EXAMEN EN COMMISSION

Réunies le mercredi 7 octobre 2009, sous la présidence de M. Jean Arthuis, président de la commission des finances et de M. Hubert Haenel, président de la commission des affaires européennes, les commissions des finances et des affaires européennes ont entendu une communication de M. Denis Badré sur les agences européennes.

M. Jean Arthuis , président de la commission des finances, a rappelé que ce contrôle budgétaire a été conduit par M. Denis Badré conjointement au nom de la commission des finances et de la commission des affaires européennes.

M. Hubert Haenel , président de la commission des affaires européennes, a souligné la nécessité pour les parlements nationaux de s'emparer de la question des agences européennes, car celles-ci sont insuffisamment soumises au contrôle démocratique, notamment en matière budgétaire.

M. Denis Badré a insisté sur la multiplication des agences européennes et le coût considérable qu'elles induisent pour les finances de l'Union européenne (UE). Cette tendance pose la question de la place des agences dans les institutions communautaires et de leur pertinence au regard du principe de subsidiarité. Depuis quelques années, une discussion s'est ouverte au sein des institutions communautaires à ce sujet. En mars 2008, la Commission européenne a présenté une communication intitulée « Agences européennes - Orientations pour l'avenir », dans laquelle elle estime nécessaire d'ouvrir un débat sur le rôle et la place des agences dans l'UE. Par ailleurs, un rapport spécial de la Cour des comptes européenne, rendu public en juillet 2008, a mis en évidence la forte progression des moyens alloués aux agences et les lacunes dans l'évaluation de leurs activités.

M. Denis Badré a rappelé les auditions et les déplacements qu'il a effectués dans le cadre de son contrôle. A Bruxelles, il a rencontré le conseiller budgétaire de la Représentation permanente française, un membre du cabinet de la commissaire européenne en charge du budget, ainsi que dix fonctionnaires de différents services de la Commission européenne. A Lisbonne, il s'est rendu aux sièges de deux agences européennes, l'Observatoire européen des drogues et toxicomanies et l'Agence européenne de sécurité maritime. Un autre déplacement l'a conduit à Angers, où se trouve l'Office communautaire des variétés végétales, qui présente la particularité d'être une agence autofinancée. Enfin, il a auditionné, à Paris, des responsables de la direction du Budget en charge des finances de l'UE, de la direction des Affaires maritimes et de la mission interministérielle de lutte contre les drogues et la toxicomanie (MILDT). Il a, enfin, rencontré la directrice de l'Agence européenne pour la sécurité des aliments, dont le siège se trouve à Parme.

Il a ensuite distingué trois catégories d'agences européennes :

- les agences de régulation, appelées également agences décentralisées car leurs sièges sont répartis sur le territoire de l'UE. Ces organismes, créés sans limitation de durée, sont ceux qui suscitent les plus grandes interrogations ;

- les agences exécutives, mises en place pour une durée déterminée par la Commission européenne dans le but d'exécuter un programme communautaire pour le compte de celle-ci, sous son contrôle et sa responsabilité. A la différence des agences de régulation, leur siège est généralement établi à Bruxelles ;

- les entreprises communes chargées de la mise en oeuvre de projets de recherche et l'Institut européen d'innovation et de technologie (IET).

Au total, M. Denis Badré a dénombré l'existence, à ce jour, de 43 agences européennes, dont 26 agences de régulation. Il a observé que leur multiplication s'accélère depuis les années 1990, sous l'effet de plusieurs facteurs, parfois conjugués :

- l'accroissement progressif des compétences de l'UE ;

- les élargissements successifs, chaque nouvel État membre revendiquant la présence d'une agence sur son territoire ;

- la survenue de crises majeures qui ont fait apparaître un besoin spécifique d'expertise et de sécurité à l'échelle européenne, en matière sanitaire ou écologique par exemple ;

- la recherche, enfin, d'une plus grande réactivité et d'une plus grande souplesse de gestion.

Il a souligné l'hétérogénéité de ces agences, qu'il s'agisse de leur taille, de leurs missions, de leur mode de financement, de leur positionnement institutionnel, de leur autonomie vis-à-vis de la Commission européenne ou de leurs relations avec les États membres. Il a relevé que la plus-value des agences européennes par rapport à l'échelon national est inégale : si certaines d'entre elles conduisent des missions spécifiques, absentes dans les États membres, leurs activités se contentent d'être, le plus souvent, complémentaires par rapport à celles des administrations nationales. Mais elles peuvent parfois gérer des activités conduites parallèlement à l'échelon national. Difficilement évitables, ces phénomènes de doublons existent également entre agences européennes elles-mêmes, en raison de recoupements de compétences.

