EXAMEN DES ARTICLES

Article 1er

Application des tarifs réglementés de vente d'électricité (TRVE)
à l'ensemble des collectivités territoriales et de leurs groupements

Cet article vise à appliquer les tarifs réglementés de vente d'électricité (TRVE) à l'ensemble des collectivités territoriales et de leurs groupements.

Constatant la non-conformité de la disposition avec le droit de l'Union européenne, et ses nombreux effets de bord pour le groupe EDF, ses concurrents ainsi que les collectivités territoriales et leurs groupements eux-mêmes, la commission n'a pas adopté l'article.

I. La situation actuelle - Des tarifs règlementés de vente d'électricité (TRVE) bien établis, dont les conditions d'éligibilité ont été modifiées par la loi « Énergie-Climat » de 2019

A. Les TRVE sont un mode de tarification bien établi des offres de fourniture d'électricité

Institués par l'article 4 de la loi « Service public de l'électricité », du 10 février 2000 13 ( * ) , les TRVE consistent en une tarification à prix régulé des offres de fourniture d'électricité.

Ces tarifs ne sont commercialisés que par le groupe EDF et les entreprises locales de distribution (ELD).

Ils sont établis sur proposition de la Commission de régulation de l'énergie (CRE), en l'absence d'opposition des ministres chargés de l'économie et de l'énergie, à l'issue d'un délai de 3 mois (article L. 337-3 du code de l'énergie).

Ces mêmes ministres doivent évaluer ces tarifs avant le 1 er janvier 2022 et le 1 er janvier 2025, puis tous les 5 ans, en fonction de leur contribution aux objectifs d'intérêt économique général, de leur impact sur les marchés de détail et des catégories de consommateurs pour lesquels une règlementation des prix est nécessaire (article L. 337-9 du même code).

Ces tarifs sont :

- d'une part, définis en fonction de catégories fondées sur les caractéristiques intrinsèques des fournitures (article L. 337-5 du même code) ;

- d'autre part, établis par addition du prix de l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique (Arenh), du coût du complément d'approvisionnement au prix de marché, de la garantie de capacité, des coûts d'acheminement de l'électricité et des coûts de commercialisation ainsi que d'une rémunération normale de l'activité de fourniture tenant compte, le cas échéant, de l'atteinte du plafond de l'Arenh (article L. 337-6 du même code) ;

- enfin, de façon à inciter les consommateurs à réduire leur consommation pendant les périodes où celle d'ensemble est la plus élevée, sous réserve que leur produit total couvre l'ensemble des coûts précités (même article).

Ces tarifs bénéficient à leur demande :

- pour les sites inférieurs à 36 kilovoltampères (kVA) aux consommateurs finals domestiques, y compris les propriétaires uniques et les syndicats de copropriétaires d'un immeuble unique à usage d'habitation et aux consommateurs finals non domestiques qui emploient moins de 10 personnes et dont le chiffre d'affaires, les recettes ou le total du bilan annuels n'excèdent pas 2 M€ (article L. 337-7 du même code) ;

- aux consommateurs finals domestiques et non domestiques situés dans les zones non interconnectées (ZNI) au territoire dit métropolitain continental (article L. 337-8 du même code).

B. La loi « Énergie-Climat » de 2019 a modifié les conditions d'éligibilité aux TRVE

L'article 64 de la loi « Énergie-Climat », du 8 novembre 2019 14 ( * ) , a prévu la suppression de certains TRVE ainsi que l'identification et l'information des clients n'étant plus éligibles.

Cette suppression est intervenue le 1 er janvier 2021 pour les consommateurs finals non domestiques dont la puissance est inférieure ou égale à 36 kVA et qui emploient plus de 10 personnes ou dont le chiffre d'affaires, les recettes ou le total de bilan annuels excède 2 M€.

Dans cette perspective, il a été prévu :

- la désignation d'un fournisseur de secours d'électricité, par le ministre chargé de l'énergie après un appel d'offres organisé avec l'appui de la CRE, lorsqu'un fournisseur détaillant se voit retirer ou suspendre son autorisation ;

- une communication auprès des clients bénéficiant des TRVE de la disponibilité des offres de marché et du comparateur d'offres ;

- l'accès aux données de contact et de consommation des clients bénéficiant des TRVE à toute entreprise de fourniture d'électricité ;

- le maintien chez leur fournisseur historique en offre de marché des clients perdant leur éligibilité aux TRVE n'ayant pas souscrit à une offre de marché au 31 décembre 2020 ;

- une communication auprès du grand public du Médiateur national de l'énergie (MNE) et de la CRE au sujet de la disparition progressive des TRVE.

Les modalités d'application règlementaires de ces évolutions ont été précisées par un décret n° 2021-273 du 11 mars 2021, un arrêté du 12 décembre 2019 et un arrêté du 8 juillet 2020.

C. En dépit de ces évolutions, les TRVE demeurent très usités par les consommateurs finals

En application de cet article 64 de la loi « Énergie-Climat », le nombre de clients professionnels est ainsi passé de 3 à 1,3 M de 2019 à 2021 : 700 000 clients ont quitté les TRVE pour une offre de marché et 510 000 ont été transférés automatiquement vers une « offre de bascule » 15 ( * ) .

Pour autant, les TRVE représentent toujours 22,2 M de sites résidentiels et 1,5 M de sites professionnels, soit 28 % de la consommation nationale d'électricité 16 ( * ) .

Selon le groupe EDF, seules 13 500 communes, soit 106 000 sites, avec une consommation de 0,6 térawattheure (TWh) par an, disposent d'une offre aux TRVE. Les autres ont contracté une offre de marché avec le groupe ou ses concurrents ; pour ces offres de marché, certaines sont engagées dans un groupement d'achats, via leur syndicat intercommunal ou départemental d'énergie ou l'Union des groupements d'achats publics (UGAP).

II. Le dispositif envisagé - L'application des TRVE à l'ensemble des collectivités territoriales et de leurs groupements

L'article 1 er modifie les TRVE sur deux points.

D'une part, il fait évoluer la construction de ces tarifs, mentionnée à l'article L. 337-6 du code de l'énergie, pour prévoir qu'ils sont définis « en fonction du mix de production français et des coûts liés à ces productions, des importations et des exportations, des coûts d'acheminement de l'électricité et des coûts de commercialisation ainsi que d'une rémunération normale de la fourniture ».

