augmentation de ressources au bénéfice du même compte.

En revanche, la diminution d'une ressource affectée à un organisme peut être gagée par la création d'une taxe « additionnelle » à un impôt d'Etat qui lui serait affecté . Cette pratique est courante s'agissant des amendements diminuant les taxes affectées à certains opérateurs de l'Etat.

Des exemples de gage admissibles sont présentés en annexe au présent rapport 98 ( * ) .


* 97 La décision du Conseil constitutionnel n° 76-64 DC du 2 juin 1976 précise qu'une compensation est admise à condition « que la ressource destinée à compenser la diminution d'une ressource publique soit réelle, qu'elle bénéficie aux mêmes collectivités ou organismes que ceux au profit desquels est perçue la ressource qui fait l'objet d'une diminution et que la compensation soit immédiate ».

* 98 Cf. annexe 3 « Tableau des gages », page 167 .

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