Sur un plan budgétaire, l'augmentation considérable des moyens alloués aux agences européennes ne semble pas maîtrisée. En 2009, leurs budgets s'élèvent au total à près de 2 milliards d'euros, soit une croissance de 17 % par rapport à 2008. Au sein de cette somme, il convient de distinguer :

- les subventions provenant du budget communautaire, qui s'établissent à environ 1,28 milliard d'euros, dont 537 millions pour les seules agences de régulation ;

- les financements permis par des ressources propres, telles que des redevances.

La croissance rapide des agences européennes s'avère encore plus marquée en termes d'effectifs. Entre 2004 et 2009, leurs emplois ont crû de plus de 160 % pour atteindre le nombre de 6.500, soit près de 15 % du personnel de l'ensemble des institutions de l'UE. Une proportion importante de ces effectifs concernant des fonctions support, une plus grande mutualisation des moyens des agences européennes devrait être recherchée.

En matière de contrôle et d'évaluation des résultats obtenus par les agences européennes, M. Denis Badré a estimé que les dispositifs mis en place jusqu'à présent sont insuffisants, en particulier pour ce qui concerne les suites données aux conclusions des multiples rapports réalisés. Il a noté que le rapport spécial de la Cour des comptes européenne partage ce diagnostic. Les conseils d'administration des agences ne paraissent pas toujours tenir compte de ces critiques. Par ailleurs, alors que des cas de mauvaise gestion sont identifiés, le Parlement européen donne chaque année décharge à la Commission pour l'exécution du budget communautaire. Les agences, dont les crédits sont inscrits dans ce budget, pourraient, au moins, faire l'objet d'observations de la part du Parlement européen.

Toutefois, M. Denis Badré est convenu que la Commission européenne et le Conseil de l'UE semblent progressivement prendre conscience de la nécessité de rationaliser les moyens et le fonctionnement des agences.

D'une part, la Commission a annoncé, dans sa communication du 11 mars 2008, qu'elle procéderait à une évaluation approfondie des agences de régulation. Les résultats de celles-ci devraient être présentés d'ici la fin de l'année 2009 ou en 2010.

D'autre part, un groupe de travail interinstitutionnel sur les agences de régulation a été mis en place. Réunissant le Conseil de l'UE, le Parlement européen et la Commission européenne, il doit conduire à l'élaboration d'une approche commune applicable aux agences de régulation. C'est dans ce cadre que les principales décisions sur les agences devront être négociées. A cet égard, M. Denis Badré a plaidé pour que le gouvernement français reprenne les positions adoptées par le Sénat sur la place, le rôle et les missions des agences européennes.

M. Jean Arthuis , président de la commission des finances, a estimé que ce travail sur le phénomène d'agenciarisation de l'UE ouvre un immense chantier, nécessitant une coordination entre les rapporteurs de la commission des finances. Il a rappelé que l'audition par la commission, le 1 er octobre 2009, de M. Alain Lamassoure, président de la commission des budgets du Parlement européen, avait déjà permis d'identifier des marges de progression dans le domaine des agences européennes. Il s'est ensuite interrogé sur les critères retenus lors de la création d'une agence, en distinguant deux types de motifs : l'utilité avérée de l'organisme d'un côté, et la volonté de satisfaire la demande particulière d'un État membre de l'autre. Enfin, il a évoqué la question du pilotage politique des agences européennes.

M. Denis Badré a souligné la compétence et la légitimité technique des responsables des agences européennes. Il a cependant regretté leur autonomie particulièrement forte : certains responsables paraissent, en effet, définir largement leur champ d'activités, sans estimer devoir en rendre compte aux autorités de tutelle. L'absence de contrôle politique est particulièrement avérée dans le cas de l'articulation entre le niveau communautaire et le niveau national. Illustrant son propos de ses auditions du directeur des affaires maritimes et du président de la mission interministérielle de lutte contre les drogues et la toxicomanie, M. Denis Badré a ainsi relevé que la participation de services nationaux spécialisés aux conseils d'administration d'une agence européenne donnée, liée à leur propre domaine d'expertise - en l'occurrence l'Agence européenne de sécurité maritime et l'Observatoire européen des drogues et toxicomanies - ne permet pas d'assurer un pilotage politique effectif.