Ce faisant, il supprime la référence à l'Arenh, puisque l'actuel article L. 336-7 du code de l'énergie dispose que ces tarifs sont définis « par addition du prix [de l'Arenh], du coût du complément d'approvisionnement au prix de marché, de la garantie de capacité, des coûts d'acheminement de l'électricité et des coûts de commercialisation ainsi que d'une rémunération normale de l'activité de fourniture tenant compte, le cas échéant, de l'atteinte du plafond [de l'Arenh] ».

D'autre part, il modifie les conditions d'éligibilité à ces tarifs, mentionnées à l'article L. 337-7 du code de l'énergie, pour préciser qu'ils bénéficient « aux collectivités territoriales, à leurs groupements et à leurs établissements publics ».

III. La position de la commission - Une modification contraire au droit européen, faisant abstraction des dispositifs de soutien budgétaires et fiscaux existants et générant d'importants effets de bord pour le groupe EDF, ses concurrents et les collectivités territoriales elles-mêmes

A. La commission observe que la modification proposée n'est pas conforme au droit de l'Union européenne

La directive du 5 juin 2019 concernant les règles communes pour le marché intérieur de l'électricité 17 ( * ) a fixé des conditions strictes à l'intervention publique dans la fixation des prix.

Son article 5 dispose que les États membres peuvent mettre en oeuvre des interventions publiques dans la fixation des prix pour la fourniture d'électricité :

- pour les clients résidentiels vulnérables ou en situation de précarité énergétique, sous réserve de plusieurs conditions 18 ( * ) ;

- pour les clients résidentiels ne bénéficiant pas d'interventions publiques et les microentreprises, « dans le but d'assurer une période transitoire permettant d'établir une concurrence effective entre les fournisseurs pour les contrats de fourniture d'électricité et de parvenir à une fixation pleinement effective des prix de détail de l'électricité fondée sur le marché », sous réserve de plusieurs conditions également 19 ( * ) .

Parmi les conditions ainsi prévues par la directive pour les TRVE, trois sont particulièrement notables :

- s'agissant de leur méthode, ces tarifs doivent être fixés « à l'aide d'une méthode garantissant un traitement non discriminatoire des fournisseurs [et à] un prix supérieur aux coûts, à un niveau permettant une concurrence tarifaire effective » ;

- concernant leur champ, les microentreprises, à laquelle sont assimilées les collectivités territoriales, doivent être définies comme « les entreprises qui emploient moins de 10 personnes et dont le chiffre d'affaires ou le total de bilan annuels n'excède pas 2 M d'euros » ;

- pour ce qui est enfin de leur application, elle est conditionnée à leur notification « un mois après leur adoption ».

Si le Conseil d'État a admis l'existence des TRVE dans un arrêt du 18 mai 2018 20 ( * ) , car ils poursuivent un objectif d'intérêt économique général de stabilité des prix, il a rappelé la nécessité de restreindre les TRVE aux consommateurs domestiques et petits professionnels, ainsi que de respecter une méthode de construction idoine, dans un arrêt du 6 novembre 2019 21 ( * ) .

Or, l'article 1 er de la proposition de loi ne respecte ni le principe de l'empilement des coûts , qui garantit la contestabilité du marché, ni les critères de 10 personnes et 2 M€ de recettes , qui s'appliquent aux collectivités territoriales assimilées aux microentreprises, ni enfin l'exigence de notification , qui doit intervenir dans le délai d'un mois.

La proposition de loi ne respecte pas non plus les nouveaux critères autorisés par le règlement du 6 octobre 2022 22 ( * ) .

Son article 1 er autorise en effet « une intervention d'urgence destinée à atténuer les effets des prix élevés de l'énergie au moyen de mesures exceptionnelles, ciblées et limitées dans le temps », en permettant aux États membres « d'appliquer des mesures d'intervention publique dans la fixation des prix pour la fourniture d'électricité aux clients résidentiels et aux PME ».

Ses articles 12 et 13 permettent aux États membres d'intervenir, à titre temporaire et sous réserve de plusieurs conditions, dans la fixation des prix pour la fourniture d'électricité :

- d'une part, en les étendant aux PME 23 ( * ) ;

- d'autre part, en fixant un prix inférieur aux coûts 24 ( * ) .

Parmi les conditions ainsi prévues par le règlement figurent :

- s'agissant de leur méthode, ces tarifs doivent être fixés en fonction « de la consommation annuelle du bénéficiaire ces cinq dernières années [en maintenant] une incitation à la réduction de la demande » et prévoir, en cas de prix inférieurs aux coûts, « qu'il n'y a pas de discrimination entre fournisseurs [que] les fournisseurs sont indemnisés [et que] tous les fournisseurs peuvent sur la même base proposer pour la fourniture d'électricité des offres » ;

- concernant leur champ, les PME doivent être définies comme « des entreprises qui occupent moins de 250 personnes et dont le chiffre d'affaires annuel n'excède pas 50 millions d'euros ou dont le total du bilan annuel n'excède pas 43 millions d'euros » ;

- pour ce qui est enfin de leur application, la Commission européenne doit procéder « au plus tard le 30 avril 2023 [à] un réexamen [des dispositions] au regard de la situation générale de la fourniture d'électricité et des prix de l'électricité dans l'Union et [présenter] au Conseil un rapport sur les principales conclusions de ce réexamen ».

Or, l'article 1 er de la proposition de loi ne respecte ni le principe d'indemnisation des fournisseurs, en cas de prix inférieur aux coûts, ni les critères de 250 personnes et 43 M€ de bilan ou 50 M€ de chiffre d'affaires, qui s'appliqueraient à des collectivités territoriales si elles étaient assimilées à des PME, ni enfin le caractère transitoire des dispositions, avec un réexamen d'ici avril 2023.

Au total, le Gouvernement et les fournisseurs interrogés 25 ( * ) ont rappelé l'incompatibilité de l'extension des TRVE avec le droit de l'Union européenne.

De son côté, la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR), qui réunit les collectivités territoriales en tant qu'autorités organisatrices de la distribution d'énergie (AODE), a elle souligné cette incompatibilité ainsi : « La FNCCR est toutefois pleinement consciente que ces propositions se heurtent à un problème de conformité aux directives de l'Union européenne relatives à l'organisation des marchés intérieurs de l'électricité et du gaz, outre le fait qu'elle ne sont pas en elles-mêmes suffisantes pour garantir aux consommateurs finals un niveau de protection adéquat, ce qui plaide par conséquent en faveur d'une réforme structurelle de ces marchés ».

B. La commission observe que la modification proposée fait abstraction de dispositifs de soutien, budgétaires et fiscaux, existants à destination des collectivités territoriales

Depuis les lois de finances initiales pour 2022 et 2023 et les lois de finances rectificatives d'août et de décembre 2022 notamment, sont appliqués aux collectivités territoriales et à leurs groupements pour l'électricité :

- une compensation des TRVE , à leur niveau du 31 décembre 2022, majoré de 15 %, du 1 er février au 31 décembre 2023, pour ceux éligibles à ces tarifs 26 ( * ) , une aide étant instituée pour les autres ;

- un amortisseur électricité pour ceux non éligibles à ces tarifs , prenant en charge 50 % du coût de l'électricité au-delà de 325 €/mégawattheure (MWh), pour un montant de 3 Md€ ;

- un filet de sécurité pour ceux connaissant une baisse de 25 % de leur épargne et une hausse de 60 % de leurs coûts 27 ( * ) , dont la dotation s'élève à 430 M€ puis 1,5 Md€, afin de compenser certaines hausses d'énergie ;

- une baisse de taxe intérieure sur la consommation finale d'électricité (TICFE) au minimum européen de 0,5 €/MWh , l'assiette communale de cette taxe ayant été intégrée ;

- le relèvement du plafond de l'Arenh de 100 à 120 TWh , compensé par une hausse partielle de son prix de 42 à 46,2 €/MWh.

Au total, le coût des dispositifs de soutien budgétaires et fiscaux s'élève à 45 Mds€ au total et à 20 Mds€ en net, dans le cadre du PLF pour 2023. Pour les consolider, le rapporteur pour avis sur les crédits « Énergie », Daniel Gremillet, a présenté un amendement à ce projet de loi de finances initiale visant à garantir l'éligibilité des collectivités territoriales et de leurs groupements à l'amortisseur électricité. Quant au relèvement du plafond de l'Arenh, il représente 10 Md€ de pertes pour le groupe EDF.

C. La commission observe que la modification proposée ne serait pas optimale pour les collectivités territoriales elles-mêmes

Tout d'abord, l'extension des TRVE, en tant que telle, n'est pas protectrice des hausses de prix , dans la mesure où ces tarifs doivent couvrir les coûts des fournisseurs. La méthode d'empilement des coûts, c'est-à-dire la prise en compte pour la construction des TRVE de tous les coûts d'un fournisseur efficace, comparable au groupe EDF, garantit la contestabilité, soit la faculté pour un fournisseur alternatif de proposer des tarifs de marché égaux ou inférieurs aux TRVE. Ce sont bien plutôt le blocage ou la compensation des TRVE, via des dispositifs budgétaires et fiscaux, qui ont actuellement un impact baissier sur le prix de l'électricité. C'est pourquoi la FNCCR a indiqué que « le retour aux TRV d'électricité ou de gaz ne permet donc pas de garantir à lui seul des niveaux de prix économiquement raisonnables - et socialement acceptables - pour les consommateurs ».

De plus, l'extension des TRVE ne répond pas aux besoins des collectivités territoriales, car elle ne précise pas si les services délégués sont soumis aux mêmes tarifs que ceux en régie directe. Or, ces services délégués (énergie, eau, déchets) peuvent être coûteux. Pour Intercommunalités de France (IDF), si « ces mesures sont bienvenues », l'association « souhaite disposer d'un chiffrage plus précis concernant leur impact budgétaire pour les intercommunalités », précisant que « les services publics tels que la distribution d'eau potable et l'assainissement, qui sont fortement consommateurs d'énergie, peuvent être gérés dans le cadre de délégations de services publics [et] ne seraient donc pas concernés par les mesures. »

Pire, cette extension serait déstabilisatrice pour les contrats en cours des collectivités territoriales . La moitié des collectivités territoriales éligibles aux TRVE ont souscrit des offres de marché, dans le cadre de marchés publics ; souvent, elles ont intégré des groupements d'achats, via leur syndicat intercommunal ou départemental d'énergie ou l'Ugap. Or, ces marchés publics ne prévoient généralement pas de résiliation à l'initiative de la collectivité territoriale sans indemnisation du fournisseur d'électricité. Aussi le groupe EDF indique-t-il qu' « en conséquence, une collectivité qui souhaiterait résilier un tel contrat de fourniture de façon anticipée pour souscrire à une offre au TRVE serait confrontée à des impacts financiers pouvant être significatifs ».

Enfin, cette extension desservirait l'intérêt des collectivités territoriales elles-mêmes . En effet, si des conditions contraires au droit de l'Union européenne étaient appliquées aux TRVE, alors ces tarifs réglementés pourraient donner lieu à des contentieux. Les collectivités territoriales seraient exposées à un risque d'annulation de leur contrat de fourniture et de rétrocessions de trop-perçus. C'est pourquoi l'Union nationale des entreprises locales d'électricité et de gaz (Uneleg) a indiqué que « le risque sous-jacent à une absence de conformité de ces évolutions avec le cadre juridique existant - qui sert notamment un objectif de développement de la concurrence sur les marchés de détail de l'énergie - est la contestation des contrats de fourniture signés aux TRVE par les collectivités ; ce qui desservirait l'intention de cette proposition de loi. »

D. La commission relève que la modification proposée aurait des conséquences négatives pour les fournisseurs d'électricité

Tout d'abord, l'extension des TRVE aurait un impact financier important pour le groupe EDF . Actuellement, les TRVE font l'objet d'une réservation préalable par ce groupe, qui s'approvisionne en amont auprès des marchés de l'électricité ou d'autres fournisseurs, ce qui permet d'asseoir ces tarifs règlementés sur des volumes prévisibles et des prix lissés. Or, la modification proposée, d'application immédiate, obligerait le groupe à s'approvisionner, dans des délais serrés et à des prix élevés, pour des volumes par ailleurs conséquents. C'est la raison pour laquelle le groupe EDF a indiqué que « si de nombreuses collectivités souscrivaient de façon synchronisée une offre de fourniture au TRV auprès d'EDF, sans qu'il ait été possible d'anticiper leur souscription, alors l'énergie correspondant à leurs futures consommations n'aurait pas fait l'objet d'une ”réservation préalable” de la part d'EDF sur les marchés ou auprès d'autres producteurs. Pour disposer de cette énergie, EDF serait dès lors contraint de s'approvisionner sur les marchés de façon très soudaine, sans possibilité d'étaler dans le temps les achats correspondants, ce qui l'exposerait à un risque financier très important, surtout au vu du niveau actuel des prix de marché et de leur forte instabilité ». Si aucun chiffrage global n'a pu être obtenu, ni du Gouvernement ni des acteurs interrogés, et si les hypothèses de chiffrage sont très incertaines, compte tenu de la crise énergétique pendante, pour la commission, le coût lié à l'application des TRVE aux communes actuellement non éligibles pourrait être a minima de 2,14 Md€ dès 2023.