M. Hubert Haenel , président de la commission des affaires européennes, s'est inquiété de la prolifération des agences européennes, tant du point de vue du contrôle démocratique que de celui de leur coût financier pour le budget de l'UE. Il a ensuite fait observer que le traité de Lisbonne apportera des améliorations notables en matière de contrôle des agences puisqu'il rendra possible une association des parlements nationaux au Parlement européen. Il a établi un parallèle avec la faiblesse du contrôle démocratique sur les multiples structures placées auprès de la Commission européenne : les décisions, au nombre de 2.000 par an et souvent essentielles, prises par les 300 comités existants peuvent être parfois éminemment contestables, à l'image des affaires récentes concernant les profils nutritionnels et le vin rosé obtenu par coupage.

En outre, M. Hubert Haenel , président de la commission des affaires européennes, a demandé que les parlementaires se saisissent des nouvelles opportunités offertes par le Règlement du Sénat. Au début de l'année 2010, la semaine sénatoriale de contrôle pourrait ainsi être utilisée pour obtenir du gouvernement qu'il indique les suites qu'il entend donner à la proposition de résolution du Sénat sur les agences européennes.

M. Jean Arthuis , président de la commission des finances, a souhaité que le rapport de M. Denis Badré fasse ressortir, pour le budget de chaque agence européenne, la part respective de la contribution communautaire et du produit des redevances perçues.

M. Denis Badré a mis l'accent sur l'hétérogénéité du mode de financement des agences européennes : la part respective de la subvention du budget communautaire et de leurs ressources propres est en effet très variable selon les cas. Il a également observé que les informations budgétaires relatives aux agences restent encore lacunaires, en dépit du constat de récents progrès.

M. Jean-Claude Frécon s'est étonné de l'ampleur des moyens consacrés aux agences européennes, ainsi que de la complexité de leur organisation. Il a fait valoir l'existence de doublons, notamment vis-à-vis des structures mises en place par le Conseil de l'Europe, par exemple la Pharmacopée européenne. Cet organisme lui apparaît en effet redondant par rapport à l'agence européenne du médicament. Il s'est ensuite interrogé sur la qualité d'expert accordée aux membres des comités placés auprès de la Commission européenne, faisant observer que de vrais spécialistes de la viniculture n'auraient jamais proposé le coupage des vins rouges et blancs pour obtenir du vin rosé. Enfin, il a estimé que la Commission européenne doit faire preuve d'une plus grande rigueur dans le domaine du recrutement du personnel des agences européennes.

Mme Nicole Bricq a relevé des similitudes entre le travail élaboré par M. Denis Badré et le contrôle qu'elle a conduit, en 2007, sur la sécurité sanitaire. La prolifération des agences, leur hétérogénéité et les risques de doublons sont ainsi des caractéristiques qu'elle avait déjà identifiées. Prenant l'exemple de la Direction générale santé et protection du consommateur de la Commission européenne, elle a ensuite souligné que l'autonomie des agences européennes dépend de la puissance de leur direction de tutelle au sein de la Commission. Enfin, évoquant les dispositions issues de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF), elle a souhaité, d'une part, que des plafonds d'emplois soient prévus pour les agences européennes, à l'image de ceux imposés en France aux opérateurs de l'État par la loi de finances, et, d'autre part, que des contrats d'objectifs et de moyens soient conclus entre la Commission européenne et les agences européennes, à l'instar de ceux imposés aux opérateurs par leur ministère de tutelle.

M. Richard Yung s'est étonné que des experts nationaux siègent dans les conseils d'administration des agences européennes alors qu'ils travaillent dans des structures nationales qui, le cas échéant, peuvent se trouver en situation de concurrence avec ces agences. Il a illustré sa remarque en évoquant la composition du conseil d'administration de l'agence chargée de la protection des marques, dont le siège est à Alicante. Il a par ailleurs déploré, d'une part, la faible implication du ministère des affaires étrangères dans le contrôle des agences européennes et, d'autre part, le fait que le choix des sièges de celles-ci résulte le plus souvent de marchandages complexes entre les États membres. Il s'est interrogé, en outre, sur les formes que prend la coordination entre les agences européennes, ainsi que sur la possibilité, pour celles-ci, de rétrocéder leurs recettes lorsqu'elles sont supérieures aux dépenses.

M. Simon Sutour s'est inquiété de la faiblesse des contrepoids démocratiques dans l'UE, à commencer par celui que devrait en principe exercer le Parlement européen lui-même. Il a rappelé que le rôle des experts consiste d'abord à éclairer les responsables politiques, mais pas à prendre par eux-mêmes les décisions publiques. Il a donc plaidé pour un plus grand contrôle sur les activités des agences européennes. Ce contrôle ne saurait en effet se limiter à celui exercé par les seules directions générales de la Commission européenne.