De plus, l'extension des TRVE induirait des difficultés pratiques pour le groupe EDF . Elle obligerait le groupe à réactiver d'anciens TRVE, ce qui le contraindrait à développer son offre de fourniture et son système d'information. Aussi a-t-il précisé qu' « à l'exception de quelques cas très spécifiques et non représentatifs des collectivités, les grilles des tarifs ”jaunes” et ”verts” applicables aux sites de puissance supérieure à 36 kVA ont disparu depuis 2016, après un délai de 5 ans ayant permis aux pouvoirs publics et à EDF de l'anticiper au mieux. La réactivation de tels tarifs nécessiterait des évolutions significatives des systèmes d'information d'EDF et une coordination avec les gestionnaires de réseaux, qui semblent totalement incompatibles avec une mise en oeuvre immédiate telle qu'envisagée dans la proposition de loi. Un délai de plusieurs années serait indispensable pour que la mise oeuvre se fasse sans heurts pour les consommateurs concernés ».

Hormis le groupe EDF, l'extension des TRVE aurait aussi un impact sur les fournisseurs alternatifs. Dans la mesure où seuls le groupe EDF et les ELD peuvent fournir des offres aux TRVE, la modification évincerait les fournisseurs alternatifs au profit de ceux historiques, ce qui heurtement le principe de concurrence. Les fournisseurs alternatifs en seraient pénalisés du point de vue de leurs offres et de leurs recettes. C'est pourquoi le groupe Engie a indiqué qu' « un grand nombre de collectivités ont signé un marché de fourniture en offre de marché auprès de fournisseurs alternatifs. Les résiliations effectuées en cours de marché par des collectivités éligibles au TRVE portent atteinte aux engagements contractuels souscrits et peuvent occasionner des pertes très importantes pour les fournisseurs qui doivent acheter, dès la souscription des contrats, des volumes d'énergie pour ces clients au prix de marché. En cas d'élargissement des TRVE à toutes les collectivités, ces phénomènes viendraient se généraliser et générer des pertes liées à la revente des volumes couverts par les fournisseurs. Il en va de même des pertes financières pouvant être générées par la revente des CEE, des garanties de capacité ou encore des garanties d'origine. Les fournisseurs ayant également commandé des volumes Arenh pour ces clients s'exposeraient aux pénalités CP1/CP2 du dispositif ».

Enfin, l'extension des TRVE générerait des difficultés pratiques pour les fournisseurs alternatifs. En les excluant d'une partie de leurs clients, elle les obligerait à réviser leur offre de fourniture et leur stratégie de développement. Aussi le groupe Engie a-t-il précisé « en outre, permettre aux collectivités territoriales de bénéficier du TRVE, quelle que soit la puissance souscrite, aura un impact non négligeable sur la concurrence, privant tous les fournisseurs alternatifs de ce portefeuille de clients au bénéfice d'EDF. Or, un fournisseur comme Engie s'est organisé et structuré pour répondre aux appels d'offres des collectivités et gérer les marchés publics et est fortement impliqué sur ce segment de clients (emplois, développement informatique...). Un retour au TRVE aurait donc des conséquences sociales et financières (amortissement des investissements) non négligeables ».

E. Enfin, la commission observe que la modification proposée présente d'évidents effets de bord

En effet, elle conduirait :

- à introduire des références à l'évolution du mix de production ainsi qu'aux coûts des productions, des importations, des exportations , dont les fondements juridiques ne sont pas prévus par le droit européen et les effets financiers, difficiles appréhendés, n'ont fait l'objet d'aucun chiffrage ;

- à supprimer des références à l'Arenh , pour l'heure nécessaire afin d'assurer la compatibilité du marché national avec le droit européen, et au mécanisme de capacités , utile pour garantir la sécurité d'approvisionnement en électricité cet hiver et les prochains ;

- à induire une différence de traitement sur le territoire national, le sort des ZNI n'étant pas précisé ;

- à générer des difficultés de mise en oeuvre, en l'absence de référence à un délai d'application et à une notification européenne.

Pour l'ensemble de ces raisons, la commission n'a pas adopté l'article.

Article 2

Maintien des tarifs réglementés de vente de gaz (TRVG)
notamment pour les collectivités territoriales et leurs groupements

Cet article vise à maintenir les tarifs réglementés de vente de gaz (TRVG) notamment pour les collectivités territoriales et leurs groupements.

Relevant ici aussi la non-conformité de la disposition avec le droit de l'Union européenne et ses nombreux effets de bord pour le groupe Engie, ses concurrents et les collectivités territoriales et leurs établissements eux-mêmes, la commission n'a pas adopté l'article.

I. La situation actuelle - Des tarifs règlementés de vente de gaz (TRVG) en extinction, dont les conditions d'éligibilité ont été abrogées par la loi « Énergie-Climat » de 2019

A. Les TRVG sont un mode de tarification en extinction des offres de fourniture de gaz

Les TRVG ont été institués par l'article 7 de la loi « Marchés du gaz et de l'électricité », du 3 janvier 2003 28 ( * ) .

L'article 445-3 du code de l'énergie disposait ainsi : « Les tarifs réglementés de vente du gaz naturel sont définis en fonction des caractéristiques intrinsèques des fournitures et des coûts liés à ces fournitures. Ils couvrent l'ensemble de ces coûts à l'exclusion de toute subvention en faveur des clients qui ont exercé leur droit prévu à l'article L. 441-1. Ils sont harmonisés dans les zones de desserte respectives des différents gestionnaires de réseaux de distribution mentionnés à l'article L. 111-53. Les différences de tarifs n'excèdent pas les différences relatives aux coûts de raccordement des distributions au réseau de transport de gaz naturel à haute pression. »

De plus, l'article L. 445-4 du même code disposait qu' « un consommateur final de gaz naturel consommant moins de 30 000 kilowattheures par an peut bénéficier, sur tout site de consommation, des tarifs réglementés de vente de gaz naturel mentionnés à l'article L. 445-3 » , de même que « le propriétaire unique d'un immeuble à usage principal d'habitation consommant moins de 150 000 kilowattheures par an ou le syndicat des copropriétaires d'un tel immeuble » ou « les entreprises locales de distribution faisant encore l'objet de tarifs réglementés et dont la consommation est inférieure à 100 000 mégawattheures par an ».

Enfin, l'article L. 441-5 du même code prévoyait la possibilité pour les personnes publiques de conclure des « contrats de gaz [à] prix fermes » et l'article L. 443-6 l'obligation pour les fournisseurs de respecter des conditions « pour les clients qui bénéficient des tarifs réglementés de vente ».

B. La loi « Énergie-Climat » de 2019 a prévu l'abrogation des TRVG

L'article 63 de la loi « Énergie-Climat », du 8 novembre 2019 29 ( * ) , a prévu la suppression des tarifs TRVG, organisant notamment l'identification et l'information par les fournisseurs des clients n'étant plus éligibles.

Cette suppression doit intervenir :

- pour les consommateurs finals non domestiques consommant moins de 30 000 kWh par an, le premier jour du treizième mois suivant la publication de la loi « Énergie-Climat » (soit le 1 er décembre 2020) ;

- pour les consommateurs finals domestiques consommant moins de 30 000 kWh par an ainsi que pour les propriétaires uniques d'un immeuble à usage principal d'habitation consommant moins de 150 000 kWh par an et les syndicats des copropriétaires d'un tel immeuble, le 1 er juillet 2023.

Dans cette perspective, il est prévu :

- la désignation d'un fournisseur de dernier recours de gaz naturel, par le ministre chargé de l'énergie après un appel d'offres organisé avec l'appui de la CRE, pour les clients finals domestiques raccordés au réseau public de distribution de gaz naturel et ne trouvant pas de fournisseur ;

- la désignation d'un fournisseur de secours de gaz naturel, par le ministre chargé de l'énergie après un appel d'offres organisé avec l'appui de la CRE, lorsqu'un fournisseur détaillant se voit retirer ou suspendre son autorisation ;

- une communication auprès des clients bénéficiant des TRVG de la disponibilité des offres de marché et du comparateur d'offres ;

- l'accès aux données de contact et de consommation des clients bénéficiant des TRVG à toute entreprise de fourniture de gaz ;

- une communication auprès du grand public du MNE et de la CRE au sujet de la disparition progressive des TRVG ;

- la publication mensuelle par la CRE du prix moyen de fourniture de gaz naturel et son évolution pour les consommateurs finals domestiques ainsi que la marge moyenne réalisée par les fournisseurs de gaz naturel.

Les modalités d'application règlementaires de ces évolutions ont été précisées par un décret n° 2021-273 du 11 mars 2021, un arrêté du 12 décembre 2019 et un arrêté du 8 juillet 2020.

C. En dépit de ces évolutions, les TRVG demeurent encore usités par les consommateurs finals

En application de la loi « Énergie-Climat », 36 000 sites professionnels, sur un total de 650 000 aux TRVG, ont basculé vers des offres de marché de leur fournisseur historique, au 1 er décembre 2020 30 ( * ) .

Pour autant, les TRVG représentent 3 millions de sites résidentiels, soit 7,5 % de la consommation nationale de gaz 31 ( * ) .

Selon l'Association française du gaz (AFG), 25 000 communes ne sont pas desservies par le réseau de gaz naturel.

II. Le dispositif envisagé - Un rétablissement des TRVG notamment pour les collectivités territoriales ou leurs groupements

L'article 2 modifie les TRVG sur trois points.

Tout d'abord, il leur applique les dispositions selon lesquelles, dans les secteurs ou les zones où la concurrence par les prix est limitée en raison soit de situation de monopole, soit de difficultés durables d'approvisionnement, soit de dispositions législatives ou règlementaires, un décret en Conseil d'État peut règlementer les prix, après consultation de l'Autorité de la concurrence.

De plus, il prévoit que les décisions afférentes à ces tarifs sont prises conjointement par les ministres de l'énergie et de l'économie, après avis de la CRE, cette dernière pouvant émettre des propositions et des avis.

Enfin, il précise que la construction de ces tarifs couvre l'ensemble des coûts, dont ceux liés aux fournitures et aux raccordements, à l'exclusion de toute subvention en faveur des clients et après harmonisation dans les zones de desserte.

III. La position de la commission - Une modification contraire au droit européen, faisant abstraction des dispositifs de soutien budgétaires et fiscaux existants et générant d'importants effets de bord pour le groupe Engie, ses concurrents et les collectivités territoriales elles-mêmes

A. La commission observe que la modification proposée n'est pas conforme au droit de l'Union européenne

Dans sa décision du 19 juillet 2017 32 ( * ) , le Conseil d'État a estimé que les TRVG étaient contraires à la directive du 13 juillet 2009 concernant les règles communes pour le marché intérieur du gaz 33 ( * ) , dont les dispositions ont été interprétées par l'arrêt du 7 septembre 2016 de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) 34 ( * ) .

Ainsi, le Conseil d'État a considéré que les TRVG constituaient une entrave à la réalisation d'un marché concurrentiel du gaz ; dans une question préjudicielle, la CJUE avait en effet estimé qu'une telle entrave aurait été admissible si elle :

- avait répondu à un objectif d'intérêt économique général, c'est-à-dire avoir pour objet de garantir la sécurité des approvisionnements, la cohésion territoriale ou le maintien des prix à un niveau raisonnable ;

- n'avait porté atteinte à la libre fixation des prix que dans la seule mesure nécessaire à la réalisation de cet objectif, et durant une période limitée de temps ;

- avait été clairement définie, transparente, non discriminatoire et contrôlable.

C'est pourquoi le Conseil d'État a indiqué, dans son arrêt : « Il résulte de l'interprétation de la directive 2009/73/CE ainsi donnée par la Cour de justice de l'Union européenne que, d'une part, les articles L. 445-1 à L. 445-4 du code de l'énergie, en imposant à certains fournisseurs de proposer au consommateur final la fourniture de gaz naturel à des tarifs réglementés, constituent une entrave à la réalisation d'un marché du gaz naturel concurrentiel prévue par cette directive et, d'autre part, que cette règlementation des prix de la fourniture du gaz naturel ne saurait être admise qu'à la triple condition qu'elle réponde à un objectif d'intérêt économique général, qu'elle ne porte atteinte à la libre fixation des prix que dans la seule mesure nécessaire à la réalisation de cet objectif et notamment durant une période limitée dans le temps et, enfin, qu'elle soit clairement définie, transparente, non discriminatoire et contrôlable. »

En l'espèce, le Conseil d'État a considéré que les TRVG ne répondaient pas un objectif d'intérêt économique général :

- la sécurité des approvisionnements n'est prévue, ni dans la loi, ni dans le contrat ;

- la cohésion territoriale n'est pas poursuivie car le gaz, substituable, ne constitue pas un produit de première nécessité, un tiers seulement des communes étant desservies et l'harmonisation des prix n'existant que dans chacune des 14 zones de desserte ;

- la garantie d'un prix raisonnable n'est pas poursuivie car les TRVG prévoient la couverture de l'ensemble des coûts supportés par les fournisseurs, s'appliquent de manière permanente et sont indexés sur les prix de marchés de gros.