M. Pierre Fauchon a indiqué que les résultats de l'enquête conduite par M. Denis Badré sont de nature à le rassurer : le bilan des agences européennes n'apparaît pas totalement négatif et des améliorations sont en cours en matière d'évaluation. Il a cependant jugé nécessaire d'aller plus loin dans le contrôle démocratique auquel les agences doivent être soumises. Il s'est, en outre, interrogé sur l'opportunité d'auditionner un commissaire européen à ce sujet.

M. Jean Arthuis , président de la commission des finances, s'est interrogé sur les différences entre les agences de régulation et les agences exécutives.

En réponse à l'ensemble de ces questions, M. Denis Badré a apporté les précisions suivantes :

- à la différence des agences exécutives, dont la durée de vie est limitée et qui restent sous un contrôle permanent de la Commission européenne, les agences de régulation présentent à la fois un caractère durable et une autonomie marquée. Ce sont elles qui font l'objet d'un véritable débat, du point de vue de leur budget, de leur évaluation, ainsi que du respect du principe de subsidiarité ;

- l'articulation entre l'UE et le Conseil de l'Europe reste clairement insuffisante. Or, elle serait particulièrement pertinente en matière de protection des droits fondamentaux, ainsi que pour la politique de voisinage à l'égard des pays d'Europe orientale ;

- la mutualisation de certaines ressources au sein de services communs aux agences européennes pourrait porter sur les moyens généraux, tels que les ressources humaines ou la traduction. Cette mise en commun de fonctions supports semble surtout nécessaire pour les agences de petite dimension ;

- s'agissant de l'application du principe de subsidiarité, M. Denis Badré a estimé nécessaire de confier des compétences plus claires à l'UE et aux États membres ;

- il est, en outre, convenu de la faiblesse, dans certains cas, du contrôle démocratique au sein de l'UE, ce qui pose la question du renforcement des relations entre les parlements nationaux et le Parlement européen. A cet égard, il a relevé le rôle bénéfique de la conférence des organes spécialisés dans les affaires communautaires (COSAC) et préconisé d'améliorer encore le dialogue interparlementaire.

M. Denis Badré a ensuite présenté la proposition de résolution qu'il souhaite déposer au terme de son travail. Il a précisé qu'elle vise les seules agences de régulation.

Il a indiqué que la proposition de résolution demande l'encadrement des agences européennes par des lignes directrices ; l'établissement de critères pour déterminer le choix du siège des agences ; l'application des principes de discipline budgétaire et de bonne gestion financière ; la prise en compte des résultats de l'exécution du budget précédent lors de la procédure budgétaire de l'exercice suivant ; la mutualisation des moyens alloués au titre des fonctions support ; l'établissement d'un contrat d'objectifs et de moyens ; la mise en place d'instruments de contrôle de gestion ; la présentation de leurs activités, de leurs comptes et de leurs rapports de gestion selon des indicateurs communs permettant des comparaisons entre agences ; l'adoption de plans d'action visant à donner une suite aux conclusions des évaluations ; une meilleure implication des États membres dans le fonctionnement et le contrôle de ces agences via leurs représentants au sein des conseils d'administration des agences.

De plus, la proposition de résolution considère que l'évaluation horizontale entreprise par la Commission européenne doit procéder à un examen, d'une part, de la plus-value des agences par rapport à l'action des États membres, au regard du principe de subsidiarité, et, d'autre part, des éventuels recoupements de compétences entre agences, dans la perspective d'un rapprochement de certaines d'entre elles.

Enfin, elle invite le gouvernement à reprendre l'ensemble de ces préoccupations au sein du groupe de travail interinstitutionnel mis en place sur les agences de régulation.

M. Jean Arthuis , président de la commission des finances, a précisé que la procédure d'adoption de la proposition de résolution nécessite un dépôt du texte par la commission des affaires européennes puis un examen dans un délai d'un mois par la commission saisie au fond, en l'occurrence la commission des finances. Il a ajouté qu'en cas d'absence de dépôt par celle-ci d'un rapport dans le délai imparti, le texte sera considéré comme adopté par elle, ce qui permettra ensuite à la proposition de devenir une résolution européenne du Sénat.

A l'issue de ce débat, la commission des finances et la commission des affaires européennes ont donné acte, à l'unanimité, à M. Denis Badré de sa communication, et en ont autorisé la publication sous la forme d'un rapport d'information.

La commission des affaires européennes a ensuite conclu, à l'unanimité, au dépôt de la proposition de résolution présentée par M. Denis Badré .

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