C'est la raison pour laquelle le Conseil d'État a indiqué, dans son arrêt : « Il résulte de ce qui précède que l'entrave à la réalisation d'un marché du gaz naturel concurrentiel que constitue la réglementation tarifaire contestée ne poursuit aucun objectif d'intérêt économique général. Dès lors, les dispositions législatives du code de l'énergie contestées sont incompatibles avec les objectifs poursuivis par la directive 2009/73/CE, sans qu'il soit besoin de s'interroger sur le caractère proportionné de la règlementation qu'elles prévoient. »

Cette contrariété avec le droit de l'Union est d'autant plus d'actualité que le règlement du 6 octobre 2022 35 ( * ) ne prévoit que la possibilité d'instituer une contribution de solidarité temporaire, et non des tarifs réglementés, en matière de gaz.

Au total, le Gouvernement et les fournisseurs interrogés 36 ( * ) ont rappelé l'incompatibilité du rétablissement des TRVG avec le droit de l'Union européenne.

Ainsi, le groupe Engie a indiqué que « ces arguments sont aujourd'hui toujours valables et une loi mettant en oeuvre un maintien et une extension des TRVG serait encore une fois déclarée non compatible avec le droit de l'Union » et l'Anode que « de nouveau, la fin des tarifs réglementés de gaz vise à mettre le droit français en conformité avec le droit de l'Union. Cette réforme, prévue par la loi Énergie Climat de 2019, s'inscrit dans la nécessité de mettre en oeuvre la décision du Conseil d'État du 19 juillet 2017 ».

Il en est de même du Syndicat professionnel des entreprises locales gazières (SPEGNN), qui a précisé : « Si par principe nous sommes favorables à un maintien des tarifs réglementés de vente du gaz, nous nous interrogeons néanmoins sur leur conformité au droit de l'Union européenne dans la mesure où nous n'identifions pas de faits nouveaux de nature à remettre en cause les décisions de justice précédemment mentionnées ».

Enfin, selon la FNCCR, « Sur ce point et à droit constant, les limites au rétablissement durable des TRVG sont, toutes choses égales par ailleurs, les mêmes que celles qui s'opposent à une extension du champ d'application des TRVE, le droit de l'Union européenne ne le permettant pas. À cet égard, dans sa décision de 2017, le Conseil d'État a jugé le maintien des TRVG comme n'était justifié par aucun objectif d'intérêt économique général, le gaz (substituable pour tous ses usages) n'étant pas reconnu comme un service universel à la différence de l'électricité. Dans ce contexte, sans réelle volonté [...] de réformer l'organisation actuelle du marché intérieur du gaz [...] on ne voit pas bien la marge de manoeuvre réelle en la matière. »

B. La commission observe que la modification proposée fait abstraction de dispositifs de soutien, budgétaires et fiscaux, existants à destination des collectivités territoriales

Depuis les lois de finances initiales pour 2022 et 2023 et les lois de finances rectificatives d'août et de décembre 2022, sont appliqués aux collectivités territoriales et leurs groupements pour le gaz :

- un blocage des TRVG, à leur niveau du 31 octobre 2021, majoré de 15 %, du 1 er janvier au 30 juin 2023, pour les collectivités et leurs groupements éligibles à ces tarifs 37 ( * ) , une aide pouvant leur succéder pour les propriétaires de logements collectifs du 1 er juillet au 31 décembre 2023 ;

- un filet de sécurité pour ceux connaissant une baisse de 25 % de leur épargne et une hausse de 60 % de leurs coûts 38 ( * ) , dont la dotation s'élève à 430 M€ puis 1,5 Md€, afin de compenser certaines hausses d'énergie.

Par la même occasion, un prix de référence du gaz , pour lequel la CRE doit remettre une proposition, avant le 31 janvier 2023, a été introduit.

Comme déjà indiqué le coût des dispositifs de soutien budgétaires et fiscaux s'élève à 45 Mds€ au total et à 20 Mds€ en net, dans le cadre du PLF pour 2023. Dans ce contexte, le rapporteur pour avis sur les crédits « Énergie » Daniel Gremillet a présenté un amendement à ce au projet de loi de finances initiale visant à consolider la protection des consommateurs de gaz naturel dans le chèque énergie.

C. La commission observe que la modification proposée ne serait pas optimale pour les collectivités territoriales elles-mêmes

Comme pour les TRVE, l'application des TRVG ne serait pas protectrice, en tant que telle , étant donné que ces tarifs doivent refléter les coûts des fournisseurs . Ici aussi, ce sont plutôt les dispositifs budgétaires et fiscaux liés aux blocages ou compensations des TRVG qui ont actuellement un effet baissier sur le prix du gaz. Le SPEGNN a ainsi indiqué « malheureusement, les tarifs réglementés de vente du gaz naturel ne permettent pas, en eux-mêmes, de proposer en ces temps de crise énergétique des offres à un prix raisonnable puisque les tarifs réglementés de vente doivent répercuter les coûts des opérateurs historiques ».

De plus, l'application des TRVG aux collectivités territoriales présenterait plusieurs difficultés pratiques :

- les besoins ne seraient pas satisfaits , car il n'est pas précisé si les services délégués sont soumis aux mêmes tarifs que ceux en régie directe ;

- les contrats seraient déstabilisés , car il n'est pas prévu de clause de résiliation de ceux en cours, à l'initiative de la collectivité territoriale, sans indemnisation du fournisseur de gaz ;

- les risques seraient élevés, car l'application de dispositions contraires au droit de l'Union européenne pourrait donner lieu à des contentieux, avec un risque d'annulation des contrats de fourniture et de rétrocession des trop-perçus pour les collectivités territoriales.

D. La commission relève que la modification proposée aurait des conséquences néfastes pour les fournisseurs de gaz

Tout d'abord, elle remettrait en cause l'extinction des TRVG, progressivement appliquée par Engie et les ELD , depuis la loi « Énergie-Climat », à quelques mois de l'échéance. Dans ce contexte, le groupe Engie a indiqué « quant au TRVG, sa disparition programmée nécessite une anticipation importante pour accompagner les équipes dédiées à cette activité. Dans un contexte juridique incertain, il ne peut pas être envisagé de modification au plan de transformation du groupe Engie, 7 mois avant la disparition du TRVG. Nous ne saurions donc définir correctement l'impact d'une prolongation des TRVG, tant cette option nous parait irréaliste d'un point de vue juridique ». Là encore, si aucun chiffrage global n'a pu être obtenu, ni du Gouvernement ni des acteurs interrogés, et si les hypothèses de chiffrage sont très incertaines, compte tenu de la crise énergétique pendante, pour la commission, le coût lié à l'application des TRVG aux communes actuellement non éligibles pourrait être a minima de 495 M€ dès 2023.

Plus encore, elle supprimerait le signal-prix sur le marché du gaz , ce qui engendrerait des coûts pour l'État et empêcherait de prendre en compte la situation des consommateurs ou des fournisseurs, ainsi que l'exigence de modération et de verdissement de la consommation de gaz. C'est la raison pour laquelle le SPEGNN a indiqué que « le blocage pur et simple des prix à l'aval (sur le marché de détail) comporte des limites et son lot d'effets indésirables puisqu'il est dispendieux pour le budget de l'État, ne prend pas en compte la situation économique du client et n'incite pas le consommateur à modérer sa consommation de gaz dans une situation de pénurie (absence de signal prix) ».

Enfin, elle ne serait pas nécessaire pour maintenir les dispositifs de soutien budgétaires et fiscaux attendus, dans la mesure où un prix de référence a été institué par le PLF pour 2023 à la place des TRVG pour calibrer les soutiens à la hauteur des besoins. Au total, l'AFG a ainsi indiqué que les « Les TRV ne sont pas nécessaires pour maintenir un bouclier tarifaire, à partir du moment où on a un indice de prix de référence par rapport auquel caler un dispositif d'aide [...]. Le blocage des prix - qui est à tort assimilé aux tarifs réglementés de vente - peut s'appliquer tant aux offres de tarifs réglementés de vente qu'à des offres de marché. »

Sur ce dernier point, la CRE a rappelé qu'elle procédera à la fixation d'une référence de prix du gaz représentative des coûts d'approvisionnements des fournisseurs , pour appuyer une éventuelle prolongation du bouclier tarifaire, et à la publication d'une référence de prix moyen de fourniture de gaz et de son impact pour les consommateurs finals , pour suivre mensuellement les évolutions de marché. Aussi a-t-elle indiqué que « la CRE tient à souligner que la fin des TRVG n'empêchera pas l'État de protéger les consommateurs finals. En l'état, le projet de loi de finances pour 2023 prévoit la possibilité pour le gouvernement de prolonger le bouclier tarifaire au-delà du 30 juin 2023 sur la base d'une référence de prix du gaz représentative des coûts d'approvisionnements des fournisseurs, qui sera fixée par la CRE. Ce mécanisme permettra donc une continuité avec le mécanisme actuel de bouclier tarifaire après la fin des TRVG. Il est par ailleurs rappelé que la CRE publiera chaque mois, sur le fondement de l'article L. 131-4 du code de l'énergie, une référence de prix moyen de fourniture de gaz naturel et son évolution pour les consommateurs finals, ce qui permettra notamment de donner une visibilité au consommateur sur l'évolution du prix moyen du gaz lorsque le bouclier tarifaire prendra fin. »

E. Enfin, la commission observe que la modification proposée présente d'évidents effets de bord

En effet, elle conduirait :

- à introduire un doublon entre les TRVG existants, toujours visés à l'article 63 de la loi « Énergie-Climat » de 2019 qui a cependant abrogé les articles L. 445-3 à L. 445-4 du code de l'énergie, et ceux institués par la proposition de loi , aux articles L. 445-6-1 à L. 445-6-3 du même code ;

- à s'écarter de la rédaction abrogée des TRVG existants, globalement reprise, sauf pour les bénéficiaires qui seraient tous éligibles, alors que la loi « Énergie-Climat » de 2019 a supprimé toute nouvelle souscription à ces tarifs à sa publication puis pour les consommateurs finals non domestiques consommant moins de 30 000 kWh par an, le 1 er décembre 2020, et les supprimera pour les consommateurs finals domestiques consommant moins de 30 000 kWh par an ainsi que pour les propriétaires uniques d'un immeuble à usage principal d'habitation consommant moins de 150 000 kWh par an et les syndicats des copropriétaires d'un tel immeuble, le 1 er juillet 2023 ;

- à générer des difficultés d'application, en l'absence de référence à un délai d'application et à une notification européenne.

En raison de ces difficultés, la commission n'a pas adopté l'article.


* 13 Loi n° 2000-108 du 10 février 2000 relative à la modernisation et au développement du service public de l'électricité.

* 14 Loi n° 2019-1147 du 8 novembre 2019 relative à l'énergie et au climat.

* 15 Rapport d'information n° 553 (2020-2021) de M. Daniel Gremillet fait au nom de la commission des affaires économiques sur la mise en application de la loi n° 2019-1147 du 8 novembre 2019 relative à l'énergie et au climat, 5 mai 2021, p. 70.

* 16 Rapport d'information n° 201 (2021-2022) de M. Daniel Gremillet fait au nom de la commission des affaires économiques sur les crédits « Énergie » de la mission « Écologie, développement et mobilité durables », 24 novembre 2021, p. 9.

* 17 Directive (UE) 2019/944 du Parlement européen et du Conseil du 5 juin 2019 concernant des règles communes pour le marché intérieur de l'électricité et modifiant la directive 2012/27/UE.

* 18 D'une part, les interventions publiques dans la fixation des prix pour la fourniture d'électricité :

a) poursuivent un objectif d'intérêt économique général et ne vont pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif d'intérêt économique général ;

b) sont clairement définies, transparentes, non discriminatoires et vérifiables ;

c) garantissent aux entreprises d'électricité de l'Union un égal accès aux clients ;

d) sont limitées dans le temps et proportionnées en ce qui concerne leurs bénéficiaires ;

e) n'entraînent pas de coûts supplémentaires pour les acteurs du marché d'une manière discriminatoire.

D'autre part, tout État membre qui met en oeuvre des interventions publiques dans la fixation des prix pour la fourniture d'électricité respecte également l'absence de barrières injustifiées au sein du marché de l'électricité en ce qui concerne l'entrée et la sortie du marché, sans préjudice des compétences des États membres s'agissant des pays tiers, de même que l'inscription de données sur la précarité énergétique dans le cadre du rapport d'avancement national intégré en matière d'énergie et de climat et le partage de ces données avec l'Observatoire européen de la précarité énergétique, que l'État membre ait ou non un nombre significatif de ménages en situation de précarité énergétique.

* 19 D'une part, les interventions publiques effectuées respectent les critères mentionnés aux a) à e) sur les clients résidentiels vulnérables et en situation de précarité énergétique et :

a) sont assorties d'un ensemble de mesures permettant de parvenir à une concurrence effective et d'une méthode d'évaluation des progrès en ce qui concerne ces mesures ;

b) sont fixées à l'aide d'une méthode garantissant un traitement non discriminatoire des fournisseurs ;

c) sont établies à un prix supérieur aux coûts, à un niveau permettant une concurrence tarifaire effective ;

d) sont conçues de façon à réduire au minimum tout impact négatif sur le marché de gros de l'électricité ;

e) garantissent que tous les bénéficiaires de telles interventions publiques ont la possibilité de choisir des offres du marché concurrentielles et qu'ils sont directement informés, au moins tous les trimestres, de l'existence d'offres et des économies possibles sur le marché concurrentiel, en particulier en ce qui concerne les contrats d'électricité à tarification dynamique, et garantissent que ceux-ci bénéficient d'une assistance pour passer à une offre fondée sur le marché ;

f) garantissent que tous les bénéficiaires de telles interventions publiques ont le droit de disposer de compteurs intelligents installés sans frais préalables supplémentaires pour le client et se voient proposer une telle installation, sont directement informés de la possibilité d'installer des compteurs intelligents et bénéficient de l'assistance nécessaire ;

g) ne se traduisent pas par des subventions croisées directes entre les clients fournis aux prix du marché libre et ceux fournis aux prix de fourniture réglementés.

D'autre part, les États membres notifient à la Commission les mesures prises un mois après leur adoption et peuvent les appliquer immédiatement. Cette notification est accompagnée d'une explication quant aux raisons pour lesquelles d'autres instruments n'étaient pas suffisants pour atteindre l'objectif poursuivi, quant à la manière dont les exigences énoncées ont été respectées et quant aux effets des mesures notifiées sur la concurrence. Elle précise les bénéficiaires et la durée des mesures, ainsi que la manière dont les prix réglementés sont fixés.

* 20 Conseil d'État, Décision n° 455 655, 18 mai 2018, Association nationale des opérateurs détaillants en énergie (Anode).

* 21 Conseil d'État, Décision n° 424 573, 6 novembre 2019, Association nationale des opérateurs détaillants en énergie (Anode).

* 22 Règlement (UE) 2022/1854 du Conseil du 6 octobre 2022 sur une intervention d'urgence pour faire face aux prix élevés de l'énergie.

* 23 Les interventions publiques :

a) tiennent compte de la consommation annuelle du bénéficiaire au cours des cinq dernières années et maintiennent une incitation à la réduction de la demande ;

b) satisfont aux critères mentionnés aux a) à e) sur les clients résidentiels vulnérables et en situation de précarité énergétique ;

c) le cas échéant, respectent les conditions énoncées aux a) à c) sur la fourniture d'électricité à un prix inférieur aux coûts.

* 24 Les conditions suivantes doivent être remplies :

a) la mesure couvre un volume limité de consommation et maintient une incitation à la réduction de la demande ;

b) il n'y a pas de discrimination entre les fournisseurs ;

c) les fournisseurs sont indemnisés pour la fourniture à perte ;

d) tous les fournisseurs peuvent sur la même base proposer pour la fourniture d'électricité des offres à un prix inférieur aux coûts.

* 25 EDF, Engie, l'Association des opérateurs détaillants d'énergie (Anode), l'Association française indépendante de l'électricité et du gaz (AFIEG), l'Union française de l'électricité (UFE) et l'Union nationale des entreprises locales d'électricité et de gaz (Uneleg).

* 26 Pour rappel, ceux dont la puissance de souscription est inférieure à 36 kVA, le nombre de personnes à 10 ETP et les recettes à 2 M€.

* 27 Ces critères ayant été assouplis par le Sénat à l'occasion de l'examen du PLF pour 2023.

* 28 Loi n° 2003-8 du 3 janvier 2003 relative aux marchés du gaz et de l'électricité et au service public de l'énergie.

* 29 Loi n° 2019-1147 du 8 novembre 2019 relative à l'énergie et au climat.

* 30 Rapport d'information n° 553 (2020-2021) de M. Daniel Gremillet fait au nom de la commission des affaires économiques sur la mise en application de la loi n° 2019-1147 du 8 novembre 2019 relative à l'énergie et au climat, 5 mai 2021, p. 70.

* 31 Rapport d'information n° 201 (2021-2022) de M. Daniel Gremillet fait au nom de la commission des affaires économiques sur les crédits « Énergie » de la mission « Écologie, développement et mobilité durables », 24 novembre 2021, p. 9.

* 32 Conseil d'État, Décision n° 370 321, 19 juillet 2017, Association nationale des opérateurs détaillants en énergie (Anode).

* 33 Directive 2009/73/CE du Parlement européen et du Conseil du 13 juillet 2009 concernant des règles communes pour le marché intérieur du gaz naturel et abrogeant la directive 2003/55/CE.

* 34 Cour de Justice de l'Union européenne, Arrêt du 7 septembre 2016 de la Cour de justice de l'Union européenne rendu dans l'affaire C-121/15 « Anode ».

* 35 Règlement (UE) 2022/1854 du Conseil du 6 octobre 2022 sur une intervention d'urgence pour faire face aux prix élevés de l'énergie.

* 36 Engie, l'Association des opérateurs détaillants d'énergie (Anode), l'Association française indépendante de l'électricité et du gaz (Afieg), l'Association française du gaz (AGF), le Syndicat professionnel des entreprises locales gazières (SPEGNN), l'Union nationale des entreprises locales d'électricité et de gaz (Uneleg).

* 37 Pour mémoire, ceux consommant moins de 30 000 kWh ou propriétaires uniques d'un immeuble à usage principal d'habitation consommant moins de 150 000 kWh.

* 38 Ces critères ayant été assouplis par le Sénat à l'occasion de l'examen du PLF pour 2023.

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